La dernière année a été marquée par des développements significatifs concernant la réglementation relative aux fusions et aux acquisitions dans le secteur de l’électricité en Ontario et en Alberta. Les organismes de réglementation en matière d’énergie de chacune de ces provinces ont étudié la possibilité d’approuver d’importantes acquisitions de services publics sur leur territoire respectif. En juillet 2014, la Commission de l’énergie de l’Ontario (CEO) a terminé une audience de 15 mois portant sur une proposition de la société d’État Hydro One visant l’acquisition de Norfolk Power, une société de distribution électrique locale (SDEL)2. En novembre 2014, l’Alberta Utilities Commission (AUC) s’est prononcée sur l’approbation de la vente des droits d’actifs de transmission et des activités d’AltaLink à un investisseur privé étranger3. Ces transactions comprenaient des ententes commerciales complexes, dont les modalités étaient uniques aux parties concernées. Malgré les différences, cependant il y avait un élément commun avec lequel les deux organismes de réglementation devaient se débattre – les mesures incitatives à l’achat. Dans les deux marchés, les acheteurs offraient une prime sur le prix d’achat. Hydro One a également offert, comme mesure incitative supplémentaire, une réduction de 1 % par rapport aux tarifs de 2012 et un gel des tarifs sur cinq ans pour les clients actuels de Norfolk Power. D’autres services publics qui ont participé à chacune des instances ont soutenu que la prime sur le prix d’achat va à l’encontre des critères régissant l’approbation des fusions et des acquisitions. Les organismes de réglementation permettraient-ils aux acheteurs de présenter ces types d’offres?
Hydro One et Norfolk Power : fusion dans le secteur de la distribution de l’électricité de l’Ontario
La proposition d’Hydro One visant l’acquisition de Norfolk Power est une autre étape sur le long chemin menant à la fusion du secteur de la distribution de l’électricité de l’Ontario. Dans le cadre de la restructuration du secteur électrique de l’Ontario survenue vers l’année 2000, la législation exigeait que les municipalités « transforment en société » leurs actifs de distribution; lors de ce processus, il y a eu de nombreuses fusions réalisées dans le but d’accroître son importance ou simplement d’être vendu à Hydro One. Au cours de ce processus, le secteur de la distribution de l’électricité de l’Ontario a conclu des contrats avec plus de 300 distributeurs dans les années 1990 jusqu’à environ 90. Depuis ce temps, la tendance continue aux fusions et aux ventes a réduit davantage ce nombre qui, aujourd’hui, s’établit à un peu plus de 70. En décembre 2012, le Comité ontarien du secteur de la distribution a publié un rapport demandant que l’on poursuive le fusionnement des distributeurs dans le secteur, y compris, en dernier recours, à les forcer à fusionner, en huit à douze plus grands distributeurs régionaux. Le contrecoup chez les municipalités et les nombreuses SDEL a été immédiat et le ministre de l’Énergie a rapidement rassuré l’industrie, lui indiquant qu’il n’y aurait aucune fusion ou vente forcée.
Malgré le reniement du rapport sur le secteur de la distribution, les fusions et les gains d’efficacité étaient de nouveau à l’avant-plan tandis qu’on se dirigeait vers 2013. Cette année-là, Hydro One a conclu un accord en vue d’acquérir Norfolk Power (annoncé le 2 avril 2013), puis a ensuite demandé à la CEO de l’approuver.
Lorsqu’elle détermine si elle approuve ou non l’acquisition de services publics, la CEO applique un critère d’« absence de préjudice ». Ce critère découle d’une décision antérieure de la CEO, l’instance combinée4, et exige que cette dernière qu’elle examine si une acquisition proposée pouvait être conforme aux objectifs législatifs de la CEO énoncés dans la Loi de 1998 sur la Commission de l’énergie de l’Ontario, L.O. 1998, chapitre 15 (la « Loi sur la CEO »5. Au moment où une décision a été rendue dans le cadre de l’instance combinée, la Loi sur la CEO ne faisait état que de deux des cinq objectifs actuels6 :
- Protéger les intérêts des consommateurs en ce qui concerne les prix, ainsi que la suffisance, la fiabilité et la qualité du service d’électricité.
