Ce que la Cour suprême a réellement dit dans le Renvoi relatif à la LEI1

Le 13 octobre, la Cour suprême du Canada a rendu son avis dans le Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact (Renvoi relatif à la LEI)[2]. S’exprimant au nom d’une majorité de 5 contre 2 (les juges Mahmud Jamal et Andromache Karakatsanis étant dissidents), le juge en chef Richard Wagner a estimé que ce que l’on appelle le régime d’examen des « projets désignés » (ou « grands projets » dans le vocabulaire courant) de la Loi sur l’évaluation d’impact (LEI)[3] est inconstitutionnel. Ce commentaire de jurisprudence expose ce qui est constitutionnel et ce qui ne l’est pas dans le régime de la LEI. Nous commençons par clarifier le statut juridique actuel de la Loi. Nous exposons ensuite les principes — après le Renvoi relatif à la LEI — de la compétence fédérale et provinciale en matière d’environnement en général, puis en ce qui concerne l’évaluation d’impact en particulier. Nous examinons ensuite les vices constitutionnels propres à la LEI constatés par la majorité, les implications de ces vices et les remèdes possibles. Nous concluons par quelques observations concernant la pertinence du Renvoi relatif à la LEI pour les futurs débats constitutionnels sur la réglementation fédérale en matière d’électricité propre et sur le plafonnement des émissions de gaz à effet de serre pour le pétrole et le gaz naturel.

LE STATUT JURIDIQUE ACTUEL DE LA LEI ET DE SON RÈGLEMENT

Le Renvoi concernait une affaire introduite par le gouvernement de l’Alberta, ce qui signifie que la Cour n’a pas annulé la LEI (il faudrait pour cela que la Loi soit effectivement contestée, p. ex. par un promoteur de projet assujetti à la LEI). Les renvois fournissent l’opinion de la Cour sur des questions juridiques précises plutôt qu’une détermination définitive de validité juridique. Cela signifie que le régime de la LEI, tel qu’il est actuellement rédigé, s’applique toujours dans l’ensemble du Canada. Cela dit, les promoteurs peuvent s’attendre à ce que l’Agence d’évaluation d’impact du Canada (l’Agence) se penche à court terme sur les modifications nécessaires découlant de la mise en œuvre de la décision de la Cour, et à ce que le gouvernement fédéral apporte des modifications à la Loi dès que cela sera raisonnablement possible (comme il est indiqué plus loin, les modifications nécessaires semblent relativement gérables). Bien qu’il soit possible qu’un promoteur cherche à faire annuler la LEI dans l’intervalle, nous pensons qu’un tribunal accepterait la demande du gouvernement fédéral de suspendre tout litige de ce type pendant une période raisonnable, le temps que ces modifications soient mises en œuvre.

COMPÉTENCE EN MATIÈRE D’ENVIRONNEMENT APRÈS LE RENVOI RELATIF À LA LEI

Dans ce qui suit, nous énumérons un certain nombre de propositions qui peuvent maintenant être considérées comme du droit établi en ce qui concerne la compétence en matière d’environnement en général en vertu de la Constitution du Canada. Chaque principe ou énoncé cite le(s) passage(s) pertinent(s) du Renvoi relatif à la LEI. Les chiffres sont les nôtres. Les lecteurs qui ne sont pas familiers avec la répartition des pouvoirs législatifs entre les gouvernements fédéral et provinciaux sont invités à regarder d’abord cette brève vidéo de trois minutes[4], et à prendre connaissance d’une publication antérieure d’ABlawg[5] par l’un d’entre nous.

  1. Le terme « environnement » ne figure nulle part dans la Loi constitutionnelle de 1867[6]. En revanche, chaque ordre de gouvernement peut adopter des lois relatives à l’environnement par l’intermédiaire de ses autres pouvoirs législatifs (également appelés chefs de compétence) énumérées dans la Loi. La responsabilité de la protection de l’environnement est donc partagée et comprend des chevauchements considérables (voir la figure 1, ci-dessous). Ce partage des responsabilités n’est ni inhabituel ni irréalisable[7].

