Aperçu
Le 23 octobre 2014, l’Office national de l’énergie (l’« ONÉ » ou l’« Office ») a rendu la décision no 40 (la « décision ») à la suite d’un avis de requête (la « requête ») et d’un avis de question constitutionnelle présentés par Trans Mountain Pipeline ULC (« Trans Mountain ») relativement au projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain (le « projet »). L’avis de question constitutionnelle portait sur le conflit d’application entre certains règlements municipaux et certaines dispositions de la Loi sur l’Office national de l’énergie (la « Loi »)1.
Dans sa décision, l’Office a conclu qu’il a le pouvoir légal de se prononcer sur les questions constitutionnelles qui ont trait à sa compétence. De plus, l’Office a établi que la doctrine de la prépondérance fédérale ou, subsidiairement, la doctrine de l’exclusivité des compétences, s’appliquait et rendait certains règlements municipaux de la Ville de Burnaby (les « règlements ») inapplicables dans la mesure où ils allaient à l’encontre des articles 73 et 75 de la Loi (lesquels permettaient à Trans Mountain d’effectuer certains travaux dans le cadre de son projet). La décision interdit à la Ville de Burnaby (la « Ville » ou « Burnaby »), entre autres, de nuire à l’exercice des pouvoirs accordés à Trans Mountain en vertu de la Loi. La Cour d’appel fédérale a ensuite rejeté la demande d’autorisation d’interjeter appel déposée par la Ville.
Contexte : Le tracé privilégié et projet de Trans Mountain
Le 16 décembre 2013, Trans Mountain a présenté une demande à l’ONÉ aux termes des articles 52 et 58 de la Loi afin d’obtenir un certificat d’utilité publique et les ordonnances afférentes approuvant le projet. Le projet prévoit la construction d’un tronçon pipelinier enfoui de 987 kilomètres de long en Colombie-Britannique et en Alberta, ainsi que la remise en service d’un tronçon de 193 kilomètres de long d’un pipeline existant2. Le 2 avril 2014, l’ONÉ a émis l’ordonnance d’audience OH0012014, établissant les étapes et les délais de la procédure et accordant à la Ville le statut d’intervenant3.
Dans sa demande initiale, Trans Mountain proposait la construction de deux conduites de livraison traversant un quartier résidentiel de Burnaby (à l’intérieur d’emprises existantes de Trans Mountain) au moyen de techniques conventionnelles de construction de pipeline. Au cours de consultations (tenues dans le cadre du processus de l’ONÉ), il est devenu évident que les intervenants et les parties concernées préféraient un tracé contournant les secteurs urbains de Burnaby et le recours à des méthodes de construction sans tranchée. Trans Mountain a donc revu son tracé privilégié (le « tracé privilégié ») passant directement dans l’aire de conservation du mont Burnaby pour se rendre au terminal maritime Westridge au moyen de méthodes de construction sans tranchée4. Suite à ce changement apporté au tracé privilégié, Trans Mountain a dû effectuer des études d’ordre technique, environnemental, socioéconomique et géotechnique (les « travaux prescrits », décrits plus en détails ci-dessous) afin d’évaluer le tracé privilégié. Compte tenu de la nécessité d’obtenir de nouveaux renseignements, l’Office a émis la directive procédurale no 4, laquelle accorde à Trans Mountain jusqu’au 1er décembre 2014 pour effectuer les travaux prescrits ainsi que pour en déposer les résultats5.
Décision no 28 – Confirmant l’interprétation de l’alinéa 73a) de la Loi
Suite à la directive procédurale no 4, Trans Mountain a tenté d’obtenir de la Ville l’accès aux terrains visés. La Ville a adopté la position voulant que les ouvrages nécessaires pour effectuer les travaux prescrits (entre autres, l’exécution de trous de forage aux fins d’enquêtes géotechniques, la tenue d’étude des sols, l’abattage d’arbres, le débroussaillage et le forage d’une série de puits verticaux pour évaluer l’état des eaux souterraines) iraient à l’encontre des règlements6, notamment du Burnaby Parks Regulation Bylaw 19797 (le « règlement sur les parcs ») qui, entre autres, interdit à toute personne d’endommager, de détruire ou de polluer un bien meuble, des arbres, des arbustes, des plantes, des pelouses ou des fleurs se trouvant dans un parc.
Le 25 juillet 2014, Trans Mountain a écrit à l’ONÉ pour lui demander de confirmer ses droits d’accès aux terrains visés dans le but d’y effectuer les travaux prévus aux termes de l’alinéa 73a) de la Loi8. Le 19 août 2014, l’Office a rendu la décision no 28, laquelle confirme les pouvoirs de pénétrer dans l’aire de conservation du mont Burnaby et d’effectuer les travaux prescrits, pouvoirs qui sont soumis aux dispositions de l’article 75 de la Loi qui prévoit que Trans Mountain doit veiller à causer le moins de dommages possible et à indemniser pleinement tous les intéressés des dommages qu’ils ont subis9.