- Promouvoir l’efficacité économique et la rentabilité dans les domaines de la production, du transport, de la distribution et de la vente d’électricité ainsi que de la gestion de la demande d’électricité et faciliter le maintien d’une industrie de l’électricité financièrement viable.
- Promouvoir la conservation de l’électricité et la gestion de la demande d’une manière compatible avec les politiques du gouvernement de l’Ontario, notamment en tenant compte de la situation financière du consommateur.
- Faciliter la mise en place d’un réseau intelligent en Ontario.
- Promouvoir la production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelable et l’utilisation d’électricité ainsi produite d’une manière compatible avec les politiques du gouvernement de l’Ontario, y compris l’extension ou le renforcement en temps voulu des réseaux de transport et des réseaux de distribution pour permettre le raccordement d’installations de production d’énergie renouvelable7.
Dans la décision Norfolk, la Commission a déterminé que seuls les deux premiers objectifs étaient pertinents aux questions soulevées. La CEO a par la suite examiné en outre, la demande formulée en vertu du critère actuel d’absence de préjudice sur trois objectifs qui ont été ajoutés à la Loi sur la Commission de l’énergie de l’Ontario après la décision sur les Instances Combinées. La Commission a conclu qu’étant donné qu’en vertu de la Loi il faut être guidé par les cinq objectifs, le critère d’absence de préjudixe ne doit pas se limiter qu’aux deux premiers objectifs, mais doit plutôt être appliqué compte tenu de tous les cinq8.
Selon les termes de l’accord avec Norfolk Power, Hydro One a proposé de payer une prime de 39,1 millions de dollars au-delà de la valeur nette comptable de Norfolk Power, qui est de 53,9 millions de dollars9. De plus, Hydro One a offert une réduction de 1 % par rapport aux tarifs de 2012 et un gel des tarifs sur cinq ans pour les clients de Norfolk Power10. Les intervenants ont présenté un certain nombre d’arguments selon lesquels la réalisation d’une transaction comportant ces mesures incitatives ne satisferait pas au critère d’absence de préjudice. Les principaux enjeux pour les intervenants étaient les fortes hausses potentielles de tarifs à la fin de la période de cinq ans visée par le gel et les préoccupations du fait que la prime payée sur le prix d’achat entraînerait des tarifs plus élevés non seulement pour les clients de Norfolk (éventuellement), mais également tous ceux d’Hydro One11.
La CEO a rejeté ces arguments et a conclu que l’application du critère d’absence de préjudice n’était pas pertinente pour déterminer si le prix d’achat fixé est approprié, puisque les futurs tarifs seraient déterminés sans égard au prix d’achat payé. C’est la politique de la CEO qui veut que la prime ne soit pas incluse dans les futurs tarifs12. La CEO a également rejeté l’argument selon lequel le prix d’achat fixé imposerait un fardeau financier à Hydro One en fonction de la proportion du prix d’achat par rapport aux actifs d’Hydro One (39,1 millions de dollars par rapport à 20,8 milliards de dollars)13.
Avec la décision Norfolk, la CEO a confirmé que des mesures incitatives, comme des réductions de tarifs, des gels et des primes sur les prix, sont légitimes, car la province envisage de continuer à faire des fusions dans le secteur de la distribution de l’électricité. Selon la CEO, sa politique et la surveillance qu’elle assure empêcheraient toute augmentation de tarifs que l’on craint en raison de la prime sur le prix d’achat.