    Figure 1 : Compétences (partagées et qui se chevauchent) en matière d’environnement

  2. Les gouvernements fédéral et provinciaux peuvent, dans certaines circonstances, exercer un pouvoir législatif sur la même situation de fait, activité ou le même projet. La « doctrine du double aspect » permet de réglementer le même ensemble de faits sous différents angles ou aspects, le gouvernement fédéral utilisant les compétences relevant de l’article 91 et les gouvernements provinciaux utilisant les compétences relevant des articles 92 ou 92A (voir la figure 2 ci-dessous)[8]. En cas de conflit ou d’incompatibilité entre les lois fédérales et provinciales, la loi fédérale prévaudra sur la base de la doctrine de la prépondérance (il n’y a pas eu de discussion directe sur la prépondérance dans le Renvoi relatif à la LEI, mais cette proposition découle de nombreuses sources, y compris, plus récemment, les Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre[9]).

Figure 2 : La théorie du double aspect – Une situation de fait, deux aspects

  1. Quelques chefs de compétence (paragraphes 92A(3) — exportation de ressources hors des provinces) 92A(4) — taxation des ressources naturelles non renouvelables, des ressources forestières et de la production d’électricité, et article 95 — agriculture dans la province et immigration dans la province) sont — exceptionnellement — attribués aux deux ordres de gouvernement[10].
  2. Les pouvoirs législatifs (chefs de compétence) diffèrent par leur nature et leur portée. Par conséquent, la mesure dans laquelle un pouvoir peut être utilisé pour répondre aux préoccupations environnementales varie d’un pouvoir à l’autre. Certains chefs de compétence se rapportent à des activités, d’autres à des ressources, d’autres encore englobent à la fois les ressources et les activités en fonction de la situation. Ces distinctions peuvent servir de descripteurs pratiques, même si elles n’expliquent pas entièrement la portée du chef de compétence[11].
  3. Les projets relevant principalement de la compétence provinciale (souvent appelés « projets provinciaux ») ne sont pas à l’abri d’une législation fédérale valide. Toutefois, lorsqu’une activité est principalement réglementée par un ordre de gouvernement, la loi visant la même activité par l’autre ordre doit être adaptée aux aspects qui relèvent de sa compétence[12].

COMPÉTENCES RELATIVES À L’ÉVALUATION D’IMPACT APRÈS LE RENVOI RELATIF À LA LEI

Dans cette partie, nous exposons les règles qui s’appliquent à l’évaluation d’impact fédérale après le Renvoi relatif à la LEI.

  1. Les gouvernements fédéral et provinciaux ont le pouvoir constitutionnel d’adopter des régimes d’évaluation d’impact[13].
  2. Le Parlement peut s’appuyer sur une liste de projets présomptifs (c.-à-d. une liste de projets qui relèvent de la Loi). Cette liste de projets peut comprendre des projets qui sont entièrement à l’intérieur d’une province et qui sont principalement réglementés par celle-ci, comme une mine de sables bitumineux ou une route, s’ils sont susceptibles de causer des effets que le gouvernement fédéral pourrait adéquatement réglementer. Ces effets n’ont pas besoin d’être certains à cette étape de l’inscription. La logique de l’évaluation d’impact comme outil de planification, conjuguée au principe de précaution, permet la désignation de projets en fonction de leurs effets potentiels[14].
  3. Lorsqu’il s’agit de décider si une évaluation d’impact doit être requise (ce qu’on appelle une décision d’examen préalable), il faut accorder la priorité à la possibilité qu’il y ait des effets fédéraux négatifs par rapport à d’autres considérations[15].
  4. Une fois déclenchée, l’évaluation d’impact subséquente peut être exhaustive. Il n’y a rien d’inconstitutionnel dans la portée actuelle de l’évaluation en vertu du régime de la LEI, y compris la liste des facteurs pertinents pour l’évaluation en vertu de l’article 22 de la LEI. À l’étape de l’évaluation, il importe peu que le projet évalué relève principalement de la compétence fédérale ou provinciale[16].
  5. À l’étape de la prise de décisions, la nature des chefs de compétence fédéraux pertinents est importante. En ce qui concerne les activités fédérales (p. ex. une compagnie de chemin de fer interprovinciale ou un pipeline), le décideur peut prendre une décision intégrée qui tient compte à la fois des effets négatifs fédéraux et des effets non fédéraux envisagés dans la LEI Par conséquent, la décision pourrait être fondée « sur une variété de préoccupations environnementales et socioéconomiques, y compris une préoccupation générale pour la durabilité[17]». Cependant, en ce qui concerne la compétence sur une ressource, la décision doit rester axée sur les effets du projet ou de l’activité sur cette ressource (p. ex. le poisson et l’habitat du poisson)[18]. Nous avons plus à dire sur cet aspect de la décision ci-dessous.
  6. Le Parlement ne dispose pas actuellement d’une compétence étendue en matière de pollution interprovinciale, pas plus qu’il n’a établi une compétence étendue en matière d’émissions de gaz à effet de serre (GES). La jurisprudence antérieure a reconnu (i) la pollution marine par immersion en mer, (ii) la pollution des rivières interprovinciales et (iii) les normes nationales minimales pour la tarification du carbone (GES) comme des questions d’intérêt national en vertu du pouvoir résiduel du Parlement d’édicter des lois pour « la paix, l’ordre et le bon gouvernement » (POBG) du Canada en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867. Le Parlement doit se conformer au critère révisé énoncé dans les Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre[19], afin d’établir un nouveau sujet d’intérêt national[20].
  7. Le Parlement peut, à des fins pratiques, interdire temporairement aux promoteurs de causer un impact ou un changement à des aspects de l’environnement relevant de la compétence fédérale, tels que la pêche, la navigation et le transport maritime, les oiseaux migrateurs, les peuples autochtones et les terres qui leur sont réservées (c.àd. pendant les phases de planification et d’évaluation). Cependant, ces interdictions sont trop larges pour être permanentes (c.àd. lorsqu’une décision d’intérêt public négatif est prise à l’égard du projet). En ce qui concerne la compétence pour les pêches, les peuples autochtones et les oiseaux migrateurs, toute interdiction permanente doit viser à prévenir les dommages (ou les effets néfastes)[21].

