INTRODUCTION
L’année dernière marquait le cinquième anniversaire de l’arrêt historique de la Cour suprême du Canada, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov[1]. Cinq ans après la publication du prédécesseur de l’arrêt Vavilov[2], le professeur Mullan écrivait un article de 85 pages sur les points laissés en suspens, intitulé « the Top Fifteen! »[3].
Aucun article de ce genre ne pourrait être rédigé aujourd’hui. L’arrêt Vavilov a laissé relativement peu de points en suspens. J’en ai tout de même relevé cinq : la norme interne de contrôle, les appels d’arbitrage, l’équité procédurale, l’examen fondé sur la Charte[4] et la mesure dans laquelle le contrôle selon la norme de la décision raisonnable s’inscrit dans la Constitution[5]. J’ai plus tard ajouté à la liste la norme de contrôle applicable à des règlements[6].
Parmi ces six points laissés en suspens, la Cour suprême a directement traité de l’équité procédurale[7] et de la norme de contrôle applicable aux règlements[8], et elle a tranché des causes portant sur l’examen fondé sur la Charte[9] et les fondements constitutionnels du contrôle judiciaire[10].
La question de la norme interne de contrôle n’a pas été traitée. Il convient toutefois de mentionner que la Cour suprême ne s’est jamais penchée sur cette question. En ce qui concerne les appels d’arbitrage, les motifs minoritaires dans l’affaire Wastech Services Ltd. c Greater Vancouver Sewerage and Drainage District[11] visaient à trancher la question.
Ainsi, après cinq ans, la question est plutôt de savoir dans quelle mesure la Cour suprême est demeurée fidèle au cadre de l’arrêt Vavilov que de savoir si elle doit le clarifier ou le fignoler. Au cours des 12 derniers mois, la Cour a rendu un certain nombre de décisions importantes en appliquant le cadre de l’arrêt Vavilov et en examinant des questions non résolues. La plus grande partie de la présente « Rétrospective annuelle » portera sur ces celles-ci. Une seule de ces affaires concerne directement le droit de l’énergie, à savoir une décision importante concernant des actifs délaissés, tandis que les autres entraînent toutes des répercussions immédiates sur le secteur.
J’aborderai d’entrée de jeu, dans la partie I, la question des normes de contrôle applicables à des règlements. Dans la partie II, je me pencherai sur la question du contrôle selon la norme de la décision raisonnable, en me reportant plus particulièrement à la décision rendue dans l’affaire des lettres de mandat[12] ainsi qu’en traitant de la décision la plus récente dans le grand livre des « valeurs de la Charte ». Dans la partie III, je m’attarderai à la question du contrôle selon la norme de la décision correcte, en plus de discuter de deux affaires relatives à la Charte, issues du domaine du travail et de l’emploi, qui constitueront le cœur de mon analyse. Dans la partie IV, je m’intéresserai à des questions constitutionnelles, plus précisément à la portée de l’essence constitutionnelle minimale du contrôle judiciaire dans le sillage de l’arrêt Vavilov. Enfin, dans la partie V, j’examinerai un certain nombre de questions liées à la conduite règlementaire qui sont pertinentes pour les praticiens du droit de l’énergie et qui ont été récemment soulevées devant des tribunaux inférieurs (réunions avec des organismes de règlementation, présence de l’avocat durant des enquêtes règlementaires et pertinence de la transparence).
I. NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE AUX RÈGLEMENTS
A) Clarifier la norme
En 2024, la Cour suprême du Canada a rendu une décision très attendue sur la norme de contrôle applicable aux règlements[13]. Bien entendu, dans le secteur de l’énergie, la règlementation est assujettie au cadre énoncé dans l’arrêt Auer.
J’étais d’ailleurs l’avocat-conseil adjoint de l’appelant, Roland Auer. Après l’audience d’avril, deux éléments m’ont semblé très clairs : la Cour suprême appliquerait le cadre de l’arrêt Vavilov au contrôle judiciaire des règlements, mais elle conclurait vraisemblablement que les règlements en cause (les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants[14] prises par le gouverneur en conseil) étaient valides. Ce qui s’est avéré.
Le principal aspect du principe de droit administratif en cause était la norme à appliquer dans les cas où une partie demanderesse cherche à contester un règlement. Dans l’arrêt Katz Group Canada Inc. c Ontario (Santé et Soins de longue durée)[15], la Cour suprême a conclu qu’une intervention judiciaire ne serait appropriée que « pour cause d’incompatibilité avec l’objet de la loi[16] » lorsqu’il était démontré que le règlement est « non pertinent » ou « complètement étranger » à l’objet de la loi, ou repose sur des considérations « sans importance ». Cette norme a été critiquée comme étant celle de « l’hyperretenue »[17] et une voie de dérogation inappropriée du cadre général de l’arrêt Vavilov[18]. Quoi qu’il en soit, dans l’affaire Auer, la Cour d’appel de l’Alberta a conclu à la majorité que les règlements jouissent d’un statut spécial reconnu par la norme unique établie dans l’arrêt Katz[19].
La Cour suprême, dans des motifs rédigés par la juge Côté, a réglé ce différend à l’unanimité en faveur de Vavilov. Le cadre de l’arrêt Vavilov est « exhaustif »[20] et représente un « changement substantiel »[21] dans le droit administratif canadien, établissant le point de départ pour toute considération future des questions liées à la norme de contrôle[22]. En effet, l’arrêt Vavilov invite à se référer expressément à des affaires où était contestée la légalité de textes règlementaires[23]. En outre, dans l’arrêt Vavilov, les juges majoritaires ont estimé qu’un « contrôle rigoureux selon la norme de la décision raisonnable » suffirait pour veiller à ce que des décideurs administratifs (y compris ceux qui prennent des règlements) agissent dans les limites des pouvoirs qui leur sont conférés, même en l’absence de motifs officiels pour justifier la décision[24].
Cependant, certains aspects de la décision dans l’arrêt Katz ont survécu au changement substantiel Vavilovien. La décision antérieure de la Cour suprême dans l’affaire Katz comportait cinq aspects :
[1] « Pour contester avec succès la validité d’un règlement, il faut démontrer qu’il est incompatible avec l’objectif de sa loi habilitante ou encore qu’il déborde le cadre du mandat prévu par la Loi »[25];
[2] « Les règlements jouissent d’une présomption de validité […] Cette présomption comporte deux aspects : elle impose à celui qui conteste le règlement le fardeau de démontrer que celui-ci est invalide, plutôt que d’obliger l’organisme règlementaire à en justifier la validité… ensuite, la présomption favorise une méthode d’interprétation qui concilie le règlement avec sa loi habilitante de sorte que, dans la mesure du possible, le règlement puisse être interprété d’une manière qui le rend intra vires » [emphase supprimée][26];
[3] « Il convient de donner au règlement contesté et à sa loi habilitante une “interprétation téléologique large […] compatible avec l’approche générale adoptée par la Cour en matière d’interprétation législative” »[27];
[4] « Cette analyse ne comporte pas l’examen du bien-fondé du règlement au regard de considérations d’intérêt général pour déterminer s’il est “nécessaire, sage et efficace dans la pratique” »[28]. « L’analyse ne s’attache pas aux considérations sous-jacentes “d’ordre politique, économique ou social [ni à la recherche, par les gouvernements, de] leur propre intérêt” », ni à la question de savoir si le règlement « permettra effectivement d’atteindre les objectifs visés par la loi »[29];
[5] « Pour qu’il puisse être déclaré ultra vires pour cause d’incompatibilité avec l’objet de la loi, le règlement doit reposer sur des considérations “sans importance”, doit être “non pertinent” ou être “complètement étranger” à l’objet de la loi »[30].
Plusieurs de ces propositions sont tout à fait acceptables, comme le juge Stratas l’a observé dans Portnov[31]. Dans l’arrêt Auer, seule la dernière d’entre elles a été jugée incompatible avec l’arrêt Vavilov, car elle créait une voie de dérogation fondée sur le statut du décideur et la nature de la décision en cause :
À mon avis, tous les principes susmentionnés figurant dans l’arrêt Katz Group, excepté celui du seuil relatif au texte « sans importance », « non pertinent » ou « complètement étranger », demeurent valables en droit et continuent de guider le contrôle de la validité d’un texte législatif subordonné. Comme je l’expliquerai, le changement substantiel qu’a entraîné l’arrêt Vavilov en faveur de la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable en tant que base du contrôle érode la raison d’être du seuil relatif au texte « sans importance », « non pertinent » ou « complètement étranger », et le maintien de ce seuil perpétuerait l’incertitude en droit. En conséquence, il existe de solides raisons justifiant de s’écarter légèrement de l’arrêt Katz Group[32]. Sous réserve de l’exception mentionnée précédemment, l’arrêt Katz Group continue « de fournir des indications utiles sur l’application de la norme de la décision raisonnable » [traduction][33]. Dans la mesure où les principes énoncés dans l’arrêt Katz Group n’entrent pas en conflit avec l’arrêt Vavilov, ils « doivent faire partie de l’application de la norme de la raisonnabilité » [traduction][34] .
…
En résumé, sauf indication contraire du législateur ou si une affaire soulève une question se rapportant à la primauté du droit qui doit être contrôlée suivant la norme de la décision correcte, la validité d’un texte législatif subordonné doit être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable, peu importe le délégataire qui l’a édicté, sa proximité avec le pouvoir législatif ou le processus suivant lequel le texte législatif subordonné a été édicté. Intégrer ces distinctions dans le cadre d’application de la norme de contrôle serait « contrairement aux objectifs Vaviloviens de simplification et de clarté » [traduction][35].
Je signale également que le premier principe n’a pas été retenu dans son intégralité dans l’arrêt Auer. Le mot « exige » utilisé dans l’arrêt Katz laissait entendre qu’il s’agissait d’un fondement exclusif sur lequel des règlements pouvaient être contestés. Cependant, dans l’arrêt Auer, ce principe est reformulé : l’incompatibilité avec les objectifs ou la portée de la loi constitue un fondement sur lequel se fonder pour s’attaquer à un règlement, car il « doit être conforme à la fois aux dispositions pertinentes de la loi habilitante et à l’objet dominant de celle-ci »[36], mais cela n’est pas considéré comme un motif exclusif de contestation. De même, certaines des contraintes juridiques de l’arrêt Vavilov – le régime statutaire, les principes de la common law et les règles d’interprétation des lois – seront « particulièrement pertinentes » lors du contrôle de la validité d’un règlement[37], mais il est clair que, dans les cas appropriés, d’autres contraintes pourraient être importantes et, en effet, le règlement pourrait ne pas suivre une chaîne de raisonnements cohérente[38].
En ce qui concerne le deuxième principe, la juge Côté a pris acte de la critique formulée à son égard, mais elle considérait néanmoins qu’il était conforme à l’arrêt Vavilov. D’une part, l’arrêt Vavilov impose aussi à la partie demanderesse le fardeau de démontrer le caractère substantiellement déraisonnable[39]. D’autre part, le corollaire de la présomption de validité selon laquelle un règlement devrait être interprété comme étant conforme au régime statutaire l’autorisant n’impose pas un fardeau plus lourd que l’arrêt Vavilov, parce que « pour réfuter la présomption de validité du texte législatif subordonné, ceux qui le contestent doivent établir que celui-ci ne représente pas une interprétation raisonnable du pouvoir légal du délégataire »[40].
J’admets nourrir une certaine sympathie pour le point de vue contraire avancé par la Cour d’appel fédérale. Comme le juge Stratas l’a expliqué dans la décision Médicaments novateurs Canada, « selon l’arrêt Vavilov, il [le contestataire] n’a pas à renverser la présomption que la décision est raisonnable »[41]. Le fardeau incombe à la partie demanderesse et, de fait, une décision est raisonnable jusqu’à preuve du contraire. Mais il n’y a pas de présomption de jure de la validité. La façon la plus modeste (et, à mon avis, la meilleure) d’aborder cette question est de considérer que, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, un tribunal doit toujours caractériser la décision en cause. L’arrêt Vavilov donne à penser que, de façon générale, la caractérisation devrait être favorable au décideur[42], expliquant le besoin d’interpréter les décisions administratives « en tenant compte du contexte institutionnel et à la lumière du dossier »[43].
Conserver la présomption de l’arrêt Katz est un pas trop loin, à mon avis, si cela signifie qu’un juge doit, à titre préliminaire, entreprendre un exercice d’interprétation visant à rendre un règlement conforme au régime législatif applicable. Donner à un règlement une caractérisation juste aux fins du contrôle selon la norme de la décision raisonnable (comme c’est le cas pour d’autres décisions administratives) est une chose, laquelle d’ailleurs concorderait avec le troisième principe de l’arrêt Katz sur l’interprétation large et téléologique, mais le fait d’exiger une gymnastique interprétative préliminaire serait une tout autre chose. Bien sûr, il se peut que j’accorde trop d’importance à la distinction de facto/de jure, surtout compte tenu de l’insistance de la juge Côté sur la primauté du cadre de l’arrêt Vavilov, de son rejet d’une voie de dérogation spéciale pour les règlements, de sa conclusion selon laquelle le « très haut degré de déférence » exigé par le cinquième principe de l’arrêt Katz est incompatible avec le contrôle selon la norme de la décision raisonnable de l’arrêt Vavilovien[44] et de ses commentaires sur le quatrième principe de l’arrêt Katz, que j’aborde maintenant.
En ce qui concerne le quatrième principe de l’arrêt Katz, il est clair que le contrôle du caractère raisonnable d’un règlement, dans la même mesure que le contrôle de tout autre type de décision administrative, ne permet pas à un tribunal de remettre en question le bien-fondé d’une décision rendue par un décideur administratif. Il n’y a donc pas violation de la séparation des pouvoirs en appliquant la norme du caractère raisonnable à un règlement[45]. Bien que la Cour suprême n’ait pas été saisie de cette question dans l’affaire Auer, les divers textes législatifs qui visent à protéger les règlements municipaux contre des contestations fondées sur le « caractère déraisonnable » pourraient être interprétés comme mettant simplement l’accent sur le fait que l’examen du bien-fondé est interdit[46].
Citant le professeur Mancini, la juge Côté a souligné que le tribunal doit « être conscient » du fait qu’il ne joue qu’un rôle de contrôle lorsqu’il s’agit d’évaluer le caractère raisonnable d’un règlement :
Considération importante, les tribunaux doivent bien organiser ces diverses sources afin que l’accent demeure sur le libellé restrictif de la loi. Encore une fois, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable ne devrait pas s’attacher au contenu des contributions au processus ou encore au bien-fondé de celles-ci au regard de considérations d’intérêt général. Les tribunaux doivent plutôt rattacher ces sources à l’analyse de la question de savoir si le texte subordonné est compatible avec le texte de la loi habilitante, son contexte et son objet. Par exemple, les résumés d’étude d’impact de la règlementation peuvent éclairer le tribunal sur le lien existant entre l’objet d’une loi habilitante et un objectif règlementaire, tout comme les débats parlementaires. Ces analyses peuvent aider à démontrer comment les effets d’un règlement qui, à première vue, semblent déraisonnables sont permis par la loi habilitante [traduction][47].
Cela se rapproche davantage de ce que j’ai à l’esprit en ce qui concerne la présomption de validité : je pense qu’il faut la traiter de facto plutôt que de jure et caractériser l’action administrative en cause de manière équitable.
Après considération de l’arrêt Katz, la juge Côté s’est penchée sur les principales contraintes. En fin de compte, l’affaire de l’appelant repose sur l’interprétation du pouvoir conféré par l’article 26.1 de la Loi sur le divorce[48] par la juge Côté. Le pouvoir général de règlementer (para 26.1[1]) a accordé au gouverneur en conseil « un pouvoir extrêmement large »[49]. Ce pouvoir général est limité par le paragraphe 26.1(2), qui impose « le principe que l’obligation financière de subvenir aux besoins des enfants à charge est commune aux époux et qu’elle est répartie entre eux selon leurs ressources respectives permettant de remplir cette obligation »; cependant, cette contrainte aussi, a conclu la juge Côté, « est exprimée en termes larges »[50]. Par conséquent, en ce qui concerne les diverses questions soulevées par l’appelant relativement au caractère raisonnable du fond des Lignes directrices en ce qui concerne les lignes tracées (ou non tracées) par le gouverneur en conseil, il n’y avait aucun fondement pour une intervention judiciaire :
Il était loisible au GEC de choisir une méthode de calcul des ordonnances alimentaires pour enfants qui : (1) ne tient pas compte du revenu du parent créancier; (2) tient pour acquis que les parents payent le même pourcentage linéaire de revenu pour leurs enfants peu importe les niveaux de revenu des parents et l’âge des enfants; (3) ne tient pas compte des allocations pour enfant versées par le gouvernement aux parents créanciers; (4) ne tient pas compte des dépenses engagées directement par le parent débiteur à l’égard de l’enfant lorsque ce parent exerce moins de 40 p. 100 du temps parental au cours d’une année; (5) risque d’entraîner une double prise en compte de certaines dépenses spéciales ou extraordinaires. Chacune de ces décisions relevait nettement du pouvoir délégué au GEC en vertu de la Loi sur le divorce[51].
Maintenant que le cadre est clarifié, il sera intéressant d’observer sur quoi seront fondées les futures contestations du caractère raisonnable d’un règlement. L’élimination de la voie de dérogation spéciale pour les règlements est certainement bienvenue (et, à mon avis du moins, inévitable) à la lumière de l’arrêt Vavilov. Toutefois, comme toujours, des aspects de l’analyse de la Cour suprême exigeront un examen approfondi dans les affaires futures afin de déterminer dans quelle mesure les contestataires d’un règlement sont susceptibles d’obtenir gain de cause.
B) Quelques questions sans réponse
Toute incursion de la Cour suprême dans un domaine controversé laissera invariablement certaines questions sans réponse. C’est aussi le cas de l’arrêt Auer. Trois me sautent aux yeux.
Premièrement, comme je l’ai déjà mentionné, les exigences de la présomption de validité ne sont pas claires. On pourrait alléguer que la « présomption » ne fait que réaffirmer les principes fondamentaux du droit administratif selon lesquels le contestataire, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, a le fardeau de démontrer l’illégitimité et qu’un règlement, comme toute décision, doit être interprété équitablement en fonction de son objet plutôt avoir un but plutôt que parcimonieusement. Encore une fois, tant que la présomption n’a qu’une qualité de facto, plutôt qu’une qualité de jure, elle ne devrait pas créer trop de difficultés.
Deuxièmement, la mesure dans laquelle les conséquences d’un règlement peuvent être prises en compte par une cour de révision n’est pas claire. L’opinion de la Cour suprême était la suivante:
Les conséquences potentielles ou concrètes du texte législatif subordonné ne sont pertinentes que dans la mesure où une cour de révision doit décider si le délégataire était raisonnablement autorisé à édicter le texte législatif subordonné qui aurait de telles conséquences. L’analyse appropriée ne consiste pas à se demander si ces conséquences sont en soi nécessaires, souhaitables ou sages[52].
Dans son sens négatif – ce qu’un tribunal ne peut pas examiner – ce passage est suffisamment clair : les conséquences ne doivent pas être prises en compte lorsque la partie demanderesse cherche à mettre en cause le caractère nécessaire, souhaitable ou sage. Dans son sens positif – ce qu’un tribunal peut examiner comme il se doit –, ce passage est plutôt moins clair. On pourrait faire une analogie instructive avec la jurisprudence du fédéralisme, où les effets juridiques d’une disposition législative sont pertinents pour déterminer son caractère véritable aux fins de classification, et il devient légitime d’en déterminer les effets juridiques « par l’examen de son application et de ses effets sur les Canadiens »[53]. Mais cela soulève une autre question : comment le tribunal obtient-il l’information nécessaire pour déterminer les effets?
Troisièmement, toutefois, le contenu du dossier sur le contrôle judiciaire d’un règlement demeure flou. La Cour suprême suggère que les documents d’étude d’impact de la règlementation peuvent être pris en compte dans le cadre de l’exercice de contrôle judiciaire (bien que la suggestion à proprement parler est qu’ils aideront un tribunal à comprendre pourquoi un règlement a été adopté et, ainsi, font partie des arguments en faveur du maintien du règlement). Outre cette considération, la situation est trouble.