Investissement étranger dans le secteur du transport d’électricité de l’Alberta : l’Offre de Buffett pour l’acquisition d’AltaLink
En 2002, l’entreprise québécoise SNC-Lavalin a acquis la plus importante société de transport d’électricité en Alberta, laquelle a poursuivi ses activités sous le nom d’AltaLink14. En 2013, à la suite d’une série de scandales de corruption, SNC-Lavalin a annoncé une nouvelle orientation stratégique selon laquelle elle se concentrerait sur ses activités d’ingénierie et de construction et qu’elle se départisse de ses actifs non stratégiques, y compris AltaLink15. En mai 2014, SNC-Lavalin a conclu un marché avec la société américaine Berkshire Hathaway de Warren Buffett relativement à l’achat d’AltaLink16. Ce marché, dont une partie est un investisseur étranger, a déclenché la tenue d’un examen de la part du Bureau de la concurrence et d’Industrie Canada, qui ont tous deux approuvé la transaction17. Le dernier obstacle se dressant devant les parties était l’approbation de l’AUC.
Comme la CEO, l’AUC applique elle aussi un critère d’« absence de préjudice » lorsqu’elle détermine si elle approuve ou non l’acquisition de services publics. Le critère d’absence de préjudice et d’autres facteurs qu’elle prend en compte découlent d’un certain nombre de décisions antérieures18 et comprennent les suivants :
[Traduction]
- S’il y aura une incidence sur les tarifs et les frais transmis aux clients.
- S’il découle un avantage ou un risque opérationnel quelconque lié à l’acquisition de l’expérience de la partie en matière de services publics.
- S’il y aura une incidence sur le profil financier du service public pour ce qui est d’attirer des capitaux.
- Dans le cas d’AltaLink, si le service public demeurera suffisamment distinct de la partie qui en fait l’acquisition sur les plans juridique, financier et opérationnel.
- Si la Commission maintiendra une surveillance réglementaire suffisante à l’égard du service public.
- Si l’expertise opérationnelle et en gestion restera en place après la transaction.
- Si la transaction aura, pour les clients, des répercussions sur les coûts quant à des éléments comme la taxe et les fonds de pension.
- Que l’acquéreur souhaite œuvrer dans les affaires des secteurs publics en Alberta alors que ce n’est pas le cas du vendeur.
- Dans la mesure du possible, que les clients soient protégés contre toute ramification négative découlant des transactions.
- Que les clients n’aient pas droit à un niveau de certitude réglementaire après la transaction dont ils n’auraient pas été au courant si la transaction n’avait pas été approuvée.
- À tout le moins, que la situation des clients après la transaction ne soit pas pire qu’après avoir pris en compte les répercussions positives et négatives potentielles des transactions boursières proposées19.
Le critère d’absence de préjudice est appliqué en deux étapes. En premier lieu, l’AUC détermine si la transaction entraîne un préjudice aux clients. Si elle détermine que ce sera le cas, elle passe à la seconde étape et évalue si des conditions d’approbation pouvaient permettre d’atténuer tout préjudice déterminé20.
Des représentants d’un certain nombre de services publics sont intervenus dans le cadre de la demande soutenant, entre autres, que la prime d’achat de 3,2 milliards de dollars sur une valeur nette comptable d’environ 800 millions de dollars offerte par Berkshire Hathaway donnait lieu à des répercussions négatives potentielles sur les tarifs applicables aux clients et sur le service à ces derniers qui n’ont pas été résolus. Même si l’on interdisait à l’acheteur d’inclure la prime à la base de tarifs, ont-ils soutenu, ce dernier pourrait chercher à obtenir un recouvrement d’une manière indirecte qui aurait une incidence sur les coûts futurs inclus dans l’exigence en matière de recettes et les tarifs des services publics. Sinon, ils ont demandé comment l’acheteur récupérerait son investissement initial21.
Un représentant d’un service public a soutenu que pour faire face à cette préoccupation, l’AUC devrait imposer à toute approbation la condition suivante :
[Traduction]
Aucun des demandeurs, ni aucune entité connexe ni aucun successeur de ces derniers, ne cherchera à recouvrer auprès des clients la prime sur la valeur nette comptable payée pour les actions de NewCo conformément à la convention d’achat d’actions22.
