Peu d’entre nous ont connu une année comme 2020. Pour le secteur de l’énergie, il s’agissait d’une combinaison brutale de faibles prix du pétrole, d’un confinement à l’échelle nationale par suite du coronavirus et d’une grave récession économique. Ce fut également une année charnière en termes de nouvelle rhétorique et d’investissements réorientés des carburants et technologies conventionnels vers les technologies émergentes.
Politiques nationales sur les changements climatiques
En ce qui concerne les lois et les politiques énergétiques, l’année 2020 s’est terminée en beauté. Le 11 décembre 2020, le gouvernement du Canada a promulgué une loi visant à accélérer les initiatives de lutte contre les changements climatiques dans tout le pays. Ce qui a d’abord attiré l’attention des gens, c’est la proposition d’augmenter la taxe canadienne sur le carbone de 50 $ par tonne en 2022 à 170 $ par tonne en 2030. Cela augmenterait le prix de l’essence de près de 40 cents par litre et doublerait les coûts de chauffage de nombreux foyers, bien que le gouvernement ait affirmé que les consommateurs récupéreraient cet argent sous la forme d’un remboursement de taxe. Le plan comprend également 64 programmes différents pour réduire la pollution et construire une économie propre, pour un coût de 15 milliards de dollars.
Ces investissements comprennent 2,5 milliards de dollars pour des projets d’énergie propre sur trois ans, 1,5 milliard de dollars pour développer des carburants à faible teneur en carbone, 287 millions de dollars sur deux ans pour promouvoir les véhicules à émission zéro, 3 milliards de dollars sur cinq ans pour décarboniser les grands émetteurs, 2,6 milliards de dollars sur sept ans pour améliorer l’efficacité énergétique des foyers et 3 milliards de dollars sur dix ans pour planter 2 milliards d’arbres.
La révolution du véhicule électrique
Au niveau provincial, l’accent a été mis sur les véhicules électriques. Le Québec a annoncé qu’il abandonnerait la vente de nouvelles voitures à essence à partir de 2035. La Colombie-Britannique a déclaré qu’elle ferait de même en 2040. Cette décision fait suite à une loi californienne antérieure qui interdirait la vente de voitures et de camions à essence d’ici 2035 et à l’annonce faite par la Grande-Bretagne en novembre 2020 qu’elle interdirait la vente de nouvelles voitures à essence et diesel à partir de 2030.
Les constructeurs automobiles du monde entier ont suivi de près ces développements. Ils observaient également Tesla. En 2020, cette entreprise a atteint une capitalisation boursière de 880 milliards de dollars, soit plus que Toyota, Volkswagen, Daimler, General Motors, BMW, Honda, Hyundai et Ford réunis.
Au Canada, Ford a annoncé qu’elle dépenserait 1,8 milliard de dollars pour produire des véhicules électriques dans son usine d’Oakville, en Ontario. General Motors a répondu en disant qu’elle éliminerait complètement les véhicules à essence d’ici 2035 et qu’elle investirait 1 milliard de dollars pour produire des fourgonnettes commerciales électriques à Ingersoll, en Ontario. Chrysler a déclaré qu’elle dépenserait 1,5 milliard de dollars pour produire des véhicules électriques à Windsor, en Ontario.
Nouveaux réseaux de recharge
Les véhicules électriques nécessitent une recharge électrique. En 2020, les réseaux de recharge de véhicules électriques sont devenus une réalité au Canada. Tesla a pris la tête du peloton avec 584 emplacements et 1400 chargeurs à travers le Canada. En janvier 2020, Canadian Tire a annoncé son intention de construire un réseau de 240 chargeurs rapides dans 90 points de vente Canadian Tire au Canada.
Les services publics d’électricité ont également été actifs. À la fin de 2020, BC Hydro avait étendu son réseau à 85 emplacements en Colombie-Britannique, tandis que le partenariat entre Ontario Power Generation et Hydro One a convenu d’installer 160 chargeurs rapides en Ontario d’ici la fin de 2021. L’importance de ce nouveau réseau est devenue évidente en septembre 2020 lorsque l’entreprise américaine de réseaux de recharge de véhicules électriques, ChargePoint, est entrée en bourse à une valorisation de 2,4 milliards de dollars. Les investisseurs comprenaient Chevron, BMW, Siemens et l’Office d’investissement du régime de pensions du Canada.
Investissement durable
L’année 2020 a également vu un changement spectaculaire sur les marchés financiers. Les énergies renouvelables dominent désormais les marchés financiers au Canada et aux États-Unis. Next Era Energy, le plus grand fournisseur d’énergie éolienne au monde, a remplacé Exxon Mobil et Chevron Corporation pour devenir l’entreprise énergétique la plus précieuse au monde. En août 2020, Exxon Mobil a disparu de l’indice Dow Jones. Elle en faisait partie depuis la création de l’entreprise Standard Oil of New Jersey en 1928.
De plus en plus, les entreprises sont tenues de divulguer leur impact sur le climat, désormais appelé valeur environnement, social et gouvernance (ESG). Les entreprises à base de carbone sont également mises à l’index par les fonds de pension. Les investissements ESG ont doublé au cours des quatre dernières années. Price Waterhouse estime maintenant que 60 % des actifs des fonds communs de placement seront de type ESG d’ici 2025. Les rapports et la transparence en ce qui concerne les valeurs ESG stimulent à la fois les marchés financiers et les initiatives en matière de changements climatiques.
La situation a changé. Tout le monde l’a vu venir. La révolution carbone zéro a progressé lentement au cours de la dernière décennie. L’année 2020, cependant, a été le point de bifurcation sur la route. Le secteur de l’énergie sera très différent à l’avenir. La réglementation de l’énergie sera également très différente. L’examen suivant des décisions prises par les organismes canadiens de réglementation de l’énergie au cours de l’année dernière met en lumière certains de ces changements.
LES PIPELINES
Au cours des cinq dernières années, quatre grands projets de pipelines canadiens, représentant potentiellement un investissement de 50 milliards de dollars, ont été annulés ou menacés par des contestations réglementaires[1]. Les quatre projets sont le pipeline Energy East de TransCanada, le pipeline Northern Gateway d’Enbridge, l’expansion Trans Mountain de Kinder Morgan et, enfin et surtout, Keystone XL. L’année dernière, nous avons examiné les trois premiers. Ci-dessous, nous examinons Keystone XL, qui a été résilié récemment.
Keystone XL
Le pipeline Keystone XL est un projet de 20 milliards de dollars que TransCanada avait proposé en 2008 pour transporter 800 000 barils de pétrole par jour de l’Alberta au Nebraska, puis dans un pipeline existant qui transporterait le pétrole jusqu’à la côte du Golfe. Le passage de la frontière entre les États-Unis et le Canada a été achevé l’année dernière, ainsi que 90 miles de pipeline à l’intérieur du Canada.
Le Département d’État américain a examiné le pipeline pendant près de sept ans. La partie canadienne de la ligne a obtenu l’approbation de l’Office national de l’énergie (ONE) en 2010[2]. En mai 2012, TransCanada a déposé une demande de permis présidentiel auprès du Département d’État américain. Ce permis est exigé du président américain chaque fois qu’un pipeline traverse une frontière internationale. Ce permis a été retardé par un litige en cours devant les tribunaux du Nebraska. En novembre 2014, la Chambre des représentants des États-Unis a approuvé Keystone XL pour la neuvième fois. Cependant, le président Obama a ensuite exercé son veto pour faire échouer le projet[3].
TransCanada a contesté le veto d’Obama en invoquant la Constitution[4] et l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) pour un montant de 15 milliards de dollars[5]. Avant qu’aucune des deux affaires ne puisse être entendue, le président Trump a été élu. L’une des premières décisions du président Trump en fonction a été d’approuver Keystone XL.
TransCanada n’était tirée d’affaire après que le président Trump ait délivré le permis permettant au pipeline de traverser la frontière canado-américaine en 2015. L’élection présidentielle de novembre 2020 aux États-Unis a vu l’élection d’un nouveau président. Le président Biden a prêté serment le 20 janvier 2021. Le lendemain, il a annulé le permis présidentiel que le président Trump avait accordé.
L’Alberta avait investi 1,5 milliard de dollars en capitaux propres dans Keystone et garanti un prêt de 6 milliards de dollars pour le projet en 2020. Le pipeline est soutenu par les expéditeurs ainsi que par TransCanada. Cenovus Energy est responsable de 100 millions de dollars et Suncor Energy de 142 millions de dollars. Il ne fait aucun doute que d’autres sont également impliqués.