Pour commencer, il y a parfois un débat sur ce qui constitue le dossier lorsqu’un règlement est examiné : le tribunal peut-il seulement examiner les renseignements dont dispose l’autorité règlementaire au moment où le règlement a été pris (ce qui peut être simplement le texte du règlement lui-même et tout document d’évaluation d’impact pertinent) ou un plus large éventail de renseignements pourrait-il être approprié compte tenu des motifs du contrôle judiciaire ? L’opinion émergente est qu’un éventail relativement large de renseignements peut être pris en considération, à condition qu’il ait été présenté à l’autorité règlementaire et qu’il se rapporte à un motif de contrôle judiciaire plaidé par la partie demanderesse.[54] Il y a aussi un débat sur la mesure dans laquelle une autorité règlementaire peut être contrainte de divulguer des renseignements qu’elle avait à sa disposition, car cela pourrait parfois être protégé par le privilège[55], bien que les revendications de privilège puissent se retourner contre elle en amenant un tribunal à tirer une conclusion défavorable à l’autorité règlementaire.[56]
De plus, il y a un débat sur les éléments de preuve extrinsèques qui peuvent être versés au dossier. Dans l’affaire Sobeys West Inc. v College of Pharmacists of British Columbia[57], les pharmacies à grande surface ont contesté un règlement qui, selon elles, favorisait de façon injustifiée les intérêts des membres du collège par rapport à ceux du public. En première instance, elles ont eu gain de cause en grande partie sur la base d’une preuve extrinsèque examinée par la cour de révision. Toutefois, la Cour d’appel a infirmé cette décision en concluant que la preuve extrinsèque ne faisait pas partie du dossier. La juge Newbury avait estimé que la présence « d’éléments de preuve, même anecdotiques, mais appuyant en tout ou en partie les préoccupations [du Collège] » [traduction][58] suffisait. Dans l’affaire Auer, la partie demanderesse a présenté une preuve d’expert exhaustif devant les tribunaux visant à démontrer en quoi l’application des Lignes directrices était inéquitable dans un grand nombre de cas. La Cour suprême n’a pas eu à se prononcer sur la légitimité de cet exercice, car elle a conclu que la partie demanderesse n’avait pas réussi à faire valoir le bien-fondé de son argumentaire. Mais si les « conséquences » sont une considération légitime, au moins dans certains cas, alors on peut supposer qu’une preuve d’expert et d’autres éléments de preuve extrinsèques seront admissibles pour démontrer qu’un règlement a des effets qui vont au-delà de ceux qui sont raisonnablement autorisés par la loi.
Étant donné que l’arrêt Auer largue l’arrêt Katz et élargit ainsi la portée du contrôle judiciaire du caractère raisonnable d’un règlement, il est naturel de s’attendre à un élargissement correspondant de ce qui peut constituer le dossier. En fin de compte, les affaires futures nous renseigneront sur la disponibilité potentielle (sous réserve des revendications de privilège) de l’information devant l’autorité règlementaire, ainsi que sur la preuve extrinsèque. À mon avis, cependant, la tendance qui se dessine favorise des dossiers plus complets et plus étendus aux fins du contrôle judiciaire d’un règlement.
C) Règlements discriminatoires
L’arrêt Auer a été accompagné d’une décision complémentaire sur les règlements discriminatoires : l’arrêt TransAlta Generation Partnership c Alberta[59], a donné lieu à une décision portant sur le traitement des actifs désuets utilisés par les entreprises de services publics aux fins d’imposition municipale. Il s’agit donc d’une décision sur une question importante pour les acteurs du secteur de l’énergie : comment traiter les actifs délaissés. Dans la présente section, je vais décrire le cadre établi par l’arrêt TransAlta et l’illustrer en faisant référence à une série de décisions d’appel récentes concernant des règlements discriminatoires.
La discrimination au sens du droit administratif est différente de la notion de discrimination énoncée dans les lois sur les droits de la personne ou la jurisprudence concernant le droit à l’égalité garanti par la Charte[60], et la discrimination en ce sens existe depuis beaucoup plus longtemps. Dans l’affaire classique Kruse v Johnson[61], le juge en chef lord Russell de Killowen a établi un critère de caractère déraisonnable applicable à des règlements municipaux. Un des motifs d’invalidité, sous la rubrique générale du caractère déraisonnable, était lorsque le règlement en question a été « jugé partiel et inégal dans son application entre différentes catégories » [traduction][62].
La cause de premier plan au Canada est l’affaire Montréal c Arcade Amusements Inc.[63], où un règlement municipal interdisant aux personnes de moins de 18 ans d’entrer dans les aires de divertissement a été considéré comme une discrimination illégale fondée sur l’âge. Le juge Beetz a fourni[64] une longue liste de cas où la discrimination avait été jugée illégale :
– la distinction, en matière de permis, entre résidents et non-résidents : Jonas c. Gilbert (1881); Rex v. Paulowich, citée dans Montréal c. Arcade Amusements Inc. par L.-P. Pigeon; Re Ottawa Electric Railway Co. and Town of Eastview (1924); Rex Ex Rel. St-Jean v. Knott;[65]
– la distinction, relativement aux heures de fermeture, entre marins dont le navire mouille dans le port et les autres clients des marchands : Regina v. Flory (1889);[66]
– la distinction entre chiens pesant plus de trente-cinq livres et chiens plus légers, aux fins de les faire museler ou attacher : Phaneuf c. Corporation du Village de St-Hugues (1936), 61 Que. B.R. 83; la distinction non autorisée s’aggravait dans ce dernier cas de l’intention de viser une personne en particulier, mais ce sont les principes généraux relatifs à la distinction non autorisée par la loi que le juge Chouinard, parlant pour cette Cour, cite en les approuvant dans Ville de Montréal c. Civic Parking Center Ltd.[67];
– la distinction entre commerces d’une même classe, aux fins, entre autres, de fixer les heures de fermeture : Forst v. City of Toronto (1923); S.S. Kresge Co. v. City of Windsor (1957); City of Calgary v. S.S. Kresge Co. (1965); Regina v. Varga (1979); Entreprises Anicet Gauthier Inc. c. Ville de Sept-Îles.[68]
La discrimination au sens du droit administratif peut être autorisée par une loi. Le problème dans l’affaire Arcade Amusements n’était pas le règlement administratif discriminatoire en soi, mais plutôt l’absence d’autorisation législative pour la discrimination fondée sur l’âge. La Ville de Montréal avait fait valoir que l’étendue de ses pouvoirs d’adopter des règlements soutenait sa règlementation des salles de jeux d’arcade. Mais le juge Beetz a rejeté cet argument:
Mais, comme il apparaît à la face même de ces dispositions, aucune d’entre elles n’habilite explicitement la Ville à faire des distinctions fondées sur l’âge. On peut penser que l’autorisation de faire des distinctions fondées sur l’âge des enfants et des adolescents serait utile à la Ville dans l’exercice de ses pouvoirs généraux et particulièrement dans l’exercice de son pouvoir d’adopter des règlements de police. Mais si utile ou commode que puisse être une telle autorisation, je ne puis me convaincre qu’elle soit indispensable à l’exercice de ces pouvoirs de telle sorte que l’on doive la trouver dans ces dispositions habilitantes, par inférence nécessaire ou délégation implicite[69].
La juge McLachlin (qui était alors dissidente, mais pas sur ce point) a expliqué comment s’appliquait la notion juridique de discrimination dans le contexte des règlements municipaux dans l’affaire Produits Shell Canada Ltée c Vancouver (Ville) :
La règle relative à la discrimination par une municipalité concerne essentiellement les pouvoirs qu’elle possède. Les municipalités sont tenues de fonctionner dans les limites des pouvoirs que leur attribue leur loi constitutive et habilitante. La discrimination n’est pas interdite en soi. Ce qui est interdit, c’est la discrimination qui excède les pouvoirs de la municipalité définis par sa loi habilitante. La discrimination dans ce contexte municipal est donc un concept différent de la notion de discrimination dans le contexte des droits de la personne; pour les fins de la règle applicable en matière municipale, la discrimination ne porte que sur l’étendue d’une délégation de pouvoir[70].
Dans TransAlta, la Cour suprême a clarifié le lien entre le principe de non-discrimination et le contrôle selon la norme de la décision raisonnable.
Premièrement, lorsqu’il est allégué que les règlements sont discriminatoires, l’affaire sera examinée selon la norme de la décision raisonnable. Deuxièmement, au risque d’énoncer un traitement discriminatoire évident, il faut néanmoins le distinguer : la discrimination au sens du droit administratif – en établissant des distinctions entre les personnes ou les catégories de personnes – plutôt qu’au sens du droit constitutionnel. Troisièmement, il s’agira d’appliquer les principes de l’interprétation des lois pour déterminer si a) la discrimination a été expressément autorisée ou b) est autorisée par déduction nécessaire; sinon, le règlement sera illégal. Quatrièmement, le tribunal doit déterminer si le règlement respecte les contraintes juridiques pertinentes énoncées dans l’arrêt Vavilov.
TransAlta possède des installations de production d’électricité au charbon en Alberta. Le gouvernement de la province a pour politique d’éliminer progressivement la production d’électricité à partir du charbon. Par conséquent, en 2016, TransAlta et le gouvernement provincial ont conclu un accord (un « Off-Coal Agreement ») qui prévoyait que TransAlta cesserait d’utiliser ces installations d’ici 2030 en échange de « paiements de transition ». Mais une autre question s’est alors posée. TransAlta doit payer des taxes municipales sur ses propriétés, y compris les installations de production d’électricité au charbon. Elles sont définies comme des « propriétés linéaires » en vertu de l’alinéa 284(1)k) de la Municipal Government Act[71].
Cependant, ces propriétés se déprécient rapidement à mesure que les centrales au charbon disparaissent. Est-ce que TransAlta a donc le droit d’accélérer l’amortissement de ces installations ? Il en résulterait que la valeur imposable des installations de TransAlta serait beaucoup plus faible aux fins de l’imposition municipale.
Normalement, un propriétaire peut demander une réparation à un évaluateur dans ces circonstances. Cependant, le ministre des Affaires municipales avait pris un règlement en vertu de la MGA qui excluait expressément les propriétés assujetties à un accord d’élimination du charbon de la possibilité de demander une dépréciation additionnelle. Était-ce légal ? En fin de compte, oui, la Cour suprême a confirmé le point de vue unanime des tribunaux inférieurs.
i. La norme de contrôle
Aux fins d’une décision unanime de la Cour suprême, la juge Côté a appliqué la norme de la décision raisonnable, comme présagé par l’arrêt Auer[72], en insistant sur le fait que l’application de la norme à la légalité d’un règlement « constitue fondamentalement une opération d’interprétation statutaire qui vise à s’assurer que le délégataire a agi dans les limites du pouvoir légitime qu’il détient en vertu de la loi habilitante »[73].
ii. Distinguer la discrimination
La juge Côté a conclu que TransAlta avait fait l’objet de discrimination. La Cour d’appel avait conclu qu’il n’y avait pas de discrimination entre des personnes « dans des situations analogues », car le règlement en cause « s’applique à toutes les centrales électriques alimentées au charbon de la province qui sont assujetties à des accords ou à des lois exigeant la réduction ou l’arrêt des émissions provenant du charbon » [traduction][74]. La juge Côté n’était pas d’accord. La catégorie pertinente était celle des propriétaires de propriétés linéaires; dans cette catégorie, ceux qui avaient conclu des accords d’élimination du charbon ont été ciblés. Mais pour ce qui est du règlement, TransAlta aurait pu demander que la dépréciation additionnelle soit prise en considération par un évaluateur municipal :
Les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire discriminent à l’encontre de TransAlta et des autres parties à des accords d’élimination du charbon en les désignant spécifiquement comme inadmissibles à réclamer une dépréciation additionnelle en raison des accords d’élimination du charbon et à faire examiner cette réclamation par l’évaluateur (voir les al. 1.003(d) et 2.004(e)). Les propriétaires de biens-fonds linéaires qui ne sont pas parties à des accords d’élimination du charbon sont admissibles, sans exclusion, à réclamer une dépréciation additionnelle et à faire examiner ces réclamations par l’évaluateur.
[…]
Le fait que les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire traitent toutes les parties à des accords d’élimination du charbon de la même façon ne signifie pas qu’elles ne sont pas discriminatoires. Les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire traitent toutes les parties à des accords d’élimination du charbon de la même façon discriminatoire, par comparaison avec les propriétaires de biens-fonds linéaires qui ne sont pas parties à de tels accords. Comme il a été expliqué, il y a discrimination administrative lorsqu’un texte législatif subordonné établit expressément des distinctions entre les personnes à qui s’applique sa loi habilitante (Keyes, p. 370 et 371). Les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire établissent expressément une distinction entre les propriétaires de biens-fonds linéaires qui sont parties à des accords d’élimination du charbon et ceux qui ne sont pas parties à de tels accords, bien que les deux groupes de propriétaires soient assujettis à la MGA[75].
Il s’agit d’un rappel utile que le seuil à partir duquel on peut conclure qu’il y a eu discrimination en droit administratif est relativement bas. Un traitement différentiel au sein d’une catégorie sera suffisant.
iii. Autorisation de discriminer
Il y aura parfois présence d’un pouvoir explicite de discrimination. Prenons l’affaire GSI Global Shelters Developments Ltd. c Rural Municipality of Last Mountain Valley No. 250[76], où un règlement administratif a résisté à une contestation basée sur de nombreux motifs, y compris la discrimination entre les propriétaires de terrains aménagés et non aménagés dans un centre de villégiature.
Dans l’affaire GSI, la question centrale concernait l’imposition d’une taxe d’un montant minimum, laquelle était controversée en raison des particularités de la municipalité. La municipalité en question comprend un parc, un hameau, trois centres de villégiature et des terres agricoles. La plupart des résidents permanents de la municipalité sont des agriculteurs. Il y a de nombreux contribuables qui ne sont pas des résidents permanents, mais qui utilisent plutôt les terrains du centre de villégiature pendant l’été. GSI possède 78 de ces terrains. Cependant, bon nombre des contribuables n’ont pas érigé de résidence sur leur terrain. Ils y viennent plutôt en visite et résident dans leurs VR de luxe pendant les mois d’été. Par le passé, les contribuables qui n’avaient pas érigé de résidences sur leurs terrains payaient beaucoup moins d’impôt municipal que ceux qui en avaient érigé une; la valeur imposable de leur terrain était beaucoup plus faible. Lorsque la municipalité a imposé une taxe minimale de 1 200 $, cette mesure a eu un effet important sur les contribuables qui n’avaient pas érigé de résidence sur leurs terrains et surtout sur GSI qui était propriétaire de nombreux terrains.
La discrimination entre les terrains aménagés et non aménagés était-elle autorisée par la loi ? Le juge Caldwell a opiné en ce sens :
Je prends aussi acte de l’argument de GSI selon lequel le règlement établit une distinction entre les propriétés sur la base qu’elles ont été aménagées ou non, et du fait que cela a un effet économique disproportionné sur GSI, parce qu’il est propriétaire de nombreux terrains résidentiels vacants. Toutefois, comme il a été mentionné, la Municipalities Act autorise expressément les municipalités à imposer des taxes différentes sur différentes catégories de propriétés et à imposer des taxes minimales différentes sur différentes catégories de propriétés. Le règlement administratif ne vise pas, à première vue, GSI ni aucune autre entité particulière, et il n’affecte pas les propriétés résidentielles de GSI différemment des autres propriétés résidentielles dans la MR (sauf celles expressément exclues de son application). La Municipalities Act autorise une municipalité à établir légalement une distinction entre des propriétés de même catégorie générale, comme le fait ce règlement administratif [traduction][77].
Il s’agissait d’un cas d’autorisation expresse, selon le juge Caldwell. Bien sûr, l’alinéa 289(2)b) prévoit « différents montants d’impôt minimum ou différentes méthodes de calcul de l’impôt minimum pour différentes catégories de biens […] » [traduction]. Par conséquent, il était tout à fait possible de faire la distinction entre les terrains non aménagés et les terrains aménagés, étant donné qu’il s’agit de différentes catégories de propriétés. Il convient également de souligner que la discrimination peut être légitimement autorisée dans une loi d’interprétation générale, comme en Ontario[78], ce qui élimine la discrimination comme motif de contestation d’un règlement[79].
Dans TransAlta, il n’y avait pas de disposition expresse autorisant la discrimination. Cependant, la juge Côté a conclu que le ministre était implicitement autorisé à exercer une discrimination contre TransAlta et d’autres parties à des accords d’élimination du charbon. D’abord : « [l]e ministre dispose d’un vaste pouvoir lui permettant de prendre des règlements établissant des normes d’évaluation pour les biens-fonds linéaires, concernant l’évaluation de biens-fonds linéaires, concernant les processus et procédures de préparation des évaluations et concernant toute question jugée nécessaire pour réaliser l’objet de la MGA »[80]. Ensuite :
Dans l’établissement d’une norme d’évaluation pour les biens-fonds linéaires, le ministre est autorisé à prendre des règlements « concernant les biens-fonds industriels désignés, notamment des règlements concernant les spécifications et caractéristiques des biens-fonds industriels désignés » [traduction] (MGA, al. 322[1] d.3). Les « spécifications et caractéristiques » énoncées par le ministre doivent être prises en compte par l’évaluateur dans la détermination de la valeur du bien-fonds aux fins d’imposition (al. 292[2] [b]). Cette attribution de pouvoir est formulée en termes très larges – « sans restriction » – et habilite explicitement le ministre à identifier les « spécifications et caractéristiques » des biens-fonds industriels et à prendre des règlements à cet égard. Il n’est pas possible d’interpréter l’al. 322(1)(d.3) sans envisager l’établissement de distinctions entre les types de biens-fonds sur le fondement de leurs spécifications et caractéristiques[81].
En effet, la raison d’être du régime législatif est de s’assurer que les évaluations sont à jour, justes et équitables. Cela sous-tend que le ministre doit pouvoir faire de la discrimination parce qu’autrement, il y a un risque que les évaluations soient « inappropriées »[82]. Le tracé des lignes est inévitable et la discrimination est donc inhérente au régime législatif : « lorsque cela est approprié, le ministre doit avoir le pouvoir de déclarer que certaines spécifications et caractéristiques ne sont pas pertinentes à l’égard d’une évaluation, comme il l’a fait en l’espèce »[83] . Dans la plupart des régimes d’imposition, il semblerait que la discrimination sera inévitablement autorisée implicitement, car la différenciation fait partie intégrante d’un programme d’imposition fonctionnel.
Cependant, la Cour d’appel de l’Alberta a sans doute adopté un point de vue différent dans l’affaire Canadian Natural Resources Limited v Fishing Lake Metis Settlement[84]. Elle a conclu qu’une politique fiscale (fonctionnellement équivalente à un règlement administratif) discriminatoire entre les membres et les non-membres de l’Établissement était illégale, car il n’y avait pas d’autorisation expresse ni nécessairement d’autorisation implicite. La juge Pentelechuk a d’abord expliqué la nature de la discrimination exercée par les politiques d’imposition adoptées par le Metis Settlements General Council (non pas par les règlements administratifs en tant que tels, mais bien par des instruments semblables de nature générale ayant force de loi) :
Le résultat de ces exemptions est que le bien d’entreprise des [sociétés détenues par des non-membres de l’Établissement] sera assujetti à l’impôt, tandis que celui d’entreprises détenues par des membres de l’Établissement ne le sera pas. Cela diffère de la politique d’origine qui prévoyait que les mêmes biens soient imposés, peu importe si l’entreprise appartient ou non à un membre de l’Établissement. Le Conseil général fait remarquer que la politique d’origine exempte déjà de l’impôt « les biens appartenant à un membre de l’Établissement qui ne sont pas utilisés pour exploiter une entreprise ». Toutefois, cela n’a pas créé d’inégalité de traitement, car la politique d’origine, qui ne traitait que des biens d’entreprise, aurait également « exempté » de l’impôt tout bien appartenant à un membre qui n’est pas utilisé pour exploiter une entreprise [traduction][85].
