Éditorial

Il s’agit du dernier numéro de la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie pour l’année 2023. Plusieurs des articles du présent numéro font le point sur des sujets dont on a traité plus tôt au cours de l’année[1]. Le premier article, et probablement le plus important, porte sur une décision récente de la Cour suprême du Canada. À l’instar d’une décision antérieure de cette même Cour[2], il s’agit d’une nouvelle tentative de définir la compétence du gouvernement fédéral en matière de règlementation énergétique et environnementale par rapport à celle des provinces.

CONTESTATION CONSTITUTIONNELLE

La première grande contestation constitutionnelle liée à l’environnement portait sur la compétence du gouvernement fédéral pour établir une taxe sur le carbone. Dans cette décision, la Cour a estimé que le gouvernement fédéral était compétent. Le résultat a cependant été différent le 13 octobre dernier dans le cadre du Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact (LEI).

En juin 2019, le gouvernement fédéral a promulgué la LEI, qui a remplacé la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012. Cette nouvelle loi a suscité une importante controverse dans l’Ouest canadien qui a conduit le gouvernement de l’Alberta à déposer un renvoi constitutionnel devant la Cour d’appel de l’Alberta.

La LEI a établi un régime de projets désignés en vertu duquel un ministre fédéral peut désigner certains projets ou certaines activités relevant du règlement qui seront automatiquement interdits en vertu de l’article 7 de la Loi s’ils sont susceptibles de causer certains effets relevant de la compétence fédérale, ce que l’on appelle une « interdiction de désignation d’un projet ». L’interdiction de désignation d’un projet reste en vigueur jusqu’à ce que l’organisme fédéral détermine qu’un projet dont la désignation est interdite ne nécessite pas d’étude d’impact ou que le promoteur du projet respecte les conditions imposées à la suite d’une décision d’évaluation d’impact.

Dans le cadre du recours constitutionnel devant la Cour d’appel de l’Alberta, celle-ci a estimé que la LEI et son règlement ne pouvaient être maintenus en vertu d’aucun pouvoir fédéral. La Cour a conclu que la LEI relevait de plusieurs compétences provinciales, notamment la gestion des ressources naturelles, les terres publiques, les travaux et entreprises locaux, ainsi que les droits de propriété et les droits civils.

L’appel interjeté par le gouvernement canadien a été entendu par la Cour suprême du Canada (CSC) en mars 2023. Au total, 29 parties ont été autorisées à intervenir, dont 7 provinces et 22 intervenants non gouvernementaux. Une majorité des juges de la CSC ont estimé que, bien que le régime des projets fédéraux soit constitutionnel, le Parlement avait manifestement outrepassé son autorité constitutionnelle en adoptant le régime des projets désignés. La Cour a estimé que le gouvernement fédéral était libre d’établir une loi environnementale tant qu’elle respectait la répartition des pouvoirs et a invité le gouvernement fédéral à réviser sa loi.

La véritable signification de la décision relative à la LEI est soigneusement analysée dans le premier article de présent numéro par les professeurs Olszynski, Banks et Wright, de l’Université de Calgary. Un deuxième article des professeurs Bankes et Leach signale que le premier ministre de l’Alberta a fait des déclarations trompeuses en interprétant la décision.

Ce débat constitutionnel est loin d’être terminé. On s’attend à ce que le gouvernement fédéral révise la loi et à ce que les tribunaux soient à nouveau saisis sous peu.

RÈGLEMENTATION INTERNATIONALE SUR LE CARBONE

Dans un précédent numéro de la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie, Neil Campbell et ses collègues du cabinet McMillan ont publié un article sur le nouveau mécanisme d’ajustement [des tarifs du] carbone aux frontières de l’Union européenne et son incidence sur le Canada.[3] À l’époque, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) de l’Union européenne venait de faire l’objet d’une loi adoptée le 10 mai 2023.

Les mêmes auteurs ont proposé de faire le point sur ce sujet dans le présent numéro de la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie pour traiter du nouveau règlement adopté à cet égard par l’Union européenne (UE) en août 2023. Ce règlement définit les obligations de déclaration pour les importateurs européens de biens à forte intensité de carbone dans les six secteurs visés par le MACF. Ces six secteurs sont le fer et l’acier, l’aluminium, le ciment, les engrais, l’électricité et l’hydrogène.