La décision du président Biden n’a pas été une grande surprise. La campagne de Biden était basée sur le soutien des initiatives relatives aux changements climatiques, dont l’annulation de Keystone XL.
Pour compliquer les choses, l’ALENA a pris fin le 1er juillet 2020. Il a été remplacé par un nouvel accord, l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM). L’ACEUM ne contient pas le recours à l’arbitrage qu’offrait l’ALENA en cas de différend opposant un investisseur et un État. Il existe des dispositions de transition pour les réclamations héritées et une période de trois ans pour déposer ces réclamations, mais l’incident sur lequel se fonde la réclamation doit avoir eu lieu avant le 1er juillet 2020. Il y a également une possibilité de réclamation d’État à État en vertu du chapitre 20 du nouvel ACEUM, mais TransCanada et/ou le gouvernement de l’Alberta devraient convaincre le gouvernement canadien d’introduire cette réclamation, ce qui pourrait s’avérer assez difficile.
Ce n’est pas la fin des difficultés. On peut soutenir que TransCanada connaissait et comprenait les règles de base. Le permis présidentiel contenait une condition expresse selon laquelle le permis pouvait être résilié, révoqué ou modifié à tout moment à la seule discrétion du président. Cette condition est conçue pour limiter la responsabilité au titre de l’ALENA. Une réclamation en vertu de l’ALENA pourrait entraîner un litige long et incertain.
Quatre projets sont toujours en cours. Il s’agit du projet d’expansion de Trans Mountain (TMX), de Coastal GasLink, de la ligne 3 d’Enbridge et de la ligne 5 d’Enbridge. L’état d’avancement de ces projets est présenté ci-dessous.
Expansion de Trans Mountain
En 2018, le gouvernement fédéral a acheté le projet d’expansion de Trans Mountain de Kinder Morgan pour 4,5 milliards de dollars. Le 22 février 2019, l’ONE a publié son rapport de réexamen du projet, recommandant à nouveau sa réalisation. Le Cabinet fédéral a accepté cette recommandation et approuvé le projet. La construction du projet a officiellement commencé le 3 décembre 2019. Peu de temps après, le 16 janvier 2020, la Cour suprême du Canada (CSC) a rejeté à l’unanimité la tentative de la Colombie-Britannique de revendiquer la compétence sur ce projet[6], confirmant une décision antérieure de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique[7].
Le 4 février 2020, une Cour d’appel fédérale unanime a rejeté la plus récente contestation juridique du projet[8]. La Cour a clairement indiqué que les groupes autochtones n’ont pas de droit de veto et que les tribunaux doivent s’en remettre aux gouvernements qui prennent la décision initiale de savoir si l’obligation de consulter a été respectée.
En mai 2020, la province de la Colombie-Britannique a délivré un certificat d’évaluation environnementale (CEE) modifié en réponse à la décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique de septembre 2019. En juillet 2020, la CSC a refusé l’autorisation à trois groupes de Premières Nations cherchant à faire appel de la décision de la Cour d’appel fédérale de février 2020. La décision la plus récente de la CSC de refuser l’autorisation d’interjeter appel aux trois groupes des Premières Nations signifie qu’il n’y a plus de contestation juridique en suspens du projet.
Coastal GasLink
TC Energy est propriétaire et exploitant du projet de pipeline Coastal GasLink. Le projet de 6,6 milliards de dollars commence près de Dawson Creek et, s’il est achevé, s’étendra sur environ 420 miles vers le sud-ouest jusqu’à une usine de liquéfaction près de Kitimat. Le pipeline, tel que prévu, traverserait les territoires traditionnels de plusieurs groupes de Premières Nations. De multiples chefs héréditaires s’y opposent depuis longtemps, bien qu’un certain nombre de groupes de Premières Nations soutiennent le projet et y participent financièrement. En décembre 2018, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a accordé une injonction empêchant le blocage du pipeline[9].
Un élément de bonne nouvelle est arrivé en juillet 2019, lorsque l’ONE a rendu sa décision selon laquelle le pipeline — y compris le terminal d’exportation à Kitimat — était de compétence provinciale et non fédérale[10]. L’ONE a conclu que le pipeline transporterait du gaz naturel à l’intérieur de la Colombie-Britannique, bien qu’il faciliterait également les exportations internationales, apportant une certaine clarté à la décision antérieure de la CSC dans l’affaire West Coast Energy sur le droit des provinces de contrôler les ouvrages et projets à l’intérieur de leurs frontières[11].
En décembre 2019, l’Alberta Investment Management Corp. — le gestionnaire des pensions publiques de l’Alberta — s’est associé à l’une des plus grandes sociétés d’investissement américaines pour acquérir une participation majoritaire dans le Coastal GasLink.
Ligne 3 d’Enbridge
La ligne 3 d’Enbridge va de Hardisty, en Alberta, à Superior, dans le Wisconsin, et est en service depuis 1968. Au fil des ans, il est devenu évident qu’une partie du pipeline devait être remplacée si Enbridge souhaitait le restaurer à sa capacité historique et transporter 800 000 barils par jour. L’autorisation nécessaire a été obtenue auprès des organismes de réglementation du Canada[12], du Dakota du Nord et du Wisconsin. Cependant, le projet de 3 milliards de dollars s’est heurté à des problèmes au Minnesota, où les écologistes et les groupes de Premières Nations se sont opposés au projet.
En juin 2018, la Commission des services publics du Minnesota a approuvé le tracé et accordé les permis nécessaires[13]. Toutefois, un an plus tard, cette décision a été annulée par la Cour d’appel du Minnesota qui a estimé que l’étude d’impact environnemental présentée à la Commission était inadéquate[14]. Le 3 février 2020, les organismes de réglementation du Minnesota ont approuvé un examen environnemental révisé, levant ainsi le dernier obstacle réglementaire au projet.
La partie américaine du projet de la ligne 3 implique le remplacement de 364 miles de pipeline. La plupart des travaux se situent dans le Minnesota, avec 27 miles situés dans le Dakota du Nord et le Wisconsin. Le projet de remplacement est relié à un pipeline de pétrole brut existant de 1097 miles, construit dans les années 1960, qui va du centre du Canada au Wisconsin. Enbridge estime maintenant que le coût en capital du projet de remplacement de la ligne 3, y compris le segment canadien déjà en service, s’élèvera à 9,3 milliards de dollars, comparativement à l’estimation initiale de 8,2 milliards de dollars. Enbridge prévoit maintenant que la ligne 3 sera en service d’ici le quatrième trimestre de 2021.
Ligne 5 d’Enbridge
Enbridge remplace actuellement la ligne 5 qui va de Superior, au Wisconsin, à Sarnia, en Ontario. L’État du Michigan s’oppose au segment sous-marin qui passe sous le détroit de Mackinac dans les Grands Lacs. L’inquiétude porte sur les dommages environnementaux qui pourraient résulter d’une fuite dans le pipeline qui repose actuellement sur le lit du lac. Le projet a été approuvé par l’ancien gouverneur du Michigan, mais son successeur, le gouverneur Whitmer, a contesté la validité constitutionnelle du projet en 2018.
La Cour de district du Michigan a jugé la loi constitutionnelle en octobre 2019 et cette décision a été confirmée par la Cour d’appel du Michigan en janvier 2020. En janvier 2021, le gouverneur du Michigan a ordonné à Enbridge de cesser d’exploiter le segment du pipeline situé sous le détroit de Mackinac jusqu’à mai 2021. Enbridge soutient que le pipeline de 645 miles est exploité de manière sécuritaire depuis 65 ans. Cependant, pour répondre aux préoccupations, Enbridge propose maintenant de placer la conduite dans un tunnel sous le lit du lac, au coût de 500 millions de dollars.
La ligne 5 fait partie du réseau principal d’Enbridge qui transporte le brut de l’Alberta et de la Saskatchewan vers les raffineries du Michigan, de l’Ohio, de la Pennsylvanie, de l’Ontario et du Québec. Enbridge a fait valoir que ces raffineries verront leur capacité diminuer de 45 % si la ligne 5 n’est pas maintenue en service. Le 29 janvier 2021, le Department of Environment, Great Lakes, and Energy (EGLE) du Michigan a approuvé la demande d’Enbridge pour les permis nécessaires à la construction du tunnel de service public sous le détroit de Mackinac. Toutefois, les permis de la Commission des services publics du Michigan et de l’Army Corps of Engineers des États-Unis sont encore nécessaires.