Elle a aussi expliqué avec nuance que la discrimination à des fins fiscales n’a pas besoin d’être expressément autorisée par une loi. En effet, dans une décision antérieure de la Cour suprême, Jonas c Gilbert[86], le juge en chef Ritchie a conclu qu’un « pouvoir de discrimination doit être expressément autorisé »[traduction]. Toutefois, dans des décisions plus récentes (notamment l’arrêt Arcade Amusements, comme il a été mentionné ci-dessus), la Cour suprême a confirmé que la déduction nécessaire était suffisante[87]. La juge Pentelechuk a néanmoins accepté que « l’application du critère sera fortement teintée par la nature du pouvoir en cause » [traduction][88].
Ces mots étaient prémonitoires. La juge Pentelechuk était d’avis, à la lumière de la jurisprudence de la Cour suprême[89], que des fardeaux fiscaux discriminatoires ne peuvent être imposés que lorsque la capacité de discriminer est nécessaire à l’atteinte des objectifs du pouvoir d’imposition lui-même :
À la lumière de cette orientation, on ne peut pas affirmer que la capacité d’établir une distinction entre les membres et les non-membres de l’Établissement soit absolument nécessaire pour que le Conseil général (ou, par extension, aux établissements métis individuels) puisse exercer des pouvoirs d’imposition; le pouvoir d’adopter de telles politiques ne peut être implicite ou déduit du MSA. Il est difficile de déduire le pouvoir de discrimination dans des domaines comme la fiscalité, et les tribunaux hésiteront à le faire. Le fait de qualifier le MSA d’accord mélioratif n’est pas suffisant pour réfuter la présomption profondément enracinée d’égalité en matière fiscale [traduction][90].
En l’absence d’une autorisation expresse de faire de la discrimination entre les membres et les non-membres de l’Établissement, la politique d’imposition était contraire à la loi[91].
La juge Pentelechuk a également rejeté la proposition (avancée par le juge de première instance) selon laquelle la discrimination entre les membres et les non-membres de l’Établissement pourrait être considérée comme une mesure méliorative adoptée par une entité gouvernementale intrinsèquement chargée de soutenir la vie et la culture des Métis[92].
Il me semble que le fondement de la préoccupation de la juge d’appel Pentelechuk était que la discrimination en l’espèce concernait des personnes et était fondée sur des attributs qui n’étaient pas pertinents pour l’application du régime statutaire. Une certaine forme de traitement différencié semble inévitable dans le contexte fiscal, comme le suggère fortement l’arrêt TransAlta, mais les différences pertinentes ne devraient pas être liées à l’appartenance d’une personne à un groupe particulier. Il serait étrange que les fardeaux de l’impôt sur le revenu ou de la taxe de vente diffèrent en fonction des croyances religieuses, des affiliations politiques ou de l’orientation sexuelle d’une personne.
iv. Autres contraintes juridiques pertinentes
Enfin, la juge Côté a évalué le règlement en fonction des contraintes juridiques pertinentes : « la prochaine question consiste à se demander s’il [le ministre] a exercé ce pouvoir d’une manière compatible avec l’économie et les objectifs de la MGA[93] ». Dans le cas qui nous occupe, comme dans l’arrêt Auer[94] , les contraintes pertinentes découlaient du régime statutaire. Cela ne veut pas dire pour autant que dans d’autres affaires, d’autres contraintes découlant de l’arrêt Vavilov pourraient ne pas être pertinentes. En l’espèce, toutefois, l’argument avancé par TransAlta était que le fait de ne pas tenir compte d’une dépréciation additionnelle allait à l’encontre de l’objectif de la MGA, à savoir que la valeur estimée des installations serait inexacte même si le régime avait été conçu pour garantir précisément cette exactitude. Cet argument n’a pas tenu parce que l’accord d’élimination du charbon compense les pertes de TransAlta :
La formule employée pour calculer les paiements de transition dans l’Accord d’élimination du charbon tient compte d’au moins une partie de la perte de valeur découlant de la durée de vie réduite des installations alimentées au charbon de TransAlta. Elle le fait en répartissant proportionnellement la valeur comptable nette des installations en fonction du pourcentage de la durée de vie restante après 2030 (Accord d’élimination du charbon, Ann. A). Même si l’on qualifie les paiements d’indemnisation pour la perte de profits, parce qu’ils promettent des revenus additionnels qui suivent les biens, ils ont pour effet de compenser la diminution de valeur causée par la durée de vie réduite des installations. Pour être à jour et exacte, une évaluation des installations alimentées au charbon de TransAlta doit tenir compte du fait que les paiements de transition atténuent au moins une partie de la dépréciation qui résulterait autrement de la mise hors service hâtive des installations. Par conséquent, à la lumière de l’objectif de la MGA qui consiste à faire en sorte que les évaluations soient à jour et exactes, il était raisonnable pour le ministre d’interpréter le pouvoir qui lui est accordé par la loi comme l’autorisant à priver TransAlta de la capacité de réclamer une dépréciation additionnelle en vertu des Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire[95].
Le fait de priver TransAlta de la capacité de réclamer une dépréciation additionnelle est également compatible avec l’objectif de la MGA consistant à faire en sorte que les évaluations soient justes et équitables. Étant donné que les paiements de transition tiennent déjà compte d’au moins une partie de la perte de valeur résultant de la durée de vie réduite des installations alimentées au charbon de TransAlta, il y aurait un véritable risque de « cumul d’indemnisations » si TransAlta était en mesure de profiter d’une dépréciation additionnelle pour cette même perte de valeur en vertu des Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire. Ce ne serait ni juste ni équitable[96].
Maintenant, on peut se demander si les contraintes juridiques pertinentes pourraient être violées si la discrimination est implicitement autorisée. Pour qu’une discrimination soit implicitement autorisée, elle doit être conforme au régime statutaire et il serait inhabituel que la discrimination soit implicitement autorisée (et donc compatible avec le régime statutaire), tandis qu’elle mine les objectifs de la loi. Je pense que cela pourrait se produire, mais il conviendrait de faire la distinction entre la discrimination au sens général (interprétation) et la discrimination en un sens particulier (application). Déterminer si la discrimination est autorisée est une question d’interprétation générale : l’autorité règlementaire peut-elle jamais faire de la discrimination ? Déterminer si un type particulier de discrimination est causé par l’application du pouvoir de discrimination est une question précise : l’autorité règlementaire a-t-elle fait preuve de discrimination raisonnable dans ce cas-ci ? Il semble toutefois approprié de souligner que l’examen de la question de savoir si la discrimination est implicitement autorisée recoupe souvent l’examen de la question de savoir si une application particulière du pouvoir de discrimination est justifiée. En fait, la meilleure façon de comprendre les préoccupations de la juge d’appel Pentelchuk dans l’affaire Fishing Lake pourrait être de considérer que la question portait sur l’exercice d’un pouvoir de discrimination – ciblant des personnes en fonction de critères non pertinents pour l’objet du régime statutaire – plutôt que sur son existence.
Deux affaires récentes au Québec sont utiles pour éclairer davantage la question. Dans l’affaire Lauzon-Foresterie (Fiducie) c Municipalité de L’Ange-Gardien[97], la plainte pour discrimination découle d’une nouvelle disposition législative autorisant les municipalités du Québec à percevoir des taxes directement[98]. La disposition renferme des restrictions (p. ex. pas d’impôt sur le revenu) et des conditions (p. ex. l’objet de la taxe et le taux d’imposition doivent être clairement précisés). Elle précise également que la municipalité peut accorder des « exemptions de la taxe ».
La municipalité a utilisé le nouveau pouvoir pour créer une taxe sur certains terrains vacants, tout terrain d’au moins 10 acres, mais exemptant les terres agricoles et d’extraction des ressources. Selon les appelants, cela a créé une distinction arbitraire entre certains types de terrains considérés comme vacants (comme ceux utilisés pour la foresterie) et les terres agricoles et d’extraction des ressources (même si ces terres sont souvent aussi forestières et donc indissociables des terrains des appelants). Essentiellement, ils ont fait valoir que la municipalité devait appliquer une approche uniforme dans l’ensemble de son territoire à l’imposition des terrains vacants. Cela a donné lieu à deux motifs distincts d’attaque contre la légalité du règlement, à savoir premièrement que l’approche fragmentaire de la municipalité n’était pas autorisée par la loi et, deuxièmement, qu’elle était discriminatoire.
Le premier motif a échoué, car la juge Lavallée a conclu que le pouvoir de créer des « exemptions » pouvait s’appliquer à l’ensemble du territoire de la municipalité ou simplement à une partie[99], parce que l’assemblée législative n’avait pas cherché à limiter ou à assortir de conditions ce pouvoir d’aucune façon[100].
Le deuxième motif a également échoué. La juge Lavallée a reconnu qu’un pouvoir de discrimination doit être conféré expressément ou par déduction nécessaire et que ce pouvoir ne peut être utilisé que de façon non arbitraire. Ici, le pouvoir de créer des « exemptions » autorisait implicitement la discrimination, pour peu que celle-ci soit rationnellement justifiable[101]. La justification nécessaire était disponible[102]. La municipalité s’était engagée dans un processus de conciliation classique des facteurs sociaux et économiques, cherchant à donner un traitement favorable au secteur agricole pour favoriser la croissance et ne pas pénaliser un secteur d’extraction de ressources déjà tenu de payer des impôts sous un régime différent :
les règlements attaqués prévoient une exonération de la taxe qui a fait l’objet d’une justification rationnelle et raisonnable de la part de l’intimée. La preuve démontre que les exonérations règlementaires reposent sur la volonté que les terrains vacants situés dans les zones d’extraction soient exploités sans que soit imposé un fardeau fiscal supplémentaire aux carrières et sablières, lesquelles sont déjà assujetties à une redevance qui s’ajoute à la taxe foncière. De même, la preuve retenue par le juge permet de conclure que l’intimée s’est souciée de la volonté de revitaliser les terres agricoles vacantes et, à cette fin, de ne pas accroître le fardeau fiscal des agriculteurs.[103]
En revanche, dans l’affaire Fishing Lake, on pourrait dire que le fait de cibler des non-Métis n’était pas le résultat d’un exercice de conciliation de divers facteurs sociaux et économiques.
Dans l’affaire Procureur général du Québec c Kanyinda[104], la question portait sur la validité de l’exclusion du programme de garde d’enfants subventionné du Québec des demandeurs d’asile qui sont titulaires d’un permis de travail valide. Les demandeurs dont le statut de réfugié est reconnu sont admissibles, mais ceux dont la demande est en cours de traitement ne le sont pas. Le problème pratique – et bien réel – est que les décisions finales sur les demandes d’asile peuvent tarder de plusieurs années (3 ans dans le cas de K), période pendant laquelle ils ne sont pas admissibles au programme subventionné de garde d’enfants.
La Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance[105] (LSGEE) établit le programme, qui prévoit le paiement de frais réduits par les parents pour les services de garde subventionnés en vertu de la Loi : « Le gouvernement peut, par règlement, fixer le montant de la contribution exigible d’un parent pour les services de garde fournis par un prestataire de services de garde subventionné à cette fin[106] ». Certains parents peuvent également être exemptés du paiement de la contribution, en tout ou en partie[107] : il existe un mécanisme de règlement des différends pour déterminer l’admissibilité[108]. La Loi prévoit en outre un pouvoir de règlementation pour « déterminer les conditions et modalités suivant lesquelles le parent verse la contribution fixée par le gouvernement »[109].
La juge Dutil a conclu que la capacité d’établir des modalités était suffisamment vaste pour permettre au gouvernement d’exclure les demandeurs d’asile par règlement :
En examinant tant l’objet de la LSGÉE que cette loi dans son ensemble et sa finalité, je suis d’avis que le gouvernement pouvait déterminer les conditions d’admissibilité prévues à l’article 3 RCR. La LSGÉE doit être étudiée « dans [le] contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » [30]. En interprétant la LSGÉE en suivant ces enseignements, les conditions et modalités, dont il est question au paragraphe 106(26), « suivant lesquelles le parent verse la contribution réduite fixée par le gouvernement », incluent, à mon avis, les conditions d’admissibilité qu’il faut respecter pour profiter de cette contribution réduite et auxquelles le législateur fait référence au paragraphe 42(2) et à l’article 87 LSGÉE. Il est logique qu’il en soit ainsi et cela est cohérent. En effet, comme le plaide le PGQ, il est difficile de soutenir que le gouvernement puisse établir par règlement les cas où un parent peut être exempté de payer une contribution réduite, mais qu’il ne puisse en établir les conditions d’admissibilité[110].
[…]
En l’espèce, le législateur indique qu’il y a des conditions d’admissibilité à la contribution réduite. Puisque je conclus que le gouvernement était habilité à déterminer ces conditions d’admissibilité par règlement, il avait donc le pouvoir discrétionnaire de faire des distinctions entre certaines catégories de personnes pour déterminer lesquelles étaient admissibles. Cela respecte l’objet de la loi et ne rend pas l’article 3 RCR discriminatoire au sens du droit administratif. Il me faudra toutefois déterminer si la distinction qui fait en sorte d’exclure les personnes demandant l’asile respecte les chartes, ce que je ferai dans la section suivante[111].
Je ne suis pas tout à fait convaincu ici. La loi crée effectivement un droit à des services de garde subventionnés (sous réserve qu’il y ait suffisamment de places disponibles). Les seules conditions pertinentes se rapportent au montant qu’un parent doit payer pour le service et à la question de savoir si un parent est exempté du paiement. Le pouvoir de règlementation ne semble pas avoir pour objet d’exclure des catégories de parents — l’objet du texte législatif est de créer un régime général auquel tous les enfants dont les parents travaillent ont accès. Dans ce contexte, je ne crois pas qu’il s’ensuit nécessairement que le pouvoir de déterminer les conditions comprend le pouvoir d’exclure des catégories déterminées de parents.
Je me souviens de la décision rendue par la Cour d’appel d’Angleterre et du pays de Galles dans l’affaire R. v Secretary of State for Social Security, ex part Joint Council for the Welfare of Refugees[112]. Le règlement dont il est question dans cette affaire, qui privait certaines catégories de demandeurs du statut de réfugié des prestations d’aide sociale, avait des effets beaucoup plus graves que le règlement en cause dans l’affaire Kanyinda. Il a aussi été adopté en vertu d’une loi différente de celle qui concerne le statut de réfugié. Quoi qu’il en soit, le point général me semble tout à fait semblable : un pouvoir de règlementation général ne devrait pas être autorisé à la légère quand son exercice peut éliminer un droit précis accordé par une loi. En somme, l’arrêt Kanyinda ne me semble pas être un cas évident d’autorisation implicite. À tout le moins, toute exclusion par règlement devrait faire l’objet d’un examen minutieux dans des circonstances comme celles-ci.
En fin de compte, dans l’affaire Kanyinda, le règlement a été invalidé parce qu’il violait le droit à l’égalité garanti par l’article 15 de la Charte des droits et libertés[113] et que cette violation n’était pas justifiée par le critère de proportionnalité prévu à l’article 1.
Cette analyse soulève toutefois une autre question. Comme il a été mentionné ci-dessus, la discrimination doit être autorisée par une loi (expressément ou par déduction nécessaire), mais elle doit également satisfaire aux autres contraintes juridiques pertinentes. Même si l’on admet que l’exclusion des demandeurs d’asile du programme de garde d’enfants subventionné était implicitement autorisée par la loi, il reste à déterminer si cette exclusion est raisonnable.
En l’espèce, toutefois, l’exclusion ne pouvait pas être justifiée en vertu de l’article 1, car il n’y avait aucun lien rationnel entre l’objectif du règlement et les moyens utilisés pour atteindre cet objectif. Le Québec a fait valoir que le règlement visait à faire en sorte que seuls les parents ayant un lien suffisant avec la province puissent bénéficier de services de garde subventionnés. Mais, comme a fait remarquer la juge Dutil, bon nombre des personnes à qui le règlement permet de bénéficier du programme ne seraient au Québec que temporairement[114]. Elle a également conclu qu’il n’y avait pas d’atteinte minimale et que l’exclusion ne satisfaisait pas au critère de pondération : « Le PGQ ne soulève aucun effet bénéfique découlant de cette exclusion prévue à l’article 3 du RCR du point de vue des politiques législatives et de la société dans son ensemble. Les effets préjudiciables subis par les personnes demandant l’asile, au contraire, ont été démontrés de manière manifeste par Mme Kanyinda, preuve scientifique à l’appui » [115].
Tout cela étant dit, comment peut-on dire que l’exclusion était justifiée au sens du droit administratif ? À mon avis, l’absence de lien rationnel, l’atteinte minimale et la preuve d’un préjudice à l’intérêt public militent autant en faveur d’une conclusion d’illégalité en droit administratif qu’en faveur de la conclusion de la juge Dutil en vertu de l’article 1. Il aurait été intéressant que ce point eût été approfondi, car le contexte du pouvoir de règlementation ici est très différent du contexte municipal, où la pondération des intérêts divergents fait partie intégrante du processus d’élaboration des règlements et où les tribunaux font preuve de déférence, et à juste titre.
En fin de compte, Mme Kanyinda a eu gain de cause en vertu de la Charte[116], car la juge Dutil a pu déterminer l’admissibilité de Mme Kanyinda dans l’interprétation du règlement[117]. La Cour suprême entendra l’appel du gouvernement du Québec dans cette affaire, bien qu’il n’y ait pas eu d’appel incident de la part de Mme Kanyinda. Par conséquent, la question du droit administratif ne sera probablement pas débattue devant le plus haut tribunal du pays.
Si j’ai raison de dire qu’une cour de révision doit demander (1) s’il y a eu discrimination; (2) si la discrimination a été autorisée expressément ou par déduction nécessaire; et (3) si la discrimination était autrement raisonnable, alors une question persiste au sujet des affaires TransAlta et Auer. La question qui se pose concerne l’application du pouvoir de discrimination : à quel moment la discrimination devient-elle disproportionnée dans une mesure telle qu’elle devient déraisonnable ?
Il semble clair que TransAlta n’est pas exactement dans la même position qu’il aurait été, sauf pour ce qui est de l’accord d’élimination du charbon. Il semble donc y avoir un décalage entre ce que TransAlta a reçu du gouvernement et ce qu’il devra payer en taxes municipales. Pour la Cour suprême, le fait qu’il y ait eu une compensation semble suffisant. Toutefois, on n’a pas tenu compte de la proportionnalité de la compensation. Cet aspect pourrait devenir important pour régler le problème des actifs délaissés à l’avenir.
De même, dans l’arrêt Auer, le fait que le règlement ait établi des limites entre différentes personnes et catégories de personnes qui entraînent divers résultats inhabituels, arbitraires ou absurdes n’était pas suffisant pour rendre le règlement illégal, même si, dans certains cas, il était appelé à entraîner un impact économique disproportionné sur certaines personnes. Ce sujet aurait pu être approfondi aussi bien dans l’arrêt TransAlta que dans l’arrêt Auer.
Néanmoins, le cadre établi par la Cour suprême pour évaluer les allégations de discrimination règlementaire dans l’arrêt Vavilov est bien ficelé et exige que la cour pose trois questions : y a-t-il eu discrimination ? Le cas échéant, a-t-elle été autorisée ? Était-elle compatible avec les contraintes juridiques pertinentes ?
II. CONTRÔLE SELON LA NORME DE LA DÉCISION RAISONNABLE
La plus récente décision de la Cour suprême du Canada dans son catalogue des normes de contrôle est l’arrêt Ontario (Procureur général) c Ontario (Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée)[118]. Cette décision fait suite à l’arrêt Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration)[119], qui a conclu qu’une décision administrative était déraisonnable et que, en outre, il n’y avait qu’une seule interprétation raisonnable de la disposition en cause. J’étais relativement optimiste au sujet de la décision rendue dans l’affaire Mason; je suis moins enthousiaste à l’égard de l’affaire des lettres de mandat.
Dans cette affaire, le Commissaire avait ordonné que les lettres de mandat envoyées par le premier ministre de l’Ontario à ses ministres soient rendues publiques en vertu de la Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée[120]. Le gouvernement de la province avait résisté à la divulgation en vertu du paragraphe 12(1) de la Loi, qui crée une exception lorsque la divulgation « aurait pour effet de révéler l’objet des délibérations » du Cabinet pour un éventail de documents « notamment » (mais sans s’y limiter), des ordres du jour, des procès-verbaux ou des documents qui relatent un choix de politiques présentées au Cabinet. La prémisse de base des motifs détaillés de décision du Commissaire était que les lettres de mandat, qui mentionnent des décisions déjà prises, ne révéleraient pas le fond des délibérations.
