Éditorial

À l’aube de l’été 2025, le rythme effréné des changements se poursuit, sous l’effet des événements géopolitiques et des attentes élevées des Canadiens à l’égard du gouvernement Carney, nouvellement élu. Le premier ministre a tenu une réunion des Premières Nations le 2 juin à Saskatoon[1] qui avait pour objectif de « bâtir une économie canadienne plus forte, plus compétitive et plus résiliente », notamment en supprimant les barrières commerciales, en faisant avancer les grands projets d’intérêt national et en déposant des projets de loi qui visent à rendre le Canada plus fort sur son territoire et à l’étranger[2].

La nécessité d’une réponse unifiée à l’évolution des relations entre le Canada et les États-Unis et l’impératif de nouvelles relations en matière de commerce et de sécurité ont été pleinement mis en évidence lors du 51e sommet du G7, qui s’est tenu du 15 au 17 juin à Kananaskis, en Alberta. Bien que ce sommet avait pour objectif de « renforcer les économies et de rendre les communautés plus sécuritaires et le monde plus sûr, et ce, en favorisant la sécurité énergétique et en accélérant la transition numérique, de même que les partenariats d’avenir »[3], les questions relatives à « l’utilité et à l’avenir du G7 dans un monde où Trump est président des États-Unis »[4] [traduction] sont restées sans réponse, et les résultats concrets obtenus « pâlissent en comparaison de ce qui ne s’est pas produit » [traduction][5].

Le dépôt (6 juin 2025) et la sanction royale (26 juin 2025) du projet de loi C-5, intitulé « Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada »[6], représentent la première et peut-être même la plus importante mesure prise par le nouveau gouvernement pour relever les défis pressants du pays en matière d’énergie et d’infrastructure et atteindre ses objectifs ambitieux. La partie 1 du projet de loi C-5 édicte la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada, qui « établit un cadre législatif pour éliminer des obstacles fédéraux au commerce interprovincial des biens et des services et pour améliorer la mobilité de la main-d’œuvre au Canada »[7]. La partie 2 édicte la Loi visant à bâtir le Canada, dont on traite largement dans le présent numéro de la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie.

Le présent numéro de la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie commence par une brève mise à jour de l’article rédigé par Daliana Coban, Daniel Gralnick et Ian Thomson, tous de Torys, S.E.N.C.R.L., publié dans le numéro précédent de notre publication. L’addenda à l’article « Raccordement des centres de données en Ontario : principaux défis et éléments à considérer » fait ressortir les principaux changements politiques et législatifs que les participants du secteur de l’énergie devraient connaître et qui ont trait au raccordement des centres de données en Ontario.

Les articles du présent numéro de la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie portent généralement sur deux thèmes. Le premier consiste en la nature évolutive de la règlementation économique — quatre des sept articles traitent de la façon dont changent les objectifs qui orientent la discrétion règlementaire, même dans un contexte traditionnel d’établissement des tarifs.

Le premier de ces articles est rédigé par Ahmad Faruqui, un contributeur de longue date aux discussions sur l’énergie aux États-Unis, au Canada et dans notre publication. M. Faruqui écrit sur le sujet toujours complexe du « Prix en temps réel de l’électricité pour les ménages : une analyse internationale ». Dans son article, il examine les divers modèles de prix en temps réel aux États-Unis, au Canada et en Europe, puis discute de l’adoption de ces modèles par les consommateurs et des défis qui y sont associés.

Kenneth Costello, ancien responsable de la règlementation à l’Illinois Commerce Commission et chercheur au U.S. National Regulatory Research Institute, s’appuie sur ses travaux antérieurs dans l’article intitulé « Défis actuels en matière de tarification pour les organismes de règlementation des services publics » pour discuter de la façon dont la tarification traditionnelle a évolué. Celle-ci est, en effet, passée d’une approche axée sur la détermination prudente de coûts raisonnables, la répartition des coûts et la conception des tarifs ainsi que sur l’établissement de tarifs justes et raisonnables à un nouveau paradigme, où les organismes de règlementation doivent maintenant composer avec un plus grand nombre d’objectifs découlant des nouvelles politiques publiques, des changements technologiques et des développements économiques. Tous ces facteurs compliquent d’autant l’établissement de tarifs justes et raisonnables pour ces organismes. Costello souligne les principaux défis et les observations à retenir à ce sujet.

