Le débat sur les changements climatiques est souvent obscurci par des allégations extrêmes, parfois empreintes de zèle, d’intolérance et de déni. Les positions extrêmes, de part et d’autre, peuvent dépasser les limites d’une discussion intelligente des faits, où les véritables enjeux se perdent dans la confusion et où il devient plus difficile de déterminer les voies à suivre. De plus, certaines allégations peuvent comporter un élément superficiel de raisonnabilité ou un appel intuitif qui ne résiste tout simplement pas à un examen plus approfondi.
BETWEEN DOOM & DENIAL: Facing Facts About Climate Change d’Andrew Leach est une contribution précieuse au maintien du débat sur les changements climatiques, en particulier dans le contexte canadien. L’ouvrage ne propose pas de marche à suivre particulière, comme le titre principal BETWEEN DOOM & DENIAL (entre le pessimisme et le déni) pourrait le laisser entendre. Sa teneur est plutôt décrite dans le sous-titre : Facing Facts About Climate Change (constater les faits sur les changements climatiques). Pour reprendre les mots de M. Leach, le livre [traduction] « s’attaque à une série de… demi-vérités, de mensonges par omission et de demi-excuses plutôt audacieuses que nous, Canadiens, répétons lorsque nous parlons des changements climatiques »[1].
Les qualifications et l’expérience de Leach sont éminemment à la hauteur de la tâche. Titulaire d’un doctorat en économie et d’un baccalauréat ès sciences en sciences de l’environnement, il occupe un poste au Département d’économie et à la Faculté de droit de l’Université de l’Alberta. En 2015, il a présidé le Climate Leadership Panel (groupe d’experts sur le climat) de l’Alberta, dont les recommandations ont servi de base à l’établissement du Climate Leadership Plan (plan de leadership climatique) mis en œuvre en Alberta.
Dans les premiers chapitres de BETWEEN DOOM & DENIAL, M. Leach se penche sur plusieurs assertions répandues au sujet des répercussions des changements climatiques pour le Canada qui, à son avis, ne résistent pas à un examen minutieux. Bien qu’il n’utilise pas le mot « mythe », il fait valoir de façon convaincante que c’est exactement ce qu’elles sont.
Dans le chapitre 2, M. Leach aborde le point de vue exprimé par certains selon lequel les changements climatiques ne seront pas aussi dommageables qu’envisagé et que la société peut s’y adapter. Il souligne toutefois qu’il existe trois solutions possibles pour faire face aux changements climatiques – les atténuer, s’y adapter et les subir — et adopte l’argument éloquent présenté par le directeur du Bureau de la politique scientifique et technologique de la Maison-Blanche, sous le gouvernement Obama, voulant que [traduction] « plus nous prenons des mesures d’atténuation, moins il devient nécessaire de nous adapter et moins il y aura de souffrances »[2]. De plus, bien que les stratégies d’adaptation puissent être utiles dans certains cas (par exemple, éventuellement avec la substitution de cultures vivrières), certains des effets négatifs les plus importants ne pourront être évités que par l’atténuation.
Dans les quatre chapitres suivants, M. Leach se penche sur des allégations douteuses qui sont propres à la situation du Canada, la première étant que le Canada, en tant que pays froid, pourrait profiter des changements climatiques, qui offriraient de nouvelles possibilités dans les domaines de l’agriculture et de l’exploitation pétrolière, gazière et minérale dans l’Arctique, en plus d’augmenter [traduction] « le confort personnel de vivre dans un climat plus favorable »[3]. Qualifiant la prémisse du pays froid d’« insidieuse », il souligne que, bien que le froid puisse offrir une certaine protection contre les pires effets de l’élévation des températures, les changements climatiques entraîneront également la fonte du pergélisol, l’élévation du niveau de la mer, une multiplication des vagues de chaleur et une augmentation des conditions météorologiques propices aux incendies forestiers.
M. Leach traite ensuite de la résistance aux mesures d’atténuation des changements climatiques parce que le Canada est responsable de moins de 2 % des émissions mondiales. Le rejet de l’argument par M. Leach repose à la fois sur la « contribution importante et historique du Canada aux changements climatiques » et sur le fait que, avec des émissions par habitant environ trois fois plus élevées que la moyenne mondiale, [traduction] « le Canada aggrave le problème des changements climatiques »[4].