Appliquant le contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la juge Karakatsanis a conclu que la décision du Commissaire était déraisonnable. La principale erreur était que le Commissaire n’avait pas tenu suffisamment compte du contexte constitutionnel : « Puisque le par. 12(1) vise à préserver le secret des délibérations du Cabinet, la dimension constitutionnelle du secret du Cabinet est un élément contextuel crucial dans l’interprétation du par. 12(1) »[121]. Cela a entraîné une perte de confiance à l’égard du résultat[122].
Le Commissaire a erré de deux façons. Premièrement, il a donné une portée trop étroite au paragraphe 12(1). Le Commissaire a axé son analyse que sur deux justifications de la confidentialité du Cabinet – promouvoir la franchise ministérielle et préserver la solidarité collective – au détriment d’une troisième, un gouvernement efficient. L’omission de prendre en compte cette justification l’a amené à attribuer un objectif trop étroit au par. 12(1) et à ne pas répondre à l’une des observations du gouvernement :
Premièrement, si le CIPVP avait reconnu que le secret des délibérations vise fondamentalement à assurer un gouvernement efficace, il n’aurait pas pu énoncer l’objectif comme étant simplement de permettre « des discussions libres et franches entre les membres du Cabinet[123] ». Comme l’a fait remarquer le juge Lauwers, une interprétation contextuelle du par. 12(1) indique plutôt que la disposition vise, de façon plus générale, à instaurer la confidentialité nécessaire au fonctionnement efficace de l’exécutif (par. 187 et 208).
Deuxièmement, si le CIPVP avait formulé l’objectif du par. 12(1) en des termes plus larges, il n’aurait peutêtre pas rejeté un argument central du Bureau du Cabinet qui intéresse la portée du par. 12(1). Le Bureau du Cabinet a fait valoir qu’en plus d’assurer la franchise et la solidarité ministérielles, le secret du Cabinet contribue également à garantir le déroulement efficace du processus de délibération en préservant la confidentialité des délibérations jusqu’à ce qu’une décision définitive soit prise et annoncée (motifs du CIPVP, par. 30 à 32; d.a., vol. III, p. 90, 101, 102, 228 et 232)[124].
Par conséquent, le Commissaire non plus « ne s’est pas penché sur cet argument important, il n’a pas traité de l’observation du Bureau du Cabinet suivant lequel le fait de décider [traduction] “quand et comment” communiquer des priorités stratégiques au public et aux partis d’opposition est en soi une partie importante du processus de délibération du Cabinet[125]. En particulier, le Commissaire « a conclu que les “résultats” du processus de délibération ne sont pas visés par la phrase liminaire du par. 12(1), point à la ligne, sans reconnaître qu’une part importante de la confidentialité du Cabinet est la prérogative du gouvernement de décider de l’occasion et de la manière d’annoncer des priorités stratégiques (voir par. 104) »[126].
Deuxièmement, le Commissaire n’a pas tenu compte des conventions et traditions constitutionnelles relatives à la nature du processus décisionnel du Cabinet et au rôle du premier ministre dans ce processus :
Les Lettres contiennent à première vue des communications entre le premier ministre et les ministres du Cabinet à propos de priorités stratégiques, dont un grand nombre si ce n’est la majorité devraient faire l’objet de décisions du Cabinet, tant en ce qui concerne leur contenu que la manière de les communiquer au public. Le Cabinet [traduction] « formule et met en œuvre toutes les politiques de l’exécutif », et toutes les questions importantes de politique gouvernementale sont soumises au Cabinet pour décision (Hogg et Wright, § 9:5; M. Schacter et P. Haid, Cabinet DecisionMaking in Canada : Lessons and Practices [1999], p. 1; voir aussi Brooks, p. 236). Rien dans les conventions ou les précédents ne justifie de distinguer le rôle du premier ministre dans ce processus du reste du Cabinet. La divulgation des priorités initiales du premier ministre, lorsqu’on les compare aux annonces ultérieures de la politique du gouvernement et à ce qu’il a effectivement accompli, aurait pour effet de révéler la teneur de ce qui s’est produit au cours du processus de délibération du Cabinet. L’affirmation du CIPVP suivant laquelle les Lettres constituent [traduction] « l’aboutissement de la formulation par le premier ministre des politiques et objectifs que doit atteindre chaque ministère », ou « le fruit de ses délibérations » était donc hors de propos et un motif déraisonnable de refuser la protection qu’accorde le par. 12(1) (par. 132 et 134 [je souligne]; voir aussi par. 79).
De même, dans la mesure où le CIPVP exigeait une preuve reliant les Lettres à de « véritables délibérations du Cabinet lors d’une réunion donnée de celuici », cette approche était déraisonnable. Pareille exigence est bien trop étroite et ne tient pas compte des réalités du processus de délibération, notamment l’établissement de priorités par le premier ministre et ses fonctions de supervision, dont il ne s’acquitte pas nécessairement à une réunion donnée du Cabinet et qu’il peut exercer tout au long du processus de délibération du Cabinet. Par conséquent, il serait déraisonnable pour le Commissaire d’instaurer un critère plus rigoureux pour l’exception à la divulgation qui nécessiterait une preuve reliant le document à de « véritables délibérations du Cabinet lors d’une réunion donnée de celuici ».
[Le Commissaire] [s’est] concentré sur l’existence de véritables délibérations lors d’une réunion donnée du Cabinet a influencé sa conclusion selon laquelle la possibilité que certaines priorités stratégiques [traduction] « ne soient jamais renvoyées au Cabinet ou […] fassent l’objet de modifications substantielles » était une « faille » de l’argument du continuum avancé par le Bureau du Cabinet et supposait que les Lettres ne pouvaient pas être exemptées dans leur ensemble (par. 121). Cette conclusion était déraisonnable, parce qu’elle ne tenait pas compte du fait que la divulgation de priorités stratégiques préliminaires qui n’ont pas été mises en œuvre ou qui ont fait l’objet de modifications considérables avant leur mise en œuvre aurait pour effet de révéler l’objet des délibérations du Cabinet — que la décision d’abandonner ou de modifier la priorité en question ait été prise par le Cabinet, par ses comités ou par le premier ministre[127].
Ces considérations ont mené inexorablement à la conclusion que les lettres de mandat étaient visées par le paragraphe 12(1). La juge Karakatsanis a refusé de renvoyer l’affaire au Commissaire.
La méthodologie du contrôle selon la norme de la décision raisonnable mérite d’être commentée. La juge Karakatsanis a refusé de déterminer si la norme de contrôle appropriée était celle de la décision correcte ou celle de la décision raisonnable, au motif que la décision était déraisonnable et qu’elle ne pouvait donc pas survivre selon l’une ou l’autre des deux normes[128]. Toutefois, sur le fond plutôt que sur la forme, l’analyse ressemble beaucoup au contrôle selon la norme de la décision correcte sous le couvert du contrôle selon la norme de la décision raisonnable.
La première difficulté tient au fait que l’analyse des motifs du Commissaire par la juge Karakatsanis met l’accent sur deux aspects du contexte, même si le Commissaire a effectué une vaste analyse. Comme la juge Côté l’a fait remarquer avec justesse :
Ce dernier s’est appuyé entre autres sur les objectifs déclarés de la loi (voir les par. 106 à 108); le principe selon lequel « les exceptions au droit d’accès doivent être limitées et précises » (sousal. 1a)(ii) de la Loi); les arrêts Babcock et Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403, de notre Cour; la jurisprudence des cours d’appel de partout au pays, notamment l’arrêt O’Connor; et un corpus abondant de décisions administratives antérieures. Ces facteurs viennent tous étayer son interprétation[129].
Toutefois, la juge Karakatsanis ne reconnaît pas que le Commissaire s’est fondé sur ces indices de caractère raisonnable et n’explique pas pourquoi la décision du Commissaire est déraisonnable parce qu’elle était insuffisante à deux égards, même si elle pouvait être défendue pour d’autres motifs. Il s’agissait d’une décision importante où la perte de confiance dans le résultat à un égard pouvait, en théorie du moins, être compensée par les forces des motifs à d’autres égards.
En outre, la juge Côté formule une importante critique à l’endroit de l’analyse de la juge Karakatsanis voulant que pour cerner les lacunes dans la décision du Commissaire, celle-ci « effectue plutôt sa propre interprétation » de l’art. 12 et « se sert de ses conclusions comme critère pour juger la décision du Commissaire :
Par exemple, ma collègue mentionne trois raisons d’être de la convention relative à la confidentialité du Cabinet : « […] la franchise, la solidarité et l’efficacité […] » (par. 30). D’après elle, le Commissaire a tenu compte des deux premières raisons d’être, mais « n’a pas traité d’un objectif principal du secret du Cabinet — promouvoir l’efficacité de la prise de décisions collective », ni du but ultime de se doter d’un gouvernement efficace (par. 32). Toutefois, cette troisième raison d’être, l’« efficacité », quoiqu’un principe important du privilège du Cabinet, n’a pas été formulée comme telle par notre Cour. Par conséquent, je ne suis pas d’accord pour affirmer qu’il était déraisonnable pour le Commissaire de ne pas aborder un concept qui n’a été pleinement exprimé que dans la doctrine (voir les motifs de la juge Karakatsanis, par. 30 et 36, citant Y. Campagnolo, « The Political Legitimacy of Cabinet Secrecy » [2017], 51 R.J.T.U.M. 51, p. 68, et Y. Campagnolo, Le secret ministériel : Théorie et pratique [2021], p. 26)[130].
Il mérite d’être répété comment la juge Karakatsanis a elle-même formulé la question : « si le CIPVP avait formulé l’objectif du par. 12(1) en des termes plus larges, il n’aurait peutêtre pas rejeté un argument central du Bureau du Cabinet qui intéresse la portée du par. 12(1)[131] ». L’analyse en sens inverse : l’observation n’aurait pu être un « argument central » que si le CIPVP avait convenu que l’« objectif » du para 12(1) aurait dû être « formulé […] en des termes plus larges ». J’ai un peu de difficulté à comprendre comment cela peut être décrit comme un contrôle selon la norme de la décision raisonnable « qui s’intéresse avant tout aux motifs » comme l’exige Vavilov. Il y a une différence importante entre cette affaire et la décision récente de la Cour suprême dans l’affaire Mason[132], où le tribunal n’avait tout simplement pas tenu compte d’un argument central pour une raison non définie, et non en raison de l’objet qu’il attribuait à la disposition.
De plus, et c’est fondamental, le choix de la norme de contrôle revêt une importance cruciale ici. Dans le contexte d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, le Commissaire est aux commandes de l’interprétation. Pour peu qu’il y ait soucie de déférence, il incombe au Commissaire de déterminer s’il y a lieu de modifier la loi pour incorporer un bien-fondé supplémentaire comme contexte du paragraphe 12(1). En l’état, le Commissaire a fourni de multiples motifs à l’appui de son interprétation et, normalement, selon une norme fondée sur la retenue, son refus de modifier, d’étendre ou d’élargir la loi serait respecté. En revanche, dans le cas d’un contrôle selon la norme de la décision correcte, les tribunaux ont le dernier mot (et, en fait, la juge Côté qui applique le contrôle selon la norme de la décision correcte a convenu que la loi devrait être mise à jour afin d’intégrer ce troisième bien-fondé). Il aurait dû s’agir d’un exemple – un exemple assez éloquent, à mon avis – où la norme de contrôle change la donne. À mon avis, le caractère raisonnable était la norme appropriée, pour les motifs que j’ai élaborés[133] et compte tenu de l’argument soigné de la juge Côté aux paragraphes 55 à 61 qui m’empêche de penser autrement. Une approche déférente appropriée aurait permis de confirmer que la décision était raisonnable.
La discussion des contraintes juridiques et factuelles mérite également d’être commentée. Encore une fois, il y a une différence importante par rapport à l’arrêt Mason : la contrainte juridique issue du droit international soulevée par la Cour suprême avait au moins le mérite d’être énoncée expressément dans un texte de loi; cependant, en l’espèce, les conventions et traditions sur lesquelles s’appuie la Cour suprême sont écrites nulle part. Il y a même une différence par rapport à l’arrêt CSFTNO (dont on discute ci-dessous), où les valeurs pertinentes de la Charte ont été exprimées à maintes reprises dans la jurisprudence de la Cour suprême du Canada sur les objectifs de l’article 23 de la Charte.
En l’espèce, les conventions et les traditions ne se sont pas et ne peuvent sans doute pas être réduites à des énoncés textuels précis (et, bien sûr, de par leur nature même, elles ne sont pas du tout exécutoires). En effet, comme le fait remarquer le professeur de science politique Emmett Macfarlane dans un commentaire critique sur la décision[134], ces conventions et traditions évoluent au fil du temps, ce qui signifie que tout décideur administratif tenu d’en tenir compte visera une cible mouvante :
Le problème, dans ce cas-ci, est que la convention ne dit absolument rien sur le lien entre les lettres de mandat et les délibérations du Cabinet. La Cour fonde sa décision en grande partie sur une discussion relative à la convention qui n’a rien à voir avec la question centrale.
En fait, la nouvelle pratique qui consiste à rendre publiques les lettres de mandat (non seulement au palier fédéral, mais aussi en Ontario sous l’ancienne première ministre Kathleen Wynne) est précisément ce qui a mené à cette controverse en premier lieu! Étonnamment, la Cour ne tient pas compte de cette pratique – une pratique qui aurait été peu susceptible de voir le jour si ces gouvernements avaient estimé qu’elle limiterait le caractère confidentiel des délibérations du Cabinet ou entraverait un processus décisionnel efficace. Dans ce sens fondamental, la pratique politique récente contredit directement certaines des conclusions de la Cour au sujet des effets que la publication des lettres de mandat pourrait avoir sur le caractère confidentiel des documents du Cabinet[135].
Le professeur Macfarlane fait également remarquer que la Cour s’aventure assez loin dans les « rouages » du fonctionnement du gouvernement; par tradition, bien sûr, tirer des conclusions de fait et des inférences fondées sur un dossier détaillé est une question qui relève du décideur administratif.
Pour ces raisons, je conserve un certain scepticisme à l’égard du caractère correct de la décision de la Cour dans cette affaire. Dans les affaires Mason et CSFTNO, les contraintes juridiques et factuelles cernées par la Cour reposaient sur des fondements solides (et les décisions faisant l’objet du contrôle étaient muettes sur des aspects clés des arguments et de la preuve). En revanche, dans l’affaire du Commissaire à l’information, la juge Côté formule une importante critique, à savoir que les juges majoritaires ont procédé à un contrôle selon la norme de la décision correcte sur le fond sinon dans la forme. Il sera nécessaire de lire très attentivement les prochaines entrées dans le catalogue des normes de contrôle pour voir si la Cour envoie un signal au sujet du niveau d’intensité du contrôle selon la norme de la décision raisonnable en vertu du cadre Vavilov.
À cet égard, la décision récente de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Piché c Entreprises Y. Bouchard & Fils inc.[136] est très intéressante. Elle laisse entendre que la norme de la décision raisonnable établie dans l’arrêt Vavilov[137] est peut-être devenue plus rigoureuse. Néanmoins, tout en cassant la décision en cause en raison de son caractère déraisonnable, la Cour d’appel s’est abstenue d’imposer une solution même dans des circonstances où on lui avait demandé de conclure qu’il n’y a qu’une seule interprétation possible et acceptable.
La question sous-jacente est très intéressante. Le Tribunal administratif du travail du Québec (qui a compétence en matière de santé et de sécurité au travail) dispose de deux sources d’autorité concernant l’indemnisation des travailleurs qui se sont retirés du lieu de travail pendant la pandémie de COVID-19. L’appelant et la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité (Commission for Standards, Equity, Health, and Safety) ont exhorté la Cour d’appel à régler deux questions d’interprétation sur lesquelles le Tribunal est divisé.
En l’espèce, le demandeur travaillait comme ambulancier paramédical. Ses médecins lui ont recommandé de se retirer temporairement du travail pour sa propre sécurité, car il prenait des médicaments qui le rendaient immunodéficient. En fin de compte, il est retourné au travail environ neuf mois après l’éclosion. Il n’a touché aucune rémunération pendant une période de trois mois. En vertu de la loi québécoise, un employé qui se retire du travail pour des raisons de santé préventive peut demander une indemnité. Mais il existe plusieurs conditions[138], l’une d’elles étant que la source du danger pour la santé doit provenir d’un « contaminant ». Dans cette affaire (mais pas dans les autres !), le Tribunal a conclu que la COVID-19 n’était pas un « contaminant » au sens de la loi. Le Tribunal a également conclu, en se fondant sur son analyse de la preuve du déficit immunitaire de l’appelant, que la deuxième condition – le danger pour le travailleur – n’était pas non plus satisfaite. Le Tribunal n’a pas tenu compte de la troisième condition, soit l’altération de la santé du travailleur.
La Cour d’appel (les juges Moore, Cournoyer et Bachand) a conclu que la décision était déraisonnable. Après l’arrêt Vavilov, les juges n’ont pas appliqué la norme de la décision correcte pour trancher la question qui divisait le Tribunal, mais ils ont fait remarquer qu’une analyse déficiente de l’interprétation des lois par un décideur administratif justifierait une intervention de contrôle judiciaire en raison de son caractère déraisonnable[139]. En effet, ils ont cité les arrêts Mason c. Canada (Citoyenneté et Immigration)[140] et Ontario (Procureur général) c Ontario (Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée)[141] de la Cour suprême comme un appui supplémentaire à cette proposition :
C’est ainsi que, dans Mason, si la majorité de la Cour suprême a reconnu que le décideur avait appliqué plusieurs techniques d’interprétation législative reconnues, elle conclut tout de même au caractère déraisonnable de la décision au motif que le décideur n’a pas tenu compte de deux arguments du contexte législatif, des conséquences potentiellement importantes de la décision et des contraintes imposées par le droit international.
C’est ainsi encore que dans l’arrêt Ontario (Procureur général) c. Ontario (Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée), bien que la majorité de la Cour suprême souligne que le décideur a pris en compte le texte, l’objectif général des lois sur l’accès à l’information et deux des objectifs de la confidentialité du Cabinet, elle conclut tout de même au caractère déraisonnable de la décision au motif que le décideur n’a pas traité d’un troisième objectif de la confidentialité du Cabinet, soit l’efficacité du processus décisionnel collectif ainsi que de certaines conventions constitutionnelles[142].
En l’espèce, la décision était déraisonnable parce qu’au départ, le Tribunal a fait une fixation sur une modification du régime législatif apportée en 2015 et lui a donné une portée beaucoup plus large que ce que le législateur avait prévu[143], sans tenir compte d’autres indicateurs textuels et contextuels concernant la signification de « contaminant[144] ». De plus, le Tribunal n’a pas tenu compte de la fin visée par le législateur[145]. Par conséquent, la Cour d’appel a conclu – en s’appuyant sur les arrêts Mason et Commissaire à l’information – que l’exercice d’interprétation des lois entrepris par le Tribunal dans l’affaire dont il était saisi négligeait les éléments clés du texte, du contexte et de l’objet et était donc déraisonnable[146].
Fait intéressant, la Cour d’appel n’a pas conclu (contrairement à la Cour suprême dans les arrêts Mason et Commissaire à l’information) qu’il n’y avait qu’une seule interprétation raisonnable. Elle a plutôt laissé au Tribunal le soin de trancher la question, avec un avertissement sérieux quant à la désirabilité d’une certitude juridique[147] et un rappel des mécanismes disponibles pour obtenir cette certitude :
En l’espèce, il ressort de cette affaire qu’au moins trois avenues sont possibles : 1) la Covid-19 n’est pas un contaminant; 2) la Covid-19 est un contaminant; et 3) la Covid-19 est parfois un contaminant selon les activités de l’employeur. Quant à la controverse jurisprudentielle au sein du TAT, elle n’est pas ici suffisante pour justifier que la Cour tranche à la place de celui-ci. Comme la Cour suprême le rappelait, il convient de laisser d’abord au décideur administratif le soin de résoudre ce désaccord à l’aide de ses mécanismes internes, que ce soit, en ce qui concerne le TAT, la mise sur pied d’une formation de trois membres ou la participation des membres à l’élaboration d’orientations générales.[148]
Elle a dit la même chose au sujet de la division jurisprudentielle sur la troisième condition, c’est-à-dire la mesure dans laquelle le « contaminant » doit affecter la santé du travailleur[149].
