LE DILEMME AUQUEL SONT CONFRONTÉS LES ORGANISMES DE RÈGLEMENTATION
Les organismes de règlementation sont de plus en plus confrontés au dilemme posé par les propositions visant à faire progresser l’électrification ou, au contraire, à entreprendre des investissements qui peuvent sembler s’opposer à l’électrification. Pour l’organisme de règlementation, ces propositions soulèvent des questions concernant l’évaluation des avantages et des coûts et leur effet non seulement sur les tarifs des services publics, mais aussi sur le bien-être social. Une décision récente de la British Columbia Utilities Commission (BCUC) illustre ce dilemme.
Le 23 décembre 2023, dans la décision et l’ordonnance G-361-23[1], la BCUC a examiné une demande de FortisBC Energy Inc. (FortisBC) visant à augmenter la capacité de son gazoduc afin de répondre à une augmentation prévue de la demande de pointe dans l’ensemble des régions du centre et du nord de l’Okanagan au cours des 20 prochaines années en raison de la croissance démographique. Le projet comprenait la construction d’un nouveau gazoduc d’environ 30 kilomètres, d’une nouvelle station de contrôle de la pression et des installations connexes, ainsi que la mise hors service d’un tronçon de gazoduc existant, ce qui correspondait à un coût total estimé à 327,4 millions de dollars.
FortisBC a fourni une prévision de la demande de pointe par rapport à la capacité annuelle démontrant que le réseau ne serait plus en mesure d’assumer les pressions nécessaires pour approvisionner correctement la région en gaz lors d’un événement de froid extrême d’ici l’hiver 2026/2027[2]. La compagnie a également déterminé un certain nombre de mesures d’atténuation à court terme qui pourraient être utilisées pour gérer la charge de pointe pendant la mise en œuvre de la solution à long terme demandée.
La BCUC s’est dite préoccupée par le fait que les prévisions de FortisBC ne tenaient pas compte de la possibilité d’un aplatissement ou d’une inversion de la courbe de la demande en raison des engagements pris dans la feuille de route CleanBC de la province et des changements apportés au BC Energy Step Code (code progressif pour l’énergie de la C.-B.) et au Zero Carbon Step Code (code progressif vers la carboneutralité) et à d’autres directives de planification et règlements de zonage.
FortisBC a fait valoir que sa demande d’examen global révisé du gaz renouvelable auprès de la BCUC, si elle était approuvée, permettrait à tous les nouveaux raccordements résidentiels de recevoir du gaz renouvelable à 100 %, satisfaisant ainsi aux exigences du Zero Carbon Step Code. La Commission a estimé que même si l’approbation de la demande relative au gaz renouvelable « contribuerait grandement à dissiper certaines inquiétudes concernant la probabilité d’une croissance continue de la demande de pointe en gaz naturel, son approbation n’oblige pas le code du bâtiment de la Colombie-Britannique à intégrer le gaz naturel renouvelable » [traduction][3].
Dans le cadre d’une procédure parallèle distincte, 2022 Long Term Gas Resource Plan (LTGRP)[4] FortisBC a déposé auprès de la BCUC l’étude de cas sur l’électrification intitulée Kelowna – Electrification and the Impacts of Cold Temperature on Peak Demand and System Upgrade Costs (étude de cas sur l’électrification de Kelowna et les impacts de la température froide sur la demande de pointe et les coûts de mise à niveau du réseau). En tant qu’entreprise d’électricité et de distribution desservant la ville de Kelowna, FortisBC a estimé les effets que divers niveaux d’électrification de la demande relative au gaz auraient sur la demande de pointe d’électricité, ainsi que les coûts estimés de mise à niveau et de développement de l’infrastructure électrique nécessaire pour répondre à la demande d’électricité prévue. L’étude a illustré les facteurs à prendre en compte dans la transition vers l’énergie propre en supposant que l’électrification est la voie à suivre pour atteindre les objectifs de décarbonisation de la province.