Dans le chapitre consacré à la discussion de l’avenir de l’industrie pétrolière et gazière canadienne dans le contexte de la lutte contre les changements climatiques, M. Leach conclut que le prix que chacun est prêt à payer pour les combustibles fossiles importera beaucoup plus que la quantité de pétrole et de gaz utilisée : [traduction] « Tant et aussi longtemps que les gens seront prêts à payer suffisamment pour le pétrole et le gaz, la production canadienne restera vraisemblablement plus résiliente que vous ne le pensez face aux mesures nationales et mondiales de lutte contre les changements climatiques »[5]. Il propose l’argument convaincant d’un collègue économiste de l’Université de Calgary : [traduction] « Il existe un argument raisonnable selon lequel, si un dernier baril de pétrole est produit en Amérique du Nord, il proviendra [des sables bitumineux] à moins que la politique gouvernementale ne décide de renoncer activement à cette possibilité économique »[6].
En ce qui concerne le rôle des énergies renouvelables, en particulier l’énergie solaire, M. Leach fait remarquer que le défi n’est pas tant que le soleil ne brille pas la nuit, mais plutôt l’hiver (comme en témoigne le récent accrochage de l’Alberta avec la menace de pannes d’électricité). Les panneaux solaires produiront la moitié moins d’énergie au plus fort de l’hiver, lorsque la demande d’électricité au Canada atteint un sommet, qu’au cours des mois d’été. De nouvelles infrastructures de transport d’électricité de grande envergure seront nécessaires, mais le transport [traduction] « pourrait être la composante la plus importante d’un réseau électrique à faibles émissions de carbone et pourtant, celle dont on discute le moins »[7].
La dissection que fait M. Leach de ces « demi-vérités et excuses astucieuses » est en soi une contribution importante au débat sur les changements climatiques. La véritable valeur de BETWEEN DOOM & DENIAL se trouve toutefois dans son avant-dernier chapitre, qui traite des défis de la planification d’une « transition juste ». L’accent est mis sur le caractère unique sans précédent de ces défis :
[Traduction]
La transition économique sera pénible : il y aura des bouleversements, des difficultés régionales et des personnes qui ne s’en relèveront jamais.
***
Les promesses d’une transition juste vont se heurter à deux dures réalités. Premièrement, l’industrie de l’énergie fossile, et en particulier le secteur du pétrole et du gaz, est beaucoup plus vaste et diversifiée que d’autres industries auxquelles les gouvernements canadiens ont tenté de fournir un soutien traditionnel. Deuxièmement, une transition imposée par la politique pour abandonner le pétrole et le gaz est différente des autres transitions économiques que nous avons traversées au Canada en raison des salaires élevés que gagnent les travailleurs du secteur pétrolier et gazier, des revenus importants que l’extraction pétrolière et gazière procure au gouvernement et du potentiel très réel des signaux du marché pour contrecarrer la planification de la transition du gouvernement[8].
Diverses expériences canadiennes et internationales sont souvent considérées comme des « précédents » qui peuvent guider l’approche du Canada pour relever le défi, y compris le moratoire sur la morue de l’Atlantique, l’élimination progressive en Alberta et en Ontario de la dépendance au charbon pour la production d’électricité et l’élimination progressive du secteur pétrolier et gazier du Danemark. Bien que ces expériences puissent offrir une certaine orientation, le message de M. Leach est que leur véritable valeur est d’aider à déterminer le caractère unique du défi d’une « transition juste » dans le contexte canadien.
BETWEEN DOOM & DENIAL est une contribution précieuse et rafraîchissante au processus visant à relever ce défi.
- Andrew Leach, « BETWEEN DOOM & DENIAL », à la p 1.
- Ibid à la p 8.
- Ibid à la p 14, en citant l’ancien ministre fédéral des Finances et des Ressources naturelles, Joe Oliver.
- Ibid à la p 27.
- Ibid à la p 55.
- Ibid à la p 47, en citant G. Kent Fellows, « Last Barrel Standing? Confronting the Myth of ‘High-Cost’ Canadian Oil Sands Production » (20 décembre 2022) commentaire 635, en ligne (pdf) : Institut C. D. Howe <www.cdhowe.org/sites/default/files/2022-12/Commentary_635.pdf>.
- Ibid à la p 65.
- Ibid à la p 72.