L’AUC a écarté ces préoccupations, indiquant que la transaction n’allait pas à l’encontre du critère d’absence de préjudice simplement parce qu’on avait offert une prime sur la valeur comptable23. Les questions de fiabilité et de qualité du service resteraient assujetties à la surveillance de l’AUC, tout comme la prudence des coûts d’AltaLink, ainsi que la justesse et le caractère raisonnable de ses tarifs approuvés24. En outre, l’AUC a refusé d’imposer la condition recommandée selon laquelle aucun des demandeurs ne cherche à recouvrer la prime sur le prix d’achat sur la base du fait que la surveillance règlementaire continue de l’AUC a rendu inutile le recours à cette condition 25. En novembre 2014, l’AUC a rendu sa décision dans le cadre de laquelle elle approuve la transaction, éliminant ainsi l’obstacle final auxquelles les parties faisaient face et leur permettant donc de conclure le marché.
Les organismes de réglementation de l’Ontario et de l’Alberta ont ouvert la voie aux primes d’achat
Les marchés visant l’acquisition de Norfolk Power et d’AltaLink étaient différents à bien des égards. Hydro One est une société d’État qui adopte une stratégie de regroupement dans le secteur des SDEL en Ontario, tandis que Berkshire Hathaway est une société étrangère privée faisant l’acquisition de la plus importante société de transport d’électricité en Alberta. Toutefois, chacune des transactions proposées comprenait des mesures incitatives de primes sur le prix d’achat, et dans le cas de Norfolk Power, une réduction des tarifs de l’ordre de 1 % et un gel des tarifs sur cinq ans. Dans les deux cas, les représentants des services publics ont indiqué que la prime sur le prix d’achat allait possiblement à l’encontre du critère d’absence de préjudice qu’utilisent la CEO et l’AUC pour évaluer les fusions et les acquisitions de services publics. Dans les deux cas, la CEO et l’AUC ont déterminé que leur surveillance continue était suffisante pour veiller à ce que les clients ne subissent pas les préjudices craints, soit des augmentations de tarifs ou des répercussions négatives sur la qualité du service. Plus particulièrement, les organismes de règlementation on remarqué que les tarifs seraient déterminés en fonction de la valeur comptable, sans tenir compte des primes payées.
Bien qu’il soit certainement vrai que Norfolk Power et AltaLink continuent d’être respectivement assujettis à la réglementation de la CEO et de l’AUC, en réalité, ces services publics feront l’objet d’une pression constante de la part de leurs actionnaires, qu’ils soient du secteur public ou privé, pour obtenir un retour quant à la prime sur le prix d’achat. Dans le cadre de leur surveillance, les organismes de réglementation devront faire preuve de vigilance pour prévenir toute tentative de recouvrement indirecte lorsque l’éclat de ces acquisitions s’estompera et que les services publics nouvellement acquis poursuivront leurs activités.
La dernière année a été marquée par des développements significatifs concernant la réglementation relative aux fusions et aux acquisitions dans le secteur de l’électricité en Ontario et en Alberta. Les organismes de réglementation en matière d’énergie de chacune de ces provinces ont étudié la possibilité d’approuver d’importantes acquisitions de services publics sur leur territoire respectif. En juillet 2014, la Commission de l’énergie de l’Ontario (CEO) a terminé une audience de 15 mois portant sur une proposition de la société d’État Hydro One visant l’acquisition de Norfolk Power, une société de distribution électrique locale (SDEL)2. En novembre 2014, l’Alberta Utilities Commission (AUC) s’est prononcée sur l’approbation de la vente des droits d’actifs de transmission et des activités d’AltaLink à un investisseur privé étranger3. Ces transactions comprenaient des ententes commerciales complexes, dont les modalités étaient uniques aux parties concernées. Malgré les différences, cependant il y avait un élément commun avec lequel les deux organismes de réglementation devaient se débattre – les mesures incitatives à l’achat. Dans les deux marchés, les acheteurs offraient une prime sur le prix d’achat. Hydro One a également offert, comme mesure incitative supplémentaire, une réduction de 1 % par rapport aux tarifs de 2012 et un gel des tarifs sur cinq ans pour les clients actuels de Norfolk Power. D’autres services publics qui ont participé à chacune des instances ont soutenu que la prime sur le prix d’achat va à l’encontre des critères régissant l’approbation des fusions et des acquisitions. Les organismes de réglementation permettraient-ils aux acheteurs de présenter ces types d’offres?