Les nouvelles obligations de déclaration sont entrées en vigueur en octobre 2023. Cela signifie que les importateurs de l’UE exigeront désormais des exportateurs canadiens de biens à forte intensité de carbone qu’ils mettent en œuvre des méthodes de surveillance et de déclaration garantissant que les importateurs disposent des renseignements dont ils ont besoin pour respecter leurs obligations règlementaires. Les rapports sur les émissions devront être remis tous les trimestres d’octobre 2023 à décembre 2025, ce que l’on appelle désormais la période de transition.

Le MACF vise à garantir que les marchandises importées ont subi le même niveau de coût du carbone que les marchandises comparables de l’UE. Dans l’UE, le coût est basé sur le prix par unité d’émission dans le cadre du système d’échange de quotas d’émissions de l’UE, qui est actuellement d’environ 82 euros la tonne.

Le MACF tient compte du fait que certains pays ont mis en place leur propre système de tarification du carbone et que les importateurs doivent communiquer des renseignements précis lorsque les pays exportateurs disposent de programmes nationaux de tarification du carbone. Près de 40 pays dans le monde ont mis en place de tels programmes, dont le Canada.

L’avenir de la taxe canadienne sur le carbone n’est pas clair, et ce qu’il adviendra du système canadien de tarification du carbone viendra bien sûr moduler l’effet du MACF au Canada et chez les exportateurs canadiens. Ce domaine du droit restera important. Les lecteurs, en particulier les exportateurs visés par le règlement de l’UE, devraient prendre connaissance du débat et du cadre règlementaire qui ont été soigneusement exposés dans cette série d’articles.

LE DÉBAT SUR LE CRÉDIT D’IMPÔT

L’article suivant fait également suite à un article déjà paru dans notre publication. Dans le dernier numéro, nous avons présenté un article détaillé de Colena Der, de Jake Sadikman et d’Edward Rowe, du cabinet d’avocats Osler, concernant l’avant-projet de loi du Canada sur les crédits d’impôt pour l’énergie propre[4]. Dans le présent numéro, nous vous proposons une analyse plus détaillée à ce sujet de Charles DeLand, directeur associé à l’Institut CD Howe.

Dans son article, M. DeLand examine plus attentivement les crédits d’impôt relatifs au captage du carbone, une technologie qui fait actuellement l’objet d’une grande attention en Alberta, en particulier de la part des exploitants de sables bitumineux.

M. DeLand est très précis dans ses préoccupations concernant les aspects inefficaces de cette nouvelle loi. Il estime notamment que les crédits sont trop limités dans le temps, car ils font l’objet d’une réduction injustifiée. Les crédits sont de 60 % de 2022 à 2030, mais après 2030, ils diminuent de moitié, puis prennent fin en 2041. Selon M. DeLand, ce délai est beaucoup trop court compte tenu du temps nécessaire pour rendre les projets de capture du carbone opérationnels. De plus, il se plaint que la règlementation impose des frais de main-d’œuvre élevés et injustifiés. M. DeLand estime que si le Canada ne peut pas offrir des crédits d’impôt égaux ou supérieurs à ceux que l’administration Biden propose aux États-Unis, peu de projets canadiens seront entrepris dans ce domaine.

TARIFS POUR LES CLIENTS À FAIBLE REVENU

L’article suivant fait suite à un article déjà paru dans la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie. En fait, il s’agit d’une réponse directe de M. Ahmad Faruqui, ancien associé du groupe Brattle à San Francisco, et de deux avocats (Jim Lazar et Richard McCann), à un article de Meredith Fowlie, professeure à l’Institut Haas de l’Université de Californie à Berkeley.[5]

La question qui se pose est celle d’une nouvelle proposition de tarification envisagée par la California Public Utilities Commission (CPUC) pour les clients qui utilisent l’énergie solaire. La CPUC propose des frais fixes modulés en fonction du revenu pour quelque 1 million de ménages qui ont installé des panneaux solaires dans cet État. Ces tarifs pour les clients à faibles revenus ont suscité un débat très animé.

M. Faruqui et ses collègues concèdent qu’il est bien d’aider les consommateurs à faibles revenus, mais que ceux à revenus plus élevés qui utilisent l’énergie solaire verront leur facture augmenter de manière injuste. Certains subiront des augmentations allant jusqu’à 150 %. Les auteurs de cet article affirment également que les clients économes en énergie seront pénalisés.

Cet article porte sur une question de politique générale qui est aussi pertinente au Canada qu’aux États-Unis. Les lecteurs se souviendront que la compagnie d’électricité qui dessert la majeure partie de la Nouvelle-Écosse a récemment été confrontée à un conflit majeur avec le gouvernement et les consommateurs de cette province sur cette question.