L’étude a conclu que :
[…] avec une électrification de 100 % de la charge de gaz et une température quotidienne moyenne de -26 Celsius, la demande de pointe en 2040 ferait plus que tripler, passant de 472 mégawatts (MW) à 1 429 MW, ce qui entraînerait des dépenses d’investissement estimées entre 2,6 et 3,4 milliards de dollars sur le réseau de distribution et de transport d’électricité, qui seraient nécessaires dans moins de 20 ans. Même avec une électrification de 25 % de la charge de gaz, la demande de pointe passerait à 711 MW, ce qui entraînerait des dépenses d’investissement estimées entre 1,3 et 1,7 milliard de dollars au cours de la même période [traduction][5].
L’étude de cas sur l’électrification de Kelowna n’a pas été incluse dans le dossier de la procédure menant à la décision et à l’ordonnance G-361-23 et n’a pas été examinée par la BCUC. Dans sa décision, la Commission a noté que :
Si le projet [d’augmentation de la capacité de l’Okanagan] représentait une dépense mineure, le comité d’experts pourrait être enclin à aller de l’avant avec une décision favorable à ce stade. Mais selon la dernière estimation, le coût total du projet est de 327,4 millions de dollars avec un impact sur le taux de livraison de 2,37 %. Il s’agit d’une dépense très importante et, pour qu’elle soit approuvée, il doit y avoir une plus grande certitude que la portée proposée du projet est entièrement requise [traduction][6].
La Commission a conclu qu’« il existe un risque important que la croissance prévue s’aplanisse ou commence à diminuer en raison de l’incapacité de [FortisBC] à répondre aux besoins des nouveaux clients en matière de chauffage des locaux et de l’eau, en raison des engagements pris par la province dans le cadre de la feuille de route CleanBC, des modifications apportées au BC Energy Step Code et au [Zero Carbon Step Code] » [traduction][7]. La Commission a déterminé que le projet n’était pas nécessaire et a rejeté la demande.
À la lumière de l’étude de cas sur l’électrification de Kelowna[8], la décision remet en question le potentiel de remplacement d’un combustible, y compris le gaz naturel renouvelable, et le rôle que doit jouer l’électrification dans la réalisation des engagements à long terme de la province en matière de décarbonisation. Plus important encore, elle met en lumière les défis auxquels les organismes de règlementation sont confrontés lorsqu’ils évaluent les programmes et les propositions qui envisagent le remplacement d’un combustible, en particulier en l’absence de toutes les informations nécessaires pour entreprendre une analyse solide des avantages et des coûts des différentes options en matière d’efficacité énergétique.
L’étude de cas sur l’électrification de Kelowna met également en lumière les coûts potentiels de l’électrification comme solution de rechange au gaz naturel pour le chauffage des locaux et de l’eau. Dans un document de travail datant de 2022, Ressources naturelles Canada estime que la modernisation de toutes les maisons, y compris l’électrification du chauffage des locaux et de l’eau, et de tous les bâtiments commerciaux et publics d’ici 2050 coûterait entre 20 et 32 milliards de dollars par an[9]. De telles études soulèvent la question de savoir quand et dans quelles circonstances l’électrification est bénéfique. Le défi consiste à déterminer si l’adoption d’une technologie d’utilisation finale alimentée par l’électricité en remplacement des technologies d’utilisation directe des combustibles fossiles pour des applications telles que le chauffage des locaux, les transports et les processus industriels se traduit par un avantage économique net pour le client et par des avantages environnementaux nets pour la société.
Une transformation de la règlementation économique est nécessaire pour examiner, en temps opportun, les propositions visant à encourager et à faciliter l’adoption de nouvelles technologies qui soutiennent les réductions d’émissions. Les examens doivent tenir compte de l’effet sur les tarifs des services publics et des avantages nets pour la société. Les organismes de règlementation doivent donc procéder à une analyse de l’ensemble du réseau pour déterminer si les solutions de décarbonisation sont effectivement à la fois économiquement avantageuses et suffisamment efficaces pour réduire les émissions de carbone. À ce jour, l’évaluation des avantages et des coûts des investissements des services publics dans les initiatives d’efficacité énergétique, de transfert de charge et de remplacement de combustible, lorsqu’elles sont entreprises par les organismes de règlementation, a généralement utilisé des critères élaborés à l’origine dans le California Standard Practice Manual[10].