LACUNES, RÉPERCUSSIONS ET RECOURS CONSTITUTIONNELS DE LA LEI

La majorité a estimé que la LEI était inconstitutionnelle pour deux raisons essentielles[22]. Premièrement, elle n’est pas suffisamment axée sur les effets environnementaux relevant de la compétence fédérale : les phases d’examen préalable et de prise de décision devaient être plus étroitement liées à ces effets[23]. Deuxièmement, la définition d’« effets relevant de la compétence fédérale » est trop large, en ce sens qu’elle inclut des effets interprovinciaux qui ne sont pas actuellement reconnus comme des questions d’intérêt national, et qu’elle entraîne des interdictions permanentes d’une portée inadmissible lorsqu’une décision négative est prise à l’égard d’un projet[24].

À notre avis, à l’exception de l’étape de la prise de décisions, il semble assez clair comment le gouvernement fédéral peut répondre aux préoccupations soulevées par la Cour. Il ne devrait pas être difficile pour le Parlement de modifier les dispositions relatives à l’examen préalable afin de veiller à ce que les effets négatifs du gouvernement fédéral soient pris en compte avant tout, ce que le Canada soutenait être sa pratique de toute façon[25] (voir par exemple le paragraphe 8(2) de la Loi sur les parcs nationaux du Canada[26], où la question d’« intégrité écologique » est la principale considération dans la gestion des parcs). De même, il devrait être relativement facile de modifier l’interdiction potentiellement permanente prévue à l’article 7 de la LEI pour interdire « tout changement ou effet » afin d’interdire les dommages ou les effets négatifs.

En ce qui concerne les émissions de GES ou la compétence générale à l’égard des répercussions transfrontalières d’un projet, le Canada n’a pas soutenu qu’il s’en servait comme fondement pour ancrer la compétence fédérale sur les grands projets[27]. À notre avis, c’était une occasion ratée de développer ce domaine du droit, mais la majorité n’a pas complètement fermé la porte à la possibilité qu’un argument plus complet sur l’effet des impacts transfrontaliers, circonscrit de façon appropriée, pourraient relever d’une nouvelle catégorie d’intérêt national. Le gouvernement fédéral devra maintenant se demander s’il est prêt à défendre sa cause devant les tribunaux.

