Le point de vue des investisseurs sur les entreprises de services publics de gaz naturel – Le Canada et les États-Unis sous la loupe

En mai 2024, l’Association canadienne du gaz (ACG) et l’American Gas Association (AGA) ont retenu les services de MCR Performance Solutions, une société d’experts-conseils en gestion qui se consacre à desservir les entreprises de services publics, afin de mettre à jour et d’élargir une étude de 2022 intitulée « Investor Expectations on North American Natural Gas Utilities »[1]. Le rapport mis à jour[2], publié le 7 novembre 2024, conclut que les investisseurs considèrent les entreprises de services publics de gaz naturel comme des investissements attrayants pour maintenir la stabilité dans leurs portefeuilles et estiment qu’elles procurent un rendement du capital-actions (RCA) fiable et prévisible.

COMMENT L’ÉTUDE A-T-ELLE ÉTÉ EFFECTUÉE

En collaboration avec un comité directeur de l’AGA et des entreprises membres de l’ACG, MCR Performance Solutions a mis à jour l’étude de base de 2022, actualisé les données et ciblé un groupe plus vaste de participants aux marchés des actions et des capitaux d’emprunt pour éclairer les discussions du point de vue des investisseurs. Le groupe élargi de participants réunissait des analystes qui se situent du côté de la vente, des gestionnaires de portefeuille qui se situent du côté de l’achat, des banquiers d’affaires et des agences de notation de crédit, ainsi que certains dirigeants des finances d’entreprises membres de l’AGA et de l’ACG. Afin de favoriser la franchise, on a rigoureusement préservé la confidentialité de leur identité et de leurs commentaires.

PRINCIPALES CONSTATATIONS :

MCR Performance Solutions estime que les assises commerciales du secteur des services publics de gaz naturel demeurent solides. Cependant, les défis politiques régionaux associés à la croissance rapide de la demande d’énergie (et les impératifs urgents que sont l’abordabilité, la sécurité, la résilience et la fiabilité) donnent à penser que l’examen de nouvelles avenues commerciales pourrait s’avérer profitable — des avenues qui peuvent à la fois soutenir une industrie mature et harmoniser les stratégies d’affaires avec d’importants objectifs sociaux et de politique publique.

Plus précisément, le rapport arrive aux principales conclusions suivantes :

  1. Bien que la hausse des taux d’intérêt et le rendement des obligations aient atténué le risque d’un RCA autorisé par règlement plus faible, ce dernier a amorcé une inflexion à la hausse après de nombreuses années de baisse graduelle. En juin 2024, les RCA moyens autorisés s’établissaient à 9,83 % pour les entreprises de services publics de gaz naturel américaines et à 9,28 % pour les entreprises de services publics canadiennes.
  2. Les marchés s’entendent pour dire que le gaz naturel et l’infrastructure connexe joueront un rôle vital dans l’approvisionnement en énergie, la sécurité et la résilience pendant des décennies à venir.
  3. Les investisseurs répartissent leurs capitaux en fonction du risque et de la récompense perçus et « votent en se déplaçant ». Pour attirer les investissements, les rendements règlementaires des entreprises de services publics doivent être plus alléchants que les autres possibilités d’investissement — ce qu’on appelle le coût de renonciation du capital.
  4. Les soi-disant « interdictions gazières » et les considérations environnementales, sociales et liées à la gouvernance (ESG) qui ont freiné l’intérêt des investisseurs dans les entreprises de services publics de gaz naturel il y a cinq ans ont été remodelées par des événements géopolitiques et d’autres événements qui ont placé la sécurité énergétique, l’accès à l’énergie et l’abordabilité de celle-ci au cœur de leurs préoccupations.
  5. L’augmentation de la demande d’énergie, y compris pour l’électricité, offre aux entreprises de services publics de gaz naturel une occasion de jouer un rôle déterminant dans le maintien d’une énergie sûre, fiable, résiliente et abordable en Amérique du Nord.

RENDEMENTS DU CAPITAL-ACTIONS – CANADA ET ÉTATS-UNIS

L’étude portait sur l’examen des rendements du capital-actions moyens autorisés pour les services de gaz naturel canadiens et a conclu qu’ils ont tendance à tirer de l’arrière de 40 à 60 points de base par rapport à leurs homologues américains. En ce qui concerne les capitaux propres en pourcentage de la capitalisation totale, ils ont tendance à se situer en moyenne autour de 30 %, contre 40 % à 50 % aux États-Unis. Il convient de noter qu’une décision[3] sur le coût du capital rendue en 2023 par la British Columbia Utilities Commission a fixé le RCA des entreprises de services publics de gaz naturel à 9,65 %, la structure du capital devant comporter 41 % de capitaux propres. Cette décision reconnaissait expressément l’augmentation des risques commerciaux auxquels sont confrontés les services de gaz naturel, y compris les problèmes liés à la transition énergétique. Le graphique 1 ci-dessous présente une perspective historique du RCA moyen des entreprises de services publics de gaz naturel au Canada et aux États-Unis par rapport aux rendements des obligations d’État.