LE DÉFI QUE POSE L’ÉVALUATION
La California Public Utilities Commission a publié son premier Standard Practice Manual en 1983. Ce manuel prescrit des critères de rentabilité pour évaluer les programmes d’efficacité énergétique axés sur la demande. La version la plus récente du manuel, publiée en 2001, comprend quatre critères pour évaluer la viabilité des programmes de conservation et de gestion de la charge[11]. Cependant, le manuel envisageait également que les critères soient appliqués pour évaluer les propositions de « remplacement de combustible », ce qui était une première référence à ce que l’on appellerait aujourd’hui l’électrification. Ces critères ont été largement adoptés et appliqués individuellement et collectivement en Amérique du Nord pour déterminer la viabilité économique des investissements dans la gestion de la demande. Les critères sont maintenant adaptés pour évaluer une variété de propositions d’électrification telles que le déploiement de chargeurs de véhicules électriques (VE), les programmes de gestion de la demande pour la charge des VE et les programmes de thermopompes résidentielles.
Les quatre critères définis dans le manuel sont les suivants :
- Le critère du participant – évalue la mesure dans laquelle les clients qui participent à un programme bénéficient d’avantages nets positifs, mesurés comme la valeur actuelle nette des avantages et des coûts pour les clients sur une durée de participation supposée.
- Le critère de mesure de l’impact sur le contribuable (MIC) – évalue si les clients des services publics en général subiront une augmentation ou une diminution des tarifs à la suite de la mise en œuvre d’un programme. Les changements de tarifs sont calculés sur la base des changements dans les coûts totaux du fournisseur de services et des changements dans les niveaux de consommation d’électricité résultant du programme.
- Le critère du coût total des ressources (CTR) – combine les résultats des critères du participant et de MIC pour évaluer l’impact combiné sur les participants au programme et sur le service public.
- Le critère du coût d’administration du programme (CAP) – prend en compte les coûts d’administration des services publics/programmes, en tant que données d’entrée du critère de MIC.
Ces critères ont été largement critiqués dans la littérature didactique et de nombreuses lacunes ont été identifiées. Par exemple, le critère du CTR a été critiqué pour ses hypothèses simplificatrices sur le comportement des consommateurs, qui sont exacerbées dans le cas d’un programme qui inclut le remplacement de combustible. Le critère de MIC a été critiqué parce qu’il ne fournit pas suffisamment de détails pour traiter les questions liées aux subventions croisées entre les participants et les non-participants au programme et qu’il ne tient pas compte du fait que les augmentations de tarifs seront réparties entre toutes les catégories de clients.
Les critères ont également été généralement critiqués parce qu’ils excluent les avantages et les coûts non liés à l’énergie. Les avantages économiques nets calculés des programmes d’efficacité énergétique et d’électrification à l’aide de ces quatre critères ont été incomplets parce que les critères d’évaluation standards reposent sur une analyse des coûts évités pour les services publics et ignorent les avantages sociétaux tels que l’amélioration de la qualité de l’air et les avantages pour les consommateurs non liés à l’énergie, au-delà de l’impact sur les tarifs des services publics. De plus, le critère du coût total des ressources a souvent permis de conclure qu’un programme était viable, alors que le critère de mesure de l’impact sur le contribuable a permis de conclure que les tarifs augmenteraient, ce qui laisse supposer qu’il n’est pas viable. Le principal problème pour l’organisme de règlementation est donc qu’aucun critère n’est exhaustif.
Le manuel aborde également le critère sociétal, une extension du critère du coût total des ressources qui propose de prendre en compte les externalités, y compris les bénéfices non énergétiques, et utilise un taux d’actualisation sociétal pour évaluer les bénéfices sociétaux nets. Le critère sociétal vise à déterminer les avantages et les coûts globaux pour la société des programmes d’efficacité énergétique et d’électrification. Cependant, le manuel ne définit pas complètement les limites du critère proposé, et il a été critiqué pour être « trop vague ». Des efforts sont actuellement déployés pour élargir le champ d’application et définir les limites des outils d’évaluation, en partie pour les rendre plus applicables au type d’analyse complexe qui serait nécessaire pour évaluer les avantages et les coûts pour la société de programmes d’électrification importants.