Prolongement du réseau NGTL 2021
Vers la fin de l’année, le Cabinet fédéral a donné son approbation finale au projet de prolongement du réseau NGTL 2021 de TC Energy, d’une valeur de 2,3 milliards de dollars, qui s’étend des environs de Grande Prairie jusqu’au nord de Calgary. La commission de la Régie de l’énergie du Canada (REC) avait recommandé l’approbation du projet au gouverneur en conseil dans son rapport daté du 19 février 2020[15]. Le Cabinet a toutefois examiné un autre rapport préparé après la présentation du rapport de la commission de la REC[16] et conclu que plusieurs des conditions recommandées par la commission de la REC devraient être « renforcé[es] » et qu’une autre condition, qui avait été initialement proposée par un commissaire de la REC dissident, devrait être ajoutée[17]. NGTL n’a apparemment pas eu l’occasion de commenter les modifications ou la condition supplémentaire, en violation apparente d’un avertissement de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Nation Gitxaala c Canada[18] à savoir qu’« [i]l va sans dire que, par souci d’équité procédurale, toutes les parties visées doivent avoir l’occasion de formuler des commentaires à l’égard de toutes les nouvelles recommandations que le ministre coordonnateur propose de présenter au gouverneur en conseil.» Les délais devant le Cabinet ont entraîné un retard d’un an pour le projet, dont l’achèvement est maintenant prévu pour le deuxième trimestre de 2022.
Procédure concernant le transport contractuel d’Enbridge
La procédure d’examen de la demande d’Enbridge visant à permettre aux expéditeurs de signer des contrats à long terme pour un accès prioritaire à 90 % de la capacité de son réseau principal canadien s’est poursuivie devant la commission de la REC tout au long de l’année. Actuellement, et historiquement, le réseau principal est exploité comme un transporteur public, la capacité étant attribuée sur une base non engagée à l’aide d’un système de nomination mensuel. Le contrat actuel de service et d’achat ferme doit expirer le 30 juin 2021. La commission de la REC tiendra un contre-interrogatoire oral en mai 2021[19]. Cette demande est controversée et a opposé les intérêts de divers producteurs, marchés et raffineurs. Le résultat sera sans doute au centre de notre examen des développements de 2021.
RÉFORME RÉGLEMENTAIRE
Comptage net
En 2020, les organismes de réglementation du Canada et des États-Unis ont envisagé de réformer le comptage net.
L’objectif était essentiellement de déterminer si le comptage net pouvait être étendu d’un seul client à un groupe de clients. Le comptage net existe depuis près de 10 ans, mais au Canada, il n’a été adopté qu’en Ontario et en Colombie-Britannique. L’attrait politique était que le comptage net pouvait promouvoir l’énergie renouvelable et potentiellement réduire le coût de l’électricité pour les contribuables. L’opposition venait des services publics qui ne souhaitaient pas perdre de la demande ou des clients.
Le programme le plus ambitieux a eu lieu en Colombie-Britannique. Le 20 avril 2019, BC Hydro a présenté une demande à la British Columbia Utilities Commission (BCUC) pour modifier son programme de comptage net. Cela a donné lieu à des interventions de la part de 14 parties, à plus de 200 lettres de commentaires et à une décision finale de 52 pages un an plus tard, en juin 2020[20]. La partie la plus litigieuse de ce qui précède était la demande de BC Hydro de limiter la taille de l’installation de production à la charge annuelle des clients.
Les services publics de toute l’Amérique du Nord ont longtemps soutenu que les clients pratiquant le comptage net ne devraient pas être en mesure de générer un bénéfice. Le concept de base était que le client devait pouvoir compenser le coût de l’électricité qu’il achetait au service public par les revenus qu’il tirait de la vente d’électricité au service public. La preuve de BC Hydro était que certains clients réalisaient un profit important, mais il s’agissait d’un faible pourcentage du total. En fin de compte, la BCUC a rejeté la proposition de BC Hydro et a refusé d’adopter un volume de production maximal.
L’initiative réglementaire de l’Ontario était plus agressive. En octobre 2020, le ministre de l’Énergie de l’Ontario a lancé une consultation pour déterminer la viabilité du comptage net communautaire. Le comptage net courant consistait en un client individuel échangeant de l’électricité avec le service public. Le comptage net communautaire, quant à lui, implique des groupes de clients agissant ensemble en tant que communauté ou organisation. Le gouvernement a demandé aux parties intéressées de faire des soumissions d’ici le 22 novembre 2020, en abordant des questions telles que : qu’est-ce qui constitue une communauté, comment les crédits devraient-ils être structurés et comment les services publics devraient-ils récupérer les coûts engagés? À ce jour, aucun rapport n’a été publié par le gouvernement ni la Commission de l’énergie de l’Ontario (CEO).
Aux États-Unis, de nombreux États ont adopté une certaine forme de comptage net. L’État le plus agressif est la Californie qui a récemment adopté des modifications à son programme de comptage net. En Californie, le comptage net est alimenté par la production solaire établie par les ménages. Pour atténuer l’impact, le montant total de comptage net a été limité de sorte qu’il ne puisse pas dépasser 5 % de la production solaire totale. Les changements récents en Californie pourraient avoir des répercussions sur les changements futurs en Ontario et en Colombie-Britannique.
Le premier changement californien a été l’obligation pour les clients du comptage net de passer à la tarification selon la période d’utilisation (TPU). Les tarifs les plus élevés sont facturés aux heures de pointe, c’est-à-dire en fin d’après-midi ou en début de soirée. Les tarifs les plus bas sont facturés aux heures creuses, c’est-à-dire tard le soir et tôt le matin, lorsque la consommation d’électricité est faible. L’implication pour le comptage net est que la valeur du crédit pour l’énergie vendue au réseau varie en fonction de la TPU. Cela signifie que pour obtenir les crédits de comptage net les plus élevés, les consommateurs doivent vendre le maximum d’énergie au réseau pendant les heures de pointe.
L’autre changement, qui concerne le Canada, est la mise en œuvre d’une nouvelle composante des tarifs d’électricité connue sous le nom de frais de non-contournement (FNC). Il s’agit de frais minimes de 0,02 à 0,03 $ par kilowattheure qui sont ajoutés aux frais d’énergie. Ce montant n’est pas crédité aux consommateurs, ce qui signifie que les consommateurs gagnent un peu moins que ce qu’ils paient pour l’électricité. Cela n’a pas limité la demande pour le comptage net car les FNC ne représentent qu’une petite partie de la facture globale. En outre, les clients dont le système de production est inférieur à 1 MWh doivent payer des frais d’interconnexion uniques pour raccorder leur système au réseau. Ce coût se situe généralement entre 75 et 150 dollars.
Il sera intéressant de voir où l’Ontario ira avec le comptage net communautaire. Cela aura des répercussions sur la production appartenant aux clients dans tout le Canada. De plus en plus, les grands clients industriels demandent à pouvoir vendre leur surplus d’électricité à d’autres clients dans le cadre de ce qui constitue essentiellement des contrats privés d’achat d’électricité. Cela continue d’être une question majeure devant l’Alberta Energy Regulator, dont nous avons parlé dans le numéro de l’année dernière. Un rapport détaillé sur cette question a été présenté au gouvernement de l’Alberta.
Réforme de la construction des pipelines
Ce n’est pas souvent que nous entendons les gouvernements proposer une forme de déréglementation dans le secteur de l’énergie, en particulier lorsqu’il s’agit de pipelines. Cependant, le 20 janvier 2021, le ministre de l’Énergie de l’Ontario a proposé une telle possibilité. En vertu de l’article 90 de la Loi sur la Commission de l’énergie de l’Ontario (LCEO), toute personne qui construit un pipeline en Ontario doit obtenir une ordonnance d’autorisation de construire (OAC) de la CEO si le pipeline :
- est d’une longueur de plus de 20 km;
- coûtera plus de 2 millions de dollars;
- a un diamètre de canalisation de 12 pouces ou plus;
- a une pression de service de 2000 kilopascals ou plus.
Le gouvernement de l’Ontario propose de modifier le Règlement de l’Ontario 328/03 en vertu de la LCEO afin de faire passer le seuil de coût de 2 millions de dollars à 10 millions de dollars. Toutefois, une OAC de la CEO sera toujours requise pour tout pipeline qui ne répond pas à l’une des autres exigences énoncées à l’article 90 de la LCEO. De plus, toute partie construisant un pipeline sera toujours tenue d’obtenir les autorisations existantes des ministères ou des municipalités. De plus, toute réduction des exigences existantes ne s’appliquerait pas à la construction de pipelines traversant une frontière de l’Ontario qui sont réglementés par la REC ou à un ajout à un pipeline qui fait partie d’un pipeline interprovincial existant.
