Voici le premier numéro de la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie pour l’année 2023. Il s’agit de notre dixième année de publication. Nous commençons cette dixième année comme nous l’avons fait la première année avec un article de David Mullan, professeur émérite de droit à l’université Queen’s, l’un des plus grands spécialistes du droit administratif au Canada. Ce premier article était un ouvrage d’envergure de 46 pages intitulé « Droit administratif et réglementation en matière d’énergie — éviter les pièges — les dix règles — perspective sur dix ans »[1].
La première section de l’article de M. Mullan dans ce numéro de la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie traite de la question suivante : étant donné que l’arrêt Vavilov[2] exclut apparemment les questions d’équité procédurale de son modèle de norme de contrôle judiciaire, quelles normes sont appliquées à de telles contestations?
L’arrêt de principe est Abrametz[3], une décision de la Cour suprême du Canada qui a réexaminé la question des délais administratifs, abordée pour la première fois par la Cour en 2000 dans l’arrêt Blencoe[4]. Après une analyse très réfléchie des arrêts, M. Mullan conclut que les décisions des trois dernières années conduisent aux sept principes qu’il énonce. Ils méritent d’être lus attentivement.
La question suivante que M. Mullan examine est celle du contrôle judiciaire approprié dans les cas de lois subordonnées. Il examine les affaires Green v Law Society of Alberta[5] et West Fraser Mills v British Columbia[6] ainsi que l’affaire Médicaments novateurs, une décision de la Cour fédérale du 5 décembre 2020[7].
Mullan conclut que la controverse n’a peut-être rien à voir avec la réalité, mais qu’il convient néanmoins de mettre un terme à la spéculation et que la Cour suprême aura l’occasion de le faire dans un avenir proche.
Ensuite, M. Mullan se penche sur la question suivante : quelle est la norme d’examen pour les appropriations réglementaires ou ce que nous appelons plus souvent l’expropriation? Cette question a été vivement débattue dans l’affaire Annapolis Group Inc. c Halifax[8], où la municipalité régionale d’Halifax a modifié le zonage d’une propriété et a empêché le propriétaire de procéder à certains aménagements, ce qui a donné lieu à des plaintes pour enrichissement sans cause, faute d’exécution et utilisation inappropriée des pouvoirs réglementaires dans le but de saisir un terrain pour l’utiliser comme parc public sans indemnisation.
M. Mullan aborde ensuite la question de l’équité procédurale et de l’attente légitime dans le cadre de l’émission de directives ministérielles, qui ont occupé une place centrale dans l’arrêt TransAlta General Partnership[9]. Cette affaire concernait des décisions prises par le gouvernement de l’Alberta à l’encontre des propriétaires d’installations de production d’électricité à partir du charbon que le gouvernement avait décidé de fermer. La question en jeu était de savoir s’il fallait procéder à des ajustements de la dépréciation découlant de la réduction des émissions des centrales au charbon dans le cadre de l’accord sur l’arrêt de la production de charbon que les entreprises de services publics avaient conclu avec le gouvernement. L’équité procédurale des directives qui ont éliminé cette disposition était également en cause. La question était de savoir si un quelconque niveau d’équité procédurale était susceptible de faire l’objet d’un contrôle judiciaire. La véritable question était de savoir si les directives relevaient d’une fonction législative ou si elles étaient de nature administrative.
Cette analyse porte également sur une décision du gouvernement de l’Ontario dans l’arrêt Tesla Motors[10], dans lequel le gouvernement a annulé un programme de subvention pour l’achat de voitures électriques, mais a instauré un délai de grâce de deux mois. Il s’est avéré que le gouvernement n’a pas permis aux clients de Tesla de profiter du délai de grâce. La Cour d’appel a souligné l’incertitude quant à la question de savoir si la doctrine de l’attente légitime pouvait générer un droit à une audience dans le cas de fonctions législatives auxquelles aucune obligation de ce type ne s’attacherait par ailleurs.
Une autre discussion importante de cet article concerne l’évolution récente de l’obligation de franchise des entreprises de services publics qui est apparue dans la décision de l’Alberta Utilities Commission (AUC) dans l’arrêt ATCO Electric[11], où la Commission a infligé une amende de 31 millions de dollars à ATCO Electric parce qu’elle avait dissimulé des informations pertinentes afin de recouvrer certains coûts. La décision note qu’ATCO a manqué à son obligation fondamentale d’honnêteté et de franchise envers son organisme de réglementation, obligation qui exige que les informations qu’elle fournit à la Commission soient « complètes, justes et exactes ». Il s’agit d’une décision qui aura une large application à travers le Canada. Comme toujours, l’article de M. Mullan sur l’évolution du droit administratif relatif au droit et à la réglementation en matière d’énergie est un ouvrage à lire absolument.