Hydro One et Norfolk Power : fusion dans le secteur de la distribution de l’électricité de l’Ontario
La proposition d’Hydro One visant l’acquisition de Norfolk Power est une autre étape sur le long chemin menant à la fusion du secteur de la distribution de l’électricité de l’Ontario. Dans le cadre de la restructuration du secteur électrique de l’Ontario survenue vers l’année 2000, la législation exigeait que les municipalités « transforment en société » leurs actifs de distribution; lors de ce processus, il y a eu de nombreuses fusions réalisées dans le but d’accroître son importance ou simplement d’être vendu à Hydro One. Au cours de ce processus, le secteur de la distribution de l’électricité de l’Ontario a conclu des contrats avec plus de 300 distributeurs dans les années 1990 jusqu’à environ 90. Depuis ce temps, la tendance continue aux fusions et aux ventes a réduit davantage ce nombre qui, aujourd’hui, s’établit à un peu plus de 70. En décembre 2012, le Comité ontarien du secteur de la distribution a publié un rapport demandant que l’on poursuive le fusionnement des distributeurs dans le secteur, y compris, en dernier recours, à les forcer à fusionner, en huit à douze plus grands distributeurs régionaux. Le contrecoup chez les municipalités et les nombreuses SDEL a été immédiat et le ministre de l’Énergie a rapidement rassuré l’industrie, lui indiquant qu’il n’y aurait aucune fusion ou vente forcée.
Malgré le reniement du rapport sur le secteur de la distribution, les fusions et les gains d’efficacité étaient de nouveau à l’avant-plan tandis qu’on se dirigeait vers 2013. Cette année-là, Hydro One a conclu un accord en vue d’acquérir Norfolk Power (annoncé le 2 avril 2013), puis a ensuite demandé à la CEO de l’approuver.
Lorsqu’elle détermine si elle approuve ou non l’acquisition de services publics, la CEO applique un critère d’« absence de préjudice ». Ce critère découle d’une décision antérieure de la CEO, l’instance combinée4, et exige que cette dernière qu’elle examine si une acquisition proposée pouvait être conforme aux objectifs législatifs de la CEO énoncés dans la Loi de 1998 sur la Commission de l’énergie de l’Ontario, L.O. 1998, chapitre 15 (la « Loi sur la CEO »5. Au moment où une décision a été rendue dans le cadre de l’instance combinée, la Loi sur la CEO ne faisait état que de deux des cinq objectifs actuels6 :
Dans la décision Norfolk, la Commission a déterminé que seuls les deux premiers objectifs étaient pertinents aux questions soulevées. La CEO a par la suite examiné en outre, la demande formulée en vertu du critère actuel d’absence de préjudice sur trois objectifs qui ont été ajoutés à la Loi sur la Commission de l’énergie de l’Ontario après la décision sur les Instances Combinées. La Commission a conclu qu’étant donné qu’en vertu de la Loi il faut être guidé par les cinq objectifs, le critère d’absence de préjudixe ne doit pas se limiter qu’aux deux premiers objectifs, mais doit plutôt être appliqué compte tenu de tous les cinq8.