Le gouvernement estime que l’augmentation du seuil de 2 millions de dollars à 10 millions de dollars réduirait de 24 % le nombre de projets nécessitant une OAC de la Commission, en se basant sur les demandes d’OAC de la Commission reçues entre 2017 et 2020. Cela pourrait entraîner une réduction importante des coûts réglementaires qui sont en fin de compte assumés par les contribuables. Les soumissions concernant la proposition du gouvernement doivent être présentées d’ici le 29 avril 2021.
Réglementation des petits services publics
L’Ontario est différente de la plupart des autres territoires de compétence canadiens en ce qui concerne la réglementation de l’électricité. Le Canada est dominé par de grandes entreprises de services publics appartenant au gouvernement qui assurent la production, le transport et la distribution. En Ontario, la majorité de la distribution a traditionnellement été effectuée par des distributeurs appartenant aux municipalités. Récemment, il y a eu un haut niveau de regroupements, mais il existe encore 31 petits distributeurs ayant chacun moins de 20 000 clients. En 2020, la CEO a annoncé la nouvelle initiative ontarienne visant à rationaliser le processus réglementaire pour ces petits distributeurs. Elle a commencé par une réunion des intervenants le 28 janvier 2021 et terminera avec la production d’un rapport à temps pour fixer les tarifs de 2023.
Tarifs industriels verts
Alors que l’année 2020 touche à sa fin, le gouvernement de la Colombie-Britannique a annoncé de nouveaux tarifs incitatifs pour l’énergie verte pour les clients industriels de la province. Il y a deux nouveaux plans tarifaires. Le premier a été le Clean Industry and Innovation Rate (tarif d’industrie propre et d’innovation). Le second a été le Fuel Switching Rate (tarif de remplacement de combustible). Les deux tarifs sont disponibles jusqu’au 31 mars 2030 et les clients peuvent profiter de ces tarifs réduits pendant sept ans. Le rabais est de 20 % pour les cinq premières années, de 13 % pour la sixième année et de 7 % pour la septième année.
En ce qui concerne le tarif d’industrie propre et d’innovation, les coûts de l’électricité sont réduits pour les clients industriels admissibles qui participent à la séquestration du carbone, à la production d’hydrogène, à la production de carburant synthétique et au captage et au stockage du carbone. En outre, les clients industriels qui mettent en place des centres de données dont la demande d’électricité dépasse 70 GWh par an peuvent bénéficier de ces tarifs réduits.
Le tarif de changement de combustible est offert aux clients industriels existants et nouveaux qui passent des combustibles fossiles à l’électricité pour alimenter leurs activités. Pour être admissible, un client doit démontrer que l’électrification réduira les émissions de gaz à effet de serre (GES). Le taux réduit ne s’applique qu’à la partie de la charge électrique correspondant au changement de combustible. Le tarif de changement de combustible n’est pas disponible pour les pipelines, les raffineries de pétrole, les installations de production de méthanol ou de liquéfaction de gaz naturel. Il y a également une exigence de demande énergétique minimale. L’augmentation de la demande d’électricité résultant du changement de combustible doit être d’au moins 20 GWh par an.
En plus des nouveaux tarifs de BC Hydro, la province de la Colombie-Britannique a affecté 84 millions de dollars au financement fédéral pour l’infrastructure verte afin d’établir un fonds d’électrification pour les clients industriels admissibles, y compris ceux des secteurs pétrolier et gazier. BC Hydro financera jusqu’à 50 des coûts admissibles, jusqu’à concurrence de 15 millions de dollars par projet, le client devant assumer le reste des coûts.
Pour être admissibles, les projets doivent satisfaire aux conditions suivantes. Ils doivent passer du carburant à base de carbone à l’utilisation de l’électricité, soutenir l’infrastructure publique et l’interconnexion. Les travaux doivent également être achevés d’ici le printemps 2027.
Le léger virage de la philosophie de l’électricité doit atteindre certains seuils minimums en fonction du type de client. Pour les clients industriels, 5 MW avec un coût d’interconnexion minimal de 5 millions de dollars. Pour les clients environnementaux de transport de produits en vrac, 2 MW avec un coût d’interconnexion minimal de 2 millions de dollars. Les demandes seront examinées selon le principe du premier arrivé, premier servi.
Nouvelles enchères de capacité
L’Ontario a mis du temps à reconnaître les avantages des appels d’offres concurrentiels. Ce concept a été ignoré pendant les années des contrats de tarif de rachat garanti (TRG) qui étaient basés sur le concept du premier arrivé, premier servi. Cela a donné lieu à toutes sortes de plaintes concernant des préférences illégales, ce qui a conduit à un certain nombre de poursuites judiciaires et d’arbitrages internationaux — dont certains sont toujours en cours.
De bonnes nouvelles sont arrivées le 10 décembre 2020, lorsque la Société indépendante d’exploitation du réseau d’électricité (SIERE) a annoncé les résultats d’une nouvelle vente aux enchères de nouvelles capacités dans le cadre de laquelle 1000 MW de capacité ont été obtenus à un prix de 26 % inférieur au prix de la vente aux enchères de 2019.
Le nombre total de soumissionnaires n’a pas été annoncé mais plus de 1700 MW de ressources ont été inscrits à la vente aux enchères. La vente aux enchères comprenait également des actifs de stockage, ce qui était particulièrement bienvenu étant donné les luttes réglementaires pour déterminer la place du stockage sur le marché ontarien. Cette question est toujours devant la CEO.
Les participants se sont engagés à fournir une capacité pour l’été 2021 afin d’aider à gérer les charges saisonnières de pointe. La prochaine enchère de capacité est prévue pour décembre 2021. La SIERE déclare qu’elle a l’intention d’explorer d’autres améliorations pour permettre à des ressources supplémentaires de concourir.
DÉCISIONS RÉGLEMENTAIRES CLÉS
Stockage de l’énergie
Le développement du stockage d’énergie en termes de réglementation a progressé lentement au Canada par rapport aux États-Unis. En janvier 2020, la CEO a rendu la décision relative à l’affaire tarifaire de Toronto Hydro[21], rejetant une demande d’inclusion du stockage dans la base tarifaire de l’entreprise de services publics, déclarant que le demandeur devrait chercher à obtenir un changement de politique dans le cadre de la consultation permanente de la Commission sur les ressources énergétiques décentralisées. Cependant, en août 2020, un rapport du personnel de la Commission a suggéré que les entreprises de distribution locales de l’Ontario peuvent exploiter le stockage d’énergie derrière le compteur et le traiter comme faisant partie des opérations réglementées si l’objectif est de remédier à une mauvaise fiabilité du service. Il existe encore une certaine confusion quant au statut de ce qui semble être un nouvel instrument de politique.
Aux États-Unis, le marché du stockage évolue plus rapidement. Les lecteurs se souviendront qu’en 2018, la Federal Energy Regulatory Commission (FERC) a publié une règle finale, l’ordonnance n° 841[22], qui visait à intégrer davantage le stockage sur le marché. Cette ordonnance a fait l’objet d’un certain nombre d’appels et de contestations mais, en fin de compte, la situation a évolué et la FERC a accepté, en août 2020, une proposition du Midcontinent Independent System Operator (MISO) visant à permettre le recouvrement des coûts pour les projets de stockage d’énergie qui répondent aux besoins du réseau de transport[23]. Il est intéressant de noter que le rapport du personnel de la CEO a été publié au même moment. D’autres organismes de transport régionaux (OTR)/exploitants de réseaux indépendants (ERI) américains élaborent actuellement des propositions visant à promouvoir l’intégration de la solution de stockage d’énergie pour résoudre différents problèmes de transport.
L’approbation de la FERC du 10 août dans l’affaire MISO a permis, pour la première fois dans certaines circonstances, aux installations de stockage d’électricité de se qualifier en tant qu’actifs uniquement de transport admissibles aux tarifs du coût complet du service. Dans le même temps, le stockage d’énergie marchand se développe au Canada et aux États-Unis à l’aide de systèmes de stockage d’énergie par batterie. Broad Reach Power a commencé la construction de deux installations distinctes de 100 MW au Texas tandis que WCSB Power développe une installation de 20 MW en Alberta.
Financement de l’innovation
Par le passé, les organismes de réglementation canadiens de l’énergie se sont montrés réticents à financer par le biais de tarifs des projets considérés comme expérimentaux ou de recherche par nature. Par exemple, les demandes présentées aux organismes de réglementation de l’Ontario et de la Nouvelle-Écosse pour financer la recharge des véhicules électriques (VE) ont été refusées[24]. Les choses ont changé. En 2020, les organismes de réglementation de l’énergie de la Colombie-Britannique, de l’Ontario et de la Nouvelle-Écosse ont pris des mesures spectaculaires pour financer les nouvelles technologies avec l’argent des contribuables. Tournons-nous d’abord vers la Colombie-Britannique.