Le deuxième article de ce numéro de la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie, écrit par Melanie Gillis et Noah Entwisle du cabinet d’avocats McInnes Cooper à Halifax, concerne trois développements importants dans la province de la Nouvelle-Écosse. Le premier est un prolongement très important du programme de facturation nette pour soutenir le développement de l’énergie solaire. Le deuxième est une nouvelle politique très agressive visant à développer des projets d’hydrogène vert. Le troisième concerne la décision du gouvernement de la Nouvelle-Écosse de plafonner les tarifs que Nova Scotia Power peut facturer à ses clients.
La Nouvelle-Écosse dispose depuis 2010 d’un programme de facturation nette visant à promouvoir le développement de l’énergie solaire. Ce programme s’est avéré très populaire auprès des clients résidentiels, mais moins auprès des clients commerciaux en raison du plafond de 100 kW imposé à la taille des installations commerciales.
La politique de l’énergie solaire en Nouvelle-Écosse a attiré l’attention l’année dernière lorsque Nova Scotia Power a décidé de facturer aux clients des frais d’accès au réseau de huit dollars par kilowatt chaque mois pour les installations à compteur net. La compagnie d’électricité prétendait que les propriétaires qui produisaient leur propre électricité à l’aide de panneaux solaires étaient subventionnés par d’autres clients. Le gouvernement s’est opposé à cette nouvelle taxe et la compagnie d’électricité a ensuite retiré sa proposition.
Comme l’explique l’article, le gouvernement a introduit une nouvelle politique qui augmente le plafond de capacité de facturation nette pour les clients commerciaux de 100 kW à 1 MW. De plus, tout client de la Nouvelle-Écosse a désormais le droit d’autoproduire de l’électricité avec des panneaux solaires et d’installer jusqu’à 27 kW de capacité nominale de production et de stockage d’électricité renouvelable sans l’approbation de la compagnie d’électricité. La réglementation modifiée impose également à Nova Scotia Power de traiter les demandes de facturation nette dans les meilleurs délais et d’approuver toutes les demandes de facturation nette, à moins qu’il n’y ait des motifs raisonnables de les refuser.
L’article traite également d’une nouvelle initiative très importante de la Nouvelle-Écosse visant à développer l’hydrogène vert. Il existe actuellement six projets actifs de production d’hydrogène vert en Nouvelle-Écosse, dont quatre projets de livraison du produit en Europe. La nouvelle législation apporte une clarté bien nécessaire sur les obligations d’évaluation environnementale auxquelles les projets d’hydrogène sont désormais soumis.
La section suivante de cet article traite d’une politique très controversée introduite par le gouvernement de la Nouvelle-Écosse en 2022. Il s’agit du plafond que le gouvernement a imposé aux augmentations de tarifs que l’autorité de réglementation de l’énergie de la Nouvelle-Écosse pouvait accorder à la compagnie d’électricité Nova Scotia Power. Nova Scotia Power avait demandé une augmentation de 14 % sur deux ans. Le gouvernement provincial a réagi en adoptant une loi qui limitait l’augmentation des tarifs à 1,8 % au cours des deux prochaines années.
L’article indique qu’en fin de compte, le service public a conclu un accord avec ses principaux clients qui a établi une augmentation moyenne des tarifs de 6,9 % pour toutes les catégories de clients en 2023 et 2024. La Commission a approuvé ces tarifs[12] parce qu’elle était préoccupée par les dégradations de crédit que Nova Scotia Power avait subies en raison du plafonnement des tarifs. L’organisme de réglementation a également déclaré qu’il avait l’obligation légale d’accorder des augmentations de taux lorsqu’elles étaient justes et raisonnables.
La réaction de l’organisme de régulation au plafonnement des tarifs a également été influencée par la décision de la compagnie d’électricité de cesser d’investir dans une nouvelle ligne de transport d’électricité appelée Boucle de l’Atlantique. Ce projet de transport d’électricité, d’une valeur de 5 milliards de dollars, devait permettre à la Nouvelle-Écosse d’accéder plus facilement à l’hydroélectricité produite au Labrador et au Québec. Cette énergie renouvelable était considérée comme essentielle pour que la Nouvelle-Écosse ne dépende plus de la production d’électricité à partir de charbon.
L’article suivant de ce numéro de la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie, rédigé par Jason Kroft et Ghazal Hamedani du cabinet d’avocats Miller Thomson de Toronto, traite des différents règlements de la taxe sur le carbone au Canada. Il traite des provinces du Québec, de l’Ontario, de l’Alberta, de la Colombie-Britannique et des provinces de l’Atlantique. Il compare également l’évolution au Canada avec les régimes de taxe sur le carbone en vigueur aux États-Unis et en Europe.
Comme le souligne l’article, la tentative du gouvernement canadien d’imposer des taxes sur le carbone dans toutes les provinces a fait l’objet de contestations juridiques pendant des années. La Cour suprême du Canada a finalement conclu que la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre[13] était constitutionnelle et que le gouvernement fédéral avait le pouvoir d’établir le régime fiscal dans l’ensemble du pays[14].