Les modifications apportées à la phase décisionnelle pourraient s’avérer les plus difficiles dans la mesure où, sauf respect, nous éprouvons quelques difficultés à suivre le raisonnement de la majorité. Par exemple, la majorité semble suggérer, dans un premier scénario, que lorsque le gouvernement fédéral considère qu’un projet (p. ex. un projet minier) ayant des effets négatifs fédéraux (p. ex. sur le poisson et son habitat) est toujours dans l’intérêt public, le gouvernement fédéral pourra imposer des conditions qui « viseraient clairement à protéger les pêches par des mesures d’atténuation, des programmes de suivi ainsi que toute autre condition que le ministre estime indiquée[28] ». D’autre part, dans un deuxième scénario, si le ministre fédéral concluait que les effets négatifs sur les pêcheries n’étaient pas dans l’intérêt public, la majorité semble suggérer qu’une décision fédérale de rejeter un tel projet serait en quelque sorte inadmissible au motif que le gouvernement prendrait une décision sur la durabilité globale du projet. Il se peut que nous n’ayons pas saisi le raisonnement de la majorité en formulant ce point particulier, voici donc le paragraphe pertinent :

Dans le second scénario, le décideur détermine […] si les effets globaux du projet désigné nuiront à la durabilité. « Compte tenu » de cet impact négatif, le décideur conclurait […] l’impact cumulatif sur les pêches ne serait pas dans l’intérêt public. L’idée maîtresse de la décision et la force de la réglementation fédérale ne seraient plus portées par l’aspect pêcheries de la mine; l’aspect pêcheries serait plutôt intégré à la prise en compte de la durabilité globale du projet, un concept abstrait qui, au même titre que l’« environnement », est « au sens constitutionnel, une matière obscure ». Cela ne signifie pas qu’il ne faut jamais tenir compte de la durabilité dans une évaluation d’impact. Au contraire, la durabilité est un principe directeur général de ce régime qui donne au processus d’évaluation d’impact une perspective à plus long terme dans l’intérêt des « générations actuelles et futures » (art. 2 « durabilité »). La crainte dans ce second scénario hypothétique est que l’existence d’un préjudice potentiel aux pêches serve de canal à la prise d’une décision sur l’intérêt public dans l’ensemble du projet. Donc, au lieu de mettre l’accent sur les pêcheries, la décision du ministre s’attache principalement à la réglementation du projet en tant que tel sur la base de sa durabilité globale[29].

Sauf respect, cette position semble rétrograde. La position de départ doit être que le gouvernement fédéral a le droit de conclure que les répercussions du projet sur les pêches et les espèces aquatiques ne sont pas dans l’intérêt public. Un tel résultat est certainement constitutionnel; en fait, la Loi sur les pêches[30] actuelle interdit généralement la détérioration, la destruction ou la perturbation de l’habitat du poisson[31] ainsi que le dépôt de substances nocives dans les eaux fréquentées par le poisson ou dans tout endroit où il peut pénétrer dans ces eaux[32]. Ces impacts peuvent être autorisés par le ministre ou par des règlements, mais ni le ministre ni le Cabinet ne sont tenus de le faire. Du point de vue de la protection des pêches, la décision la plus proche consiste à n’accepter ces impacts que s’ils sont atténués dans la mesure du possible et si les effets résiduels (c.-à-d. ceux qui ne peuvent pas être atténués) sont considérés comme valables, à savoir pour les projets considérés comme ayant la plus grande valeur. Bien que certains gouvernements puissent privilégier les gains économiques à court terme par rapport à la durabilité à long terme, nous soupçonnons que d’autres ne le font pas, et nous sommes enclins à nous rallier à l’opinion dissidente sur ce point[33].

Un autre élément essentiel manquant dans cette partie — et en fait dans la majeure partie de l’opinion — est le traitement approprié du paragraphe 91(24) « Les Indiens et les terres réservées pour les Indiens ». Ce chef de compétence ne concerne ni une ressource ni une activité. Il s’agit d’un pouvoir législatif en rapport avec (1) les peuples autochtones, une « responsabilité constitutionnelle principale pour assurer le bien-être » des peuples autochtones[34] et (2) les terres réservées aux peuples autochtones (qui comprennent toutes les terres détenues en vertu d’un titre autochtone)[35].

La majorité s’est empressée de distinguer la prise de décision relative à une activité de la prise de décision relative à une ressource, la première étant globale alors que la seconde ne l’est pas. Ici, la majorité semble être attirée, mais peut-être pas complètement, par la théorie de Kennett sur la compétence environnementale globale et restreinte[36]. Cependant, la majorité n’a rien dit sur ce que signifie l’accent mis sur les effets fédéraux lorsque de multiples ressources relevant de la compétence fédérale (p. ex. les eaux navigables, les pêches, les rivières interprovinciales et les oiseaux migrateurs) sont affectées, de même que les peuples autochtones. En toute logique, plus les effets fédéraux négatifs sont nombreux, plus il semblerait constitutionnellement admissible d’examiner l’opportunité d’un projet en tant que tel.

