Il s’agit de notre premier numéro en tant que corédacteurs en chef de la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie. Nous tenons à remercier l’Association canadienne du gaz (« ACG ») de nous avoir fait confiance pour prendre appui sur la réputation déjà établie de cette importante publication et perpétuer son excellent travail d’érudition — en explorant des questions liées à la règlementation de l’énergie, à l’économie ainsi qu’à l’interaction entre le droit et la politique.
Nous tenons également à remercier Rowland Harrison pour son leadership et ses conseils, non seulement au cours de notre période de transition, mais aussi pendant les années qu’il a consacrées à organiser le contenu d’un vaste groupe de contributeurs pertinents, un travail qui a fait de la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie une revue incontournable pour ceux qui s’intéressent au domaine de la règlementation de l’énergie. Rowland laisse un héritage important, et nous aurons bien du mal à le remplacer.
Les conditions macroéconomiques et politiques mondiales, un thème qui a dominé la rétrospective de l’année 2024 dans le premier numéro de la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie de 2025, se sont poursuivies sans relâche au cours des mois précédant la publication de ce deuxième numéro du présent volume. Les politiques commerciales et économiques de l’administration Trump aux États-Unis[1] ont bouleversé les relations commerciales et économiques historiques du Canada avec les États-Unis. Le premier ministre Carney a déclaré que la relation d’autrefois, qu’entretenaient le Canada et les États-Unis, « basée sur l’approfondissement de l’intégration de nos économies et le resserrement de la sécurité et de la coopération militaire, est chose du passé » [traduction][2].
Le Canada n’est pas le seul pays dans cette situation — les mesures prises par l’administration Trump menacent de mettre fin au régime commercial multilatéral mondial en place depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, ce qui met en péril le statut du dollar américain en tant que monnaie de réserve mondiale[3] et pourrait mettre fin au rôle des obligations du Trésor américain en tant que catégorie d’actifs de refuge en période trouble, car les États-Unis pourraient ne plus être considérés comme un partenaire fiable[4]. Les déclarations publiques du président Trump au sujet de la destitution du président de la Réserve fédérale américaine[5], qui minent l’indépendance et la neutralité politique vantées de la Réserve fédérale, ont entraîné une volatilité accrue des marchés financiers.
Les droits de douane du « Jour de la libération » du président Trump[6] ont incité l’ancienne secrétaire au Trésor des États-Unis, Janet Yellen, à faire la déclaration suivante : « [i]l s’agit de la pire blessure politique auto-infligée à notre économie que j’ai vue dans ma carrière » [traduction][7] et ont amené le groupe J.P. Morgan Research à élever son évaluation de la probabilité d’une « récession aux États-Unis en 2025, qui est passée de 40 % à 60 % » [traduction][8].
Compte tenu de cette conjoncture en toile de fond, les Canadiennes et Canadiens ont voté en faveur du retour au pouvoir du Parti libéral pour un quatrième mandat, dirigé par l’ancien gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney. L’analyse de la soirée électorale laisse entendre que M. Carney est perçu comme étant la personne la mieux placée pour guider le Canada dans les eaux agitées de la période de la présidence de M. Trump.
Le nouveau gouvernement fédéral du Canada doit, entre d’autres préoccupations pressantes, s’attaquer à la dépendance excessive de notre pays envers États-Unis — la plus importante destination des matières premières, des produits et de l’énergie du Canada — en approfondissant les relations commerciales existantes, en en établissant de nouvelles, en collaborant avec les dirigeants provinciaux et autochtones pour réduire les obstacles au commerce intérieur et en bâtissant l’infrastructure d’exportation. Une autre préoccupation immédiate consiste en le besoin de répondre à l’aliénation de l’Ouest et à la liste des demandes de Danielle Smith, première ministre de l’Alberta, qui, à défaut d’une résolution au cours des six premiers mois d’un nouveau mandat, marquerait « une crise sans précédent sur le plan de l’unité nationale » [traduction][9].
Ces demandes ne sont pas négligeables et comprennent[10] les mesures suivantes : garantir à l’Alberta un accès complet et sans entrave aux corridors pétroliers et gaziers vers le nord, l’est et l’ouest; abroger le projet de loi C-69 (ou le « projet de loi sur l’arrêt des pipelines »); lever l’interdiction des pétroliers au large des côtes de la Colombie-Britannique; éliminer le plafond des émissions pétrolières et gazières (qui est un plafond de production); mettre au rebut le règlement sur l’électricité propre; mettre fin à l’interdiction des plastiques à usage unique; abandonner le mandat relatif aux voitures à consommation énergétique nette zéro; restituer le rôle de surveillance de la taxe sur le carbone dans l’industrie aux provinces et mettre fin à la pratique de censure du gouvernement fédéral à l’endroit des sociétés d’énergie.