Travaux effectués à la suite de la décision no 28 et avis de requête en résultant
Le 20 août 2014, Trans Mountain a écrit à la Ville de Burnaby pour l’informer de son intention d’effectuer les travaux prescrits le 22 août. Dans sa réponse, la Ville a indiqué que les droits de Trans Mountain prévus à l’article 73 étaient assujettis aux règlements (y compris au règlement sur les parcs)10.
Le 28 août 2014, Trans Mountain a entrepris des travaux dans l’aire de conservation du mont Burnaby. Peu après, le personnel de la Ville a délivré deux ordres pour faire cesser les infractions aux règlements, en plus de remettre à un employé de Trans Mountain un avis aux termes du règlement pour des dommages ou la destruction allégués à un arbre ou à une plante en contravention au règlement sur les parcs11. Le 3 septembre 2014, Trans Mountain a déposé sa requête auprès de l’ONÉ demandant une ordonnance aux termes des articles 12 et 13 et de l’alinéa 73a) de la Loi ordonnant à la Ville de se conformer à l’alinéa 73a) de la Loi et lui interdisant de refuser un accès aux terrains visés.12 L’Office a répondu en conseillant à Trans Mountain de déposer un avis de question constitutionnelle dans lequel la société pose les questions suivantes :
- L’Office a-t-il le pouvoir légal de trancher si les règlements précis de Burnaby auxquels aurait prétendument contrevenu Trans Mountain sont inopérants, invalides ou inapplicables dans le contexte de l’exercice par Trans Mountain des pouvoirs que lui accorde l’alinéa 73a) de la Loi?
- Le cas échéant, compte tenu des faits dont l’Office est saisi, devrait-il déclarer ces règlements inapplicables, invalides ou inopérants?
- Si l’Office peut conclure, et conclut, que ces règlements sont invalides, inapplicables et inopérants dans ce cas particulier, la Loi donne-t-elle à l’Office, en sa qualité de tribunal établi par une loi, le pouvoir d’empêcher Burnaby de faire appliquer ces règlements ou d’autres règlements à l’avenir (par exemple, quelle est la portée du pouvoir accordé par l’article 13 de la Loi et ce pouvoir s’étend-il à la réparation demandée de Burnaby)?
- Le cas échéant, les faits soumis à l’Office justifient-ils qu’il rende une telle ordonnance?
Le 26 septembre 2014, Trans Mountain a présenté à nouveau sa requête accompagnée d’un avis de question constitutionnelle, comme lui avait demandé l’ONÉ. L’Audience a eu lieu le 9 octobre 2014 et l’Office a rendu sa décision le 23 octobre 2014, dans laquelle il aborde les quatre questions soulevées dans l’avis de question constitutionnelle.
Question 1 : Déterminer si l’Office a le pouvoir légal de trancher les questions
La Ville a fait valoir que le pouvoir de l’Office se limitait à l’examen des questions juridiques et constitutionnelles touchant sa loi habilitante et qu’il ne pouvait donc pas examiner les questions juridiques et constitutionnelles concernant les lois provinciales ou les règlements municipaux13. À ce titre, Burnaby a fait valoir que l’Office ne pouvait pas conclure que les règlements de Burnaby sont invalides, inapplicables ou inopérants et que l’affaire relevait à juste titre d’une cour supérieure provinciale14. Quant à Trans Mountain, l’entreprise a affirmé que les articles 11, 12 et 13 de la Loi confèrent à l’Office le pouvoir légal relativement auxdites questions, car ces dispositions habilitent l’ONÉ en sa qualité de tribunal d’archives « ayant compétence exclusive pour examiner, entendre et trancher les questions qui sont de sa compétence, qu’elles soient de droit ou de fait »15.
L’Office a rejeté la position de Burnaby et conclu que, de fait, il avait le pouvoir légal de se prononcer sur les questions constitutionnelles qui ont trait à sa compétence. L’Office a conclu que le paragraphe 12(2) de la Loi était déterminant eu égard à la question. Le paragraphe 12(2) de la Loi stipule ce qui suit : « Pour l’application de la présente loi, l’Office a la compétence voulue pour trancher les questions de droit ou de fait. » (Nous soulignons) L’Office a en outre indiqué que la jurisprudence de la Cour suprême du Canada (« CSC ») étayait cette conclusion16. En se fondant sur la décision de la CSC (1991) dans l’arrêt Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des Relations de Travail), l’Office a conclu que lorsqu’un tribunal administratif a compétence à l’égard des parties, de l’objet du litige et de la réparation recherchée, il peut traiter comme invalide la disposition de la loi contestée, « aux fins de l’affaire dont il est saisi »17. Comme l’Office a compétence à l’égard des parties, de l’objet du litige et de la réparation recherchée, il a donc compétence à l’égard de la question et peut déclarer les règlements invalides, inopérants ou inapplicables aux fins de l’affaire relative à Trans Mountain qui lui est soumise. L’objet du litige était « une demande visant à obtenir une ordonnance autorisant l’accès pour mener les études sur le couloir sur les terrains visés afin de fixer le tracé du pipeline proposé »18. Les parties relevaient du champ d’application de l’ONÉ parce qu’elles concernent le tracé du projet et l’accès aux terrains requis pour faire les levés nécessaires. L’Office a compétence à l’égard de la réparation recherchée compte tenu du libellé de l’article 11, du paragraphe 12(2) et des alinéas 13b) et 73a) de la Loi19.