En résumé, donc, et de façon générale, le Renvoi relatif à la LEI laisse entendre que le point constitutionnel idéal pour l’évaluation d’impact fédérale se situe quelque part entre l’ancien régime de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale[37] et le régime de la Loi sur l’évaluation d’impact tel qu’il existe actuellement.

PERSPECTIVES D’AVENIR : RÈGLEMENT SUR L’ÉLECTRICITÉ PROPRE ET PLAFONNEMENT DES ÉMISSIONS DE GES PROVENANT DU PÉTROLE ET DU GAZ

D’un certain point de vue, le Renvoi relatif à la LEI a peu d’incidence directe sur la constitutionnalité du projet de Règlement sur l’électricité propre[38] et du projet de règlement sur le plafonnement des émissions de GES provenant du pétrole et du gaz. En effet, le gouvernement fédéral semble s’appuyer sur un chef de compétence fédéral totalement différent pour ces projets de règlement : le paragraphe 91(27) — la compétence relative à la loi criminelle. Cependant, contrairement à certains discours politiques[39], cela ne signifie pas que ces règlements feront partie du Code criminel du Canada[40]. La Cour suprême a plutôt reconnu depuis longtemps que le paragraphe 91(27) se réfère à la loi criminelle au sens large. Par conséquent, ce chef de compétence a été utilisé pour confirmer diverses lois et divers règlements, y compris les interdictions sur la publicité pour le tabac[41], la communication d’information génétique[42] et les régimes des « substances toxiques » en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement[43]. Le gouvernement conservateur de l’ancien premier ministre Stephen Harper a désigné les émissions de GES comme des substances toxiques dans le cadre de ce régime, et tant la Cour fédérale que la Cour d’appel fédérale ont depuis confirmé la constitutionnalité du Règlement sur les carburants renouvelables[44] adopté par la suite, qui imposait une teneur minimale en carburant renouvelable afin de réduire les émissions de GES, sur la base de la même loi fédérale[45]. C’est également ce chef de compétence qui soutient de nombreux règlements fédéraux existants en matière d’émissions de GES, comme ceux axés sur les émissions des véhicules et la pollution causée par les centrales au charbon.

D’un autre point de vue, le ton et la substance du Renvoi relatif à la LEI sont au moins indirectement pertinents. En ce qui concerne le ton, et comme la juge Claire L’Heureux-Dubé avant lui[46], les motifs majoritaires du juge en chef Wagner ont réaffirmé l’importance du fédéralisme et de la répartition constitutionnelle des pouvoirs. Sur le fond, cependant, le cadre général de la majorité pour la compétence environnementale et sa réaffirmation de la doctrine du double aspect, selon laquelle la même situation de fait ou activité peut être assujettie à la fois à la législation fédérale et à la législation provinciale, autorisent un rôle fédéral axé sur — ou adapté à — la réduction des émissions de GES dans des secteurs par ailleurs principalement réglementés par les provinces.

La majorité a conclu qu’il est loisible « au Parlement et aux législatures provinciales d’exercer leurs pouvoirs respectifs sur l’environnement de manière harmonieuse »[47]. Compte tenu du fossé qui sépare l’Alberta et le gouvernement fédéral en ce qui concerne la nécessité de réduire les émissions de GES, ainsi que de l’hyperbole et de la désinformation qui ont suivi la publication de cette décision de renvoi, nous pensons que d’autres batailles judiciaires se profilent à l’horizon. Entre-temps, nous attendons avec impatience de voir les modifications que le gouvernement fédéral introduira pour rendre le régime de la LEI conforme à l’opinion de la majorité, et ce que ces modifications révèlent sur la façon dont le gouvernement comprend l’opinion de la majorité en ce qui a trait à l’étape de prise de décision du régime législatif.

