Bande indienne de Coldwater : Sauf dans des circonstances exceptionnelles, les tribunaux ne devraient pas intervenir dans les procédures administratives en cours
Héloïse ApestéguyReux
L’affaire de la Bande indienne de Coldwater et al c. le ministre des Affaires indiennes et du Développement du Nord et al a été entendue et jugée le 25 novembre 20141. La Cour d’appel fédérale a annulé la décision de la Cour fédérale pour accueillir, en partie, la demande de contrôle judiciaire présentée par la Bande indienne de Coldwater (« Coldwater ») et accorder une mesure de réparation déclaratoire.
La demande de Coldwater découle de la demande que Kinder Morgan Canada Inc. (« Kinder Morgan ») a présentée au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien concernant le consentement rétroactif à la cession de deux servitudes relatives à des pipelines. Les servitudes, qui sont situées sur l’une des réserves de Coldwater, ont été accordées dans les années 1950 à la Trans Mountain Oil Pipeline Company et nécessitaient le consentement du ministre pour toute cession.
Alors que le ministre n’avait toujours pas pris sa décision, Coldwater a déposé une demande de contrôle judiciaire demandant, entre autres choses, une ordonnance interdisant au ministre de donner son consentement à la cession des servitudes, de même qu’une déclaration selon laquelle le ministre est légalement tenu de suivre les directives de Coldwater pour ce qui est d’accorder ou non son consentement.
Dans une décision datée du 7 novembre 20132, le juge de la Cour fédérale a conclu que le ministre n’avait pas l’obligation absolue d’obéir aux instructions de Coldwater et de refuser de consentir aux cessions. La Cour a toutefois jugé que le ministre devait se demander à nouveau si l’accord de Coldwater était nécessaire, particulièrement en ce qui a trait à la deuxième servitude – qui n’avait pas servi depuis qu’elle avait été accordée – afin de déterminer s’il était dans l’intérêt de Coldwater et de celui du public de refuser le consentement. Le juge a conclu que le ministre devait se demander si la servitude non utilisée avait expiré pour n’avoir pas été utilisée, et s’il convient dès lors de procéder à une nouvelle négociation avec Kinder Morgan de manière à obtenir des conditions beaucoup plus favorables à Coldwater.
Coldwater a interjeté appel, demandant une déclaration à l’effet que le ministre est tenu de suivre les instructions de Coldwater et demandant à obtenir une ordonnance interdisant au ministre de donner son consentement.
Kinder Morgan a interjeté un appel incident, demandant à ce que la décision du juge soit annulée et que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Kinder Morgan a soutenu que la demande de contrôle judiciaire était prématurée et que le juge avait outrepassé sa compétence en ordonnant une mesure de réparation déclaratoire.
Dans ses observations écrites, le ministre a demandé à ce que l’appel soit rejeté, mais n’a pas pris position quant à l’appel incident. Lors de l’audience, le représentant du ministre a convenu que la demande de contrôle judiciaire était prématurée.
La Cour d’appel a jugé que la demande de contrôle judiciaire était prématurée et qu’elle devait être rejetée, tout comme l’appel de Coldwater. Elle a conclu que « ni la Cour fédérale ni cette cour ne disposent d’éléments susceptibles de justifier l’intervention dans le processus administratif qui exige que le ministre décide s’il doit ou non accorder son consentement aux deux servitudes que Kinder Morgan cherche à obtenir3 ». [Traduction] Il n’y avait aucune circonstance exceptionnelle justifiant une intervention dans le processus administratif en cours4.
Les arguments de Coldwater pour justifier sa demande comprenaient ce qui suit : le ministre agirait à l’encontre de son obligation fiduciaire à l’égard des Premières nations et outrepasserait donc sa compétence; le consentement du ministre pourrait « revigorer » le deuxième accord de servitude, qui autrement aurait pu expirer; le consentement pourrait accorder à Kinder Morgan un intérêt juridique à l’égard de la réserve auquel il ne pourrait peut-être pas renoncer par la suite. Coldwater a également soutenu qu’en raison de la nature constitutionnelle des obligations fiduciaires du ministre, l’intervention de la Cour fédérale était appropriée.