Il convient également de noter qu’il est de plus en plus largement admis qu’une augmentation de la production d’énergie solaire pourrait être l’une des solutions les moins coûteuses pour réduire l’empreinte carbone du Canada. Les prix ont chuté de façon spectaculaire, il n’y a pratiquement aucun risque technologique et le coût de nouvelle transmission est moins élevé que celui de nombreuses autres solutions énergétiques.

Le débat politique sur la production d’énergie solaire n’est pas près de s’éteindre. Cet article fournit une analyse importante du problème qui se pose en Californie et dans d’autres États. On peut en dire autant de l’article déjà paru dans notre publication, rédigé par Meredith Fowlie, l’une des principales économistes de l’énergie aux États-Unis.

RÈGLEMENTATION FÉDÉRALE DE L’ÉNERGIE

Le dernier article de ce numéro de notre publication remet franchement en question les dépenses massives du gouvernement fédéral pour différents projets d’énergie renouvelable dans le cadre de ce que l’on appelle désormais la « transition énergétique ». L’article se présente sous la forme d’une critique du dernier rapport[6] de l’organisme fédéral de règlementation de l’énergie du Canada, connu sous le nom de Régie de l’énergie du Canada (REC). L’auteur, Ron Wallace, est un ancien membre de l’Office national de l’énergie, l’organisme fédéral que la REC a remplacé en 2019.

Ron Wallace estime que la REC ne fait pas son travail et que les Canadiens vont en payer le prix fort, car le gouvernement fédéral prend toutes les décisions et que la Commission n’a plus de rôle sérieux à jouer.

L’article commence par une critique de la structure de la REC, qui était unique à l’époque. Le nouvel organisme de règlementation de l’énergie, contrairement au précédent, dispose d’un conseil d’administration en plus d’un comité d’arbitrage. L’argument de l’époque, qui se répète aujourd’hui, est que les organismes de règlementation perdent leur indépendance lorsque cette double structure est imposée.

Certains diront que dans les provinces de la Colombie-Britannique, de la Saskatchewan, du Manitoba, du Québec et du Nouveau-Brunswick, où une entreprise de services publics détenue par le gouvernement mène la danse, il y a peu d’indépendance en matière de règlementation. La seule exception est la Nouvelle-Écosse, où le président du conseil d’administration a un mandat à vie identique à celui d’un juge. M. Wallace affirme cependant, à juste titre, que cette structure a des conséquences plus importantes lorsqu’elle est appliquée au seul organisme de règlementation fédéral qui est récemment devenu responsable des programmes nationaux massifs de réduction des émissions de carbone dans le cadre de la transition énergétique.

Cet argument structurel n’est pas nouveau. L’auteur a soulevé ce point avec l’ancien président du conseil d’administration de l’Alberta Utility Commission et un autre ancien membre de l’Office national de l’énergie (ONE) dans un article déjà paru dans la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie[7].

L’auteur souligne que la première préoccupation de tout organisme de règlementation indépendant est d’éviter une mainmise sur la règlementation par ceux qui font partie de la communauté qu’il règlemente. Il soulève toutefois la question suivante : Que se passe-t-il lorsque la mainmise sur la règlementation provient du gouvernement lui-même?

Les investisseurs, les analystes et les décideurs en étaient venus à compter sur l’ONE pour obtenir des analyses factuelles et indépendantes de l’intérêt national, qui ne soient pas entachées par les orientations politiques du gouvernement ou les intérêts économiques directs de l’industrie. Le rapport de 2023 de la REC sur l’avenir énergétique du Canada remet en cause tous ces principes en supposant de manière non critique que les politiques fédérales visant à atteindre la carboneutralité d’ici 2050 sont non seulement souhaitables, mais aussi techniquement et économiquement réalisables.

En élaborant un rapport « avec l’objectif final à l’esprit », la REC semble avoir contourné une exigence essentielle en tant qu’agence d’experts, à savoir évaluer d’abord la validité des hypothèses fondamentales qui sous-tendent la modélisation. On peut se demander si beaucoup d’hypothèses et conclusions du rapport ont fait l’objet d’un examen critique avant que les hypothèses relatives aux scénarios de carboneutralité ne soient acceptées : « d’aider les Canadiens et Canadiennes, ainsi que les décideurs, à se représenter un monde carboneutre ».