Selon les termes de l’accord avec Norfolk Power, Hydro One a proposé de payer une prime de 39,1 millions de dollars au-delà de la valeur nette comptable de Norfolk Power, qui est de 53,9 millions de dollars9. De plus, Hydro One a offert une réduction de 1 % par rapport aux tarifs de 2012 et un gel des tarifs sur cinq ans pour les clients de Norfolk Power10. Les intervenants ont présenté un certain nombre d’arguments selon lesquels la réalisation d’une transaction comportant ces mesures incitatives ne satisferait pas au critère d’absence de préjudice. Les principaux enjeux pour les intervenants étaient les fortes hausses potentielles de tarifs à la fin de la période de cinq ans visée par le gel et les préoccupations du fait que la prime payée sur le prix d’achat entraînerait des tarifs plus élevés non seulement pour les clients de Norfolk (éventuellement), mais également tous ceux d’Hydro One11.
La CEO a rejeté ces arguments et a conclu que l’application du critère d’absence de préjudice n’était pas pertinente pour déterminer si le prix d’achat fixé est approprié, puisque les futurs tarifs seraient déterminés sans égard au prix d’achat payé. C’est la politique de la CEO qui veut que la prime ne soit pas incluse dans les futurs tarifs12. La CEO a également rejeté l’argument selon lequel le prix d’achat fixé imposerait un fardeau financier à Hydro One en fonction de la proportion du prix d’achat par rapport aux actifs d’Hydro One (39,1 millions de dollars par rapport à 20,8 milliards de dollars)13.
Avec la décision Norfolk, la CEO a confirmé que des mesures incitatives, comme des réductions de tarifs, des gels et des primes sur les prix, sont légitimes, car la province envisage de continuer à faire des fusions dans le secteur de la distribution de l’électricité. Selon la CEO, sa politique et la surveillance qu’elle assure empêcheraient toute augmentation de tarifs que l’on craint en raison de la prime sur le prix d’achat.
Investissement étranger dans le secteur du transport d’électricité de l’Alberta : l’Offre de Buffett pour l’acquisition d’AltaLink
En 2002, l’entreprise québécoise SNC-Lavalin a acquis la plus importante société de transport d’électricité en Alberta, laquelle a poursuivi ses activités sous le nom d’AltaLink14. En 2013, à la suite d’une série de scandales de corruption, SNC-Lavalin a annoncé une nouvelle orientation stratégique selon laquelle elle se concentrerait sur ses activités d’ingénierie et de construction et qu’elle se départisse de ses actifs non stratégiques, y compris AltaLink15. En mai 2014, SNC-Lavalin a conclu un marché avec la société américaine Berkshire Hathaway de Warren Buffett relativement à l’achat d’AltaLink16. Ce marché, dont une partie est un investisseur étranger, a déclenché la tenue d’un examen de la part du Bureau de la concurrence et d’Industrie Canada, qui ont tous deux approuvé la transaction17. Le dernier obstacle se dressant devant les parties était l’approbation de l’AUC.
Comme la CEO, l’AUC applique elle aussi un critère d’« absence de préjudice » lorsqu’elle détermine si elle approuve ou non l’acquisition de services publics. Le critère d’absence de préjudice et d’autres facteurs qu’elle prend en compte découlent d’un certain nombre de décisions antérieures18 et comprennent les suivants :
[Traduction]
Le critère d’absence de préjudice est appliqué en deux étapes. En premier lieu, l’AUC détermine si la transaction entraîne un préjudice aux clients. Si elle détermine que ce sera le cas, elle passe à la seconde étape et évalue si des conditions d’approbation pouvaient permettre d’atténuer tout préjudice déterminé20.