Dans sa décision, l’Office a également fait référence à une décision antérieure de la Cour suprême de la Colombie-Britannique (« BCSC ») concernant une requête de Burnaby ordonnant à Trans Mountain de cesser ses travaux prescrits en contravention aux règlements de la Ville. La BCSC a refusé de rendre l’injonction, ne trouvant aucun préjudice irréparable et indiquant, entre autres, que l’Office était légitimement saisi de l’affaire20. La BCSC a également noté que, conformément à la décision de la CSC dans l’arrêt Cuddy Chicks, l’ONÉ aurait compétence pour traiter comme invalides les règlements de la Ville aux fins du litige entre Burnaby et Trans Mountain21.
Question 2 : Déterminer si les règlements de Burnaby devraient être inopérants, invalides ou inapplicables
Par rapport à cette question, l’Office a tenu compte de l’applicabilité des doctrines de la prépondérance fédérale et de l’exclusivité des compétences.
Prépondérance fédérale
Selon la doctrine de la prépondérance fédérale, telle que formulée par la CSC dans l’arrêt Banque canadienne de l’Ouest, « lorsque les effets d’une législation provinciale sont incompatibles avec une législation fédérale, la législation fédérale doit prévaloir et la législation provinciale être déclarée inopérante dans la mesure de l’incompatibilité. »22 Cette doctrine s’applique dans deux cas : (i) quand il est impossible de se conformer à la fois à une loi fédérale et à une loi provinciale, de sorte que le respect d’une d’entre elles entraîne le non-respect de l’autre et (ii) quand l’obligation de se conformer à une loi provinciale équivaudrait à empêcher la réalisation de l’objet de la loi fédérale23.
La Ville de Burnaby a fait valoir qu’il n’était pas impossible de se conformer aux deux textes de loi parce que le règlement sur les parcs n’interdisait pas l’accès à l’aire de conservation du mont Burnaby pour faire des levés24. De plus, la Ville a souligné que l’Office ne devrait pas donner une portée trop large à la doctrine de la prépondérance fédérale parce que la réalisation de l’objet de la loi fédérale est entravée. Citant la Banque canadienne de l’Ouest, Burnaby a indiqué que le simple fait que le Parlement ait légiféré sur une matière n’empêche pas les provinces de légiférer sur la même matière. Trans Mountain a répondu en indiquant qu’il était impossible d’effectuer les travaux prescrits (et du même coup de satisfaire aux exigences en matière de renseignements prévues par la Loi) sans enfreindre les règlements.
L’Office a conclu qu’il y a un conflit tant entre l’application que l’objet des règlements et de l’alinéa 73a) de la Loi. Le règlement sur les parcs interdit d’abattre des arbres, d’enlever de la végétation et de forer25. L’Office a accepté la preuve de Trans Mountain, concluant que ces activités étaient nécessaires pour mener les travaux sur le terrain prescrits et lui fournir les renseignements nécessaires26. L’Office a donc conclu qu’il était tout simplement impossible que Trans Mountain respecte à la fois l’exigence visant à fournir les renseignements prévus à la Loi et aux règlements de Burnaby, et qu’il existait par conséquent un conflit d’application. L’Office a également conclu que ce conflit entre les lois fédérales et les règlements municipaux avait pour effet d’entraver la réalisation de l’objectif fédéral de la Loi. Les exigences prévues à la Loi visent à fournir à l’Office suffisamment de renseignements pour lui permettre d’établir si un projet particulier est conforme à l’intérêt public; en interdisant à Trans Mountain de faire des levés et des examens, Burnaby avait entravé la réalisation de l’objet de la loi fédérale.
Exclusivité des compétences
Comme la CSC l’a récemment expliqué dans l’arrêt Banque de Montréal c. Marcotte, « L’exclusivité des compétences a pour effet d’empêcher que les lois adoptées par un ordre de gouvernement empiètent indûment sur le ‘contenu essentiel irréductible’ de la compétence exclusive réservée à l’autre ordre de gouvernement. »27 Lorsque la doctrine s’applique, une loi par ailleurs validement adoptée (dans le cas présent les règlements de la Ville) est « interprétée » de manière à ce que la question extra-juridictionnelle ne s’applique plus28.
Dans ses commentaires, Burnaby a fait remarquer que la CSC avait averti que le recours à la doctrine de l’exclusivité des compétences devait se limiter aux situations déjà traitées dans la jurisprudence et qu’elle ne doit pas être invoquée pour miner le fédéralisme coopératif29. En outre, Burnaby a fait valoir que Trans Mountain n’avait pas démontré que les règlements entraveraient le contenu essentiel d’une compétence fédérale30.