En juin 2020, la BCUC a rendu une décision en réponse à une demande de FortisBC visant à établir un Fonds d’innovation pour la croissance propre[25]. La compagnie a en fait proposé deux fonds, l’un pour un service de gaz et l’autre pour un service d’électricité. La demande de la société d’électricité a échoué mais celle de la société gazière a réussi.
Le service public a proposé une redevance de 0,30 $ par client par mois pour le service d’électricité et de 0,40 $ par client par mois pour le service de gaz. Le financement annuel prévu en fonction du nombre de clients prévu était de 4,9 millions de dollars pour le service de gaz et de 0,5 million de dollars pour le service d’électricité.
La BCUC a approuvé le fonds d’innovation pour le service public de gaz parce qu’il y avait un « besoin démontré d’accélérer l’activité d’innovation dans le domaine du gaz naturel afin d’atteindre les objectifs de changement climatique fixés par la province de la Colombie-Britannique qui avait légiféré une réduction de 40 % des émissions de GES au cours de la prochaine décennie » [traduction].
Cette décision représente une étape clé pour le financement de l’innovation. Les demandes précédentes concernaient des projets spécifiques. Cette demande a cependant donné lieu à la création d’un fonds pour des projets qui seraient considérés de temps à autre. La demande proposait également un modèle de gouvernance pour garantir que les fonds soient appliqués aux innovations qui profiteraient aux clients. La décision portait également sur la responsabilité et les rapports annuels du service public.
Le point de départ de l’analyse de la Commission consistait en une détermination de la demande de financement. La Commission s’est appuyée sur les éléments de preuve fournis par le service public qui soulignaient l’engagement du Canada à réduire les émissions de GES de 30 % entre 2005 et 2030 et l’engagement de la Colombie-Britannique à réduire ses émissions de 40 % d’ici 2030 et de 80 % d’ici 2050. À cela se sont ajoutés les engagements de la Ville de Vancouver. Le comité a conclu que le service public avait démontré la nécessité d’accélérer ses activités d’innovation à la lumière des politiques climatiques gouvernementales en matière de décarbonisation et d’électrification.
La Commission a dû faire face à un obstacle majeur lorsque l’un des intervenants a fait valoir que la Commission n’avait pas compétence pour fixer les augmentations de tarifs proposées par le service public. Cet argument n’est pas unique. Dans le passé, les organismes de réglementation de l’énergie au Canada ont dû faire face à des objections continues concernant les tarifs pour des classes spéciales, y compris plus récemment les clients autochtones[26] et, auparavant, les tarifs pour les consommateurs à faible revenu[27].
Dans cette affaire, la BCUC a conclu que le fonds d’innovation ne contrevenait pas aux principes du coût du service en s’appuyant sur l’article 59 de la Utilities Commission Act qui donne à la BCUC un large pouvoir discrétionnaire pour utiliser tout mécanisme ou méthode de fixation d’un tarif qu’elle juge utile. La Commission a conclu qu’un ajout de tarif fixe pour soutenir le fonds d’innovation constituait un tel mécanisme. Cette décision sera suivie de près par les organismes de réglementation de tout le Canada.
Projets pilotes de réseau intelligent
L’organisme de réglementation de la Colombie-Britannique n’était pas le seul à financer les nouvelles technologies en 2020. En décembre 2019, Nova Scotia Power a soumis une demande à la Nova Scotia Utility and Review Board pour approuver des dépenses en capital de 7 millions de dollars pour un projet pilote de réseau intelligent. L’objectif du projet pilote était de déterminer si un nouveau logiciel développé par Siemens pouvait surveiller et gérer les ressources énergétiques décentralisées (RED) de manière à en augmenter la fiabilité et à en réduire les coûts.
Le projet a été motivé par l’importance croissante des RED dans les activités des services publics d’électricité canadiens. Les RED utilisées dans ce projet étaient la production solaire, le stockage sur batterie et la recharge de véhicules électriques.
Le coût global du projet pilote s’élevait à 19 millions de dollars, mais sur ce montant, près de 12 millions de dollars provenaient de fonds externes, laissant un tiers à financer par les clients de Nova Scotia Power. Le critère appliqué par la Commission pour déterminer si cet investissement en capital était justifié s’appelle le critère de justification de l’innovation (CJI). Le CJI était le suivant : peut-on raisonnablement s’attendre à ce que le projet produise des données et des apprentissages précieux en vue de l’élaboration d’une analyse de rentabilité avant le développement à grande échelle?
L’une des questions auxquelles la Commission a dû faire face était une préoccupation des intervenants concernant l’absence d’appel d’offres concurrentiel dans la mise en place du projet. En particulier, on s’est beaucoup fié à Siemens en ce qui concerne les logiciels. Cette crainte a été écartée lorsqu’il a été expliqué que Siemens était en grande partie responsable de l’obtention du financement fédéral à l’appui du projet. On s’est également inquiété des dépassements de coûts potentiels. La Commission a clairement indiqué que sa décision d’approuver le projet pilote était limitée à la dépense de 7 millions de dollars et que le recouvrement de tout dépassement de coûts nécessiterait l’approbation de la Commission.
Cette décision de la Commission de la Nouvelle-Écosse[28] est un exemple rare mais important de financement d’une nouvelle technologie par le contribuable. La décision de la Commission a été clairement influencée par l’important financement provenant de sources externes, de sorte que seul un tiers du coût total du capital était assumé par le contribuable, tout comme la condition selon laquelle le service public devait assumer le risque de tout dépassement de coût. La Commission a également établi une structure de conformité et de rapport significative qui sera instructive pour les autres organismes de réglementation qui devront examiner des projets similaires. Les nombreux témoignages d’experts externes indépendants fournissent également des leçons utiles pour les futurs candidats.
Projet pilote de mélange d’hydrogène
Le 30 octobre 2020, la CEO a rendu une décision[29] approuvant une demande d’Enbridge Gas pour la construction d’un projet pilote qui mélange de l’hydrogène au gaz naturel classique et qui sera distribué dans une zone située au nord de Toronto. La Commission a approuvé la demande et a permis à Enbridge de construire les installations nécessaires et de fixer les tarifs liés au projet. Les tarifs ont été conçus pour faire en sorte que les contribuables qui reçoivent le gaz mélangé ne paient pas plus que les autres clients d’Enbridge Gas.
L’objectif du projet pilote est de réduire les émissions de GES liées à la vente de gaz naturel. L’hydrogène ne produit aucune émission de carbone lorsqu’il est brûlé. Par conséquent, la combinaison de l’hydrogène et du gaz naturel réduit l’empreinte carbone globale.
Dans ce projet pilote, deux pour cent du produit total sera de l’hydrogène. L’hydrogène ayant un pouvoir calorifique inférieur à celui du gaz naturel classique, il faut un plus grand volume d’hydrogène pour obtenir le même contenu énergétique. Il en résulte que les clients recevant du gaz mélangé doivent consommer un volume plus élevé que les clients recevant du gaz naturel conventionnel. Cela nécessite un ajustement des prix que la Commission a approuvé pour compenser les clients du district de gaz mélangé pour le coût du gaz supplémentaire.
Le projet pilote permettra de livrer du gaz mélangé à environ 3600 clients dans la zone de gaz mélangé pendant cinq ans. À la fin de cette période, Enbridge est tenue de déposer un rapport détaillé auprès de l’organisme de réglementation qui évaluera les coûts et les avantages du projet. Enbridge a indiqué qu’elle prévoit faire une demande pour des projets similaires dans d’autres marchés gaziers qu’elle dessert actuellement au Canada.
Tarifs de contrôle de la demande
En mars 2020, la Nova Scotia Utility and Review Board a rendu sa décision[30] concernant un tarif unique de contrôle de la demande pour le plus gros client de Nova Scotia Power, Port Hawkesbury Paper. La principale caractéristique de ce nouveau tarif est que le client cède le contrôle de sa charge à la compagnie d’électricité. Cela signifie que Nova Scotia Power peut augmenter ou diminuer la charge en fonction des conditions du système. La capacité d’effectuer ces changements peut entraîner des économies importantes pour le réseau de Nova Scotia Power et, en fin de compte, pour les contribuables.
En vertu du tarif, les économies sont divisées entre le service public et le client, 25 % des économies allant au client sous la forme d’un crédit de transfert de charge. Les 75 % restants sont crédités aux clients de Nova Scotia Power. Le nouveau tarif doit toutefois prévoir un minimum de quatre dollars par mégawattheure pour les coûts fixes de Nova Scotia Power.