Des représentants d’un certain nombre de services publics sont intervenus dans le cadre de la demande soutenant, entre autres, que la prime d’achat de 3,2 milliards de dollars sur une valeur nette comptable d’environ 800 millions de dollars offerte par Berkshire Hathaway donnait lieu à des répercussions négatives potentielles sur les tarifs applicables aux clients et sur le service à ces derniers qui n’ont pas été résolus. Même si l’on interdisait à l’acheteur d’inclure la prime à la base de tarifs, ont-ils soutenu, ce dernier pourrait chercher à obtenir un recouvrement d’une manière indirecte qui aurait une incidence sur les coûts futurs inclus dans l’exigence en matière de recettes et les tarifs des services publics. Sinon, ils ont demandé comment l’acheteur récupérerait son investissement initial21.
Un représentant d’un service public a soutenu que pour faire face à cette préoccupation, l’AUC devrait imposer à toute approbation la condition suivante :
[Traduction]
Aucun des demandeurs, ni aucune entité connexe ni aucun successeur de ces derniers, ne cherchera à recouvrer auprès des clients la prime sur la valeur nette comptable payée pour les actions de NewCo conformément à la convention d’achat d’actions22.
L’AUC a écarté ces préoccupations, indiquant que la transaction n’allait pas à l’encontre du critère d’absence de préjudice simplement parce qu’on avait offert une prime sur la valeur comptable23. Les questions de fiabilité et de qualité du service resteraient assujetties à la surveillance de l’AUC, tout comme la prudence des coûts d’AltaLink, ainsi que la justesse et le caractère raisonnable de ses tarifs approuvés24. En outre, l’AUC a refusé d’imposer la condition recommandée selon laquelle aucun des demandeurs ne cherche à recouvrer la prime sur le prix d’achat sur la base du fait que la surveillance règlementaire continue de l’AUC a rendu inutile le recours à cette condition 25. En novembre 2014, l’AUC a rendu sa décision dans le cadre de laquelle elle approuve la transaction, éliminant ainsi l’obstacle final auxquelles les parties faisaient face et leur permettant donc de conclure le marché.
Les organismes de réglementation de l’Ontario et de l’Alberta ont ouvert la voie aux primes d’achat
Les marchés visant l’acquisition de Norfolk Power et d’AltaLink étaient différents à bien des égards. Hydro One est une société d’État qui adopte une stratégie de regroupement dans le secteur des SDEL en Ontario, tandis que Berkshire Hathaway est une société étrangère privée faisant l’acquisition de la plus importante société de transport d’électricité en Alberta. Toutefois, chacune des transactions proposées comprenait des mesures incitatives de primes sur le prix d’achat, et dans le cas de Norfolk Power, une réduction des tarifs de l’ordre de 1 % et un gel des tarifs sur cinq ans. Dans les deux cas, les représentants des services publics ont indiqué que la prime sur le prix d’achat allait possiblement à l’encontre du critère d’absence de préjudice qu’utilisent la CEO et l’AUC pour évaluer les fusions et les acquisitions de services publics. Dans les deux cas, la CEO et l’AUC ont déterminé que leur surveillance continue était suffisante pour veiller à ce que les clients ne subissent pas les préjudices craints, soit des augmentations de tarifs ou des répercussions négatives sur la qualité du service. Plus particulièrement, les organismes de règlementation on remarqué que les tarifs seraient déterminés en fonction de la valeur comptable, sans tenir compte des primes payées.
Bien qu’il soit certainement vrai que Norfolk Power et AltaLink continuent d’être respectivement assujettis à la réglementation de la CEO et de l’AUC, en réalité, ces services publics feront l’objet d’une pression constante de la part de leurs actionnaires, qu’ils soient du secteur public ou privé, pour obtenir un retour quant à la prime sur le prix d’achat. Dans le cadre de leur surveillance, les organismes de réglementation devront faire preuve de vigilance pour prévenir toute tentative de recouvrement indirecte lorsque l’éclat de ces acquisitions s’estompera et que les services publics nouvellement acquis poursuivront leurs activités.
* Ron Clark, partenaire, Aird & Berlis LLP Energy Group.
** Zoë Thoms, associée, Aird & Berlis LLP Energy Group.