Sur la question du danger (la deuxième condition), il y a une discussion intéressante sur le rôle du Tribunal. Même si le Tribunal procède à une analyse de novo et a potentiellement accès à un large éventail de documents, son rôle dans l’évaluation du danger est jugé limité. En somme, son rôle consiste à évaluer s’il y avait un danger au moment où le travailleur s’est retiré du lieu de travail en fonction des preuves disponibles à ce moment-là. Autrement dit, le Tribunal ne peut appliquer rétrospectivement des éléments de preuve qui sont devenus disponibles après le retrait du travailleur pour conclure, avec le recul, qu’il n’y avait aucun danger[150]. Le Tribunal ne peut qu’adopter un point de vue prospectif à l’égard de la question, le droit de se retirer se dissolvant uniquement de façon prospective, à partir du moment où il dispose de nouveaux éléments de preuve[151].
D’après la preuve en l’espèce, il ne faisait aucun doute de l’avis de la Cour d’appel qu’il y avait amplement de preuves du danger au moment où le travailleur s’est retiré[152]. Par conséquent, le Tribunal n’a pas tenu compte d’une contrainte juridique en se concentrant sur le danger rétrospectivement plutôt que prospectivement ou il n’a pas tenu compte des contraintes factuelles en errant fondamentalement dans la prise en compte de la preuve : le caractère déraisonnable devenait la conclusion inévitable[153]. Encore une fois, l’affaire a été renvoyée au Tribunal pour qu’il détermine à quel moment le travailleur aurait pu réintégrer le lieu de travail en toute sécurité[154].
Dans l’ensemble, cette décision indique que l’arrêt Vavilov fournit certainement les outils suffisant pour un contrôle robuste selon la norme de la décision raisonnable des décisions administratives. Les décisions récentes de la Cour suprême concernant l’application de l’arrêt Vavilov sont citées comme un appui supplémentaire à cette proposition. Même si la Cour d’appel a renvoyé la question d’interprétation au sujet de la première question – « contaminant » – son analyse favorisait fortement l’un des courants de jurisprudence. Néanmoins, la Cour d’appel n’est pas allée aussi loin que la Cour suprême dans les arrêts Mason et Commissaire à l’information, en insistant plutôt pour que l’affaire soit renvoyée au Tribunal pour qu’il fournisse une réponse définitive, mais avec un avertissement assez sévère selon lequel le Tribunal devrait trouver un moyen de résoudre rapidement son conflit jurisprudentiel interne.
III. CONTRÔLE SELON LA NORME DE LA DÉCISION CORRECTE
Dans l’affaire Société des casinos du Québec inc. c Association des cadres de la Société des casinos du Québec[155], la Cour suprême du Canada s’est penchée sur un certain nombre de questions importantes pour le droit relatif au contrôle judiciaire d’une action administrative et, de façon plus générale, pour la règlementation. Plus important encore, la Cour a donné une orientation sur le règlement de questions mixtes de droit et de fait découlant des catégories de la décision correcte établies par l’arrêt Vavilov. Une balise claire a été établie : en ce qui concerne les questions constitutionnelles et d’autres questions exigeant un contrôle selon la norme de la décision correcte, il n’y a aucune déférence à l’égard de l’application du droit aux faits par le décideur. Cela s’observe très visiblement dans le domaine du droit de l’énergie, où des questions se posent assez souvent au sujet de la limite entre les pouvoirs fédéraux et provinciaux. À l’avenir, ces questions seront examinées selon la norme de la décision correcte, sans imposer d’obligation de déférence au décideur.
L’affaire portait sur une requête en accréditation présentée par des gestionnaires de casinos établis au Québec. L’accréditation leur permettrait de négocier en groupe avec leur employeur. Cependant, les gestionnaires sont exclus des lois provinciales sur la négociation collective. Les gestionnaires ont donc invoqué l’alinéa 2d) de la Charte des droits et libertés[156], qui protège la liberté d’association. Appliquant le critère contextuel de la Charte aux faits, le tribunal expert a conclu que l’exclusion des gestionnaires constituait une « entrave substantielle » à leur liberté d’association. La réparation voulait de déclarer l’exclusion législative inopérante dans son application aux gestionnaires qui, par voie de conséquence, auraient le droit d’aller de l’avant avec leur requête en accréditation. Cette conclusion a finalement été confirmée par la Cour d’appel, bien que les effets de la décision aient été suspendus pendant 12 mois pour permettre une intervention législative.
Cependant, la Cour suprême a accueilli l’appel, une décision sur laquelle les sept juges qui ont entendu l’affaire se sont entendus, concluant à l’unanimité qu’il n’y avait pas d’« entrave substantielle » à la liberté d’association. Ce faisant, ils ont abordé les points suivants : (1) la norme de contrôle pour les questions mixtes de fait et de droit dans la catégorie des « questions constitutionnelles » de contrôle selon la norme de la décision correcte; (2) l’existence de critères ou de normes distincts applicables aux requêtes fondées sur la Charte lorsqu’un droit positif ou négatif est invoqué; (3) la compétence des tribunaux administratifs d’accorder des réparations liées à l’inopérabilité de la loi. La troisième question n’a été abordée que par la juge Côté dans ses motifs concordants, mais les autres questions ont été traitées par les sept juges (le juge Jamal pour la majorité et le juge Rowe séparément dans les motifs concordants).
A) Confirmation de la pertinence de la norme de contrôle selon la décision correcte aux questions mixtes
La Cour a été unanime sur la norme de contrôle. La juge Côté a abordé la question en détail, et les autres juges ont accepté son analyse[157]. Cette analyse est brève et va droit au but. Voici ce qu’elle a dit :
En l’espèce, déterminer si l’exclusion du régime du C.t. constitue une entrave substantielle à la liberté d’association des membres de l’Association n’est pas une simple question de fait. Une telle analyse implique de pondérer « l’importance constitutionnelle » des conclusions factuelles tirées de la situation des membres au regard de la liberté d’association (Westcoast Energy, par. 39). Cela revient, en quelque sorte, à définir la norme constitutionnelle de « l’entrave substantielle ».
La définition de cette norme requiert une réponse décisive et définitive (Vavilov, par. 53 et 55). Dans l’arrêt Westcoast Energy, cité avec approbation dans l’arrêt Vavilov, par. 55, notre Cour note qu’il n’y a pas lieu de faire montre de déférence à l’égard des questions mixtes de fait et de droit s’inscrivant dans le cadre d’une question constitutionnelle, vu l’importance de répondre correctement aux questions constitutionnelles (par. 39 et 40).
La Cour supérieure n’avait donc pas à faire montre de déférence à l’égard des conclusions de droit de même que des conclusions mixtes de fait et de droit du TAT, mais uniquement à l’égard des conclusions factuelles tirées par le tribunal.
Une cour de révision doit faire montre de déférence à l’égard des conclusions purement factuelles pouvant être isolées de l’analyse constitutionnelle (Consolidated Fastfrate Inc. c. Western Canada Council of Teamsters, 2009 CSC 53, [2009] 3 R.C.S. 407, par. 26). Une telle déférence à l’égard de telles conclusions repose sur des considérations liées à « l’efficacité judiciaire, l’importance de préserver la certitude et la confiance du public et la position avantageuse qu’occupe le décideur de première instance » (Vavilov, par. 125). La primauté du droit n’exige pas qu’il y ait une réponse décisive et définitive à l’égard des questions purement factuelles, celles-ci variant d’un dossier à l’autre[158].
Les parties ont convenu[159] que cette affaire tombait dans la catégorie des « questions constitutionnelles » énoncée dans l’arrêt Vavilov, la question étant de savoir si l’exclusion législative des gestionnaires était conforme à la Charte et donc à la norme de la décision correcte correctement appliquée, étant donné que la réponse à cette question devrait être donnée de façon définitive par les tribunaux. De toute évidence, cependant, les parties ne se sont pas entendues sur ce à quoi devrait s’appliquer exactement la norme de la décision correcte.
La question était de savoir dans quelle mesure, le cas échéant, on doit faire preuve de déférence à l’égard du tribunal saisi de l’affaire. La norme de contrôle des questions constitutionnelles, comme la cohérence de l’exclusion prévue par la loi avec la Charte est celle de la décision correcte. Mais qu’en est-il des décisions factuelles qui sous-tendent l’analyse du tribunal ? En tout état de cause, l’interprétation que fait le tribunal de l’exclusion législative et de la Charte peut-elle être séparée de son analyse factuelle ?
La jurisprudence antérieure de la Cour suprême n’avait pas été particulièrement claire sur ce point. L’affaire Westcoast Energy Inc. c Canada (Office national de l’énergie)[160] porte sur la question de savoir si un pipeline et des installations connexes constituent une entreprise fédérale. Les juges Iacobucci et Major étaient sceptiques quant à savoir si la déférence serait appropriée dans l’application du droit par l’Office aux faits dont il était saisi :
Il faut faire montre d’un certain degré de retenue même à l’égard des questions mixtes de droit et de fait, mais pas dans tous les cas. Il serait particulièrement inapproprié, relativement à une question d’interprétation constitutionnelle, de faire montre de retenue à l’égard de la décision d’un tribunal tel l’Office, dont le champ d’expertise est tout à fait distinct du domaine de l’analyse juridique. Les tribunaux administratifs doivent répondre correctement aux questions de cette nature, à défaut de quoi leurs décisions sont susceptibles d’annulation par les cours de justice. Il semble raisonnable d’accepter la proposition que les cours sont mieux placées que les tribunaux administratifs pour statuer sur des questions constitutionnelles. Il est intéressant de souligner que les membres concernés de l’Office n’avaient pas de formation juridique. Ainsi, même si la question en cause était une question de droit et de fait, il s’ensuit qu’il n’était pas nécessaire de faire montre de retenue envers l’Office, compte tenu de la nature de la question de droit qui devait être tranchée[161].
Cependant, les juges Iacobucci et Majorcci ont fait remarquer que l’affaire ne portait pas sur les conclusions de l’« Office quant aux différentes activités exercées par Westcoast », mais plutôt sur l’ « effet sur le plan constitutionnel » des conclusions[162]. Autrement dit, il n’y a eu aucune attaque contre les conclusions de fait de l’Office. Et lorsqu’il s’agissait d’appliquer la loi à ces conclusions, la norme de la décision correcte était appropriée. Par conséquent, il est difficile d’affirmer que l’arrêt Westcoast règle la question de déférence d’une façon ou d’une autre.
Dans l’affaire Office régional de la santé du Nord c Horrocks[163], bien qu’il ait été question de la catégorie « chevauchement des compétences » quant au contrôle selon la norme de la décision correcte plutôt que de « questions constitutionnelles », le juge Brown a clairement indiqué que le décideur devait être « correct » sur la question imprégnée des faits de la caractérisation du caractère essentiel du conflit entre les parties (en ce qui concerne les relations de travail ou l’arbitrage en matière de droit de la personne). Cela m’a amené à formuler un commentaire[164] selon lequel « lorsqu’il s’agit de déterminer si une décision concernant des limites de compétence conflictuelles était légale, le décideur prendre la décision correcte et la cour de révision doit être convaincue, à la lumière du dossier, que le décideur est parvenu à la bonne conclusion » [traduction][165].
La décision la plus importante de la colonne « déférence » du grand livre est l’arrêt Mouvement Laïque québécois c Saguenay (Ville)[166], où le juge Gascon commente, au paragraphe 46 : « Lorsque le Tribunal agit à l’intérieur de son champ d’expertise et qu’il interprète la Charte québécoise et applique ses dispositions aux faits pour décider de l’existence de discrimination, la déférence s’impose »[167]. Mais l’accent mis sur le champ d’expertise signifie que l’autorité de cette déclaration a été affaiblie par la décote de l’expertise dans l’arrêt Vavilov.
Consulter aussi Consolidated Fastfrate Inc. c Western Canada Council of Teamsters[168]. En l’espèce, la question était de savoir si une entreprise était assujettie à la règlementation provinciale ou fédérale. Une commission provinciale des relations de travail a statué que l’entreprise était une entreprise interprovinciale assujettie à la législation fédérale sur les relations de travail. Le juge Rothstein a fait remarquer que « l’analyse constitutionnelle de l’ALRB reposait sur ses conclusions de fait » : « Lorsqu’il est possible de traiter l’analyse constitutionnelle séparément des conclusions de fait qui la sous-tendent, il convient de faire preuve de retenue judiciaire à l’égard de ces conclusions de fait initiales »[169]. À première vue, cela peut sembler être une proposition préconisant la déférence, mais si on y regarde de plus près, il semble que la déférence ne soit appropriée que lorsque la question constitutionnelle peut être séparée des conclusions factuelles sous-jacentes : la déférence sur les faits dans les affaires constitutionnelles, mais seulement dans la mesure où la déférence n’influence pas les décisions judiciaires quant à la constitutionnalité.
Cette question a également été abordée dans l’affaire Toussaint c Canada (Procureur général)[170], dans le contexte du contrôle en appel plutôt que du contrôle judiciaire. Bien qu’il soit approprié de faire preuve de déférence à l’égard des « conclusions de fait et l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire qui sont largement imprégnés des faits »[171], le contrôle selon la norme de la décision correcte est souvent appliqué dans les affaires constitutionnelles « probablement […] en raison de la centralité des questions de droit qui y sont soulevées et du fait que les questions de droit constitutionnel peuvent souvent être isolées des questions mixtes de fait et de droit qui se posent »[172].
Dans l’affaire Société des casinos, la Cour suprême a été claire : lorsqu’elle applique la norme de la décision correcte, une cour de révision doit prendre les conclusions de fait du décideur en l’état (pourvu qu’elles soient raisonnables), mais il appartient à la cour de déterminer elle-même les effets juridiques de ces conclusions de fait. Autrement dit, la caractérisation juridique des faits telle que déterminée par le décideur relève du tribunal.
Quoi qu’il en soit de mon scepticisme à l’égard de la distinction entre le droit et les faits[173], c’est maintenant définitivement le droit. Et, pour être juste, dans sa jurisprudence post-Vavilov qui applique les catégories de la décision correcte, on peut certainement affirmer que c’est l’approche adoptée par la Cour suprême. J’ai noté ci-dessus l’arrêt Office régional de la santé du Nord c Horrocks[174] et j’ajouterais maintenant l’arrêt Sharp c Autorité des marchés financiers (une affaire relative à une question constitutionnelle)[175], où le décideur avait tiré des conclusions de fait au sujet d’une opération communément appelée en anglais « pump and dump scheme » dirigée par des acteurs de l’extérieur de la province, mais l’application d’une norme juridique sensible au contexte à ces faits s’est faite sans égard à la conclusion du décideur. Dans les catégories de la décision correcte, alors, les conclusions de fait pures – le qui, quoi, quand, où et pourquoi de l’arbitrage – font l’objet de déférence, mais tout le reste relève en fin de compte du tribunal.
Bien entendu, il est toujours loisible à une cour de révision d’adopter l’analyse du décideur (et c’est peut-être maintenant la meilleure façon de comprendre la décision dans l’affaire Law Society of Saskatchewan c. Abrametz[176]), mais le juge conserve le dernier mot quant à savoir si la norme juridique a été respectée en fonction des faits établis.
B) Tribunaux et réparations
Le seul juge de la Cour suprême à s’être penché sur la compétence en matière de réparation du décideur (en l’occurrence, le Tribunal administratif du travail du Québec) était la juge Côté.
Elle a fait remarquer que les gestionnaires avaient décidé de présenter une requête en accréditation plutôt que de demander une déclaration d’inconstitutionnalité en cour supérieure et a suggéré que : « Procéder devant une cour supérieure est préférable en ce que celle-ci dispose du pouvoir de prononcer une déclaration formelle d’inconstitutionnalité, et de la suspendre afin de laisser au législateur toute la latitude nécessaire pour édicter un régime particulier, répondant minimalement aux exigences constitutionnelles de l’al. 2d) »[177].
Par souci d’équité envers les gestionnaires, il se peut fort bien qu’ils aient porté la requête devant le tribunal pour éviter que la cour supérieure ne soit saisie de l’argument contraire selon lequel ils auraient dû d’abord demander réparation au tribunal[178]. Et il ne fait aucun doute que l’examen des questions par la Cour suprême a été enrichi par l’analyse détaillée des faits par le tribunal[179].
Il est vrai que le tribunal ne pouvait pas suspendre une déclaration d’inopérabilité[180], mais il n’a pas cherché à le faire. Ce sont les cours qui ont suspendu l’effet de la décision du tribunal, en partant du principe que, selon la norme de la décision correcte, les juges se mettaient à la place du tribunal[181]. Je demeure sceptique : l’avantage de la décision ne pourrait s’appliquer qu’aux gestionnaires particuliers qui ont présenté la requête en accréditation, de sorte que la nécessité d’un examen législatif élargi du régime règlementaire (la justification habituelle pour suspendre une déclaration d’inconstitutionnalité) n’est pas particulièrement ressentie. La juge Côté a bien noté ce point, mais je ne pense pas que cela puisse signifier que le tribunal n’aurait pas dû être saisi de l’affaire en premier lieu.
Pour ma part, j’ai de la sympathie pour le choix de la tribune qu’ont fait les gestionnaires et, compte tenu du besoin d’une recherche des faits approfondie. Je pense bien en définitive que le fait qu’ils se soient d’abord adressés au tribunal a facilité en fin de compte l’analyse exhaustive par la Cour suprême des questions importantes liées à la liberté d’association.
Tout bien considéré, il s’agit là d’une décision importante sur la norme de contrôle et la conception règlementaire. Des points intéressants ont été soulevés également au sujet du choix de la tribune dans les affaires qui se situent à l’intersection du droit administratif et du droit constitutionnel.
IV. FONDEMENTS CONSTITUTIONNELS DU CONTRÔLE JUDICIAIRE
Cette année, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision fort attendue dans l’affaire Yatar c TD Insurance Meloche Monnex[182]. Comme on pouvait s’y attendre (et j’en étais convaincu), la Cour a renversé l’approche ci-dessous et (à juste titre, à mon avis) a décrit le rôle du pouvoir discrétionnaire dans les procédures de contrôle judiciaire. Le principal point à retenir de cette affaire est que les demandes de contrôle judiciaire peuvent être présentées même lorsque le droit d’appel prévu par la loi est limité. Dans le domaine de l’énergie, comme dans bien d’autres domaines, la coexistence des appels et du contrôle judiciaire soulève régulièrement des questions[183].
Dans les motifs rédigés par le juge Rowe, la Cour a donc confirmé que le fait qu’un droit d’appel se limite à des questions de droit n’empêche pas un particulier de demander un contrôle judiciaire des faits et d’autres questions qui ne relèveraient pas du droit d’appel. De plus, même si la Cour n’a pas abordé certaines des autres questions liées aux droits d’appel limités, comme les clauses privatives, son analyse globale me donne l’impression que les juges pencheront en faveur du contrôle judiciaire lorsqu’ils seront confrontés à ces questions.
À la base, l’affaire Yatar porte sur les indemnités d’accident. Il existe un droit d’appel sur les questions de droit découlant des décisions du Tribunal d’appel en matière de permis. Mais Mme Yatar voulait soulever une question de fait ou mixte de fait et de droit. Par conséquent, elle a demandé un contrôle judiciaire. Les lecteurs se souviendront que la Cour d’appel (et la Cour divisionnaire) ont conclu qu’étant donné l’existence d’un droit d’appel limité et le caractère manifestement souhaitable du règlement efficace des demandes d’indemnités d’accident, le contrôle judiciaire ne devrait être autorisé que dans de rares cas.