ÉVALUATION DES INITIATIVES D’ÉLECTRIFICATION : LA PRATIQUE ACTUELLE
Une étude réalisée par The Brattle Group en 2019, commandée par l’Electric Power Research Institute, a évalué le California Standard Practice Manual et proposé un cadre d’évaluation des projets d’électrification appelé le critère de la valeur totale. Le critère est destiné aux « organismes de règlementation qui considèrent que leur rôle est de mettre en œuvre la politique sociale » [traduction][12].
Le critère de la valeur totale a pour objectif d’adopter la perspective la plus large possible des avantages et des coûts des programmes d’électrification, d’inclure les avantages et les coûts non énergétiques, de prendre en compte les objectifs politiques et d’offrir une plus grande flexibilité pour prendre en compte les externalités. Le critère permet également d’évaluer la rentabilité des programmes d’électrification sur une période d’étude plus longue afin de tenir compte d’éléments tels que les coûts échoués ou les coûts technologiques, dont les effets complets ne peuvent être véritablement évalués que sur un horizon d’étude plus long. Les auteurs du critère proposent que les critères traditionnels du Standard Practice Manual soient subsumés par le critère de la valeur totale ou qu’ils perdent leur pertinence. Ils considèrent qu’il est utile de conserver le critère de la mesure de l’impact sur le contribuable, mais proposent également que ce critère soit modifié pour analyser les effets sur des catégories ou sous-catégories de clients précis, afin de déterminer les implications pour les consommateurs à faibles revenus et d’autres segments de clients concernés.
Le critère de la valeur totale établit une liste solide d’éléments à inclure dans l’analyse :
Coûts liés aux programmes
- Frais d’administration, primes d’encouragement
- Contribution des participants aux coûts
- Contribution de tiers aux coûts
Impacts sur le réseau
- Coûts de la capacité de production
- Coûts de l’énergie de production
- Coût des règlementations environnementales
- Coûts de capacité de transport des combustibles
- Coûts de capacité de distribution des combustibles
- Pertes en ligne
- Services auxiliaires
- Risque pour le service public
- Obligation en matière de ressources renouvelables
- Effet du prix du marché de l’énergie
Impacts sur les participants
- Autres coûts liés aux ressources
- Coûts de fonctionnement et d’entretien
- Impacts sur la santé
- Productivité
- Valeur des actifs
- Bien-être économique
- Confort
Conséquences sociétales
- Qualité de l’air
- Emploi
- Développement économique
- Sécurité énergétique
- Santé publique
Les auteurs de l’étude reconnaissent que s’il existe des méthodologies bien établies pour l’analyse de certains éléments du critère (par exemple les coûts directs des programmes), des méthodologies devront être développées pour certains éléments plus obscurs, tels que le bien-être économique, la sécurité énergétique ou la santé publique. Parmi les éléments les plus spéculatifs, nombreux sont ceux pour lesquels il n’existe pas de méthodologie bien établie pour quantifier leur impact. Certains des éléments soumis au critère posent également des problèmes liés à la collecte de données.
L’étude présente trois études de cas pour démontrer les applications pratiques du critère, en appliquant le critère de la valeur totale à un programme d’électrification des bus urbains, un programme d’agriculture d’intérieur et un programme d’électrification des chauffe-eau. Les études de cas tiennent compte de l’effet du programme sur les émissions de CO2, sur la base d’hypothèses concernant les émissions de CO2 pour les carburants de rechange, y compris les émissions de CO2 émanant du mélange de carburants supposé dans la production d’électricité de l’option d’électrification.