Trans Mountain a fait valoir que l’exécution des travaux prescrits dans le but de recueillir des renseignements sur le tracé d’un pipeline interprovincial constitue une activité relevant du « cœur » de la compétence fédérale. De plus, Trans Mountain a soutenu que les faits en l’espèce avaient déjà été traités dans la jurisprudence dans Campbell-Bennett c. Comstock Midwestern Ltd31.
L’Office a conclu que la réglementation des pipelines interprovinciaux est au cœur de la compétence fédérale et que les règlements provinciaux entravaient la capacité de l’Office à rendre une décision quant à l’utilité publique du pipeline interprovincial32. L’Office a comparé la situation à l’affaire de la CSC dans l’arrêt Québec (Commission du salaire minimum) c. Construction Montcalm Inc.33, et a indiqué que tout comme le pouvoir de déterminer l’emplacement des aérodromes relève de la compétence fédérale en matière d’aéronautique, tel qu’indiqué dans l’arrêt Construction Montcalm, des renseignements techniques sur le tracé du pipeline sont essentiels à la compétence fédérale à l’égard des pipelines interprovinciaux34. Enfin, l’Office a conclu que l’empiètement sur la compétence fédérale était suffisamment grave pour justifier une interprétation. Cela reposait sur les conclusions de fait de l’Office selon lesquelles Trans Mountain exigeait plus qu’un simple accès aux terrains, puisque pour satisfaire aux exigences en matière de dépôt, il devait mener des activités concrètes contraires aux règlements, et que l’article 75 de la Loi supposait la présence de certains déchets et dommages matériels. Par conséquent, l’Office a déclaré que les règlements étaient inapplicables dans la mesure où ils entravaient les travaux de Trans Mountain effectués en vertu de la Loi35.
Question 3 : Déterminer si l’Office a le pouvoir d’empêcher Burnaby de faire appliquer ses règlements
Sur cette question, Trans Mountain a déclaré que l’article 13 de la Loi confère à l’ONÉ le pouvoir voulu d’interdire à Burnaby de faire appliquer ses règlements s’ils empiètent sur les droits accordés à Trans Mountain par l’alinéa 73a) de la Loi. La Ville a adopté la position selon laquelle l’Office n’a pas le pouvoir d’empêcher un autre ordre de gouvernement de faire appliquer ses règlements36.
L’Office était en désaccord avec Burnaby, concluant que l’alinéa 13b) de la Loi, qui stipule que l’Office peut « interdire ou faire cesser tout acte contraire à ceux-ci » [on fait référence à la présente loi ou à ses règlements, ou à un certificat, à une licence, à un permis, à une ordonnance ou à des instructions qui en découlent], conférait un pouvoir suffisant. L’Office a fait remarquer que l’alinéa 73a) permet à une entreprise de pénétrer sur des terrains privés ou appartenant à la Couronne en vue de faire des levés et des examens. L’Office a donc conclu que le Parlement avait l’intention de conférer à une municipalité le pouvoir d’interdire des actes qui enfreignent l’alinéa 73a)37.
Question 4 : Déterminer si l’Office devrait interdire à Burnaby de faire appliquer ses règlements
La Ville a soutenu que les faits n’appuyaient pas une ordonnance visant à interdire à Burnaby de faire appliquer ses règlements et que cela est d’autant plus vrai que l’ONÉ n’avait pas précisé comment les renseignements devaient être recueillis ni l’emplacement où les études requises devaient être menées38. En outre, la Ville a adopté la position voulant que l’Office ne doive pas rendre une telle ordonnance sans tenir compte du préjudice environnemental que les travaux proposés causeraient39.
L’Office a rejeté ces allégations, concluant que la preuve par affidavit du responsable de projet de Trans Mountain fournit « des motifs impérieux et précis pour rendre une telle ordonnance. »40 Plus particulièrement, l’Office a accepté la preuve par affidavit indiquant que les travaux prescrits ne pourraient être effectués sans une perturbation minimale des terrains visés, et que Trans Mountain avait tenté à maintes reprises de collaborer avec Burnaby, mais qu’en aucun temps la Ville n’en avait fait de même41. En outre, l’Office a explicitement rejeté la thèse de Burnaby selon laquelle il n’avait pas précisé l’emplacement ou les renseignements nécessaires, et a renvoyé à la décision no 28, à laquelle étaient joints des documents exposant en détail les travaux prescrits à effectuer et l’emplacement où les levés allaient être faits. Enfin, l’Office a rejeté la thèse de Burnaby selon laquelle il doit tenir compte des répercussions environnementales d’une ordonnance qui vise à empêcher Burnaby de faire appliquer ses règlements. L’Office a fait remarquer que les études et les examens n’étaient pas des projets désignés et qu’il n’était pas persuadé qu’il serait nécessaire de procéder à une évaluation environnementale. Il a toutefois noté que les travaux prescrits pour guider une évaluation environnementale du projet sont nécessaires en vertu de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012)42.
Demande d’autorisation déboutée par la Cour d’appel fédérale et la Cour d’appel de la C.B.