Il s’agissait de la question centrale en appel devant la Cour suprême du Canada, qui a réaffirmé avec force l’importance du contrôle judiciaire. L’un des « principes fondamentaux » du droit public canadien[184] est l’« importance » du contrôle judiciaire[185]. Par conséquent, « [b]ien que les tribunaux aient le pouvoir discrétionnaire d’entendre ou non au fond une demande de contrôle judiciaire et de refuser d’accorder réparation, ce pouvoir discrétionnaire ne va pas jusqu’à les autoriser à refuser de considérer la demande »[186]. Le droit de demander la révision judiciaire existe toujours :
Lorsqu’une personne présente une demande de contrôle judiciaire, le juge doit examiner la demande : au minimum, cela signifie que le juge doit déterminer si le contrôle judiciaire constitue un recours approprié. Si, dans l’examen de la demande, le juge conclut à l’existence de l’un des motifs discrétionnaires justifiant de ne pas accorder une réparation, il peut refuser d’examiner au fond la demande de contrôle judiciaire (Strickland, par. 1, 38 et 40; Matsqui, par. 31). Le juge a aussi le pouvoir discrétionnaire de refuser d’accorder une réparation, même s’il conclut que la décision soumise au contrôle est déraisonnable (Khosa, par. 135; Strickland, par. 37, citant Ministre de l’Énergie, des Mines et des Ressources, p. 90)[187].
Il est intéressant de se demander si certains motifs justifiant l’exercice du pouvoir discrétionnaire pourraient empêcher l’examen du bien-fondé d’une demande de contrôle judiciaire[188]. L’analyse du juge Rowe laisse entendre que non, bien qu’il puisse y avoir des cas où il est clair et évident qu’un recours ne pourrait pas être accessible.
Au-delà de cette question, un droit d’appel limité ne communique pas, à lui seul, l’intention législative de restreindre l’accès aux tribunaux :
La Cour d’appel a fait erreur en concluant que le droit d’appel limité reflétait l’intention de restreindre le recours aux tribunaux à l’égard d’autres questions découlant de la décision administrative, et que la révision judiciaire devrait en conséquence être rare. La décision du législateur d’établir un droit d’appel à l’égard de questions de droit dénote seulement l’intention d’assujettir à la norme de la décision correcte la révision des décisions du TAMP portant sur des questions de droit. L’idée que les décisions du TAMP ne devraient pas faire l’objet de recours en révision judiciaire sur la base de questions de fait et de questions mixtes de fait et de droit ne saurait être inférée de ce qui précède[189].
Cela est tout à fait conforme à l’approche étroite de l’intention législative (sous la rubrique « organisation institutionnelle ») dans l’arrêt Vavilov. Lorsque le législateur utilise certains mots magiques, comme « appel » ou « manifestement déraisonnable », les tribunaux doivent leur donner effet de la façon prescrite par l’arrêt Vavilov. Mais il est interdit d’effectuer des analyses contextuelles plus approfondies de l’intention législative[190].
Le juge Rowe a reconnu qu’un juge peut exercer son pouvoir discrétionnaire de refuser d’accorder une réparation dans le cadre d’une procédure de contrôle judiciaire lorsqu’il existe une autre réparation appropriée. Toutefois, pour que le contrôle judiciaire soit écarté, il doit y avoir « un autre forum ou redressement approprié »[191] . En l’espèce, il n’y avait pas de solution de rechange appropriée. Le droit d’appel se limitait aux questions de droit, ce qui empêchait Mme Yatar de mettre en cause les questions factuelles et des questions mixtes de fait et de droit qu’elle souhaitait soulever. La possibilité d’un réexamen interne n’était pas non plus une avenue de rechange :
L’accès à la procédure de réexamen interne ne saurait représenter un recours adéquat, puisque c’est la décision sur le réexamen elle-même qui est l’objet de la révision. Il existe concrètement d’autres possibilités de recours lorsque les processus internes de révision n’ont pas été épuisés ou lorsqu’il y a un droit d’appel prévu par la loi qui n’est pas limité, de telle sorte que les questions de droit, de fait et mixtes de fait et de droit peuvent être examinées en appel. Ce n’est toutefois pas le cas en l’espèce[192].
Et c’est assurément tout à fait exact. Une décision finale est toujours susceptible de révision, peu importe la qualité ou le nombre des processus internes de réexamen ou d’examen (bien que, bien sûr, lorsque ces processus fonctionnent bien, ils puissent éliminer les décisions déraisonnables ou injustes sur le plan procédural).
En ce qui concerne l’argument voulant que l’utilisation économique des ressources judiciaires constitue une raison valable d’exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas entendre les demandes de contrôle judiciaire, sauf dans de rares cas, le juge Rowe a répondu fermement :
L’utilisation économique des ressources judiciaires est une préoccupation légitime. Toutefois, cette préoccupation est pondérée par la considération qui consiste à veiller à ce que les justiciables dont les intérêts dépendent de décisions prises par un titulaire de pouvoirs délégués par une loi disposent d’un moyen utile et adéquat de contester les décisions qui, considèrent-ils, sont déraisonnables sur le plan de leur substance et de leur justification, ou ont été prises d’une manière inéquitable sur le plan de la procédure[193].
Le fil conducteur de cette analyse et le point culminant dans le passage qui vient d’être cité, c’est que le contrôle judiciaire est un élément fondamental de la Constitution. Il est d’une importance extrême que les particuliers puissent contester des décisions administratives qui seraient déraisonnables ou injustes sur le plan de la procédure.
La Cour a remis à plus tard de se prononcer sur la proposition selon laquelle une clause privative pourrait, en combinaison avec un droit d’appel limité, empêcher le contrôle judiciaire. Mais l’importance accordée au contrôle judiciaire en tant que caractéristique fondamentale du paysage canadien du droit public laisse entendre que la présence d’une clause privative – inconstitutionnelle, ne l’oublions pas, selon la décision de la Cour dans l’affaire Crevier c P.G. (Québec) et autres[194] – ne changera pas l’analyse de façon significative. Comme je l’ai démontré dans le bilan de l’année dernière, les clauses privatives n’ont pas constitué un obstacle absolu au contrôle judiciaire par le passé[195] et il n’y a aucune raison aujourd’hui de s’écarter de la tradition ou des principes fondamentaux énoncés dans l’arrêt Crevier. En outre, le fait que le juge Rowe ait jeté une douche froide sur la justification de l’utilisation économique des ressources judiciaires pour restreindre le contrôle judiciaire laisse fortement entendre que les préoccupations sous-jacentes à l’adoption des clauses privatives ne devraient pas non plus influencer les tribunaux canadiens.
Pour des raisons semblables, je dirais que l’analyse de la Cour est de mauvais augure en ce qui concerne d’autres restrictions au contrôle judiciaire, comme l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales[196]. Cette disposition a été invoquée dans le contexte de la règlementation économique des télécommunications et du transport, mais elle pourrait maintenant interdire l’accès au contrôle judiciaire aux juges sanctionnés par le Conseil canadien de la magistrature[197]. La question sera de savoir dans quelle mesure l’importante décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c Scott, 2018 CAF 148 est conforme aux arrêts Vavilov et Yatar[198].
Sur le fond, la décision était déraisonnable et l’affaire a été renvoyée au Tribunal :
Cependant, l’arbitre du TAMP a omis de considérer l’effet du rétablissement des IRR entre février et septembre. L’arbitre n’a pas pris en compte les décisions antérieures du tribunal administratif, dont certaines avaient jugé que, dans les cas où il y a rétablissement des indemnités d’un demandeur, le délai de prescription peut uniquement être déclenché lorsqu’il est une fois de plus mis fin valablement au versement des indemnités (voir Veldhuizen c. Coseco Insurance Co., 1995 ONICDRG 144 [CanLII]; Rudnicki c. Certas Direct Insurance Co., 2001 ONFSCDRS 60 (CanLII)).
Il n’est pas contesté que Mme Yatar a demandé la médiation en septembre 2012. La médiation s’est déroulée entre le 18 juin 2013 et le 14 janvier 2014. Le 14 janvier 2014, le médiateur a remis son rapport. Toutefois, l’al. 281.1(2)b) de la Loi sur les assurances et le par. 51(2) de l’AIAL (tels qu’ils étaient rédigés à l’époque) ne déclenchent pas un délai de prescription de 90 jours commençant à courir à partir de la remise du rapport du médiateur. Ces dispositions prévoient plutôt une prolongation du délai de prescription de deux ans, à partir du moment où le médiateur remet son rapport. En d’autres mots, il est possible de soutenir qu’un refus valable des IRR continuait d’être nécessaire pour déclencher le compte à rebours. Je n’entends pas trancher cette question; cela revient au TAMP[199].
Le juge Rowe a décrit cela comme un manquement aux « contraintes légales »[200], ce qui pourrait amener à se demander si la question aurait dû être traitée de toute façon comme relevant du droit d’appel. Pour ma part, je ne pense pas qu’il y ait lieu de se demander si les contraintes contextuelles de l’arrêt Vavilov sont décrites comme légales ou factuelles (sauf pour faciliter l’analyse) : le point clé en l’espèce était que la décision de l’arbitre manquait de justification, d’intelligibilité et de transparence sur des questions imprégnées des faits.
La question de la clause privative qui n’a pas été réglée dans l’affaire Yatar a fait l’objet d’une série de motifs réfléchis dans Démocratie en surveillance c Canada[201], le juge en chef de Montigny s’est longuement penché sur mes écrits à ce sujet, mais il a adopté un point de vue très différent du mien. Je n’ai pas l’intention de tenter de produire une réponse complète (ou peut-être s’agit-il d’une réponse ou d’une surréponse à ce stade !), car je sais, d’après la correspondance que j’ai reçue, que vous êtes tous en mesure de vous faire votre propre idée lorsque les questions ont été pleinement débattues des deux côtés. Je vous invite à lire les motifs du juge en chef de Montigny, surtout les paragraphes 58 à 78, même s’ils sont obiter[202].
Quelques points méritent cependant d’être soulignés, car ils vont au cœur du désaccord entre ceux qui ont des opinions divergentes sur l’essence constitutionnelle minimale du contrôle judiciaire d’une mesure administrative.
Il faut d’abord tenir compte de la portée permissible de l’intervention législative visant à limiter le contrôle judiciaire. Le juge en chef de Montigny est d’avis que le législateur pourrait éliminer complètement le contrôle selon la norme de la décision raisonnable :
Cette interprétation est non seulement conforme aux diverses remarques incidentes de la Cour suprême concernant le rôle du contrôle judiciaire (très explicites dans les arrêts Crevier et Dunsmuir), mais elle reflète également l’insistance de cette cour, dans l’arrêt Vavilov, sur le respect des choix d’organisation institutionnelle. Elle est aussi en adéquation avec la raison d’être du contrôle judiciaire dans une démocratie parlementaire, à savoir que tout exercice d’un pouvoir délégué par l’organe exécutif doit trouver sa source dans le droit et respecter la Constitution[203].
Il a ensuite posé la question suivante : « Dans la mesure où les cours de justice ont la capacité d’intervenir dans les affaires où un décideur administratif dépasse les limites et outrepasse sans permission son pouvoir légal, comment peut-on affirmer que l’insertion d’une clause privative dans une loi menace la primauté du droit? » Mais cette question nous amène à nous poser la question suivante. Compte tenu des changements importants apportés par l’arrêt Vavilov, comment peut-on affirmer qu’un tribunal peut déterminer si un décideur a « outrepassé les limites » ou « outrepassé son autorité légitime » sans appliquer la norme de la décision raisonnable? En effet, dans l’arrêt Vavilov, les juges majoritaires de la Cour suprême ont fait remarquer que « En appliquant adéquatement la norme de la décision raisonnable, les cours de justice sont en mesure de veiller à ce que les organismes administratifs agissent dans les limites des pouvoirs qui leur sont conférés […] »[204]. À mon avis, ce passage lie l’autorité légitime du contrôle de la raisonnabilité.
Deuxièmement, il y a la question du respect de l’intention législative. Le juge en chef de Montigny estime lui aussi que la dévalorisation des clauses privatives dans l’arrêt Vavilov est problématique parce qu’elle ne donne pas suffisamment de poids à la suprématie parlementaire :
[L]es clauses privatives sont passées d’un facteur important pour la détermination de la norme de contrôle applicable (arrêt Dunsmuir) à un simple facteur contextuel pour la détermination des paramètres d’une décision raisonnable. Vu le degré élevé de déférence auxquels ont droit les décideurs administratifs lorsque leurs décisions font l’objet d’un examen selon la norme de la décision raisonnable, il est difficile de saisir quelle protection supplémentaire contre le contrôle judiciaire pourrait conférer une clause privative[205].
Comme je l’ai déjà suggéré[206], la réponse est qu’une clause privative – entière ou partielle – fait partie du « régime législatif applicable » envisagé par Vavilov. Comme l’a fait remarquer la majorité des juges de la Cour suprême, « dans les cas où le législateur choisit d’utiliser des termes généraux, non limitatifs ou nettement qualitatifs – par exemple, l’expression “dans l’intérêt public” – il envisage manifestement que le décideur jouisse d’une souplesse accrue dans l’interprétation d’un tel libellé »[207]. Une clause privative serait une indication qu’une « souplesse accrue » est appropriée, avec une clause privative partielle ayant moins de poids et une clause privative entière pesant lourd dans la balance. Cela pourrait être particulièrement important dans une situation où un décideur administratif a été chargé de « se servir de termes précis et restrictifs »[208] : dans de telles circonstances, une clause privative ordonnerait au tribunal d’accorder « une souplesse accrue » en appliquant la norme de la décision raisonnable, même si le libellé interprété est précis et restrictif.
Passons maintenant aux faits de l’affaire ! Alléguant des erreurs de fait et des erreurs de droit, le demandeur a demandé un contrôle judiciaire d’un rapport du Commissariat aux conflits d’intérêts et à l’éthique, concluant que le premier ministre n’avait pas enfreint la loi sur les conflits d’intérêts en participant à deux décisions concernant un organisme de bienfaisance controversé. Pour le juge en chef de Montigny, la clause privative partielle excluant le contrôle judiciaire pour des erreurs de droit et des erreurs de fait signifiait que la demande était vouée à l’échec. Cependant les juges concordants n’étaient pas d’accord, étant donné que les panels précédents de la Cour d’appel fédérale avaient adopté un point de vue différent sur l’essence constitutionnelle minimale du contrôle judiciaire[209].
Les trois juges ont toutefois convenu que la surveillance politique peut constituer une solution de rechange adéquate au contrôle judiciaire. Le juge en chef de Montigny a souligné que le commissaire à l’éthique est « un agent indépendant du Parlement, et le poste qu’il occupe relève pleinement de l’organe législatif du gouvernement »[210]. De plus, il a conclu que le régime législatif laissait entendre que le législateur voulait que la surveillance politique du commissaire à l’éthique soit un élément central :
Il ressort clairement des paragraphes 44(7), 44(8), 45(3) et 45(4) de la LCI, selon lesquels le commissaire remet ses rapports au premier ministre, que c’est au premier ministre qu’il revient de décider de la façon de donner effet aux recommandations du commissaire, et que c’est à la Chambre des communes qu’il revient de tenir le gouvernement responsable. La sanction se veut politique, et non judiciaire. Cette conclusion est renforcée par le fait que le rapport du commissaire doit être rendu public, et que les conclusions qui y figurent ne sont pas décisives quant aux mesures à prendre (art. 47 de la LCI)[211].
Il y a des « doubles rôles de supervision »[212], mais la tâche des tribunaux est limitée par la clause privative partielle afin de s’assurer que le commissaire respecte sa compétence, accorde l’équité procédurale aux parties touchées et n’agit pas frauduleusement. De plus, pour le juge en chef de Montigny, « [l]es cours de justice devraient être réticentes à considérer les recours judiciaires comme les seuls recours efficaces chaque fois qu’une partie lésée invoque une illégalité »[213]. En fin de compte, « la cour de révision ne devrait pas être saisie de litiges soulevant uniquement des questions de droit ou de fait relevant de la compétence du commissaire à l’éthique »[214].
Comme le fait remarquer le juge en chef de Montigny, cette approche est conforme à celle adoptée par les cours supérieures provinciales où l’on a demandé une révision judiciaire de décisions rendues par des agents de l’assemblée législative : McIver v Alberta (Ethics Commissioner); Democracy Watch v British Columbia (Conflict of Interest Commissioner).[215]
Pour ma part, je me suis toujours méfié de ces décisions. Si un agent d’une assemblée législative est titulaire d’une charge créée par une loi, exerce des pouvoirs et des fonctions prévus par la loi et – par définition – dans les limites établies dans sa loi habilitante, il ne s’ensuit pas, à mon avis, que les décisions de l’agent ne sont pas justiciables.
Je comprends que si quelqu’un veut soulever une question politique devant les tribunaux à la suite d’une décision d’un agent, l’intervention judiciaire pourrait très bien ne pas être appropriée. Cependant, si, comme en l’espèce, la question est de savoir si l’agent a correctement ou raisonnablement interprété les concepts législatifs, l’exclusion du contrôle judiciaire semble assez étrange, car cela signifie que le législateur a le dernier mot sur l’interprétation de ses propres lois. Après tout, « [l]e contrôle judiciaire permet aux cours de justice de s’assurer que les pouvoirs légaux sont exercés dans les limites fixées par le législateur »[216]. Pourquoi en serait-il autrement lorsqu’un agent de l’assemblée législative applique un régime législatif ?
À cet égard, il est intéressant de noter que la clause privative partielle en cause dans Démocratie en surveillance préserve expressément le contrôle judiciaire sur les questions de « compétence » : mais à quel moment une erreur de droit ou de fait devient-elle un problème potentiel de compétence ? Je dirais que la difficulté de tracer cette ligne est, en soi, une bonne raison d’adopter un point de vue général sur l’essence constitutionnelle minimale du contrôle judiciaire.
Dans tous les cas, il s’agit d’une décision très intéressante dont l’obiter et le ratio seront récompensés par une lecture attentive des fondements constitutionnels du contrôle judiciaire et de la pertinence de la surveillance politique comme recours.
V. QUESTIONS LIÉES À LA CONDUITE RÈGLEMENTAIRE
Dans cette section, j’aborde un large éventail de questions liées à la conduite règlementaire qui ont été examinées par plusieurs cours d’appel durant la dernière année, à savoir les réunions entre l’organisme de règlementation et les intervenants, la présence d’avocats pendant les enquêtes et le caractère souhaitable de la transparence dans la sphère règlementaire. Chacune de ces décisions des tribunaux inférieurs fournit une orientation utile aux personnes chargées de conseiller les entités règlementées dans le secteur de l’énergie et d’autres secteurs.
A) Réunions avec les organismes de règlementation
L’affaire Teksavvy Solutions Inc. v Bell Canada Média Inc., et al.[217], portait sur un appel d’une décision du CRTC concernant l’établissement des tarifs à payer aux propriétaires d’infrastructures de télécommunications. Ici, B est propriétaire et T souhaite accéder à son infrastructure. De l’avis de T, le CRTC a fixé des tarifs trop élevés. L’une des questions soulevées concernait la partialité. T a allégué la partialité pour deux motifs.
Premièrement, le président du CRTC a fait des commentaires publics sur l’importance de la concurrence fondée sur les installations. Le juge Stratas a conclu qu’il n’y avait rien à redire à ce sujet :
Le président n’a fait qu’énoncer la position de principe de longue date et fréquemment exprimée par le CRTC en termes généraux. À titre de président d’un organisme de règlementation très en vue, il était approprié pour lui de communiquer les politiques de l’organisme de règlementation, tel qu’elles avaient été adoptées dans les décisions et les avis du CRTC. Une telle communication peut être constructive et dans l’intérêt public : Zündel c. Canada (Procureur général) , 1999 CanLII 9357 (CF), [1999] 4 CF 289, 175 D.L.R. (4th) 512 (T.D.) aux para. 28-30, aff’d (2000), 2000 CanLII 16731 (CAF), 195 D.L.R. (4th) 394, 30 Admin. L.R. (3d) 82 (C.A.) au para. 3. Le président n’a en aucun cas exprimé une préférence pour les positions particulières adoptées par les parties dans un dossier particulier devant le CRTC, ni communiqué une préférence politique permanente et irrévocable [traduction][218].