Graphique 1 : Historique du RCA des entreprises de services publics de gaz naturel et du rendement des obligations d’État, Canada et États-Unis[4]

Bien que les rendements plus modestes d’une plus petite base de capitaux propres rendent probablement les investissements dans les entreprises de services publics canadiennes moins attrayants à première vue, les investisseurs ont fait remarquer, durant les discussions, que la règlementation canadienne des services publics se fonde habituellement sur des données prospectives et un découplage du volume, en plus d’offrir, bien souvent, une plus grande souplesse pour des rajustements entre des cas à taux normaux. On a également fait remarquer que les entreprises d’électricité canadiennes connaissent rarement des RCA inférieurs à ceux autorisés et qu’elles sont un peu plus susceptibles de générer des RCA excédentaires.

Le RCA autorisé et la structure du capital orientent les décisions d’affectation des capitaux propres des investisseurs. Au cours de la dernière décennie, plusieurs entreprises de services publics canadiennes ont pris de l’expansion vers le sud, sur le marché américain, à l’issue de fusions. L’exemple le plus récent est l’acquisition de trois entreprises de services publics de gaz naturel américaines par Enbridge. Cette acquisition fait suite à des accords transfrontaliers conclus par AltaGas, Algonquin Power and Utilities, Emera et Fortis. À l’opposé, aucun service public américain n’a pris de l’expansion vers le nord. Les rendements du capital-actions autorisés relativement plus élevés et une plus grande distribution des capitaux propres dans la structure du capital règlementaire sont souvent cités comme des facteurs déterminants des décisions d’acquisition d’entreprises canadiennes de services publics.

IMPORTANCE DU COÛT DU CAPITAL POUR LES CLIENTS DES ENTREPRISES DE SERVICES PUBLICS

Bien que le processus de règlementation soit souvent considéré comme un exercice d’équilibre entre des intérêts concurrents, soit ceux des clients et ceux des actionnaires, les entreprises de services publics sont des sociétés d’infrastructure caractérisées par des niveaux élevés d’investissement en capital. À ce titre, ils ont besoin d’un accès facile au capital pour financer non seulement l’infrastructure matérielle, mais aussi l’entretien de leurs systèmes. À l’instar d’autres coûts liés à l’exploitation d’une entreprise de service public, le coût du financement se reflète dans les tarifs. Ainsi, les clients ont tout avantage à ce que les entreprises de services publics aient facilement accès au capital aux conditions économiques les plus favorables.

LE RÔLE CONTINU DU GAZ NATUREL

Tous les participants à l’étude estimaient que le gaz naturel continuerait de jouer un rôle sur une période de plusieurs décennies. Pour reprendre les mots d’un participant à la discussion, « Personne sain d’esprit peut penser que le gaz naturel disparaîtra ». Les analystes et les investisseurs ont souligné la dépendance continue à l’égard du gaz naturel des États, même ceux qui appliquent les politiques de décarbonisation les plus musclées. L’utilisation continue de mazout à intensité carbonique élevée dans le Nord-Est des États-Unis a également été mentionnée comme étant un phénomène plutôt paradoxal, surtout dans les États où l’approvisionnement en gaz naturel n’est pas limité. Les participants ont aussi mentionné le recours continu au gaz naturel pour produire de l’électricité, sans pour autant estimer que cette utilisation avait une grande incidence sur les entreprises locales de distribution de gaz. Les investisseurs ont clairement indiqué qu’ils préféraient investir dans des États où les politiques sont plus favorables à l’utilisation du gaz naturel.

Les défis associés à l’élimination progressive du gaz naturel ont souvent été soulevés. Les investisseurs, ainsi que quelques dirigeants d’entreprises de services publics distribuant à la fois du gaz naturel et de l’électricité, ont observé que l’électrification du chauffage au gaz dans des climats froids pourrait exiger de tripler la capacité du réseau électrique, un scénario irréaliste qui, selon la plupart des répondants, pourrait exercer une pression haussière considérable sur les tarifs facturés aux clients, même si cela était réalisable sur le plan technique. Un cadre d’une entreprise de services publics distribuant à la fois du gaz naturel et de l’électricité a indiqué que son entreprise chiffrait, dans une présentation destinée aux investisseurs, le fardeau économique important que l’électrification complète imposerait à sa clientèle, afin de répondre aux nombreuses demandes des investisseurs au sujet du positionnement stratégique de ses activités locales de distribution de gaz.

On a aussi discuté du fait que, par nature, l’énergie éolienne et l’énergie solaire sont changeantes et leurs fluctuations ne sont pas corrélées à la demande. Certes, le déploiement des batteries de stockage continue de croître, mais la demande d’énergie en fait tout autant. Il est ressorti de nombreuses conversations que le stockage d’énergie dans des batteries est une solution coûteuse et inefficace par comparaison à l’utilisation du gaz naturel comme substitut au stockage saisonnier à long terme, car la production solaire diminue en hiver.

CONCLUSION

Pour qu’une transition énergétique qui assure la fiabilité et l’abordabilité du service pour les consommateurs soit couronnée de succès, il faudra un investissement continu dans des systèmes de transport et de distribution d’électricité et de gaz naturel. Pour aménager des conditions économiques favorables à l’investissement de capitaux, la proposition doit offrir un profil de risque et de rendement attrayant par rapport à d’autres options de placement. En discutant directement avec des investisseurs, des analystes et d’autres participants aux marchés financiers, cette étude a permis de recueillir de précieux renseignements sur les facteurs qui façonnent le processus d’affectation du capital.

 

 

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