Il reste à voir si ces demandes pourront être satisfaites au cours d’un même mandat électoral fédéral, voire en l’espace de six mois.
Le premier article du présent numéro de la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie, intitulé « Pouvoirs législatifs du gouvernement fédéral en ce qui concerne l’exploitation de pétrole et de gaz naturel au Canada : survol »[11] de Martin Olszynski, professeur agrégé et titulaire de la Chaire en énergie, ressources et durabilité à la faculté de droit de l’Université de Calgary, consiste en un examen opportun du moment et de la façon dont le gouvernement fédéral du Canada peut règlementer l’exploitation pétrolière et gazière. Selon M. Olszynski, les assemblées législatives provinciales n’exercent pas un pouvoir exclusif sur l’exploitation pétrolière et gazière, et des rubriques de compétence fédérale, établies dans la Constitution du Canada, peuvent être invoquées. Bien que la règlementation fédérale du pétrole et du gaz naturel puisse avoir des effets accessoires sur les questions de compétence provinciale, l’objet principal de la règlementation fédérale doit porter sur les questions qui relèvent des compétences fédérales et ne pas tenter, dans la forme et dans le fond, de règlementer une question qui relève de la compétence d’une province. M. Olszynski discute également de la façon dont l’on pourrait se fonder sur le droit pénal fédéral pour règlementer la production d’électricité et, éventuellement, de pétrole et de gaz naturel, ainsi que sur les vastes pouvoirs fédéraux en matière de dépenses et de fiscalité pour façonner les politiques industrielles et économiques.
Les interdépendances du Canada et des États-Unis en matière d’économie, d’infrastructure et d’environnement sont illustrées dans des articles de Nigel Bankes, professeur émérite à la faculté de droit de l’Université de Calgary, et de David Morton, ancien président de la British Columbia Utilities Commission et membre du conseil consultatif du Canadian Energy Reliability Council.
Dans son article intitulé « La modernisation du Traité du fleuve Columbia : arrangements provisoires pour la mise en œuvre de l’entente de principe »[12], Bankes décrit les mesures provisoires mises en place pour combler l’écart entre l’exécution d’une entente de principe à la mi2024 et l’achèvement et la ratification d’un traité définitif et modernisé ultérieurement. Il y aborde aussi brièvement les répercussions de l’évolution des relations entre le Canada et les États-Unis.
Pour sa part, dans son article intitulé « Principaux défis en matière de fiabilité du système énergétique canadien », David Morton aborde la question des menaces à la fiabilité énergétique du Canada. Il y examine ce qu’est la fiabilité énergétique, le contexte de la fiabilité dans l’ensemble du système énergétique et les défis du Canada en cette matière. Dans sa conclusion, M. Morton soutient qu’il est important de comprendre les interdépendances en jeu dans le système énergétique et de ne pas adopter une approche cloisonnée. Il laisse également entendre que les menaces qui ne sont pas encore cernées pourraient poser les plus grands défis en ce qui concerne la fiabilité du système énergétique et qu’il y a actuellement peu de consensus sur une approche qui établit un équilibre entre la fiabilité et d’autres objectifs clés du système énergétique.
L’ancien président de l’Alberta Utilities Commission, Mark Kolesar, dans son article intitulé : « Réévaluer les tarifs du réseau : celui-ci devrait-il être règlementé en tant que transporteur public ? », aborde les défis auxquels est confronté le réseau d’électricité moderne. L’époque où le réseau d’électricité était un monopole naturel intégré et où le prix de tous les services était établi sur la base des coûts moyens est révolue. Aujourd’hui, les clients peuvent contourner le réseau en utilisant de nouvelles technologies, comme l’énergie solaire de plus en plus abordable, ce qui entraîne une nouvelle série de défis. Il circonscrit ces défis et propose de traiter le réseau comme un transporteur ordinaire pour surmonter certains de ces défis.
Joe McKinnon, gestionnaire, en Règlementation et normes économiques à Électricité Canada, présente un document de réflexion concis intitulé : « Solutions règlementaires pour réduire le risque lié à l’investissement dans le secteur de l’électricité ». M. McKinnon formule des recommandations stratégiques en cinq points pour surmonter les nouveaux défis liés à la chaîne d’approvisionnement et aux règlements fédéraux qui ont une incidence sur l’offre et l’abordabilité de l’électricité.
Dans leur article sur les principaux défis et éléments à considérer au sujet du raccordement des centres de données en Ontario, Daliana Coban, Daniel Gralnick et Ian T. D. Thomson (tous du cabinet d’avocats Torys) se penchent sur les centres de données apparemment omniprésents. La question de savoir comment règlementer l’accès aux centres de données semble avoir laissé perplexes les organismes de règlementation et les législateurs des diverses administrations. Les auteurs de cet article guident les lecteurs et lectrices dans une analyse étape par étape de ce que sous-tend la mise en place d’un centre de données jusqu’à la mécanique d’accès de ces centres au réseau électrique, tout en traitant des défis règlementaires qui devront être relevés.