Deuxièmement, au cours du processus de prise de décision, le président avait tenu une réunion avec un haut représentant de Bell. Le juge Stratas a conclu que T n’avait pas soulevé cette objection de partialité en temps opportun et qu’il l’empêchait donc d’y donner suite[219]. Néanmoins, il a compris que la réunion pouvait être problématique et a fait les observations suivantes :
Les réunions entre les organismes de règlementation et les entités règlementées à l’extérieur de la salle d’audience sont un domaine délicat.
À une extrémité du spectre, il y a les réunions qui sont dans l’intérêt public, particulièrement lorsque l’organisme de règlementation a un mandat d’élaboration des politiques et que l’organisme de règlementation et l’entité règlementée entretiennent une relation à long terme. Les organismes de règlementation doivent comprendre l’industrie qu’ils règlementent et les parties concernées, leurs défis, leurs besoins, leurs aspirations et leurs plans. Les entités règlementées doivent comprendre les motivations des organismes de règlementation, leur point de vue sur l’intérêt public et la nécessité de le protéger. Il ressort clairement du registre tenu en vertu de la Loi sur le lobbying, que la plupart des entités règlementées dans des secteurs comme celui-ci participent à ces réunions. On reconnaît qu’ils font partie de la pratique des affaires dans ce secteur. Pour faire bonne mesure, le préambule de la Loi sur le lobbying a déclaré « la légitimité du lobbyisme ». Et le Code de conduite du CRTC reconnaît à juste titre que « [l]es contacts officiels et officieux avec les intervenants sont essentiels pour conserver et accroître notre expertise et nos connaissances ».
À l’autre extrémité du spectre, il y a les réunions pour discuter des questions en cours dont est saisi l’organisme de règlementation ou qui lui ont déjà été soumises aux fins d’audience et de décision. En fait, ces réunions sont un moyen par lequel des observations secrètes peuvent être présentées à l’extérieur de la salle d’audience, loin des yeux et des oreilles des autres parties à l’audience et du public. Cela va à l’encontre de l’équité et cette pratique devrait être interdite.
Quelque part au milieu, il y a les rencontres sociales. Le Code de conduite du CRTC permet la participation à des événements sociaux et à d’autres réunions entre les membres du CRTC et les représentants de l’industrie, tant que les membres du CRTC ne discutent pas de questions dont est saisi le CRTC pendant ces événements. Mais cela peut tout de même susciter des questions importunes qui peuvent se multiplier, avec un risque croissant.
En prenant ce cas comme exemple, pourquoi les deux parties étaient-elles ensemble? De quoi a-t-on discuté? Pourquoi ces deux seules parties y étaient-elles sans témoins? En termes simples, des réunions entre deux personnes, l’une chargée de la règlementation et l’autre, une entité règlementée, sans témoins indépendants ni autres éléments de preuve pour justifier raison d’être de la réunion et l’objet des discussions sont autant d’éléments problématiques.
Dans le dossier de la preuve dont nous sommes saisis, il y a une politique du CRTC qui offre de bons conseils pratiques sur cette question. Elle reconnaît les avantages des réunions entre l’organisme de règlementation et les entités règlementées. Mais elle signale également les risques et propose des façons de les atténuer. Par exemple, la politique suggère entre autres qu’un cadre supérieur du Conseil assiste à ces réunions. Elle suggère également que les objectifs de la réunion soient confirmés par écrit [traduction][220].
Il s’agit d’excellents conseils, avec la notion utile d’un spectre entre le général et le particulier particulièrement utile pour les organismes de règlementation qui cherchent à établir un équilibre entre l’engagement du public et l’impartialité.
B) Présence de l’avocat durant des enquêtes règlementaires
Dans l’affaire Neustaedter v Alberta (Labour Relations Board),[221] la question portait sur la capacité d’une entité règlementée d’insister sur la présence d’un avocat au cours d’une enquête règlementaire. En règle générale, les lois de règlementation prévoient de vastes pouvoirs d’enquête à l’égard des activités règlementées (ici, en santé et sécurité au travail), y compris la capacité d’entrer dans les locaux et d’interroger du personnel.
Dans cette affaire, l’entité règlementée s’est opposée à l’exécution d’entrevues avec le personnel en l’absence d’un avocat. Cette objection a été rejetée par l’agent de santé et de sécurité au travail affecté à ce mandat et par la Commission. La Cour d’appel était du même avis :
Les appelants soutiennent, selon une interprétation appropriée, que les agents de SST n’avaient pas le pouvoir d’exiger de mener des entrevues. L’agent de SST en est arrivé à une conclusion différente. Il a souligné que l’alinéa 51j) de la LSST donnait expressément aux agents le pouvoir d’interroger et d’obtenir des déclarations aux fins d’application de la Loi ([traduction] « Aux fins de l’application de la présente loi, un agent peut […] interroger et obtenir des déclarations […] »), que le paragraphe 53(2) exige que les témoins se conforment à la demande de renseignements d’un agent de SST ([traduction] « doit, à la demande de l’agent, fournir à celui-ci tout renseignement demandé concernant la blessure ou l’incident ») et que l’article 54 exige que les témoins coopèrent ([traduction] « Il est interdit à quiconque d’entraver ou de quelque manière que ce soit empêcher l’action d’un agent de santé et de sécurité au travail […] qui exerce les attributions que lui confère la présente loi »). Il a également souligné, en renvoyant à l’affaire Ebsworth, que la Commission avait le pouvoir de choisir la procédure qu’elle juge nécessaire pour s’acquitter du mandat que lui confère la loi. Il a conclu de ce qui précède que la LSST donnait à [traduction] « un agent de SST le pouvoir de contraindre un témoin à se présenter à une entrevue pour demander des renseignements en vertu du paragraphe 53(2) ». L’ALRB a qualifié le raisonnement de l’agent à cet égard de [traduction] « cohérent, rationnel et justifié » : Décision de l’ALRB , au para 54. Nous sommes d’accord [traduction][222].
Devant le juge siégeant en chambre, l’appelant a présenté une variante de cet argument en faisant valoir que les agents de SST n’ont pas le pouvoir d’obliger une personne à fournir des renseignements. Au paragraphe 105 de la décision de fond, le juge siégeant en chambre a conclu que l’interprétation de l’appelant « rendrait essentiellement sans effet la LSST. Si une demande d’information concernant un incident en milieu de travail peut être ignorée impunément, le mandat de la SST visant à protéger la sécurité des travailleurs deviendrait inopérant. Telle ne peut avoir été l’intention du législateur ». Nous sommes d’accord et appliquons ce raisonnement à l’argument qui nous est présenté [traduction][223].
L’appelant avait invoqué la Charte à l’appui de l’argument selon lequel les entrevues ne pouvaient être menées en l’absence d’un avocat, mais en vain. La Charte ne s’applique tout simplement pas avec force à l’égard des activités règlementées[224].
C) Contestabilité de lignes directrices
Deux affaires récentes au Canada ont porté sur l’examen d’instruments non contraignants et, dans les deux cas, les tribunaux se sont prononcés contre le contrôle judiciaire.
Dans l’affaire Harold the Mortgage Closer Inc. v Ontario (Financial Services Regulatory Authority, Chief Executive Officer)[225], les demandeurs ont contesté la ligne directrice formulée par l’Autorité. En vertu de celle-ci, l’Autorité publie les détails des mesures d’application de la loi sur son site Web. Le titulaire de permis visé par une mesure d’application de la loi peut résister à l’action dans le cadre d’une audience de novo devant le Tribunal des services financiers. Dans cette affaire, les demandeurs se sont plaints, premièrement, que la publication de l’avis de mesure d’application avait porté atteinte à leur réputation et, deuxièmement, que l’Autorité aurait dû publier la réponse des titulaires de permis sur son site Web.
La juge Backhouse a conclu que la ligne directrice n’était pas justiciable. L’Autorité n’exerçait pas un pouvoir de décision prévu par la loi en adoptant la ligne directrice, et celle-ci n’a eu aucune incidence sur les droits et obligations juridiques des demandeurs :
L’ARSF n’est pas expressément tenue ni habilitée par la loi à publier une ligne directrice relative à la transparence ou des ADP. Dans ce cas, les décisions voulaient de fournir une ligne directrice non contraignante sur les processus administratifs de l’ARSF et publier (ou ne pas publier) des documents sur le site Web de l’ARSF. L’article 3 de la Loi sur l’ARSF énonce les attributions de l’ARSF : les objectifs que l’ARSF s’efforce d’atteindre. L’article 3 ne confère à l’ARSF aucune compétence, aucune autorité ou aucun pouvoir de décision prévu par la loi. L’article 6 confère à l’ARSF les pouvoirs d’une personne physique, l’habilite à appliquer et à exécuter la loi et lui interdit de créer, d’acquérir ou de dissoudre des filiales Bien que ligne directrice relative à la transparence indique que la politique atteint les objets législatifs de l’ARSF, ni l’un ni l’autre des paragraphes 3 et 6 ne confèrent à l’ARSF le pouvoir ou l’obligation de publier les ADP, et l’ARSF ne se fie pas à l’un ou l’autre des articles pour ce faire.
[…]
Bien que les demandeurs aient un intérêt dans leur réputation, la publication d’allégations par l’organisme de règlementation ne donne pas lieu à un droit de contrôle judiciaire. Les décisions en l’espèce n’ont aucune incidence sur les droits, les intérêts, la propriété, les privilèges ou la liberté juridiques des demandeurs. La ligne directrice relative à la transparence publiée par l’ARSF décrit simplement quand et comment l’ARSF publiera les documents liés à ses procédures d’application de la loi. Les atteintes à la réputation dans les circonstances en l’espèce ne donnent pas lieu à un droit de contrôle judiciaire [traduction][226].
À noter que j’ai fourni des services de consultation à l’Autorité relativement à cette question.
La Cour d’appel fédérale est arrivée à la même conclusion dans l’affaire Air Passenger Rights v Canada (Attorney General)[227]. La question en l’espèce concernait la publication par l’Office des transports du Canada d’une déclaration sur son site Web au début de la pandémie de COVID-19. Il y a eu une vague d’annulations de vols et l’industrie du transport aérien s’est fortement préoccupée des conséquences économiques de l’arrêt des vols internationaux. Dans la partie pertinente, la déclaration se lit comme suit :
Bien que toute situation particulière soumise à l’OTC soit examinée en fonction de ses mérites, celui-ci estime qu’une approche appropriée dans le contexte actuel pourrait consister pour les compagnies aériennes à fournir aux passagers touchés des bons ou des crédits applicables à des voyages futurs, pour peu que ces bons ou crédits n’expirent pas dans un délai déraisonnable (24 mois seraient jugés raisonnables dans la plupart des cas) [traduction][228].
Le demandeur a reconnu en l’espèce que la déclaration n’était pas une « décision », mais il a néanmoins soutenu que le contrôle judiciaire était approprié parce que : [traduction] « a) la Déclaration est un jugement préliminaire de l’OTC sur les droits des passagers aériens à des remboursements pour les vols annulés, et b) l’OTC a agi en réponse à une influence indue d’une tierce partie dans la formulation et la publication de la Déclaration, et ce, contrairement à son Code de conduite, ce qui donne lieu à une crainte raisonnable de partialité »[229].
La juge Walker a conclu que le contrôle judiciaire n’était pas disponible. Elle a fait une distinction entre la déclaration et les affaires portant sur la légalité des lignes directrices qui, bien que théoriquement non contraignantes, avaient un caractère obligatoire[230] et a conclu que la déclaration elle-même n’avait pas d’incidence sur les droits et les obligations. Premièrement, il s’agit des actions de tierces parties, comme des sociétés émettrices de cartes de crédit, qui ont eu une incidence sur les droits et les obligations des passagers:
À la base, l’argument d’APR selon lequel la Déclaration est justiciable repose sur la prémisse que les actions des tiers (compagnies aériennes et sociétés émettrices de cartes de crédit) prises en s’appuyant sur la Déclaration a porté préjudice aux droits des passagers aériens et à l’accès aux remboursements pour des vols annulés dans des circonstances où il aurait sans doute dû y avoir des remboursements. APR insiste sur le fait que la Déclaration a eu pour effet pratique de faciliter la rétention de l’argent des passagers par les compagnies aériennes sans fournir de services.
La preuve et les arguments d’APR ne sont pas convaincants. Les mesures prises par des tiers ne sont pas celles de l’OTC, qui n’est pas non plus responsable des décisions prises par les compagnies aériennes et les sociétés émettrices de cartes de crédit. La preuve présentée par APR démontre seulement que des tiers ont utilisé la Déclaration pour justifier le remboursement et les rejets de débit de cartes de crédit. Les effets préjudiciables allégués par APR découlent non pas de la Déclaration ou de la conduite de l’OTC, mais de l’interprétation et de l’utilisation de la Déclaration par des tiers. APR demande à la Cour d’examiner la Déclaration du point de vue de l’intérêt public, mais il y a peu d’éléments de preuve dans le dossier de ce point de vue en dehors d’un nombre limité de chaînes de courriel dans lesquelles les voyageurs aériens frustrés ont exprimé leur insatisfaction à l’égard de la Déclaration. Quoi qu’il en soit, l’interprétation possible par le public de la Déclaration n’établit pas l’effet préjudiciable ou la justiciabilité [traduction][231].
Deuxièmement, la déclaration elle-même n’était pas contraignante :
La mauvaise interprétation de la Déclaration par des tiers, en tant que décision ou approbation, n’a pas été approuvée par l’OTC et ne fait pas de la Déclaration un engagement obligatoire. La Déclaration est rédigée dans un langage simple et indique une façon possible d’aller de l’avant dans des circonstances sans précédent, sous réserve du règlement de chaque cas selon son bien-fondé. Elle est rédigée en termes permissifs et traite d’un sujet à part entière. Elle ne vise pas à donner un aperçu détaillé de l’état de la législation et de la jurisprudence canadiennes concernant le droit au remboursement ni à modifier le droit légal d’un passager aérien à un remboursement pour certains vols annulés. Bien qu’APR affirme que la Déclaration induit le public voyageur en erreur au sujet de ses droits de remboursement, il n’a fait valoir aucune exigence voulant que l’OTC renvoie à des textes législatifs pertinents sur le remboursement, les tarifs et la jurisprudence au moment de publier une déclaration provisoire qui fait clairement référence à la capacité des voyageurs de déposer une plainte, malgré les lignes directrices contenues dans la Déclaration [traduction] [232].
L’analyse dont il est question ici ressemble étrangement à celle de la juge Backhouse dans l’affaire de l’Ontario.
Cependant, le demandeur avait une autre corde à son arc, à savoir un argument selon lequel le contrôle judiciaire est toujours possible lorsque l’équité procédurale est mise en cause, surtout lorsqu’il y a une crainte raisonnable de partialité. La juge Walker a également rejeté cette proposition :
La Cour n’a pas compétence absolue pour intervenir dans la conduite d’un office, d’une commission ou d’un tribunal fédéral en se fondant sur des allégations d’inconduite ou de perception de partialité, à l’exception d’une question pour laquelle un recours est disponible. Essentiellement, APR demande à la Cour de censurer l’OTC indépendamment des effets juridiques de sa conduite. Ce n’est pas le rôle de la Cour. Au risque avoué de répétition, pour qu’un recours soit disponible, une affaire doit « affecter des droits reconnus par la loi, imposer des obligations légales ou causer des effets préjudiciables ». La Déclaration ne le fait pas et elle n’est pas autrement susceptible de contrôle judiciaire [traduction][233].
Il reste quelque chose à dire au sujet de l’argument du demandeur sur ce point. Les allégations de partialité se sont parfois vu accorder un traitement spécial en ce qui concerne le contrôle judiciaire[234]. Ce point mérite un examen plus approfondi. Cependant, si un plaideur habile était en mesure d’alléguer une crainte raisonnable de partialité afin de contourner les principes bien établis énoncés par la juge Backhouse et la juge Walker, je ne suis pas certain qu’il s’agirait d’une évolution souhaitable du droit relatif au contrôle judiciaire.
D) Le caractère souhaitable de la transparence
Il faut aussi tenir compte de la décision importante rendue par la Cour divisionnaire de l’Ontario dans l’affaire Harold the Mortgage Closer Inc. v Ontario (Financial Services Regulatory Authority, Chief Executive Officer)[235].
Il s’agissait d’une contestation de la ligne directrice (« ligne directrice relative à la transparence ») publiée par l’Autorité en vertu de laquelle les détails des mesures d’application sont publiés sur le site Web de l’Autorité. Les demandeurs ont affirmé que la publication des détails de la mesure d’application prise à leur endroit était déraisonnable et portait atteinte à leur réputation.
L’allégation a été jugée non justiciable (comme je l’expliquerai dans une publication distincte), mais la juge Backhouse a également expliqué de façon utile la raison d’être de la ligne directrice relative à la transparence et confirmé son caractère raisonnable :
La ligne directrice relative à la transparence indique que son objet est la « sensibilisation du public à l’inconduite et aux sanctions prises pour améliorer la protection des consommateurs et dissuader les futures inconduites dans les secteurs règlementés ». Sous la rubrique « Justification et principes », il est indiqué : « Une meilleure transparence des mesures d’exécution permet d’atteindre les objectifs règlementaires de l’ARSF » notamment (celles pertinentes ici).
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- Protéger les droits et les intérêts des consommateurs
- Règlementer et superviser en général les secteurs règlementés
- Promouvoir des normes de conduite professionnelle élevées dans les secteurs des services financiers
- Contribuer à la confiance du public dans les secteurs règlementés
- Dissuader les secteurs règlementés de se livrer à des conduites, à des pratiques et à des activités trompeuses ou frauduleuses.
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La ligne directrice relative à la transparence indique également que : « Une approche cohérente et claire pour la transparence des mesures d’exécution garantit également que les entités règlementées et les personnes non conformes sont traitées de manière équitable et savent à l’avance quand et comment l’ARSF informera le public qu’elle prend des mesures pour une activité non conforme ». La ligne directrice relative à la transparence énonce que l’ARSF assurera une meilleure connaissance de ses mesures d’exécution en publiant l’information publiquement disponible sur le volet de son site Web dédié aux mesures d’exécution et au moyen de communiqués de presse. Elle indique que l’ARSF publiera un communiqué de presse lorsque des mesures d’exécution sont prises et que la combinaison d’un communiqué de presse et de la publication des informations sur les mesures d’exécution (ici les ADP) sur le site Web de l’ARSF permet de sensibiliser le public et de réduire les risques pour les consommateurs.
[…]
Les décisions de publication de l’ARSF sont conformes à la pratique de nombreux autres organismes de règlementation qui publient également leurs mesures d’exécution avant qu’un tribunal disciplinaire ne statue sur le bien-fondé. L’ARSF indique dans l’ADP publié que le document contient des allégations qui peuvent devoir être prouvées lors d’une audience.
La publication de la ligne directrice relative à la transparence est raisonnable, tout comme le processus par lequel elle a été élaborée, et elle sert l’intérêt public [traduction][236].
Il s’agit d’une déclaration judiciaire très ferme en faveur de la transparence. Il est tout à fait raisonnable et salutaire de veiller à ce que le public ait accès à l’information sur la façon dont le pouvoir public est exercé et sur les violations potentielles des normes de l’industrie. Il s’agit d’une pratique règlementaire standard (ou qui devrait l’être) et il est très utile que la Cour divisionnaire l’ait reconnue et appuyée.
CONCLUSION
L’année a été chargée pour la Cour suprême du Canada en matière de droit administratif et dans les domaines connexes. Les avocats spécialisés dans le domaine de l’énergie devraient certainement prendre acte des faits nouveaux récents concernant la norme de contrôle applicable aux règlements (partie I), le contrôle selon la norme de la décision raisonnable (partie II), le contrôle selon la norme de la décision correcte (partie III) et les fondements constitutionnels du contrôle judiciaire (partie IV). Ils auront une incidence directe sur leur pratique même si la plupart des affaires récentes n’ont pas porté sur le droit de l’énergie en soi. Il y a aussi bon nombre d’affaires, de partout au Canada, qui se rapportent à l’exercice des pouvoirs de règlementation (partie V).