On estime que le bénéfice total pour les clients de Nova Scotia Power se situera entre 6 et 13 millions de dollars par an sur la période tarifaire de trois ans, pour une moyenne de 10 millions de dollars. Des rapports détaillés de Nova Scotia Power à l’organisme de réglementation sont requis sur une base trimestrielle et mensuelle.
DEVANT LES TRIBUNAUX
Questions constitutionnelles
L’année 2020 a commencé par deux décisions constitutionnelles. La première a eu lieu le 16 janvier 2020, lorsque la Cour suprême du Canada a rejeté la tentative de la Colombie-Britannique de réglementer le transport du pétrole lourd dans la province[31]. Le comité de neuf membres a rendu une rare décision du banc en déclarant qu’il était d’accord avec la décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique.
Le gouvernement de la Colombie-Britannique tentait de bloquer l’expansion du pipeline Trans Mountain qui, selon lui, augmenterait considérablement le flux de pétrole lourd de l’Alberta vers la côte de la Colombie-Britannique. Pour ce faire, la Colombie-Britannique a proposé de modifier son Environmental Management Act en avril 2018. Ces changements interdiraient la possession et le transport de pétrole lourd sans permis provincial. En réponse à la controverse politique, le premier ministre de la Colombie-Britannique a renvoyé l’affaire à la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. Cette Cour a jugé à l’unanimité que les modifications ne relevaient pas de la compétence provinciale étant donné qu’elles visaient principalement une entreprise fédérale interprovinciale.
La décision suivante est intervenue en février 2020, lorsque la Cour d’appel de l’Alberta a jugé que la taxe fédérale sur le carbone était inconstitutionnelle[32]. Quelques mois plus tôt, les cours d’appel de la Saskatchewan et de l’Ontario ont jugé que cette législation relevait de la compétence fédérale[33].
La Cour d’appel de l’Alberta a affirmé que la taxe sur le carbone était un « cheval de Troie » inconstitutionnel qui modifierait à jamais l’équilibre constitutionnel entre les provinces et les territoires. En examinant le projet de réglementation des émissions de GES, le tribunal de l’Alberta a interprété la disposition relative à l’ordre public et au bon gouvernement de façon plus étroite que les tribunaux de la Saskatchewan et de l’Ontario, bien que ces deux décisions aient également fait l’objet d’une dissidence. La cour de l’Alberta a soutenu que ce bras de compétence fédérale n’était pas le grand hall d’entrée dans toutes les rubriques du pouvoir provincial. En fin de compte, la cour de l’Alberta a clairement indiqué que la nouvelle loi permettrait au gouvernement fédéral de limiter la compétence exclusive des provinces en matière de propriété et de droits civils.
Les trois décisions ont été portées en appel devant la Cour suprême du Canada où elles ont été entendues en septembre 2020.
Qualité d’intervenant
Il fut un temps où de nombreux organismes canadiens de réglementation de l’énergie interprétaient la qualité pour agir sur une base relativement étroite. Au fil du temps, la plupart des organismes de réglementation de l’énergie ont clarifié leurs règles de qualité pour agir. La qualité pour agir était généralement accordée si l’intervenant potentiel pouvait démontrer que la demande avait une « incidence directe » sur lui.
En décembre 2020, la Cour d’appel de l’Alberta a rendu sa décision dans l’affaire Normtek Radiation[34] qui élargit la règle de la qualité pour agir au-delà du concept étroit de l’incidence directe.
Normtek Radiation était une entreprise de transport de matières radioactives. Elle s’est opposée à une approbation pour modifier un contact de décharge dans une décision de l’Environmental Appeals Board de l’Alberta. La commission avait approuvé l’élimination de matériaux radioactifs concentrés d’une manière que Normtek croyait contraire aux normes de l’industrie et du gouvernement. Cette décision n’a pas eu d’incidence directe sur Normtek, mais cette dernière était préoccupée par le fait que le non-respect des normes de l’industrie porterait préjudice à l’ensemble de l’industrie, y compris Normtek.
La demande de qualité pour agir de Normtek a été rejetée. Parce que les activités de Normtek avaient lieu en dehors de la zone d’impact environnemental, la commission a statué qu’il n’y avait pas d’incidence directe sur Normtek. Normtek a alors fait appel de la décision de la commission auprès de la Cour d’appel de l’Alberta. La Cour a renversé la décision en déclarant qu’il n’était pas nécessaire qu’il y ait un impact négatif pour qu’il y ait une incidence directe sur l’appelant. La Cour d’appel de l’Alberta a jugé que l’impact économique général de l’approbation était suffisant. En bref, la cour a jugé que l’interprétation d’« incidence directe » de la commission était trop étroite. Cette décision pourrait ouvrir la porte à une interprétation plus large de la qualité pour agir.
L’importance des motifs
Dans l’arrêt Vavilov[35], la Cour a souligné la nécessité de fournir des motifs. Non seulement les motifs étaient-ils importants, mais le tribunal a déclaré qu’ils devaient être justifiés, transparents et intelligibles. Les décisions doivent être justifiées, et non seulement justifiables.
La Cour a poursuivi en relevant deux défauts fondamentaux à éviter. Premièrement, une décision doit avoir des motifs cohérents sur le plan interne et ne sera pas considérée comme raisonnable si la décision prise ne découle pas de l’analyse effectuée. Le deuxième défaut fondamental concerne l’exigence selon laquelle la décision doit être justifiée à la lumière des contraintes juridiques et factuelles qui pèsent sur elle. Enfin, les décisions doivent éviter les interprétations juridiques constamment discordantes ou contradictoires et les écarts par rapport aux pratiques de longue date ou à l’autorité interne établie, sans explications satisfaisantes de l’écart. Sans une explication crédible de son non-respect des précédents, une décision sera considérée comme déraisonnable.
En octobre 2020, la Cour divisionnaire de l’Ontario dans Halton Hills Hydro[36] a eu l’occasion de trancher la première affaire en vertu de l’arrêt Vavilov. Le service public demandeur a soutenu que la Commission avait commis une erreur dans sa décision pour trois motifs. Premièrement, la Commission n’avait pas établi de tarifs justes et raisonnables; deuxièmement, elle n’avait pas suivi arbitrairement les pratiques antérieures. Troisièmement, les motifs de la décision n’étaient pas suffisants.
La Cour a rejeté ces trois arguments. La décision, en ce qui concerne les motifs, était particulièrement intéressante. En rejetant ce motif, la Cour a déclaré ce qui suit :
[33] Les motifs sur cette question sont brefs mais suffisants. La Commission n’avait pas besoin d’exposer l’historique de cette question dans la jurisprudence de la Commission de la manière dont je l’ai fait dans ces motifs. Un tribunal spécialisé fournissant des motifs à des participants expérimentés dans les processus de la Commission n’a pas besoin d’expliquer des choses qui sont bien connues des parties. Les motifs sont instrumentaux, et ces motifs transmettent aux parties le fondement de la décision de la Commission.
[35] Il ne s’agit pas d’un cas où le tribunal n’a « aucune idée de ce qui a motivé la décision ». Pour paraphraser la Cour d’appel : « Les… motifs… n’ont pas besoin d’être longs. Ils n’ont pas besoin d’être complexes. Mais, comme l’a observé la Cour divisionnaire, ils doivent au moins répondre à la question ‘Pourquoi?’ ». La décision de la CEO répond à la question « pourquoi ». Les raisons sont suffisantes [traduction].
En mai 2020, la Cour divisionnaire de l’Ontario a invalidé une décision du ministère de l’Environnement de l’Ontario dans l’affaire Nation Rise Wind Farm[37]. Le ministère avait délivré un permis pour le parc éolien qui a été annulé par le ministre au motif que le projet n’était pas dans l’intérêt public. L’exploitant du parc éolien a fait appel de cette décision devant la Cour divisionnaire. La Cour a conclu que la décision du ministre était déraisonnable parce que le processus par lequel le ministre a pris la décision était injuste sur le plan procédural. S’appuyant sur la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Vavilov, la Cour a conclu qu’il y avait eu déni d’équité procédurale lorsque le ministre a omis d’accorder à l’exploitant la possibilité d’exercer un recours après que la décision a été prise. La Cour a également estimé que le fait de ne pas avoir informé l’exploitant qu’une nouvelle question relative aux colonies de chauves-souris était prise en compte dans l’appel et a été déterminante pour établir que le projet n’était pas dans l’intérêt public.