La Cour d’appel a statué que les arguments de Coldwater ne constituaient pas des « circonstances exceptionnelles » permettant à une cour d’intervenir dans un processus administratif avant que toutes les voies de recours prévues par ledit processus n’aient été épuisées. Citant sa décision dans Canada (Agence des services frontaliers) c. C.B. Powell Ltd.5, la Cour a indiqué que le seuil en ce qui concerne les « circonstances exceptionnelles » justifiant une intervention était élevé et que très peu de circonstances seraient considérées comme exceptionnelles :
Partout au Canada, les cours de justice ont reconnu et appliqué rigoureusement le principe général de non-ingérence dans les procédures administratives, comme l’illustre la portée étroite de l’exception relative aux « circonstances exceptionnelles ». […] Les meilleurs exemples de circonstances exceptionnelles se trouvent dans les très rares décisions récentes dans lesquelles les tribunaux ont accordé un bref de prohibition ou une injonction contre des décideurs administratifs avant le début de la procédure ou au cours de celle-ci. Les préoccupations soulevées au sujet de l’équité procédurale ou de l’existence d’un parti pris, de l’existence d’une question juridique ou constitutionnelle importante ou du fait que toutes les parties ont accepté un recours anticipé aux tribunaux ne constituent pas des circonstances exceptionnelles permettant aux parties de contourner le processus administratif dès lors que ce processus permet de soulever des questions et prévoit des réparations efficaces […]6 (on souligne comme l’a fait le Cour d’appel dans l’affaire Coldwater)
La Cour a jugé que le fait que le ministre décide ou non d’accorder son consentement ne causait aucun préjudice irréparable, ajoutant qu’elle était convaincue que le ministre pouvait de fait accorder le recours demandé par Coldwater (c.-à-d. que le consentement à la cession soit refusé).
Citant encore l’affaire C.B. Powell, la Cour a expliqué les motifs pour limiter un recours anticipé au système judiciaire :
On évite ainsi le fractionnement du processus administratif et le morcellement du processus judiciaire, on élimine les coûts élevés et les délais importants entraînés par une intervention prématurée des tribunaux et on évite le gaspillage que cause un contrôle judiciaire interlocutoire alors que l’auteur de la demande de contrôle judiciaire est de toute façon susceptible d’obtenir gain de cause au terme du processus administratif […]7
La Cour a fait remarquer que la demande de Coldwater relativement à un contrôle judiciaire avait effectivement entraîné un retard dans la décision du ministre en plus, a supposé la Cour, d’entraîner des coûts importants pour les parties. La Cour a ajouté qu’il était « très probable » que peu importe la décision du ministre, on présenterait une demande de contrôle judiciaire visant à faire annuler cette décision8.
Dans l’ensemble, la décision de la Cour appuie clairement le principe selon lequel un demandeur qui demande l’intervention de la cour dans une procédure administrative doit démontrer qu’il existe des circonstances exceptionnelles ou spéciales ne permettant pas d’attendre la conclusion de l’instance devant le tribunal9. Tant que le processus administratif permet à un demandeur de soulever des questions et prévoit des réparations efficaces, la cour hésitera à faire usage de son pouvoir discrétionnaire à intervenir. Coldwater n’a pas réussi à faire valoir que le fait de permettre au ministre de rendre une décision pourrait entraîner des conséquences irréparables, et donc qu’une intervention judiciaire précoce s’imposait. En outre, la conclusion de la Cour voulant que le ministre puisse accorder les réparations demandées par Coldwater a démontré que des réparations efficaces étaient possibles sans l’intervention de la Cour. La décision Coldwater rappelle donc que sans circonstances exceptionnelles, il est peu probable que les tribunaux interviennent dans un processus administratif en cours.