L’article précise également que les politiques mises en place par de nombreuses provinces ne sont pas acceptables pour le gouvernement fédéral et que des négociations sont toujours en cours dans certaines provinces. Il est également vrai que certains experts remettent en question l’efficacité des taxes sur le carbone en tant qu’instrument économique. La conclusion de cet article est que la capacité des taxes sur le carbone à atteindre les objectifs fixés pour la réduction des émissions de carbone au Canada est loin d’être évidente.
Ce numéro de la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie contient deux critiques de livres. Le premier livre, California Burning, est l’œuvre de Katherine Blunt. Il a été chroniqué par Ahmad Faruqui, un économiste de l’énergie bien connu qui, jusqu’à récemment, travaillait pour le Brattle Group à San Francisco. M. Faruqui note dans sa phrase d’introduction que le sous-titre de ce livre, « The Fall of PG&E and what it means for the American power grid » (la chute de PG&E et ce qu’elle signifie pour le réseau électrique américain), est très révélateur. Le livre, note-t-il, « se lit comme une nécrologie d’entreprise ».
Faruqui note également que le livre met l’accent sur les incendies de forêt provoqués par PG&E au cours des dernières années, dont plusieurs ont donné lieu à des poursuites pénales contre l’entreprise, qui ont été confirmées.
Ce livre vaut la peine d’être lu. Il décrit très bien la complexité à laquelle les grandes entreprises de services publics comme PG&E sont confrontées aujourd’hui. Il note qu’une grande partie de la couleur manque dans ce livre parce qu’il est basé principalement sur des entretiens avec des victimes des désastres de l’entreprise comme des incendies de forêt et des explosions de pipelines.
M. Faruqui conclut qu’en dépit de ces limites, le livre est à lire absolument. Il documente de manière très détaillée les nombreuses bévues qui ont terni l’image de l’une des plus grandes compagnies d’électricité et de gaz d’Amérique. Il ajoute que d’autres dirigeants d’entreprises de services publics devraient lire ce livre. Il les aidera à savoir ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire.
Le deuxième ouvrage examiné dans ce numéro, The Guide to Energy Arbitration, est un recueil de contributions de quelques-uns des principaux arbitres du secteur de l’énergie dans le monde. Cet ouvrage, qui en est à sa cinquième édition, est publié sous la direction de J. William Rowley, Doak Bishop et Gordon Kaiser.
L’auteur de la critique du livre est Ralph Cuervo-Lorens, partenaire du cabinet d’avocats McMillan à Toronto. Lorenz souligne dans cette critique que le secteur de l’énergie est la figure de proue de l’arbitrage mondial. Une grande partie de ce livre ne concerne pas la politique énergétique nationale, mais plutôt les activités des multinationales qui transportent l’énergie d’un pays à l’autre ou qui recherchent de l’énergie dans des territoires étrangers. Compte tenu de l’importance de l’énergie dans le monde de l’arbitrage, cet ouvrage s’est avéré essentiel pour les avocats et les arbitres spécialisés dans l’énergie. C’est sans doute la raison pour laquelle il en est aujourd’hui à sa cinquième édition.
Le livre suit l’évolution de l’arbitrage dans le cadre de différents traités, notamment l’ALENA et plus récemment l’ACEUM, ainsi que la complexité des arbitrages de révision des prix dans le cadre d’un certain nombre de traités. C’est peut-être la raison pour laquelle de nombreux arbitres réputés dans le domaine de l’énergie possèdent cinq exemplaires de ce livre sur leur étagère. Il convient de souligner que Ralph Cuervo-Lorens fournit une analyse approfondie du contenu de l’ouvrage. Les lecteurs y trouveront une aide précieuse.
- Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie, 2013, vol. 1, en ligne: <energyregulationquarterly.ca/fr/articles/regulators-and-the-courts-a-ten-year-perspective-1#sthash.UQoCh1FV.dpbs>.
- 2019 CSC 65.
- Law Society of Saskatchewan, 2000 CSC 44.
- Blencoe c Colombie-Britannique, 2000 CSC 44.
- 2017 CSC 20.
- 2018 CSC 22.
- Médicaments novateurs Canada c Canada, 2022 CAF 2010.
- 2022 CSC 36.
- 2022 ABCA 381.
- Tesla Motors Canada c Ontario, 2018 ONSC 5062.
- Alberta Utilities Commission, Notice of enforcement proceeding, 29 novembre 2021 (demande du personnel chargé de l’application de la loi de l’AUC pour engager une procédure judiciaire en vertu des articles 8 et 63 de l’Alberta Utilities Commission Act).
- Nova Scotia Utility and Review Board re General Rate Application by Nova Scotia Power, 2023, NSUARB 12.
- LC 2018 C12.
- Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, 2021 CSC 11.