Le 29 octobre 2014, Burnaby a déposé auprès de la Cour d’appel fédérale une demande d’autorisation d’interjeter appel de la décision no 40. Dans sa demande, Burnaby a soutenu que l’Office n’avait pas la compétence voulue pour empêcher Burnaby de faire appliquer ses règlements ou pour trancher les questions constitutionnelles liées à l’interprétation des articles 73 et 75 de la Loi. Le 12 décembre 2014, la Cour d’appel fédérale a rejeté la demande d’autorisation de Burnaby43.
Burnaby a également demandé l’autorisation d’interjeter appel de la décision de la BCSC (mentionnée ci-dessus) auprès de la Cour d’appel de la C.-B. (« BCCA »). Le 27 novembre 2014, la BCCA a rejeté la demande d’autorisation de Burnaby et indiqué que la demande était « une attaque indirecte contre la décision de l’ONÉ » [Traduction] et que les questions soulevées avaient « été traitées au moyen d’une ordonnance définitive et sans appel de l’ONÉ »44 [Traduction].
Répercussions de la décision no 40
À première vue, le règlement de Burnaby n’était pas extraordinaire – son seul but est d’éviter la perturbation de la végétation et des éléments naturels dans les aires de conservation et les parcs municipaux. Toutefois, parce que le règlement interdisait à Trans Mountain de réaliser un ouvrage visant à générer des renseignements pour le processus réglementaire de l’ONÉ, il a été conclu que le règlement était en contradiction avec le régime législatif fédéral et que la doctrine de la prépondérance s’appliquait.
Évidemment, la décision de l’ONÉ (et le rejet subséquent de l’autorisation d’interjeter appel rendu par la Cour d’appel fédérale) offre une plus grande certitude aux sociétés pipelinières sous réglementation fédérale dans des situations où les règlements municipaux (intentionnellement ou de façon fortuite) cherchent à leur interdire d’effectuer les travaux requis dans le cadre du processus réglementaire fédéral. De plus, elle confirme que les sociétés pipelinières sous réglementation fédérale ont le pouvoir d’accéder à des terrains publics et privés (sans le consentement du propriétaire) en vue de réaliser des levés et des enquêtes aux termes de l’article 73 de la Loi.
Toutefois, la décision s’applique aussi plus largement à d’autres secteurs où les règlements municipaux empiètent sur des entreprises fédérales, ajoutant à une liste déjà longue de jurisprudence récente, y compris 2241960 Ontario Inc. v. Scugog Township45 et Burlington Airpark Inc. v. Burlington (City)46, deux affaires où les tribunaux ont maintenu l’application de règlements municipaux exigeant le recours à des matériaux de remblayage propres aux aérodromes fédéraux, ainsi que Detlor v. Brantford47, où la Cour a maintenu les règlements municipaux interdisant l’imposition de certains « frais de développement » par une collectivité autochtones à des promoteurs immobiliers. Le raisonnement de l’Office peut également orienter les autorités municipales qui envisagent des moyens de réduire au minimum les expéditions ferroviaires d’hydrocarbures traversant les municipalités. Au Canada, les expéditions ferroviaires d’hydrocarbures se sont considérablement accrues au cours des dernières années. De plus, un certain nombre de politiciens municipaux (compte tenu de la catastrophe de Lac-Mégantic) ont annoncé publiquement la prise de mesures visant à éliminer les expéditions ferroviaires de pétrole brut. Au Canada, la plupart des chemins de fer sont des lignes interprovinciales ou internationales, et sont par conséquent de compétence fédérale48. À ce titre, à la lumière de la décision no 40, les autorités municipales devront examiner attentivement toute tentative d’éliminer ce risque au moyen d’un règlement municipal.
Aperçu
Le 23 octobre 2014, l’Office national de l’énergie (l’« ONÉ » ou l’« Office ») a rendu la décision no 40 (la « décision ») à la suite d’un avis de requête (la « requête ») et d’un avis de question constitutionnelle présentés par Trans Mountain Pipeline ULC (« Trans Mountain ») relativement au projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain (le « projet »). L’avis de question constitutionnelle portait sur le conflit d’application entre certains règlements municipaux et certaines dispositions de la Loi sur l’Office national de l’énergie (la « Loi »)1.
Dans sa décision, l’Office a conclu qu’il a le pouvoir légal de se prononcer sur les questions constitutionnelles qui ont trait à sa compétence. De plus, l’Office a établi que la doctrine de la prépondérance fédérale ou, subsidiairement, la doctrine de l’exclusivité des compétences, s’appliquait et rendait certains règlements municipaux de la Ville de Burnaby (les « règlements ») inapplicables dans la mesure où ils allaient à l’encontre des articles 73 et 75 de la Loi (lesquels permettaient à Trans Mountain d’effectuer certains travaux dans le cadre de son projet). La décision interdit à la Ville de Burnaby (la « Ville » ou « Burnaby »), entre autres, de nuire à l’exercice des pouvoirs accordés à Trans Mountain en vertu de la Loi. La Cour d’appel fédérale a ensuite rejeté la demande d’autorisation d’interjeter appel déposée par la Ville.