Bande indienne de Coldwater : Sauf dans des circonstances exceptionnelles, les tribunaux ne devraient pas intervenir dans les procédures administratives en cours
Héloïse ApestéguyReux
L’affaire de la Bande indienne de Coldwater et al c. le ministre des Affaires indiennes et du Développement du Nord et al a été entendue et jugée le 25 novembre 20141. La Cour d’appel fédérale a annulé la décision de la Cour fédérale pour accueillir, en partie, la demande de contrôle judiciaire présentée par la Bande indienne de Coldwater (« Coldwater ») et accorder une mesure de réparation déclaratoire.
La demande de Coldwater découle de la demande que Kinder Morgan Canada Inc. (« Kinder Morgan ») a présentée au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien concernant le consentement rétroactif à la cession de deux servitudes relatives à des pipelines. Les servitudes, qui sont situées sur l’une des réserves de Coldwater, ont été accordées dans les années 1950 à la Trans Mountain Oil Pipeline Company et nécessitaient le consentement du ministre pour toute cession.
Alors que le ministre n’avait toujours pas pris sa décision, Coldwater a déposé une demande de contrôle judiciaire demandant, entre autres choses, une ordonnance interdisant au ministre de donner son consentement à la cession des servitudes, de même qu’une déclaration selon laquelle le ministre est légalement tenu de suivre les directives de Coldwater pour ce qui est d’accorder ou non son consentement.
Dans une décision datée du 7 novembre 20132, le juge de la Cour fédérale a conclu que le ministre n’avait pas l’obligation absolue d’obéir aux instructions de Coldwater et de refuser de consentir aux cessions. La Cour a toutefois jugé que le ministre devait se demander à nouveau si l’accord de Coldwater était nécessaire, particulièrement en ce qui a trait à la deuxième servitude – qui n’avait pas servi depuis qu’elle avait été accordée – afin de déterminer s’il était dans l’intérêt de Coldwater et de celui du public de refuser le consentement. Le juge a conclu que le ministre devait se demander si la servitude non utilisée avait expiré pour n’avoir pas été utilisée, et s’il convient dès lors de procéder à une nouvelle négociation avec Kinder Morgan de manière à obtenir des conditions beaucoup plus favorables à Coldwater.
Coldwater a interjeté appel, demandant une déclaration à l’effet que le ministre est tenu de suivre les instructions de Coldwater et demandant à obtenir une ordonnance interdisant au ministre de donner son consentement.
Kinder Morgan a interjeté un appel incident, demandant à ce que la décision du juge soit annulée et que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Kinder Morgan a soutenu que la demande de contrôle judiciaire était prématurée et que le juge avait outrepassé sa compétence en ordonnant une mesure de réparation déclaratoire.
Dans ses observations écrites, le ministre a demandé à ce que l’appel soit rejeté, mais n’a pas pris position quant à l’appel incident. Lors de l’audience, le représentant du ministre a convenu que la demande de contrôle judiciaire était prématurée.
La Cour d’appel a jugé que la demande de contrôle judiciaire était prématurée et qu’elle devait être rejetée, tout comme l’appel de Coldwater. Elle a conclu que « ni la Cour fédérale ni cette cour ne disposent d’éléments susceptibles de justifier l’intervention dans le processus administratif qui exige que le ministre décide s’il doit ou non accorder son consentement aux deux servitudes que Kinder Morgan cherche à obtenir3 ». [Traduction] Il n’y avait aucune circonstance exceptionnelle justifiant une intervention dans le processus administratif en cours4.
Les arguments de Coldwater pour justifier sa demande comprenaient ce qui suit : le ministre agirait à l’encontre de son obligation fiduciaire à l’égard des Premières nations et outrepasserait donc sa compétence; le consentement du ministre pourrait « revigorer » le deuxième accord de servitude, qui autrement aurait pu expirer; le consentement pourrait accorder à Kinder Morgan un intérêt juridique à l’égard de la réserve auquel il ne pourrait peut-être pas renoncer par la suite. Coldwater a également soutenu qu’en raison de la nature constitutionnelle des obligations fiduciaires du ministre, l’intervention de la Cour fédérale était appropriée.
