L’infatigable poursuite de la « carboneutralité » et de l’« électrification » soulève des défis à la fois immenses et omniprésents. Il devient de plus en plus évident que pour relever ces défis, observés dans une multitude de domaines, il faudra vraisemblablement faire plus que de simplement modifier graduellement des pratiques établies, mais se doter plutôt d’approches novatrices. Les nouveaux défis en matière de règlementation de l’énergie en sont visiblement un cas en l’espèce idéal – le forum de règlementation de l’énergie deviendra le terreau où les solutions à ces défis seront implantées.
L’ampleur des changements qui pourraient devenir nécessaires dans le cadre règlementaire lui-même se reflète dans la restructuration mise en œuvre en vertu de l’Energy Reform (2024) Act[1] de la Nouvelle-Écosse, qui annonce des changements transformationnels apportés au réseau d’électricité de la province. Ces changements comprennent le dessaisissement d’une partie des responsabilités en matière d’énergie assumée en ce moment par la Nova Scotia Utilities and Review Board pour la confier à un nouvel office de l’énergie créé par l’Energy and Regulatory Boards Act[2]. Fait intéressant, les deux offices auront un président commun, tandis que chacun aura aura son propre vice-président. Ce nouveau cadre de règlementation est examiné par David MacDougall et ses collègues dans « L’Energy Reform (2024) Act de la Nouvelle-Écosse : un nouveau paradigme pour la règlementation de l’énergie en Nouvelle-Écosse ».
La poursuite de l’électrification porte aussi son lot de défis à relever pour cerner les obstacles potentiels à une adoption plus large et améliorer les perspectives en ce sens. Dans « Accélérer l’électrification en réduisant ses coûts d’exploitation grâce à une tarification au coût marginal en fonction de la technologie utilisée », Ahmad Faruqui fait remarquer que dans certains États et certaines provinces d’Amérique du Nord, « [l]e principal obstacle à l’électrification est le coût élevé de l’électricité […] » [traduction]. Il soutient que, selon le paradigme actuel « la conception tarifaire ne devrait pas être établie en fonction de la technologie utilisée » [traduction]. Il propose un nouveau paradigme selon lequel « la tarification au coût marginal ne serait appliquée qu’à la marge pour la consommation supplémentaire associée à l’installation de thermopompes pour le CVCA et le chauffage de l’eau, de chargeurs de VE et d’autres technologies d’électrification telles que les cuisinières à induction » [traduction]. Il allègue que cette approche pourrait réduire le coût de l’électrification « sans déclencher une redistribution des richesses entre les clients […] » [traduction].
Plusieurs articles de la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie ont traité des défis que doivent relever les organismes de règlementation dans le contexte de la transition énergétique, plus récemment en examinant deux décisions importantes de la Commission de l’énergie de l’Ontario et de la British Columbia Utilities Commission[3]. Ces décisions ont soulevé des questions fondamentales au sujet des répercussions de la transition sur la planification de l’avenir des marchés de l’énergie et du rôle des organismes de règlementation dans la surveillance de cette transition. La discussion reste d’actualité. David Morton, ancien président de la British Columbia Utilities Commission, propose un autre point de vue dans « La transition énergétique et le gaz naturel : deux organismes de règlementation s’expriment ».