Contexte : Le tracé privilégié et projet de Trans Mountain
Le 16 décembre 2013, Trans Mountain a présenté une demande à l’ONÉ aux termes des articles 52 et 58 de la Loi afin d’obtenir un certificat d’utilité publique et les ordonnances afférentes approuvant le projet. Le projet prévoit la construction d’un tronçon pipelinier enfoui de 987 kilomètres de long en Colombie-Britannique et en Alberta, ainsi que la remise en service d’un tronçon de 193 kilomètres de long d’un pipeline existant2. Le 2 avril 2014, l’ONÉ a émis l’ordonnance d’audience OH0012014, établissant les étapes et les délais de la procédure et accordant à la Ville le statut d’intervenant3.
Dans sa demande initiale, Trans Mountain proposait la construction de deux conduites de livraison traversant un quartier résidentiel de Burnaby (à l’intérieur d’emprises existantes de Trans Mountain) au moyen de techniques conventionnelles de construction de pipeline. Au cours de consultations (tenues dans le cadre du processus de l’ONÉ), il est devenu évident que les intervenants et les parties concernées préféraient un tracé contournant les secteurs urbains de Burnaby et le recours à des méthodes de construction sans tranchée. Trans Mountain a donc revu son tracé privilégié (le « tracé privilégié ») passant directement dans l’aire de conservation du mont Burnaby pour se rendre au terminal maritime Westridge au moyen de méthodes de construction sans tranchée4. Suite à ce changement apporté au tracé privilégié, Trans Mountain a dû effectuer des études d’ordre technique, environnemental, socioéconomique et géotechnique (les « travaux prescrits », décrits plus en détails ci-dessous) afin d’évaluer le tracé privilégié. Compte tenu de la nécessité d’obtenir de nouveaux renseignements, l’Office a émis la directive procédurale no 4, laquelle accorde à Trans Mountain jusqu’au 1er décembre 2014 pour effectuer les travaux prescrits ainsi que pour en déposer les résultats5.
Décision no 28 – Confirmant l’interprétation de l’alinéa 73a) de la Loi
Suite à la directive procédurale no 4, Trans Mountain a tenté d’obtenir de la Ville l’accès aux terrains visés. La Ville a adopté la position voulant que les ouvrages nécessaires pour effectuer les travaux prescrits (entre autres, l’exécution de trous de forage aux fins d’enquêtes géotechniques, la tenue d’étude des sols, l’abattage d’arbres, le débroussaillage et le forage d’une série de puits verticaux pour évaluer l’état des eaux souterraines) iraient à l’encontre des règlements6, notamment du Burnaby Parks Regulation Bylaw 19797 (le « règlement sur les parcs ») qui, entre autres, interdit à toute personne d’endommager, de détruire ou de polluer un bien meuble, des arbres, des arbustes, des plantes, des pelouses ou des fleurs se trouvant dans un parc.
Le 25 juillet 2014, Trans Mountain a écrit à l’ONÉ pour lui demander de confirmer ses droits d’accès aux terrains visés dans le but d’y effectuer les travaux prévus aux termes de l’alinéa 73a) de la Loi8. Le 19 août 2014, l’Office a rendu la décision no 28, laquelle confirme les pouvoirs de pénétrer dans l’aire de conservation du mont Burnaby et d’effectuer les travaux prescrits, pouvoirs qui sont soumis aux dispositions de l’article 75 de la Loi qui prévoit que Trans Mountain doit veiller à causer le moins de dommages possible et à indemniser pleinement tous les intéressés des dommages qu’ils ont subis9.
Travaux effectués à la suite de la décision no 28 et avis de requête en résultant
Le 20 août 2014, Trans Mountain a écrit à la Ville de Burnaby pour l’informer de son intention d’effectuer les travaux prescrits le 22 août. Dans sa réponse, la Ville a indiqué que les droits de Trans Mountain prévus à l’article 73 étaient assujettis aux règlements (y compris au règlement sur les parcs)10.
Le 28 août 2014, Trans Mountain a entrepris des travaux dans l’aire de conservation du mont Burnaby. Peu après, le personnel de la Ville a délivré deux ordres pour faire cesser les infractions aux règlements, en plus de remettre à un employé de Trans Mountain un avis aux termes du règlement pour des dommages ou la destruction allégués à un arbre ou à une plante en contravention au règlement sur les parcs11. Le 3 septembre 2014, Trans Mountain a déposé sa requête auprès de l’ONÉ demandant une ordonnance aux termes des articles 12 et 13 et de l’alinéa 73a) de la Loi ordonnant à la Ville de se conformer à l’alinéa 73a) de la Loi et lui interdisant de refuser un accès aux terrains visés.12 L’Office a répondu en conseillant à Trans Mountain de déposer un avis de question constitutionnelle dans lequel la société pose les questions suivantes :
Le 26 septembre 2014, Trans Mountain a présenté à nouveau sa requête accompagnée d’un avis de question constitutionnelle, comme lui avait demandé l’ONÉ. L’Audience a eu lieu le 9 octobre 2014 et l’Office a rendu sa décision le 23 octobre 2014, dans laquelle il aborde les quatre questions soulevées dans l’avis de question constitutionnelle.