La Cour d’appel a statué que les arguments de Coldwater ne constituaient pas des « circonstances exceptionnelles » permettant à une cour d’intervenir dans un processus administratif avant que toutes les voies de recours prévues par ledit processus n’aient été épuisées. Citant sa décision dans Canada (Agence des services frontaliers) c. C.B. Powell Ltd.5, la Cour a indiqué que le seuil en ce qui concerne les « circonstances exceptionnelles » justifiant une intervention était élevé et que très peu de circonstances seraient considérées comme exceptionnelles :
Partout au Canada, les cours de justice ont reconnu et appliqué rigoureusement le principe général de non-ingérence dans les procédures administratives, comme l’illustre la portée étroite de l’exception relative aux « circonstances exceptionnelles ». […] Les meilleurs exemples de circonstances exceptionnelles se trouvent dans les très rares décisions récentes dans lesquelles les tribunaux ont accordé un bref de prohibition ou une injonction contre des décideurs administratifs avant le début de la procédure ou au cours de celle-ci. Les préoccupations soulevées au sujet de l’équité procédurale ou de l’existence d’un parti pris, de l’existence d’une question juridique ou constitutionnelle importante ou du fait que toutes les parties ont accepté un recours anticipé aux tribunaux ne constituent pas des circonstances exceptionnelles permettant aux parties de contourner le processus administratif dès lors que ce processus permet de soulever des questions et prévoit des réparations efficaces […]6 (on souligne comme l’a fait le Cour d’appel dans l’affaire Coldwater)
La Cour a jugé que le fait que le ministre décide ou non d’accorder son consentement ne causait aucun préjudice irréparable, ajoutant qu’elle était convaincue que le ministre pouvait de fait accorder le recours demandé par Coldwater (c.-à-d. que le consentement à la cession soit refusé).
Citant encore l’affaire C.B. Powell, la Cour a expliqué les motifs pour limiter un recours anticipé au système judiciaire :
On évite ainsi le fractionnement du processus administratif et le morcellement du processus judiciaire, on élimine les coûts élevés et les délais importants entraînés par une intervention prématurée des tribunaux et on évite le gaspillage que cause un contrôle judiciaire interlocutoire alors que l’auteur de la demande de contrôle judiciaire est de toute façon susceptible d’obtenir gain de cause au terme du processus administratif […]7
La Cour a fait remarquer que la demande de Coldwater relativement à un contrôle judiciaire avait effectivement entraîné un retard dans la décision du ministre en plus, a supposé la Cour, d’entraîner des coûts importants pour les parties. La Cour a ajouté qu’il était « très probable » que peu importe la décision du ministre, on présenterait une demande de contrôle judiciaire visant à faire annuler cette décision8.
Dans l’ensemble, la décision de la Cour appuie clairement le principe selon lequel un demandeur qui demande l’intervention de la cour dans une procédure administrative doit démontrer qu’il existe des circonstances exceptionnelles ou spéciales ne permettant pas d’attendre la conclusion de l’instance devant le tribunal9. Tant que le processus administratif permet à un demandeur de soulever des questions et prévoit des réparations efficaces, la cour hésitera à faire usage de son pouvoir discrétionnaire à intervenir. Coldwater n’a pas réussi à faire valoir que le fait de permettre au ministre de rendre une décision pourrait entraîner des conséquences irréparables, et donc qu’une intervention judiciaire précoce s’imposait. En outre, la conclusion de la Cour voulant que le ministre puisse accorder les réparations demandées par Coldwater a démontré que des réparations efficaces étaient possibles sans l’intervention de la Cour. La décision Coldwater rappelle donc que sans circonstances exceptionnelles, il est peu probable que les tribunaux interviennent dans un processus administratif en cours.
* Heloise Apestéguy-Reux est… is an associate in McCarthy Tétrault’s Business Law Group in Toronto. She practices primarily in McCarthy Tétrault’s Energy Group, with a focus on both regulatory and corporate-commercial matters.