Les défis que posent la production, la distribution et la consommation d’énergie dans le monde d’aujourd’hui ne cessent de croître rapidement, balayant toute perception de la règlementation de l’énergie comme étant aride, relativement stable et raisonnablement prévisible. La stabilité et la prévisibilité sont tout sauf les traits distinctifs de la règlementation de l’énergie sur la scène canadienne, que l’on pourrait mieux décrire comme étant dans un état de grande incertitude, voire chaotique. Les projets d’oléoduc proposés à l’échelle interprovinciale et internationale en particulier sont confrontés à une incertitude croissante sur le plan politique, règlementaire et juridique. La dynamique sous-jacente de cette incertitude comprend l’interaction des responsabilités fédérales et provinciales engagées par le développement énergétique et par l’évolution constante de l’obligation de l’État de consulter et de trouver des accommodements là où de tels développements ont le potentiel d’enfreindre les droits autochtones. Deux articles dans le présent numéro de la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie portent sur ces dynamiques fondamentales.
Les tensions fédérales-provinciales liées aux oléoducs interprovinciaux et d’exportation remontent à plusieurs décennies, à savoir aux premières étapes d’exploitation du bassin sédimentaire dans l’Ouest canadien. Au fil des ans, il a été convenu que l’autorité constitutionnelle revenait ultimement au fédéral et que ces oléoducs échappaient généralement à la portée des lois provinciales. Cependant, de nos jours, ce ne sont pas toutes les autorités provinciales (et municipales) qui sont prêtes à accepter qu’elles n’aient aucun pouvoir juridique (par rapport au pouvoir politique) pour contrer les conséquences à l’échelle locale. L’article de Daniel Gralnick sur les répercussions constitutionnelles de l’examen par le Québec d’Énergie Est (Répercussions constitutionnelles de l’examen du projet Énergie Est par le Québec) démontre que les enjeux peuvent ne pas être aussi simples qu’ils ne le paraissent de prime abord, particulièrement à la lumière de la jurisprudence actuelle sur la suprématie et l’exclusivité des compétences, et ce qui peut être un soutien judiciaire sous-jacent au concept de « fédéralisme coopératif ». Tout au moins, l’affirmation du pouvoir provincial concernant les conséquences à l’échelle locale (aussi étendu que ce pouvoir puisse ultimement être) accentue le caractère imprévisible du processus d’approbation en général.
Cette imprévisibilité s’est exacerbée par la récente décision de la Cour d’appel fédérale invalidant l’approbation du gouvernement fédéral à l’égard du projet de pipeline Northern Gateway. La décision de la Cour est d’une importance fondamentale pour plusieurs raisons, tout particulièrement parce qu’elle porte sur l’obligation de l’État de consulter dans le cadre des responsabilités du gouverneur en conseil au cours du processus général lié aux examens des pipelines à l’échelle fédérale qui, depuis les modifications à la Loi sur l’Office national de l’énergie en 2012, a maintenant lieu après le processus d’audience/d’examen lui-même. Dans son commentaire de cas, Keith Bergner analyse la décision de la Cour.
Les défis immédiats d’incertitude et d’imprévisibilité liés aux processus d’approbation des projets de pipeline proposés sont principalement (quoique non entièrement) une conséquence des répercussions en matière de règlementation que cause le débat actuel plus vaste concernant les changements climatiques et la politique sur le carbone. L’article d’Adonis Yatchew (Une politique rationnelle ou de « bonne conscience » sur le carbone : Transférabilité, subsidiarité, séparation) fait abstraction des commentaires omniprésents sur des initiatives stratégiques et règlementaires précises et propose une analyse réfléchie sur les enjeux, avec une mise en garde contre la tendance des événements, circonstances et attitudes à façonner des points de vue, notant qu’il faut de nombreuses années pour qu’aient lieu des transitions énergétiques. Il conclut qu’une transition énergétique accélérée peut avoir lieu, mais serait plus vraisemblablement dirigée par l’innovation technologique, tandis que les marchés et les mesures incitatrices peuvent offrir de puissants mécanismes pour permettre la transition.
Entre-temps, l’industrie règlementée, les organismes de règlementation, les décideurs et divers groupes d’intérêt continuent d’être aux prises avec d’autres préoccupations, que ce soit d’améliorer et de renforcer les processus de règlementation ou de définir et de préciser le rôle de la concurrence au sein d’un cadre règlementé. Dans leur article sur la défense des droits des consommateurs dans le secteur énergétique de l’Ontario (La protection du consommateur dans le secteur énergétique de l’Ontario : un nouveau modèle), Adam Fremeth et Guy Holburn examinent les développements récents dans la représentation des intérêts des consommateurs pour ce qui est des procédures d’application de la règlementation en Ontario et font ressortir de nouvelles propositions par rapport aux approches de protection des consommateurs dans d’autres sphères de compétence. L’article de Scott Hempling sur la concurrence du transport de l’électricité aux États-Unis et la nouvelle réalité à cet égard (Concurrence dans le transport d’énergie aux États-Unis : la nouvelle réalité) retrace les 50 années de l’introduction de la concurrence aux États-Unis au sein de l’industrie monopolistique du transport de l’électricité et analyse trois récentes défaites judiciaires par des entreprises : « Au baseball, vous êtes retiré après trois prises. Dans la règlementation des services publics, ce n’est pas nécessairement le cas. »
Enfin, dans ce numéro d’ERQ, deux commentaires de cas portent sur l’examen de récentes décisions d’intérêt à l’égard de l’énergie. De la Nouvelle-Écosse, Sara Mahaney fait le point sur deux appels devant le Nova Scotia Utility and Review Board concernant la réalisation de projets énergétiques éoliens en vertu du programme de tarif de rachat garanti (« COMFIT ») de la Nouvelle-Écosse. Les appels soutenaient que, malgré leur nature communautaire, les projets d’énergies renouvelables peuvent toujours faire l’objet d’une opposition et être contestés par les membres des communautés au sein desquels les projets sont mis au point.
Dans leur commentaire de cas, Reena Goyal et James Hunter concluent que l’interprétation contractuelle de la Cour d’appel de l’Ontario dans la cause Iroquois Falls Power Corporation v Ontario Electricity Financial Corporation donne à penser que l’objectif de faire appel avec succès des résultats de l’interprétation contractuelle peut être très ambitieux pour ce qui est de certains contrats d’approvisionnement en énergie. Ils ajoutent que la décision soulève des questions concernant la façon dont les arbitres peuvent appliquer la décision historique de la Cour suprême du Canada dans la cause Sattva v Creston Moly à d’autres formes de contrats au sein du secteur de l’énergie.
La grande variété de sujets dans ce numéro d’ERQ ne laisse aucun doute que la règlementation canadienne de l’énergie de nos jours est tout sauf aride – et tout sauf stable et prévisible.