Tandis que la transition énergétique mobilise une grande partie du travail sur la règlementation de l’énergie et le rôle des organismes de règlementation, bon nombre des questions fondamentales qui préoccupent les organismes de règlementation et les services publics continuent de se poser. Le rôle de la règlementation axée sur le rendement (RAR) est l’une d’elles. Dans « Décision 28300-D01-2024 de l’AUC : Qu’est-ce que cela signifiera pour l’avenir de la règlementation axée sur le rendement (RAR) en Alberta? », Mark Kolesar, ancien président de l’Alberta Utilities Commission, analyse une décision récente rendue par l’Alberta Utilities Commission (AUC) qui se veut de rouvrir la RAR de 2018 à 2022 pour deux services publics d’ATCO, conformément à une disposition de réouverture qui avait été approuvée à l’origine par l’AUC dans le cadre d’une RAR antérieure. D’après les documents règlementaires déposés, il semble que le rendement des capitaux propres (RCP) obtenu par ATCO en deux ans ait dépassé le seuil précisé dans la disposition de réouverture. Mark Kolesar conclut que la décision entraîne des répercussions sur l’avenir de la commission, des entreprises qu’elle règlemente et des consommateurs « […] elle pourrait émousser les incitations à l’efficience de gestion de la RAR et refroidir les ardeurs des services publics à se prêter au jeu de la RAR » [traduction].
Le discours sur l’atteinte de la « carboneutralité », en particulier d’ici 2050, néglige souvent de reconnaître l’énormité du défi. Pour reprendre les termes d’un livre blanc publié à la fin de 2023 par Énergie positive à l’Université d’Ottawa, « il s’agit d’une tâche titanesque, encore plus importante que toute autre jamais entreprise dans l’histoire du Canada dans le cadre d’une politique délibérée, sauf en temps de guerre, et elle doit être accomplie en un temps record » [traduction][4]. Dans « Projets énergétiques et carboneutralité d’ici 2050 : Pouvons-nous construire suffisamment et assez vite? », Michael Cleland et Monica Gattinger portent leur attention sur la dimension règlementaire de l’étude plus vaste présentée dans le Livre blanc. Des articles sur des aspects précis du défi, comme la planification du système énergétique, suivront et seront présentés dans la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie, le cas échéant.
Le présent numéro de la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie se termine par des commentaires sur deux affaires. Reena Goyal commente la décision de 2023 de l’Office de l’énergie de l’Ontario d’approuver une proposition de règlement déposée par la Société indépendante d’exploitation du réseau d’électricité (SIERE), y compris les besoins en revenus proposés pour les années 2023, 2024 et 2025. Jusqu’à tout récemment, les demandes d’approbation des besoins en revenus de la SIERE étaient présentées sur une base annuelle.
Nigel Bankes commente une décision récente de la Cour suprême du Canada, confirmant que la Couronne a le devoir de mettre en œuvre avec diligence les promesses découlant des traités, non pas en s’appuyant sur des principes fiduciaires, mais sur la base de l’honneur de la Couronne[5]. La Couronne avait manqué à cette obligation « en utilisant des mots qui résonneront pour plusieurs décennies », selon Bankes :
[d]epuis plus d’un siècle, la Couronne s’est révélée être une partenaire de traité manifestement peu fiable et peu digne de confiance en ce qui concerne la promesse d’augmentation. Elle a perdu l’autorité morale qui lui permettrait de simplement dire “faites nous confiance”[6].
- Energy Reform (2024) Act, SNS 2024, c 2.
- Ibid annexe A.
- Voir, par exemple : Gordon E. Kaiser, « La transition énergétique, les actifs délaissés et la règlementation agile » (2024) 12:1 Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie, en ligne : <energyregulationquarterly.ca/fr/articles/the-energy-transition-stranded-assets-and-agile-regulation>; Mark Kolesar, « Prise de décisions règlementaires dans l’évaluation des initiatives d’électrification » (2024) 12:3 Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie, en ligne : <energyregulationquarterly.ca/fr/articles/regulatory-decision-making-in-evaluating-electrification-initiatives>.
- Université d’Ottawa, « Projets énergétiques et net zéro pour 2050 : Pouvons-nous construire suffisamment et assez vite? » (consulté le 11 novembre 2024), en ligne : <www.uottawa.ca/recherche-innovation/energie-positive/publications/projets-energetiques-net-zero-2050-pouvons-nous-construire-suffisamment-assez-vite>.
- Ontario (Procureur général) c Restoule, 2024 CSC 27.
- Ibid au para 262.