John Vellone, associé et spécialiste national en matière d’énergie, de ressources et d’énergies renouvelables, et Zoë Thoms, avocate chez Borden Ladner Gervais LLP, discutent de l’intervention la plus récente dans le mandat et l’orientation de la Commission de l’énergie de l’Ontario (« CEO ») pour instaurer de nouvelles priorités favorisant l’abordabilité et la croissance du logement dans leur article intitulé « Hausse du nombre de raccordements : politique du logement, infrastructure énergétique et évolution du rôle de la CEO ». M. Vellone et Mme Thoms se sont penchés sur le contexte stratégique de la « poussée pour le logement » de l’Ontario; la façon dont la décision de la CEO concernant la phase I de la demande tarifaire de 2024 d’Enbridge Gas Inc. est devenue un tournant sur le plan règlementaire; la réponse législative; la réforme règlementaire qui en a découlé; et l’harmonisation avec les politiques du gouvernement de l’Ontario. Ils concluent par des commentaires réfléchis sur la façon dont l’orientation du gouvernement peut redéfinir les limites de la discrétion règlementaire.

Le dernier article, qui traite du cadre en évolution de la discrétion règlementaire, est un commentaire de Byron Reynolds et de Hazel Saffery, tous deux associés chez Dentons Canada LLP. Dans l’article « L’Alberta Utilities Commission approuve la première installation industrielle de valorisation énergétique des déchets avec captage du carbone au Canada », M. Reynolds et Mme Saffery décrivent brièvement la nature des installations assujetties à l’approbation de l’AUC, les approbations particulières demandées et les décisions de la Commission relativement à celles-ci. Ils examinent également l’importance de l’approbation de cette installation, notamment parce qu’elle a des ramifications sur la résolution d’autres problèmes de la société, ou contribue à les résoudre, ce qui comprend la gestion des déchets solides municipaux, les marchés du carbone ainsi que l’amélioration de la viabilité du captage et du stockage du carbone.

Le deuxième thème correspond au processus d’examen règlementaire pour les nouveaux projets et la question de savoir si le projet de loi C-5, maintenant proclamé, peut mener à un processus d’examen plus rapide et simplifié des grands projets d’intérêt national par rapport à ses prédécesseurs — la Loi sur l’évaluation d’impact de 2019[8] et la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012, et si oui, à quel coût. Les autres articles du présent numéro traitent de façon générale de la partie 2 (Loi visant à bâtir le Canada) du projet de loi C-5, y compris ses répercussions éventuelles sur les obligations du Canada envers les Premières Nations.

Dans un article composé de deux sections distinctes, Rowland Harrison, c.r., ancien rédacteur en chef adjoint de la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie, reprend d’abord son discours-programme du Forum du droit de l’énergie 2025 de notre Publication. Dans l’article intitulé « La situation est-elle différente cette fois-ci? Réflexions sur une carrière en règlementation de l’énergie », Harrison s’appuie sur sa carrière de cinq décennies consacrée à l’énergie et à la règlementation pour examiner un certain nombre de décisions règlementaires fondamentales et de mesures énergétiques connexes prises par le gouvernement pour donner au lecteur une perspective historique. La deuxième partie est une réponse aux observations de M. Harrison, formulée par Tim Sargent, directeur du secteur de la politique nationale de l’Institut Macdonald-Laurier. M. Sargent s’appuie sur ses 28 années d’expérience au sein du gouvernement fédéral pour examiner les arguments et les observations présentés par M. Harrison. Il fait remarquer qu’il est possible d’établir de façon convaincante que bon nombre des défis sous-jacents associés à l’approbation des projets n’ont pas changé au cours des deux dernières décennies et laisse entendre que les défis auxquels est confronté le gouvernement Carney sont plus difficiles à relever que ceux du gouvernement Harper en raison de l’évolution du contexte depuis 2015. M. Sargent conclut par une discussion pointue sur le projet de loi C-5 et formule un certain nombre de suggestions pour l’améliorer.