Une comptabilité carbone appropriée est un élément important de tout critère visant à déterminer les avantages et les coûts des programmes d’électrification, étant donné que l’un des principaux objectifs est d’atteindre les cibles de la politique de décarbonisation de préférence au coût sociétal le plus bas. Le critère de la valeur totale facilite la comptabilisation du carbone en tant qu’élément de l’analyse. Les auteurs précisent que le critère est « objectif et n’est pas prédisposé à favoriser un type particulier de technologie en fonction de la façon dont elle est alimentée » [traduction][13]. Il convient de souligner que l’exemple du chauffage de l’eau a permis de conclure que, selon les circonstances, la technologie électrique ou non électrique était la plus favorable.
L’un des défis de l’application du critère de la valeur totale est l’estimation des avantages et des coûts associés aux changements dans la consommation d’énergie qui ne sont pas entièrement pris en compte directement dans les prix de détail de l’électricité, ce que l’on appelle les impacts non-énergétiques. Les impacts non énergétiques associés à l’électrification peuvent inclure la réduction du bruit, l’amélioration de la qualité de l’air domestique, l’amélioration du confort et de la productivité, l’esthétique, la réduction des efforts d’entretien, et peut-être plus important encore, la valeur attribuée par les consommateurs à l’atténuation des changements climatiques qui en découlent. Ces éléments dans un critère de valeur totale sont de la nature des attributs du produit, des avantages directs et indirects qu’un programme d’électrification, par exemple la conversion à une thermopompe, peut fournir. La difficulté de prendre en compte de manière adéquate la valeur de ces attributs dans le critère est d’estimer la mesure dans laquelle les consommateurs les valorisent dans leurs préférences parmi les options énergétiques concurrentes.
En 2020, l’Electric Power Research Institute a engagé Christensen Associates Energy Consulting pour explorer les méthodes d’estimation des impacts non énergétiques14. Le rapport Christensen a identifié des techniques d’enquête et de statistique pour aider à estimer la valeur que les consommateurs attribuent aux avantages non énergétiques. Deux catégories de méthodes analytiques sont utilisées pour évaluer les préférences des consommateurs pour les attributs non énergétiques associés aux programmes d’électrification. L’analyse des préférences révélées observe le comportement d’achat des clients pour révéler les préférences pour les attributs sous-jacents. L’analyse des préférences déclarées interroge directement les clients pour recueillir des informations sur leurs préférences. Ces informations sont ensuite utilisées dans des analyses statistiques pour estimer les évaluations des consommateurs.
L’étude de Christensen fait référence à quelques études sur l’électrification des maisons qui ont utilisé ces méthodes pour tenir compte des impacts non énergétiques. Une étude évaluant les systèmes de gestion de l’énergie domestique a déterminé dans quelle mesure les consommateurs accordaient de l’importance aux avantages personnels tels que le confort domestique et aux impacts altruistes tels que l’atténuation des changements climatiques. Une autre étude a déterminé que le confort domestique était statistiquement significatif dans les préférences des consommateurs parmi les systèmes de chauffage résidentiels de rechange. L’étude souligne que ce type d’analyse n’a pas été largement appliqué aux programmes d’électrification résidentielle à ce jour et que des problèmes méthodologiques subsistent, suggérant que des recherches supplémentaires sont nécessaires.
OBSTACLES À L’ADOPTION
Bien que le critère de la valeur totale soit destiné aux organismes de règlementation, sa complexité et les défis méthodologiques qui subsistent peuvent le rendre peu attrayant pour de nombreux organismes de règlementation. La difficulté de déterminer au cas par cas les impacts à mesurer constitue un premier défi. L’absence de méthodologies convenues et d’ensembles de données disponibles pour de nombreux impacts ajoute un défi supplémentaire qui peut être un facteur de dissuasion supplémentaire. Même dans les meilleures circonstances, l’organisme de règlementation peut se demander si les résultats de l’analyse seront suffisamment déterminants.
Une autre approche pourrait consister à revenir à la méthodologie largement acceptée dans le Standard Practice Manual pour calculer l’impact du remplacement d’un combustible et appliquer les estimations publiques des coûts évités qui comprennent une estimation du coût marginal du carbone[15]. Les coûts marginaux évités pour les solutions de rechange étudiées incluraient les coûts des services de production (énergie, réserves, capacité) et les coûts des services d’approvisionnement (transport, distribution, facturation, etc.) à la fois pour l’électricité et pour le combustible remplacé.