On peut soutenir que l’évaluation de l’intérêt national devrait se fonder sur d’autres facteurs que la réduction des émissions. Il faut prendre en considération des méthodologies viables, économiques et réalisables pour une économie énergétique « de transition » afin de maintenir ou d’améliorer notre niveau de vie. Cela est d’autant plus vrai qu’une part importante de l’économie mondiale de l’énergie semble s’orienter dans des directions qui rendent très problématique la réalisation d’une économie mondiale de carboneutralité.

Dans la conclusion de son article, M. Wallace pose deux questions pertinentes :

  1. Un organisme de règlementation national devrait-il se concentrer sur « le défi que représente l’élimination nette des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050 » et sur les questions liées à « l’intégration des objectifs du Canada en matière d’énergie, d’économie et de climat » et « l’objectif final d’élimination nette des émissions de gaz à effet de serre (GES) en 2050 » [traduction], ou devrait-il chercher à donner aux Canadiens une vision claire des coûts et des conséquences réels de ces politiques?
  2. Est-il approprié qu’un organisme national de règlementation de l’énergie accepte que le gouvernement lui demande d’envisager une économie de l’énergie qui est grandement réduite, voire dépourvue, de production d’hydrocarbures, tout en semblant ignorer les réalités internationales et économiques en matière de sécurité énergétique? Cette approche semble ignorer, ou du moins diminuer, la réalité selon laquelle les pays du G20 sont de plus en plus confrontés à des préoccupations au sujet de la science fondamentale et de la faisabilité d’atteindre la carboneutralité. On peut soutenir que toute considération de l’intérêt national canadien devrait englober des considérations parallèles de solutions stratégiques réalisables.

Ron Wallace conclut son article en disant ce qui suit :

La détermination de l’intérêt national canadien en matière d’énergie nécessitera des efforts intellectuels soutenus de la part d’experts libérés des contraintes liées aux aspirations politiques des gouvernements. Le défi fondamental auquel sont confrontés non seulement la REC, mais aussi tous les Canadiens, est d’avoir accès à des conseils d’experts, équilibrés et complets sur les coûts et les conséquences des politiques de carboneutralité proposées — avec des évaluations parallèles et équilibrées des solutions de rechange possibles. Ces questions, concernant la pertinence, la crédibilité et l’indépendance, sont les véritables défis que doit relever notre REC « modernisée ».

Cet article mérite d’être lu attentivement. Ron Wallace a raison d’affirmer que la transition énergétique, comme on l’appelle aujourd’hui, est devenue un vaste exercice de planification centralisée dont beaucoup s’interrogent sur l’ampleur réelle. Dans de nombreux pays, dont le Canada, la transition énergétique est devenue une énorme manne financière. Dans ce type d’environnement, un organisme de règlementation de l’énergie indépendant est une institution essentielle.

 

  1. Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact, 2023 CSC 23.
  2. Renvoi relatif à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, 2021 CSC 11.
  3. Neil Campbell, Talia Gordner, Lisa Page et Adelaide Egan, « Nouveau mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’UE : répercussions au Canada et ailleurs » (octobre 2023) 11:3 Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie, en ligne : ERQ <energyregulationquarterly.ca/fr/articles/the-eus-new-carbon-border-adjustment-mechanism-in-action-impacts-on-canada-and-beyond>.
  4. Colena Der, Jake Sadikman et Edward Rowe, « Le Canada publie un avant-projet de loi sur les crédits d’impôt pour l’énergie propre » (octobre 2023) 11:3 Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie, en ligne : ERQ <energyregulationquarterly.ca/fr/articles/canada-issues-draft-legislation-on-tax-credits-for-clean-energy>.
  5. Meredith Fowlie, « Nouvelle réforme des tarifs de l’électricité en Californie » (août 2023) 11:2 Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie, en ligne : ERQ <energyregulationquarterly.ca/fr/articles/new-electricity-rate-reform-in-california>.
  6. « Avenir énergétique du Canada en 2023 » (2023), en ligne (pdf) : REC <www.cer-rec.gc.ca/fr/donnees-analyse/avenir-energetique-canada/2023/avenir-energetique-canada-2023.pdf>.
  7. Rowland Harrison, Neil McCrank et Ron Wallace, « La structure de la Régie de l’énergie du Canada : un nouveau modèle de gouvernance des tribunaux de règlementation de l’énergie discutable? » (avril 2020) 8:1 Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie, en ligne : ERQ <energyregulationquarterly.ca/fr/articles/the-structure-of-the-canadian-energy-regulator-a-questionable-new-model-for-governance-of-energy-regulation-tribunals>.

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