Dans l’ensemble, ce numéro propose à nos lecteurs et lectrices des articles qui traitent des enjeux difficiles auxquels notre pays est confronté des deux côtés de la frontière. Il ne fait aucun doute que l’année à venir ou les deux prochaines années détonneront par rapport à ce que nous avons vu par le passé. Nous aspirons tous deux, dans notre nouveau rôle de corédacteurs en chef de la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie, à poursuivre la belle tradition que nos prédécesseurs ont établie en publiant des articles d’actualité et de qualité qui sauront éveiller votre intérêt et vous tenir informés.
- * Karen J. Taylor est consultante indépendante dans le secteur de l’énergie. Elle possède une vaste expérience des marchés financiers, de la politique règlementaire et de l’investissement dans les infrastructures. Elle est vice-présidente du Council for Clean and Reliable Energy, un organisme sans but lucratif qui offre une tribune pour le dialogue et l’analyse publics sur des sujets liés à la politique énergétique et à la gouvernance. Elle a également été conseillère exécutive auprès du président de la Commission de l’énergie de l’Ontario et membre de cette Commission.
- Moin A. Yahya est professeur de droit à l’Université de l’Alberta. Il a été membre et membre intérimaire de l’Alberta Utilities Commission de 2009 à 2018. Il enseigne et fait de la recherche dans différents domaines du droit.
- 1 Zvi Halpern-Shavim et Elena Balkos, « Tarifs douaniers É.-U. – Canada : dates et documents importants » (dernière consultation le 9 avril 2025), en ligne : <blakes.com/fr-ca/perspectives/tarifs-douaniers-e-u-%E2%80%93-canada-dates-et-documents-importants>.
- 2 Jessica Murphy, Ali Abbas Ahmadi et Bernd Debusmann, « Canada PM Mark Carney says old relationship with US ‘is over’ » (dernière consultation le 27 mars 2025) BBC, en ligne : <bbc.com/news/articles/c5y41z4351qo>.
- 3 Edward Fishman, Gautam Jain et Richard Nephew, « How Trump Could Dethrone the Dollar » (dernière consultation le 8 avril 2025) Foreign Affairs, en ligne : <foreignaffairs.com/united-states/how-trump-could-dethrone-dollar>.
- 4 Lee Ying Shan, « rump tariffs drove a Treasury sell-off – who sold the safe-haven asset? » (dernière modification le 16 avril 2025) CNBC, en ligne : <cnbc.com/2025/04/15/us-treasurys-selloff-what-happened-and-why.html>.
- 5 Aamer Madhani, Christopher Rugaber et Josh Boak, « Trump suggests he can remove Fed Chair Powell and says he’s ‘not happy’ with him over interest rates » (dernière modification le 17 avril 2025) Associated Press, en ligne : <apnews.com/article/trump-powell-federal-reserve-fed-termination-b6148c8048dda538a6ca3b5a270fd09e>.
- 6 Renvoie à la journée du 2 avril 2025.
- 7 Steff Danielle Thomas, « Yellen slams Trump tariff agenda as ‘worst self-inflicted policy wound » (dernière consultation 12 avril 2025) The Hill, en ligne : <thehill.com/business/5245945-janet-yellen-donald-trump-tariff-agenda>.
- 8 J.P.Morgan, « The probability of a recession has now fallen below 50% » (dernière consultation le 15 avril 2025) J.P.Morgan, en ligne : <jpmorgan.com/insights/global-research/economy/recession-probability>.
- 9 Cory Knutt, « Premier Smith shares concerns with Prime Minister Mark Carney » (dernière consultation le 21 mars 2025), Central Alberta, en ligne : <centralalbertaonline.com/articles/premier-smith-shares-concerns-with-pm-mark-carney>.
- 10 Ibid.
- 11 Martin Z. Olszynski, Federal Legislative Authority in Relation to Oil and Gas Development in Canada, (International Institute for Sustainable Development, 2025) en ligne (pdf) : <iisd.org/system/files/2025-02/canada-federal-authority-oil-gas-development.pdf>.
- 12 Nigel Bankes, « The Modernization of the Columbia River Treaty: Interim Arrangements to Implement the Agreement-in-Principle » (dernière consultation le 6 février 2025) ABlawg, en ligne (blogue) : <ablawg.ca/2025/02/06/the-modernization-of-the-columbia-river-treaty-interim-arrangements-to-implement-the-agreement-in-principle>.