Il existe un large éventail d’estimations du coût marginal du CO2. Lorsqu’il existe une taxe sur le carbone qui se rapproche du prix du marché pour le CO2, la taxe sur le carbone fournit une approximation pratique du coût marginal du CO2. Dans le cas contraire, un coût marginal du carbone basé sur l’éventail des estimations publiques disponibles suffirait, à condition que la valeur choisie échappe au contrôle de toutes les parties prenantes au processus d’évaluation.
Si des estimations objectives du coût marginal du CO2 sont facilement disponibles et peuvent être utilisées pour évaluer la viabilité d’un projet du point de vue des avantages nets, le coût marginal du CO2 ne peut pas nécessairement être utilisé pour calculer la compensation des parties qui réduisent leur empreinte carbone en passant à l’énergie électrique. Cependant, le propriétaire d’un parc de véhicules qui passe à l’électricité ne reçoit pas nécessairement la valeur de la réduction de CO2 générée par la conversion, mais simplement les économies réalisées sur le coût du diesel, en l’absence d’une taxe sur le carbone évitée. Dans ce cas, une remise pourrait être accordée au propriétaire du parc sous la forme d’une subvention gouvernementale et prise en compte dans l’analyse. Dans l’idéal, le gouvernement percevrait une taxe sur le carbone auprès du client consommateur de diesel et la conversion électrique entraînerait une réduction appropriée des coûts pour le propriétaire du parc. L’évolution des prix des carburants non renouvelables vers une estimation convenue du coût marginal qui inclut une taxe sur le carbone reflétant le coût marginal du CO2 faciliterait l’évaluation des avantages nets des solutions d’électrification[16].
Étant donné que les coûts marginaux de l’analyse proposée sont généralement exhaustifs et souvent le résultat d’années d’étude, qu’ils sont accessibles au public et qu’ils échappent à l’influence des parties à l’évaluation, ils permettent d’éviter de longs débats sur les méthodes de rechange. Néanmoins, il peut y avoir des critiques selon lesquelles les coûts marginaux inclus dans l’étude ne sont pas appropriés ou suffisants pour le projet à évaluer. Les critiques peuvent à juste titre se plaindre de l’absence d’éléments significatifs de coût ou d’avantage, car l’approche élimine ou simplifie l’examen d’une longue liste d’impacts. Cependant, l’organisme de règlementation doit relever le défi d’évaluer les propositions en un temps et à un coût limités. Si l’on met en balance les avantages d’une réduction des délais et des coûts et les avantages d’une méthodologie plus approfondie, on peut penser qu’il devrait incomber à une partie prenante de justifier un écart par rapport à la méthodologie simplifiée. Cependant, lorsque les résultats de l’analyse simplifiée favorisent massivement une option, il est peu probable que l’ajout de plus d’éléments à l’analyse modifie suffisamment les résultats pour favoriser l’autre option.
Des travaux supplémentaires sont nécessaires pour affiner cette approche simplifiée, notamment pour explorer la gamme des valeurs des coûts de CO2 évités, leur applicabilité et leur objectivité, et pour comparer les avantages de l’approche simplifiée avec des analyses plus détaillées assurées par une évaluation du critère de la valeur totale.
QUELLE EST LA PROCHAINE ÉTAPE?
Des stratégies visant à aider les organismes de règlementation, les décideurs politiques et les acteurs de l’industrie dans l’analyse des projets d’électrification continuent d’être développées et évaluées. Cependant, de nombreux organismes de règlementation manquent d’expérience ou d’expertise relativement à ces modèles analytiques émergents, et leur adoption à des fins d’évaluation des programmes d’électrification semble au mieux sporadique. Les parties qui déposent des demandes règlementaires pour l’approbation de programmes d’électrification peuvent et doivent inclure une analyse des avantages et des coûts des projets d’électrification en utilisant les modèles disponibles, qu’une analyse soit exigée ou non par l’organisme de règlementation. Même s’il est peu probable qu’une analyse soit déterminante en soi, et qu’elle fera nécessairement l’objet d’un débat, elle fournit un cadre d’évaluation à l’organisme de règlementation qui doit prendre en compte des objectifs potentiellement concurrents tels que l’accessibilité financière et les politiques de décarbonisation lorsqu’il prend une décision d’intérêt public. Les organismes de règlementation gagneraient à exiger que les demandes relatives à des propositions d’électrification comprennent une analyse appropriée des avantages et des coûts pertinents qui prenne en compte l’effet sur les tarifs des services publics et les coûts ou avantages nets pour la société. De plus, les procédures règlementaires qui suivront permettront d’affiner ces méthodes d’analyse.