Un résultat différent a été obtenu par la Cour d’appel du Yukon dans l’affaire Yukon Energy Corporation[38]. Dans cette affaire, l’entreprise de service public a fait appel de la décision de la Régie des entreprises de services publics du Yukon au motif que la Commission n’avait pas tenu compte de certains aspects de la preuve de la Société d’énergie du Yukon et avait considéré des preuves non pertinentes pour conclure que certains coûts engagés n’étaient pas prudents. La Cour a rejeté la demande en déclarant que le comité d’audience était en droit d’exercer son pouvoir discrétionnaire lorsqu’il a refusé d’approuver les coûts soumis par la Société d’énergie du Yukon, que le comité d’audience n’avait pas tenu compte de facteurs non pertinents dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et qu’il n’a donc commis aucune erreur de droit.
Litiges transfrontaliers
Plus tôt dans cet éditorial, nous avons décrit de manière assez détaillée les différends en cours concernant la construction de pipelines. Des différends similaires ont lieu dans le domaine du transport d’électricité. Ces différends impliquent généralement Hydro-Québec, la plus grande entreprise de service public du Canada. Deux projets sont actuellement en difficulté.
Le premier consiste en une ligne de transport de 2 milliards de dollars qui sera installée sous le lac Champlain et le fleuve Hudson pour alimenter la ville de New York en énergie renouvelable. Hydro-Québec rencontre des difficultés au Québec en raison du refus d’enfouir la ligne sous terre, bien que son partenaire américain ait accepté de le faire du côté américain.
Le deuxième projet est connu sous le nom de New England Clean Energy Connect (NECEC). Il s’agit d’une ligne de transport de 1200 MW du Québec au Massachusetts et d’un contrat de vente de 9,5 TWh d’électricité pendant 20 ans. La majeure partie sera consommée dans le Massachusetts, mais le Maine s’est vu garantir 500 000 MWh par an à titre d’incitation pour permettre à NECEC de passer par l’État. Ce projet est en cours depuis trois ans et la plupart des permis étatiques et fédéraux ont été obtenus.
En novembre 2020, l’Army Corps of Engineers des États-Unis a délivré un permis environnemental fédéral pour le projet qui ouvre la voie à Central Main Power pour commencer la construction. Le 15 janvier 2021, le projet a reçu l’approbation présidentielle du ministère de l’Énergie des États-Unis. Aux États-Unis, le projet attend encore les approbations de l’ERI de la Nouvelle-Angleterre. Au Canada, le projet a reçu les approbations nécessaires de la Régie à Montréal. Cependant, le 15 janvier 2021, la Cour d’appel des États-Unis pour le premier circuit, qui siège à Boston, a émis une injonction suspendant les travaux sur l’itinéraire.
Les groupes environnementaux ont contesté avec succès le projet au motif que l’un des permis fédéraux a été délivré de manière inappropriée. Pour compliquer les choses, une coalition de groupes a déposé une pétition auprès du secrétaire d’État du Maine lui demandant d’organiser un référendum qui exigerait rétroactivement l’approbation de la législature de l’État pour toute ligne de transport de plus de 50 miles. Cela interdirait également toute construction dans la région du haut Kennebec, ce qui mettrait fin au projet NECEC.
Ce n’est pas la première fois qu’Hydro-Québec fait face à cette situation. En 2019, un tribunal du New Hampshire a bloqué le projet connu sous le nom de Northern Pass qui aurait livré 1100 MW d’électricité au New Hampshire.
Décisions en matière de compétence
Dans l’affaire Planet Energy[39], la CEO avait ordonné à Planet Energy de payer une pénalité administrative de 155 000 $. Planet Energy s’y est opposée et a interjeté appel auprès de la Cour divisionnaire de l’Ontario au motif que la Commission n’avait pas compétence pour imposer une pénalité administrative parce qu’elle avait dépassé le délai prescrit à l’article 112 de la LCEO.
La Cour a rejeté l’appel au motif que Planet Energy n’avait pas soulevé la question auprès de la Commission, en s’appuyant sur le principe selon lequel la Cour a le pouvoir discrétionnaire d’ignorer les arguments qui n’ont pas été présentés à la Commission en première instance, tel qu’il est énoncé dans la décision de la CSC dans l’affaire Alberta Teachers[40]. La Cour a noté que, bien que notre tribunal d’observation ait le pouvoir discrétionnaire d’examiner une nouvelle question soulevée lors d’un contrôle judiciaire, ce pouvoir discrétionnaire ne sera généralement pas exercé si la question aurait pu être soulevée devant le tribunal et ne l’a pas été.
La cause Planet Energy a été suivie par une décision de la Cour d’appel de l’Alberta en avril 2020 dans l’affaire Fort McKay First Nations v Prosper Petroleum Ltd[41]. L’Alberta Energy Regulator (AER) avait approuvé la demande de Prosper Petroleum de construire un projet de récupération de bitume de 10 000 barils par jour à moins de 5 km de la réserve de la Première Nation de Fort McKay. La question posée à l’organisme de réglementation était de savoir si le projet était ou non dans l’intérêt public. Le comité a conclu que le projet était dans l’intérêt public mais a refusé d’examiner l’adéquation de la consultation et l’honneur de la Couronne. L’AER a déclaré que cela relevait de la responsabilité du gouvernement de l’Alberta.
La Première Nation de Fort McKay a interjeté appel auprès de la Cour d’appel, qui a annulé la décision de l’AER. La Cour a conclu que, bien que la loi ait pu interdire à l’AER d’évaluer le caractère adéquat de la consultation des Autochtones par la Couronne, l’AER n’a pas été relevé de son obligation d’évaluer le caractère adéquat de la consultation. La Cour d’appel a statué que lorsqu’un tribunal avait le pouvoir d’examiner des questions de droit sans indication claire que le corps législatif avait l’intention d’exclure une telle compétence, les tribunaux ont une compétence implicite pour examiner des questions de droit constitutionnel. La Cour a noté que c’est particulièrement le cas lorsque le tribunal évalue l’intérêt public.
La cause Fort McKay a été suivie par la décision de la cour divisionnaire de l’Ontario en mai 2020 dans l’affaire Nation Rise Wind Farm[42]. Dans cette affaire, un directeur du ministère de l’Environnement avait délivré une autorisation à Nation Rise Wind Farm permettant la construction d’un parc éolien de 100 MW près d’Ottawa. Un groupe de citoyens a déposé un avis d’appel auprès du ministre qui devait déterminer si la décision était dans l’intérêt du public. Le ministre a conclu que la décision n’était pas dans l’intérêt du public et a révoqué l’autorisation. Ce faisant, le ministre s’est appuyé sur des preuves qui n’avaient pas été présentées au directeur en première instance. En outre, le ministre a omis d’informer Nation Rise Wind Farm que de nouvelles preuves et une nouvelle question étaient examinées.
La Cour divisionnaire a convenu avec Nation Rise Wind Farm que la décision du ministre était déraisonnable et que le processus par lequel il est arrivé à la décision était injuste du point de vue de la procédure. La Cour a statué que le ministre n’avait pas le pouvoir, en vertu de l’article 145 de la LPE, de confirmer, d’offrir ou de révoquer la décision du tribunal. La Cour a conclu que l’article 145 exige que le ministre ne traite que les questions de l’appel qui ont été soulevées par la partie qui fait appel. La cour a conclu que le ministre avait conclu de façon déraisonnable qu’il avait le pouvoir d’ajouter de nouvelles questions à l’appel.
La décision suivante a été celle de la Cour d’appel du Manitoba en juin 2020[43]. Dans cette affaire, la Commission des services publics du Manitoba avait ordonné à Manitoba Hydro de créer une nouvelle catégorie de clients pour les autochtones vivant dans les réserves des Premières Nations. Manitoba Hydro a fait appel de la directive de la Commission qui créait une classe spéciale. La Cour d’appel a statué que l’établissement de catégories de clients fait partie intégrante de la fixation des tarifs des services publics. Toutefois, si la Commission avait le pouvoir de créer une telle classification, elle devait le faire dans les limites prévues par la loi.
Le tribunal a statué que la Commission avait dépassé la portée de son autorité en ordonnant la création de la catégorie, déclarant que la capacité de considérer des facteurs tels que la politique sociale et l’accessibilité dans l’approbation et la fixation des tarifs n’est pas l’autorité d’ordonner la création de classifications de clients menant à des paiements de politique sociale plus larges et une réduction de la pauvreté qui ont pour effet de rediriger les fonds et les revenus de Manitoba Hydro afin d’atténuer de telles conditions.