L’article intitulé « Loi visant à bâtir le Canada : agir rapidement et bâtir ou agir rapidement et détruire ? » par David V. Wright, professeur agrégé à la faculté de droit, et Martin Olszynski, professeur agrégé et titulaire de la Chaire en énergie, ressources et durabilité à la faculté de droit de l’Université de Calgary, consiste en un examen exhaustif de la Loi visant à bâtir le Canada. M. Wright et M. Olszynski examinent la structure et l’approche de la Loi, discutent des modifications apportées au projet de loi C-5 à mesure de sa progression rapide dans le processus législatif et soutiennent que la Loi ne correspond pas à une évaluation d’impact. Ils soulèvent un certain nombre de questions sur la façon dont le processus accéléré prévu dans la Loi fonctionnerait réellement et à quel coût.

Ce numéro se termine par un article de Dwight Newman et de Jenna Renwick, professeur de droit et étudiante au doctorat en jurisprudence au collège de droit de l’Université de la Saskatchewan, intitulé « Recours et recours abusif à la DNUDPA ». Dans leur article, les auteurs discutent du statut jurisprudentiel de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (« DNUDPA »). L’article porte sur les lois pertinentes qui incorporent la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones ou y font référence, ainsi que les affaires où elle a été invoquée dans les jugements les concernant. Les auteurs discutent de ces jugements récents et des lacunes méthodologiques dans les énoncés des motifs des tribunaux, qui créeront une incertitude juridique pour ceux qui œuvrent dans les domaines de l’énergie et des mines. Ils concluent en conséquence que les cours d’appel, y compris la Cour suprême, doivent donner plus de clarté sur le statut de la DNUDPA et sur la façon dont elle s’inscrit dans le droit canadien.

Nous espérons que ce numéro vous informera sur ce qui caractérise la période que nous vivons présentement : un changement géopolitique rapide et sans précédent, ainsi qu’un soutien au réexamen et à la refonte des processus de droit administratif du Canada. n

 

  • * Karen J. Taylor est consultante indépendante dans le secteur de l’énergie. Elle possède une vaste expérience des marchés financiers, de la politique règlementaire et de l’investissement dans les infrastructures. Elle est vice-présidente du Council for Clean and Reliable Energy, un organisme sans but lucratif qui offre une tribune pour le dialogue et l’analyse publics sur des sujets liés à la politique énergétique et à la gouvernance. Elle a également été conseillère exécutive auprès du président de la Commission de l’énergie de l’Ontario et membre de cette Commission.

    Moin A. Yahya est professeur de droit à l’Université de l’Alberta. Il a été membre et membre intérimaire de l’Alberta Utilities Commission de 2009 à 2018. Il enseigne et fait de la recherche dans différents domaines du droit.

    1 Premier ministre du Canada, « Notes à l’intention des médias » (2 juin 2025), en ligne : <pm.gc.ca/fr/nouvelles/avis-aux-medias/2025/06/02/lundi-2-juin-2025>.

  • 2 Premier ministre du Canada, « Déclaration des premiers ministres du Canada, des provinces et des territoires sur le renforcement de l’économie canadienne et l’avancement des grands projets » (2 juin 2025), en ligne : <pm.gc.ca/fr/nouvelles/declarations/2025/06/02/declaration-des-premiers-ministres-du-canada-des-provinces-et-des-territoires>.

  • 3 Cabinet du premier ministre, « Résumé de la présidence » (Kananaskis: G7, 2025), en ligne (pdf) : <g7.canada.ca/assets/ea689367/Attachments/NewItems/pdf/g7-summit-statements/chair-fr.pdf>.

  • 4 Murray Brewster, « Where the G7 came from — and where it might go in the era of Trump » (15 juin 2025), en ligne : <cbc.ca/news/politics/g7-trump-history-1.7561633>; Aaron Wherry, « In Kananaskis, the G7 held together, but showed signs of strain » (18 juin 2025), en ligne : <cbc.ca/news/politics/g7-summit-kananaskis-carney-trump-analysis-1.7564156>.

  • 5 Madison Minges, « Key Takeaways from the 2025 G7 Summit » (18 juin 2025), en ligne : <american.edu/sis/news/20250618-key-takeaways-from-the-g7-summit.cfm>.

  • 6 Projet de loi C-5 « Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada » (26 juin 2025), et son amendement en vertu de la Loi sur l’unité de l’économie canadienne, 2025, en ligne (pdf) : <parl.ca/Content/Bills/451/Government/C-5/C-5_4/C-5_4.PDF>.

  • 7 Ibid.

  • 8 Projet de loi C-69 « Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois », 21 juin 2019, modifié dans la Loi d’exécution du budget de 2024.

     

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