Question 1 : Déterminer si l’Office a le pouvoir légal de trancher les questions
La Ville a fait valoir que le pouvoir de l’Office se limitait à l’examen des questions juridiques et constitutionnelles touchant sa loi habilitante et qu’il ne pouvait donc pas examiner les questions juridiques et constitutionnelles concernant les lois provinciales ou les règlements municipaux13. À ce titre, Burnaby a fait valoir que l’Office ne pouvait pas conclure que les règlements de Burnaby sont invalides, inapplicables ou inopérants et que l’affaire relevait à juste titre d’une cour supérieure provinciale14. Quant à Trans Mountain, l’entreprise a affirmé que les articles 11, 12 et 13 de la Loi confèrent à l’Office le pouvoir légal relativement auxdites questions, car ces dispositions habilitent l’ONÉ en sa qualité de tribunal d’archives « ayant compétence exclusive pour examiner, entendre et trancher les questions qui sont de sa compétence, qu’elles soient de droit ou de fait »15.
L’Office a rejeté la position de Burnaby et conclu que, de fait, il avait le pouvoir légal de se prononcer sur les questions constitutionnelles qui ont trait à sa compétence. L’Office a conclu que le paragraphe 12(2) de la Loi était déterminant eu égard à la question. Le paragraphe 12(2) de la Loi stipule ce qui suit : « Pour l’application de la présente loi, l’Office a la compétence voulue pour trancher les questions de droit ou de fait. » (Nous soulignons) L’Office a en outre indiqué que la jurisprudence de la Cour suprême du Canada (« CSC ») étayait cette conclusion16. En se fondant sur la décision de la CSC (1991) dans l’arrêt Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des Relations de Travail), l’Office a conclu que lorsqu’un tribunal administratif a compétence à l’égard des parties, de l’objet du litige et de la réparation recherchée, il peut traiter comme invalide la disposition de la loi contestée, « aux fins de l’affaire dont il est saisi »17. Comme l’Office a compétence à l’égard des parties, de l’objet du litige et de la réparation recherchée, il a donc compétence à l’égard de la question et peut déclarer les règlements invalides, inopérants ou inapplicables aux fins de l’affaire relative à Trans Mountain qui lui est soumise. L’objet du litige était « une demande visant à obtenir une ordonnance autorisant l’accès pour mener les études sur le couloir sur les terrains visés afin de fixer le tracé du pipeline proposé »18. Les parties relevaient du champ d’application de l’ONÉ parce qu’elles concernent le tracé du projet et l’accès aux terrains requis pour faire les levés nécessaires. L’Office a compétence à l’égard de la réparation recherchée compte tenu du libellé de l’article 11, du paragraphe 12(2) et des alinéas 13b) et 73a) de la Loi19.
Dans sa décision, l’Office a également fait référence à une décision antérieure de la Cour suprême de la Colombie-Britannique (« BCSC ») concernant une requête de Burnaby ordonnant à Trans Mountain de cesser ses travaux prescrits en contravention aux règlements de la Ville. La BCSC a refusé de rendre l’injonction, ne trouvant aucun préjudice irréparable et indiquant, entre autres, que l’Office était légitimement saisi de l’affaire20. La BCSC a également noté que, conformément à la décision de la CSC dans l’arrêt Cuddy Chicks, l’ONÉ aurait compétence pour traiter comme invalides les règlements de la Ville aux fins du litige entre Burnaby et Trans Mountain21.
Question 2 : Déterminer si les règlements de Burnaby devraient être inopérants, invalides ou inapplicables
Par rapport à cette question, l’Office a tenu compte de l’applicabilité des doctrines de la prépondérance fédérale et de l’exclusivité des compétences.
Prépondérance fédérale
Selon la doctrine de la prépondérance fédérale, telle que formulée par la CSC dans l’arrêt Banque canadienne de l’Ouest, « lorsque les effets d’une législation provinciale sont incompatibles avec une législation fédérale, la législation fédérale doit prévaloir et la législation provinciale être déclarée inopérante dans la mesure de l’incompatibilité. »22 Cette doctrine s’applique dans deux cas : (i) quand il est impossible de se conformer à la fois à une loi fédérale et à une loi provinciale, de sorte que le respect d’une d’entre elles entraîne le non-respect de l’autre et (ii) quand l’obligation de se conformer à une loi provinciale équivaudrait à empêcher la réalisation de l’objet de la loi fédérale23.