* Mark Kolesar est chercheur, auteur et consultant dans le domaine de la règlementation des services publics et de l’élaboration de politiques, et participe fréquemment à des webinaires et à des conférences au Canada et aux États-Unis. Il a été membre de l’Alberta Utilities Commission pendant douze ans, dont six ans à titre de vice-président et deux ans à titre de président. Mark est maintenant directeur principal chez Kolesar Buchanan & Associates Ltd., où il donne des conseils sur les questions de règlementation des services publics. Mark remercie Bruce Chapman de Christensen Associates Energy Consulting pour sa contribution à cet article.
- FortisBC Energy Inc (22 décembre 2023), British Columbia Utilities Commission, G-316-23, en ligne (pdf) : BCUB <www.ordersdecisions.bcuc.com/bcuc/decisions/en/522057/1/document.do> [FortisBC Energy Inc].
- Voir la lettre de Diane Roy adressée à Sara Hardgrave (23 août 2022) concernant l’Application for Acceptance of Demand-Side Management (DSM) Expenditures Plan for the period covering from 2023 to 2027, en ligne (pdf) : <www.cdn.fortisbc.com/libraries/docs/default-source/about-us-documents/regulatory-affairs-documents/electric-utility/220823-fbc-2023-27-dsm-expenditures-bcuc-ir1-response-ff.pdf?sfvrsn=b8bf00ec_2>.
- FortisBC Energy Inc, supra note 1 à la p 4.
- Voir la lettre de FortisBC Energy Inc adressée à la British Columbia Utilities Commission (24 février 2023) 2022 Long Term Gas Resource Plan (LTGRP) ~ Project No. 1599324 FEI Evidentiary Update, en ligne (pdf) : <www.docs.bcuc.com/documents/proceedings/2023/doc_70278_b-20-fei-evidentiary-update.pdf> [Lettre de FortisBC Energy Inc].
- Ibid à la p 1.
- FortisBC Energy Inc, supra note 1 à la p 4.
- Ibid.
- Lettre de FortisBC Energy Inc, supra note 4.
- Ressources naturelles Canada, Stratégie canadienne pour les bâtiments verts, document de travail (juillet 2022) à la p 5, en ligne (pdf) : <www.natural-resources.canada.ca/sites/nrcan/files/engagements/green-building-strategy/CGBS%20Discussion%20Paper%20-%20FR.pdf>.
- California Public Utilities Commission, California Standard Practice Manual: Economic Analysis of Demand-Side Programs and Projects (Californie : Governor’s Office of Planning and Research, 2021).
- Ibid.
- The Brattle Group, « The Total Value Test: A Framework for Evaluating the Cost Effectiveness of Efficient Electrification » (août 2019), Electric Power Research Institute, document no 3002017017, à la p 4, en ligne (pdf) : <www.evtransportationalliance.org/wp-content/uploads/2021/11/2019-EPRI-TVT-paper.pdf>.
- Ibid à la p 38.
- Christensen Associates Energy Consulting, « Estimating Non-Energy Impacts for Utility Load Shaping Programs », (30 novembre 2020), Electric Power Research Institute, Document no 3002018534.
- Cette approche de rechange a été soulevée lors de discussions avec des collègues de Christensen Associates Energy Consulting.
- L’inclusion du coût marginal du carbone dans une taxe sur le carbone nécessiterait une estimation raisonnable du prix du marché, qui change quotidiennement, pendant la durée de la taxe sur le carbone.