La décision suivante a été celle de la Cour divisionnaire de l’Ontario dans l’affaire Rogers Communication[44] en novembre 2020. La Cour divisionnaire de l’Ontario y a rendu une décision rejetant un appel concernant une redevance approuvée par la CEO pour la fixation de fils aux poteaux de distribution d’électricité. Pour arriver à un tarif provincial pour la fixation de fils à ces poteaux, la CEO avait procédé à un examen des frais pour la fixation des fils et publié un rapport final en mars 2018 fixant un tarif provincial de 43,63 $ avec des ajustements annuels basés sur un facteur d’inflation de la CEO.
Un groupe de transporteurs d’électricité a fait appel auprès de la Cour divisionnaire et a demandé à la Cour d’annuler le rapport en faisant valoir que la CEO n’avait pas suivi les dispositions de la LCEO exigeant que la CEO tienne l’audience. La position du groupe était que les frais de fixation de la Commission constituaient un tarif pour le transport d’électricité ou la vente au détail d’électricité qui exigeait que la CEO tienne une audience.
La Cour divisionnaire a répondu que l’utilisation d’un espace locatif sur un poteau par une entreprise de télécommunication n’avait rien à voir avec la vente au détail ou la distribution d’électricité. La Cour a également noté qu’auparavant, ces taux avaient été ajustés en modifiant la licence des distributeurs d’électricité qui contenait une exigence selon laquelle les distributeurs devaient permettre l’accès aux poteaux à un taux précis qui était approuvé par la CEO et inclus dans la licence de distribution. La cour a conclu que la modification des frais de fixation était un exercice légal de la compétence de la CEO et ne nécessitait pas d’audience de la CEO. La cour a également conclu que le processus suivi par la CEO était équitable sur le plan de la procédure.
La décision suivante en ce qui concerne la compétence de la Commission a été la décision de la CEO dans l’affaire Waterfront Toronto en janvier 2021. Dans cette affaire, Enbridge a demandé à la Commission d’ordonner à Waterfront Toronto de payer 70 millions de dollars pour couvrir le coût d’un nouveau pipeline[45]. Waterfront Toronto, un consortium de trois administrations : la ville de Toronto, la province de l’Ontario et le gouvernement du Canada, a fait valoir qu’il ne demandait pas le pipeline et que, de toute façon, la Commission n’avait pas le pouvoir d’ordonner à Waterfront Toronto de payer une partie ou la totalité du coût d’un pipeline parce que Waterfront Toronto n’était pas un consommateur de gaz.
Waterfront Toronto s’est appuyée sur des décisions antérieures qui ont conclu que le pouvoir de la Commission de répartir les coûts de construction d’un pipeline relevait de la compétence de la Commission parce qu’il faisait partie de son pouvoir de tarification. Toutefois, dans le cas présent, étant donné que Waterfront Toronto n’était pas un client du gaz, aucune autorité de tarification n’était en cause et, par conséquent, la Commission n’avait pas compétence pour ordonner à Waterfront Toronto de payer le coût. La décision n’a pas été portée en appel.
La dernière décision en matière de compétence est celle de février 2021 dans l’affaire Yukon Energy Corporation[46]. La Régie des entreprises de services publics du Yukon avait refusé certains coûts réclamés par l’entreprise de service public dans une affaire de tarification. La Société d’énergie du Yukon a fait valoir que la Régie avait commis trois erreurs de droit. Premièrement, elle n’avait pas déterminé la base tarifaire de la Société d’énergie du Yukon conformément aux exigences de la Loi. Deuxièmement, elle avait tenu compte de preuves non pertinentes pour déterminer que les frais n’avaient pas été correctement engagés. Enfin, la Régie n’avait pas tenu compte de la preuve de la Société d’énergie du Yukon en ce qui concerne la demande de remboursement des coûts.
La décision de la Régie avait été examinée par un comité de révision de la Régie qui avait rejeté la demande au motif qu’il n’y avait pas eu d’erreur de droit.
La Cour du Yukon a confirmé que la Régie avait correctement exercé son pouvoir discrétionnaire. La Régie avait déterminé que les coûts engagés n’étaient pas nécessaires pour fournir un service au public. La Régie avait conclu que la Société d’énergie du Yukon n’avait pas agi avec prudence en engageant ces coûts. En outre, la Cour a estimé que le comité d’audience n’avait pas tenu compte de facteurs non pertinents dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et qu’il n’avait donc commis aucune erreur de droit.
PROCHAINES ÉTAPES
Dans l’introduction de cette revue annuelle, nous avons indiqué que le secteur canadien de l’énergie était confronté à un virage radical au niveau de la rhétorique et des investissements en faveur de l’énergie conventionnelle, motivé par les préoccupations liées aux changements climatiques. Nous avons également indiqué que ce virage aurait un impact important sur les organismes canadiens de réglementation de l’énergie. Les décisions prises par les organismes de réglementation et les tribunaux au cours de l’année dernière laissent entrevoir deux développements importants.
Le premier est le nombre inhabituel de contestations de la compétence des organismes de réglementation canadiens de l’énergie. Au total, il y a eu dix contestations en 2020. La moitié d’entre elles ont abouti. Les résultats finaux dépendront de certains appels en instance. L’augmentation du nombre de décisions en matière de compétence est sans doute un sous-produit de l’arrêt Vavilov rendu par la Cour suprême du Canada en décembre 2018. Il faudra un certain temps pour que l’impact de Vavilov soit pleinement compris.
L’autre tendance, tout aussi importante, est le rôle accru des organismes de réglementation de l’énergie dans la promotion de l’introduction de nouvelles technologies. Ces nouvelles technologies sont invariablement liées, directement ou indirectement, aux changements climatiques et à la réduction des émissions de carbone.
La première décision a eu lieu sur la côte du Pacifique où la BCUC a permis à un service public de gaz d’établir un fonds d’innovation qui sera payé par les contribuables au coût de 24,5 millions de dollars sur une période de cinq ans. Vient ensuite la décision de la CEO concernant une demande d’Enbridge d’entreprendre un projet pilote qui examinerait les coûts et les avantages du mélange d’hydrogène au gaz naturel. Enfin, sur la côte de l’Atlantique, nous avons vu la Commission de la Nouvelle-Écosse approuver un projet pilote de Nova Scotia Power en vue d’obtenir un financement partiel pour un projet pilote qui évaluerait un nouveau logiciel permettant une exploitation et une gestion plus efficaces des ressources énergétiques décentralisées.
Ces trois cas représentent un changement radical de la part des organismes canadiens de réglementation de l’énergie. Traditionnellement, les organismes de réglementation de l’énergie sont réticents à utiliser l’argent des contribuables pour financer une technologie nouvelle et non éprouvée. Cette prudence peut provenir du principe réglementaire de longue date selon lequel, avant que les actifs puissent faire partie de la base tarifaire, ils doivent être « utilisés à des fins utiles ». Mais comme nous l’avons dit dans l’introduction, les temps ont changé.
Il ne fait aucun doute que les organismes de réglementation et les gouvernements vont surveiller de près ces trois décisions importantes. Ils ont tous des programmes de surveillance et il sera intéressant de voir à quel point l’examen sera détaillé et public. Ces trois décisions représentent un changement d’orientation utile de la part des organismes canadiens de réglementation de l’énergie. Il est intéressant de noter que les trois décisions ont été prises en même temps dans trois provinces différentes par trois organismes de réglementation différents. Il est également intéressant de noter qu’elles ont eu lieu dans les secteurs de l’électricité et du gaz.
Nous verrons davantage de ces décisions à l’avenir. Les organismes de réglementation peuvent apporter un ensemble unique de compétences au problème. Le problème est que les nouvelles technologies nécessitent souvent un investissement en capital très important. Les organismes de réglementation sont dans une position unique pour diriger et évaluer les projets pilotes et déterminer l’utilité de la nouvelle technologie avant que des engagements financiers majeurs ne soient pris.
L’autre différence intéressante entre ces trois cas est la forme de financement. Dans le cas de la Colombie-Britannique, les contribuables assument la totalité des coûts. Dans le cas de la Nouvelle-Écosse, les contribuables assument un tiers des coûts, et dans le cas de l’Ontario, le service public assure la totalité des coûts. Il sera important d’évaluer ces différentes approches de financement. On peut faire valoir que dans un monde où il existe des capitaux importants pour financer les investissements dans l’énergie verte, il ne devrait pas être nécessaire que le contribuable finance la totalité du coût. La participation de capitaux privés, en particulier s’il s’agit de capitaux non liés aux services publics comme dans le cas de la Nouvelle-Écosse, assure une surveillance, un examen et une vérification supplémentaires.
- 15,7 milliards de dollars pour Energy East, 7,9 milliards pour Enbridge Northern Gateway, 7,4 milliards pour Trans Mountain expansion et 20,6 milliards pour Keystone XL.
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