Pour revenir à mon point de départ, nous en sommes au cinquième anniversaire de l’arrêt Vavilov. Toutes les questions possibles n’ont pas trouvé réponse – et comment pourrait-il en être autrement ?! – mais il semble juste de dire que l’arrêt Vavilov fait bien meilleure figure que son prédécesseur, l’arrêt Dunsmuir, à ce stade-ci de son cycle de vie.
- * Le professeur Paul Daly est titulaire de la Chaire de recherche de l’Université d’Ottawa en droit administratif et gouvernance.
- 1 Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].
- 2 Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9.
- 3 David Mullan, « Unresolved Issues on Standard of Review in Canadian Judicial Review of Administrative Action – The Top Fifteen! » (2013), 42:1 Advocates’ Q 1.
- 4 Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1092 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [Charte].
- 5 Paul Daly, « Unresolved Issues after Vavilov » (2022) 85:1 Saskatchewan L Rev 89.
- 6 Paul Daly, A Culture of Justification: Vavilov and the Future of Canadian Administrative Law (Vancouver: UBC Press, 2023), aux pp 145–49.
- 7 Law Society of Saskatchewan v Abrametz, 2022 CSC 29.
- 8 Auer c Auer, 2024 CSC 36 [Auer].
- 9 Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest c Territoires du Nord-Ouest (Éducation, Culture et Emploi), 2023 CSC 31 [CSFTNO]; Conseil scolaire de district de la région de York c Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario, 2024 CSC 22.
- 10 Yatar c TD Assurance Meloche Monnex, 2024 CSC 8 [Yatar].
- 11 Wastech Services Ltd. c Greater Vancouver Sewerage and Drainage District, 2021 CSC 7.
- 12 Voir Ontario (Procureur général) c Ontario (Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée), 2024 CSC 4 [lettres de mandat].
- 13 Auer, supra, note 8.
- 14 Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants, DORS/97-175.
- 15 Katz Group Canada Inc. c Ontario (Santé et Soins de longue durée), 2013 CSC 64 [Katz].
- 16 Ibid au para 28.
- 17 Portnov c Canada (Procureur général), 2021 CAF 171, au para 19.
- 18 British Columbia (Attorney General) v Le, 2023 BCCA 200, au para 93.
- 19 Auer, supra note 8, aux para 47–63.
- 20 Ibid au para 21.
- 21 Ibid au para 32.
- 22 Ibid au para 19.
- 23 Ibid au para 22.
- 24 Ibid au para 26.
- 25 Katz, supra note 15 au para 24.
- 26 Ibid au para 25.
- 27 Ibid au para 26, citant United Taxi Drivers’ Fellowship of Southern Alberta c Calgary (Ville), 2004 CSC 19, au para 8.
- 28 Ibid au para 27, citant Jafari c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) 1995 CanLII 3592 (CAF), [1995] 2 FC 595 (CA), à la p 604.
- 29 Ibid au para 28, citant Thorne’s Hardware Ltd. c La Reine, 1983 CanLII 20 (CSC), [1983] 1 RCS 106, aux pp 112–113.
- 30 Ibid.
- 31 Supra note 17, au para 20.
- 32 Voir Canada (Procureur général) c Power, 2024 CSC 26, aux para 98, 209; R. c Kirkpatrick, 2022 CSC 33, au para 202, les juges Côté, Brown et Rowe, motifs concordants.
- 33 Supra, note 6 à la p 148.
- 34 Auer, supra note 8 au para 32; voir aussi ibid à la p 149.
- 35 Paul Daly, « Resisting which Siren’s Call? Auer v Auer, 2022 ABCA 375 and TransAlta Generation Partnership v Alberta (Minister of Municipal Affairs), 2022 ABCA 381 » (24 novembre 2022), en ligne (blogue) : <www.administrativelawmatters.com/blog/2022/11/24/resisting-which-sirens-call-auer-v-auer-2022-abca-375-and-transalta-generation-partnership-v-alberta-minister-of-municipal-affairs-2022-abca-381>; supra note 6 à la p 147; Auer, supra note 8 au para 44.
- 36 Auer, supra note 8 au para 33, citant Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, 2021 CSC 11, au para 87.
- 37 Ibid au para 60.
- 38 Ibid au para 51; voir plus particulièrement les para 52–54.
- 39 Ibid au para 38, citant Vavilov, supra note 1 au para 100.
- 40 Ibid au para 39.
- 41 Médicaments novateurs Canada c Canada (Procureur général), 2022 CAF 210 au para 30.
- 42 Vavilov, supra note 1 aux para 91–94.
- 43 Ibid au para 96.
- 44 Auer, supra note 8 au para 46.
- 45 Ibid aux para 55–56.
- 46 GSI Global Shelters Developments Ltd. v Rural Municipality of Last Mountain Valley No. 250, 2024 CanLII 30 (SKCA) au para 23; Koebisch v Rocky View (County), 2021 CanLII 265 (ABCA) au para 42.
- 47 Auer, supra note 8 au para 57.
- 48 Loi sur le divorce, SRC 1985, c 3 (2e suppl).
- 49 Auer, supra note 8 au para 75.
- 50 Ibid au para 79.
- 51 Ibid au para 116.
- 52 Ibid au para 58.
- 53 Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), 2000 CSC 31 au para 18.
- 54 Voir Canadian Constitution Foundation c le procureur général du Canada, 2022 FC 1233, aux para 62–64; British Columbia (Lieutenant Governor in Council) v Canada Mink Breeders Association, 2023 BCCA 310, aux para 66–74 [Mink Breeders].
- 55 Voir par exemple Mink Breeders, ibid au para 76.
- 56 Supra note 17 au para 51.
- 57 Sobeys West Inc. v College of Pharmacists of British Columbia, 2016 BCCA 41.
- 58 Auer, supra note 8 au para 70.
- 59 TransAlta Generation Partnership c Alberta, 2024 CSC 37 [TransAlta].
- 60 Charte, supra note 4.
- 61 Kruse v Johnson, [1898] 2 QB 91.
- 62 Auer, supra note 8 au para 99.
- 63 Montréal c Arcade Amusements Inc.,1985 CanLII 97 (CSC).
- 64 Ibid au para 407.
- 65 Jonas c Gilbert, 1881 CanLII 36 (CSC); Rex v Paulowich, cité dans Montréal c Arcade Amusements Inc. par L.-P. Pigeon; Re Ottawa Electric Railway Co. and Town of Eastview (1924), 1924 CanLII 386 (ONSC); Rex Ex Rel. St. Jean v Knott, 1944 CanLII 365 (ONSC).
- 66 Regina v Flory (1889), 17 O.R. 715.
- 67 Ville de Montréal c Civic Parking Center Ltd., 1981 CanLII 214 (CSC), à la p 559.
- 68 Forst v City of Toronto (1923), 54 OLR 256; S.S. Kresge Co. v City of Windsor, Bartlet, MacDonald & Gow Ltd. et al. v City of Windsor, 1957 CanLII 365 (ON CA); City of Calgary v S.S. Kresge Co., 1965 CanLII 508 (AB KB); Regina v Varga (1979), 1979 CanLII 1715 (ON CA); Entreprises Anicet Gauthier Inc. c Ville de Sept-Îles, [1983] CS 709.
- 69 Supra note 63 à la p 414.
- 70 Produits Shell Canada Ltée c Vancouver (Ville), 1994 CanLII 115 (CSC) au para 259.
- 71 Municipal Government Act, RSA 2000, c M-26 [MGA].
- 72 Auer, supra, note 8 aux para 14–18.
- 73 Ibid au para 59; voir aussi Canadian Natural Resources Limited v Fishing Lake Metis Settlement, 2024 CanLII 131 (ABCA), aux para 29–30; voir aussi Restaurants Canada c Ville de Montréal, 2021 CanLII 1639 (CAQ) au para 24.
- 74 TransAlta Generation Partnership v Alberta (Minister of Municipal Affairs), 2022 ABCA 381, au para 86.
- 75 TransAlta Generation Partnership c Alberta, 2024 CSC 37 aux para 46, 48.
- 76 GSI Global Shelters Developments Ltd. v Rural Municipality of Last Mountain Valley No. 250, 2024 CanLII 30 (SKCA) [GSI].
- 77 Ibid au para 62.
- 78 Loi de 2006 sur la législation, LO 2006, c 21, annexe F, art 82(2).
- 79 Katz, supra note 15 au para 48.
- 80 Supra note 75 au para 52.
- 81 Ibid au para 53.
- 82 Ibid au para 54.
- 83 Ibid.
- 84 Canadian Natural Resources Limited v Fishing Lake Metis Settlement, 2024 CanLII 131 (ABCA).
- 85 Ibid au para 15.
- 86 Jonas c Gilbert, 1881 CanLII 36 (CSC).
- 87 Supra note 84 aux para 35–40.
- 88 Ibid au para 45.
- 89 R. c Greenbaum, 1993 CanLII 166 (CSC) à 695; 114957 Canada Ltée (Spraytech, Société d’arrosage) c Hudson (Ville), 2001 CSC 40 au para 29.
- 90 Supra note 84 au para 68.
- 91 Loi sur les Indiens LRC 1985, c I-5, art 87; Canadien Pacifique Ltée c Bande indienne de Matsqui, 2000 1 FC 325.
- 92 Supra note 84 au para 59.
- 93 Supra note 75 au para 55.
- 94 Voir Paul Daly, « Standard of Review of Regulations: Auer v. Auer, 2024 SCC 36 » (8 novembre 2024), en ligne (blogue) : <www.administrativelawmatters.com/blog/2024/11/08/6563>.
- 95 Supra note 75 au para 58.
- 96 Ibid aux para 58–59.
- 97 Lauzon-Foresterie (Fiducie) c Municipalité de L’Ange-Gardien, 2024 CanLII 506 (CAQ).
- 98 Code municipal du Québec, RLRQ c C-27.1, art 1000.1.
- 99 Supra note 97 au para 62.
- 100 Ibid au para 61.
- 101 Ibid au para 72.
- 102 Ibid au para 76.
- 103 Ibid au para 75.
- 104 Procureur général du Québec c Kanyinda, 2024 CanLII 144 (CAQ) [Kanyinda].
- 105 Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance, LQ 2005, c 47 [LSGEE].
- 106 Ibid à l’art 82.
- 107 Ibid à l’art 84.
- 108 Ibid à l’art 87.
- 109 Ibid au para 106(26); voir aussi ibid au para 42(4).
- 110 Kanyinda, supra note 104 au para 55.
- 111 Ibid au para 75.
- 112 R. v Secretary of State for Social Security, ex part Joint Council for the Welfare of Refugees, 1996 EWCA Civ 1293.
- 113 Charte, supra note 4.
- 114 Kanyinda, supra note 104 au para 111.
- 115 Ibid au para 115.
- 116 Charte, supra note 4.
- 117 Kanyinda, supra note 104 aux para 117–120.
- 118 Lettres de mandat, supra note 12.
- 119 Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 [Mason].
- 120 Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée, LRO 1990, c F.31.
- 121 Lettres de mandat, supra note 12 au para 27.
- 122 Ibid au para 23.
- 123 Ibid au para 34.
- 124 Ibid aux para 34–35.
- 125 Ibid au para 37 (soulignement dans l’original).
- 126 Ibid au para 39.
- 127 Ibid aux para 53–55.
- 128 Ibid au para 16.
- 129 Ibid au para 81.
- 130 Ibid au para 76.
- 131 Ibid au para 35 [nos italique].
- 132 Voir Paul Daly, « Context, Reasonableness Review and Statutory Interpretation: Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 » (28 septembre 2023), en ligne (blogue) : <www.administrativelawmatters.com/blog/2023/09/28/context-reasonableness-review-and-statutory-interpretation-mason-v-canada-citizenship-and-immigration-2023-scc-21>.
- 133 Paul Daly, « Correctness, Conventions, Cabinet Confidence: Ontario (Procureur général) v. Ontario (Information and Privacy Commissioner), 2022 ONCA 74 » (24 avril 2023), en ligne (blogue): <www.administrativelawmatters.com/blog/2023/04/24/correctness-conventions-cabinet-confidence-ontario-attorney-general-v-ontario-information-and-privacy-commissioner-2022-onca-74>.
- 134 Emmett Macfarlane, « The influence of conventions in the SCC’s decision re: Ford’s ministerial mandate letters » (4 février 2024) en ligne (blogue) : <emmettmacfarlane.substack.com/p/the-influence-of-conventions-in-the>.
- 135 Ibid.
- 136 Piché c Entreprises Y. Bouchard & Fils inc., 2024 CanLII 1374 (CAQ).
- 137 Vavilov, supra note 1.
- 138 Supra note 136 au para 14.
- 139 Ibid au para 35.
- 140 Mason, supra note 119.
- 141 Lettre de mandat, supra note 12.
- 142 Supra note 136 aux para 36–37.
- 143 Ibid au para 40.
- 144 Ibid aux para 42–44.
- 145 Ibid aux para 45–47.
- 146 Ibid au para 48.
- 147 Ibid au para 51.
- 148 Ibid au para 50.
- 149 Ibid aux para 66–70.
- 150 Ibid au para 55.
- 151 Ibid au para 56.
- 152 Ibid au para 57.
- 153 Ibid au para 64.
- 154 Ibid au para 65.
- 155 Société des casinos du Québec inc. c Association des cadres de la Société des casinos du Québec, 2024 CSC 13 [Société des casinos].
- 156 Charte, supra note 4 al. 2(d).
- 157 Ibid aux para 45, 199.
- 158 Société des casinos, supra note 155 aux para 94–97.
- 159 Ibid au para 93.
- 160 Westcoast Energy Inc. c Canada (Office national de l’énergie), 1998 CanLII 813 (CSC), [1998] 1 RCS 322.
- 161 Ibid au para 40.
- 162 Ibid au para 42.
- 163 Office régional de la santé du Nord c Horrocks, 2021 CSC 42, au para 9.
- 164 Paul Daly, « Steady as She Goes: Northern Regional Health Authority v. Horrocks, 2021 SCC 42 » (22 octobre 2021), en ligne (blogue) : <www.administrativelawmatters.com/blog/2021/10/22/steady-as-she-goes-northern-regional-health-authority-v-horrocks-2021-scc-42>.
- 165 Ibid.
- 166 Mouvement laïque québécois c Saguenay (City), 2015 CSC 16.
- 167 Voir Saskatchewan (Human Rights Commission) c Whatcott, 2013 CSC 11.
- 168 Consolidated Fastfrate Inc. c Western Canada Council of Teamsters, 2009 CSC 53.
- 169 Ibid au para 26.
- 170 Toussaint c Canada (Procureur général), 2011 CAF 213.
- 171 Ibid au para 54.
- 172 Ibid au para 55.
- 173 Voir Paul Daly, Jurisdiction, questions of law and secretion. Dans : A Theory of Deference in Administrative Law: Basis, Application and Scope. (Cambridge: University Press, 2012) à la p 220.
- 174 Office régional de la santé du Nord c Horrocks, 2021 CSC 42.
- 175 Sharp c Autorité des marchés financiers, 2023 CSC 29.
- 176 Law Society of Saskatchewan c Abrametz, 2022 CSC 29.
- 177 Société des casinos, supra note 155 au para 156.
- 178 Okwuobi c Commission scolaire Lester-B.-Pearson, 2005 CSC 16 aux para 38–45.
- 179 Voir Forest Ethics Advocacy Association c Office national de l’énergie, 2014 CAF 245 aux para 42–47; voir aussi Denton v British Columbia (Workers’ Compensation Appeal Tribunal), 2017 BCCA 403 aux para 51–52; voir aussi Campisi c Ontario, 2017 ONSC 2884 au para 13.
- 180 Société des casinos, supra note 155 au para 157.
- 181 Comparer supra note 178 au para 45.
- 182 Yatar, supra note 10.
- 183 Voir par exemple Stoney Nakoda Nations v His Majesty the King In Right of Alberta As Represented by the Minister of Aboriginal Relations (Aboriginal Consultation Office), 2023 ABKB 700.
- 184 Yatar, supra note 10 au para 45.
- 185 Ibid au para 46.
- 186 Ibid au para 49.
- 187 Ibid au para 54.
- 188 Voir Budlakoti c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 139, au para 28(1).
- 189 Yatar, supra note 10 au para 58.
- 190 Voir aussi la discussion dans Mason, supra note 119.
- 191 Yatar, supra note 10 au para 61.
- 192 Ibid au para 63.
- 193 Ibid au para 65.
- 194 Crevier c P.G. (Québec) et autres [1981] 2 RCS 220.
- 195 Paul Daly, « Limited Rights of Appeal: Constitutional Traditionalists » (14 mars 2024) en ligne (blogue) : <www.administrativelawmatters.com/blog/2024/03/14/limited-rights-of-appeal-constitutional-traditionalists>.
- 196 Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, ch. F-7.
- 197 Voir Paul Daly, « Judicial Oversight and Open Justice in Administrative Proceedings » (18 mai 2023), en ligne (blogue) : <www.administrativelawmatters.com/blog/2023/05/18/judicial-oversight-and-open-justice-in-administrative-proceedings>.
- 198 Il est à noter que mon client dans Yatar a adopté la position voulant que l’art. 18.5 doive être réexaminé à la lumière de l’arrêt Vavilov.
- 199 Yatar, supra note 10 aux para 74–75.
- 200 Ibid au para 76.
- 201 Démocratie en surveillance c Canada (Procureur général), 2024 CAF 158.
- 202 Voir ibid les juges concordants au para 96.
- 203 Ibid au para 73.
- 204 Vavilov, supra note 1 au para 67; voir aussi Vavilov, supra note 1 au para 109.
- 205 Supra note 201 au para 66.
- 206 Voir Koebisch v Rocky View (County), 2021 CanLII 265 (ABCA) au para 24.
- 207 Vavilov, supra note 1 au para 110.
- 208 Ibid.
- 209 Supra note 201 au para 96.
- 210 Ibid au para 80.
- 211 Ibid au para 81.
- 212 Ibid au para 82.
- 213 Ibid au para 84, citant Canada (Vérificateur général) c Canada (Ministre de l’énergie, des mines et des ressources), [1989] 2 RCS 49.
- 214 Ibid au para 88.
- 215 McIver v Alberta (Ethics Commissioner), 2018 CanLII 240 (ABQB) aux para 70–77; Democracy Watch v British Columbia (Conflict of Interest Commissioner), 2017 CanLII 123 (BSC) aux para 35–37.
- 216 Supra note 2 au para 28.
- 217 Teksavvy Solutions Inc. v Bell Canada, 2024 FCA 121.
- 218 Ibid au para 52.
- 219 Ibid aux para 57–58.
- 220 Ibid aux para 65–70.
- 221 Neustaedter v Alberta (Labour Relations Board), 2024 CanLII 238 (ABCA).
- 222 Ibid au para 16.
- 223 Ibid aux para 16–17.
- 224 Voir par exemple Paul Daly, « Regulation and the Constitution: Goodwin v. British Columbia (Superintendent of Motor Vehicles), 2015 SCC 46 » (21 octobre 2015), en ligne (blogue) : <www.administrativelawmatters.com/blog/2015/10/21/regulation-and-the-constitution-goodwin-v-british-columbia-superintendent-of-motor-vehicles-2015-scc-46>.
- 225 Harold the Mortgage Closer Inc. v Ontario (Financial Services Regulatory Authority, Chief Executive Officer), 2024 CanLII 4464 (ONSC).
- 226 Ibid aux para 70, 75.
- 227 Air Passenger Rights v Canada (Attorney General), 2024 CanLII 128 (CAF).
- 228 Ibid au para 8.
- 229 Ibid au para 14.
- 230 Ibid au para 23.
- 231 Ibid aux para 29–30.
- 232 Ibid aux para 31–32.
- 233 Ibid au para 44.
- 234 Voir par exemple Fundy Linen Service Inc. c La Commission de la santé, de la sécurité et de l’indemnisation des accidents au travail, 2009 NBCA 13.
- 235 Harold the Mortgage Closer Inc. v Ontario (Financial Services Regulatory Authority, Chief Executive Officer), 2024 CanLII 4464 (ONSC) (il est à noter que l’auteur entretient depuis longtemps une relation avocat-client avec l’Autorité, y compris en ce qui concerne cette affaire).
- 236 Ibid aux para 84–87.