 

  1. Le 16 octobre 2023, Martin Olszynski, Nigel Bankes et David Wright ont publié une version antérieure de cet article dans le blogue de la Faculté de droit de l’Université de Calgary, sous le titre « Wait, What!? What the Supreme Court Actually Said in the IAA Reference » (16 octobre 2023), en ligne : ABlawg <ablawg.ca/2023/10/16/wait-what-the-supreme-actually-said-in-the-iaa-reference>.

*M. Olszynski et M. Wright sont professeurs à la Faculté de droit de l’Université de Calgary, M. Bankes est professeur émérite à la Faculté.

  1. Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact, 2023 CSC 23.
  2. Loi sur l’évaluation d’impact, LC 2019, c 28, art 1.
  3. Faculté de droit de l’Université de Calgary, « The Environment, Natural Resources, and Canada’s Constitution » (10 octobre 2023), en ligne (vidéo) : YouTube <www.youtube.com/watch?v=wEQw2yLqfSk>.
  4. David Wright, « Supreme Court of Canada Will Soon Rule on the Constitutionality of the Federal Impact Assessment Act. Here’s What to Watch for… » (3 octobre 2023), en ligne (pdf) : ABlawg <ablawg.ca/wp-content/uploads/2023/10/Blog_DW_IAA_What_to_Watch_for.pdf>.
  5. Loi constitutionnelle de 1867, 30 et 31 Victoria, c 3.
  6. Supra note 2 aux para 114, 116.
  7. Ibid aux para 117, 119.
  8. Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, 2021 CSC 11, aux para 129–130,197.
  9. Supra note 2 au para 112.
  10. Ibid aux para 123–127.
  11. Ibid au para 128.
  12. Ibid aux para 2, 7.
  13. Ibid aux para 141–146.
  14. Ibid aux para 150–152.
  15. Ibid aux para 157, 160–161.
  16. Ibid au para 173.
  17. Ibid aux para 162–178.
  18. Supra note 9.
  19. Supra note 2 aux para 182–189.
  20. Ibid aux para 190–203.
  21. Ibid au para 6.
  22. Ibid aux para 150, 177–178.
  23. Ibid aux para 184–189.
  24. Ibid au para 152.
  25. Loi sur les parcs nationaux du Canada, LC 2000, c 32.
  26. Supra note 2 au para 187.
  27. Ibid au para 171.
  28. Ibid au para 172.
  29. Loi sur les pêches, LRC 1985, c F-14.
  30. Ibid, art 35.
  31. Ibid, art 36.
  32. Supra note 2 au para 333.
  33. Delgamuukw c Colombie-Birtannique, [1997] 3 RCS 1010, 1997 CanLII 302 (CSC), au para 176, comme on l’a cité dans supra note 2 au para 196.
  34. Ibid aux para 174–178
  35. Steven A. Kennett, « Oldman and Environmental Impact Assessment: An Invitation for Cooperative Federalism » (1992), 3 Const Forum 93, comme on l’a cité dans supra note 2 au para 116.
  36. Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), LC 2012, c 19, art 52.
  37. « Une électricité propre, abordable et fiable » (dernière mise à jour le 25 août 2023), en ligne : gouvernement du Canada <www.canada.ca/fr/services/environnement/meteo/changementsclimatiques/plan-climatique/reglement-electricite-propre.html>.
  38. Joel Dryden, « Premier Smith says Alberta preparing Sovereignty Act motion over federal emissions plans » CBC (28 septembre 2023), en ligne : <www.cbc.ca/news/canada/calgary/alberta-electricity-grid-aeso-blake-shaffer-danielle-smith-1.6981123>.
  39. Code criminel, LRC, 1985, c C-46.
  40. RJR-MacDonald Inc c Canada (Procureur général), 1995 CanLII 64 (CSC), 100 CCC (3d) 449.
  41. Renvoi relatif à la Loi sur la non-discrimination génétique, 2020 CSC 17 (CanLII).
  42. Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), LC 1999 c 33; R c Hydro-Québec, 1997 CanLII 318 (CSC), 118 CCC (3d) 97, comme le reconnaît la majorité dans supra note 3 au para 126.
  43. Règlement sur les carburants renouvelables, DORS/2010-189.
  44. Syncrude Canada Ltd c Canada (Procureur général), 2016 FCA 160 (CanLII).
  45. 114957 Canada Ltée (Spraytech, Société d’arrosage) c Hudson (Ville), 2001 CSC 40 (CanLII).
  46. Supra note 2 au para 216.

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