La Ville de Burnaby a fait valoir qu’il n’était pas impossible de se conformer aux deux textes de loi parce que le règlement sur les parcs n’interdisait pas l’accès à l’aire de conservation du mont Burnaby pour faire des levés24. De plus, la Ville a souligné que l’Office ne devrait pas donner une portée trop large à la doctrine de la prépondérance fédérale parce que la réalisation de l’objet de la loi fédérale est entravée. Citant la Banque canadienne de l’Ouest, Burnaby a indiqué que le simple fait que le Parlement ait légiféré sur une matière n’empêche pas les provinces de légiférer sur la même matière. Trans Mountain a répondu en indiquant qu’il était impossible d’effectuer les travaux prescrits (et du même coup de satisfaire aux exigences en matière de renseignements prévues par la Loi) sans enfreindre les règlements.
L’Office a conclu qu’il y a un conflit tant entre l’application que l’objet des règlements et de l’alinéa 73a) de la Loi. Le règlement sur les parcs interdit d’abattre des arbres, d’enlever de la végétation et de forer25. L’Office a accepté la preuve de Trans Mountain, concluant que ces activités étaient nécessaires pour mener les travaux sur le terrain prescrits et lui fournir les renseignements nécessaires26. L’Office a donc conclu qu’il était tout simplement impossible que Trans Mountain respecte à la fois l’exigence visant à fournir les renseignements prévus à la Loi et aux règlements de Burnaby, et qu’il existait par conséquent un conflit d’application. L’Office a également conclu que ce conflit entre les lois fédérales et les règlements municipaux avait pour effet d’entraver la réalisation de l’objectif fédéral de la Loi. Les exigences prévues à la Loi visent à fournir à l’Office suffisamment de renseignements pour lui permettre d’établir si un projet particulier est conforme à l’intérêt public; en interdisant à Trans Mountain de faire des levés et des examens, Burnaby avait entravé la réalisation de l’objet de la loi fédérale.
Exclusivité des compétences
Comme la CSC l’a récemment expliqué dans l’arrêt Banque de Montréal c. Marcotte, « L’exclusivité des compétences a pour effet d’empêcher que les lois adoptées par un ordre de gouvernement empiètent indûment sur le ‘contenu essentiel irréductible’ de la compétence exclusive réservée à l’autre ordre de gouvernement. »27 Lorsque la doctrine s’applique, une loi par ailleurs validement adoptée (dans le cas présent les règlements de la Ville) est « interprétée » de manière à ce que la question extra-juridictionnelle ne s’applique plus28.
Dans ses commentaires, Burnaby a fait remarquer que la CSC avait averti que le recours à la doctrine de l’exclusivité des compétences devait se limiter aux situations déjà traitées dans la jurisprudence et qu’elle ne doit pas être invoquée pour miner le fédéralisme coopératif29. En outre, Burnaby a fait valoir que Trans Mountain n’avait pas démontré que les règlements entraveraient le contenu essentiel d’une compétence fédérale30.
Trans Mountain a fait valoir que l’exécution des travaux prescrits dans le but de recueillir des renseignements sur le tracé d’un pipeline interprovincial constitue une activité relevant du « cœur » de la compétence fédérale. De plus, Trans Mountain a soutenu que les faits en l’espèce avaient déjà été traités dans la jurisprudence dans Campbell-Bennett c. Comstock Midwestern Ltd31.
L’Office a conclu que la réglementation des pipelines interprovinciaux est au cœur de la compétence fédérale et que les règlements provinciaux entravaient la capacité de l’Office à rendre une décision quant à l’utilité publique du pipeline interprovincial32. L’Office a comparé la situation à l’affaire de la CSC dans l’arrêt Québec (Commission du salaire minimum) c. Construction Montcalm Inc.33, et a indiqué que tout comme le pouvoir de déterminer l’emplacement des aérodromes relève de la compétence fédérale en matière d’aéronautique, tel qu’indiqué dans l’arrêt Construction Montcalm, des renseignements techniques sur le tracé du pipeline sont essentiels à la compétence fédérale à l’égard des pipelines interprovinciaux34. Enfin, l’Office a conclu que l’empiètement sur la compétence fédérale était suffisamment grave pour justifier une interprétation. Cela reposait sur les conclusions de fait de l’Office selon lesquelles Trans Mountain exigeait plus qu’un simple accès aux terrains, puisque pour satisfaire aux exigences en matière de dépôt, il devait mener des activités concrètes contraires aux règlements, et que l’article 75 de la Loi supposait la présence de certains déchets et dommages matériels. Par conséquent, l’Office a déclaré que les règlements étaient inapplicables dans la mesure où ils entravaient les travaux de Trans Mountain effectués en vertu de la Loi35.
Question 3 : Déterminer si l’Office a le pouvoir d’empêcher Burnaby de faire appliquer ses règlements
Sur cette question, Trans Mountain a déclaré que l’article 13 de la Loi confère à l’ONÉ le pouvoir voulu d’interdire à Burnaby de faire appliquer ses règlements s’ils empiètent sur les droits accordés à Trans Mountain par l’alinéa 73a) de la Loi. La Ville a adopté la position selon laquelle l’Office n’a pas le pouvoir d’empêcher un autre ordre de gouvernement de faire appliquer ses règlements36.
L’Office était en désaccord avec Burnaby, concluant que l’alinéa 13b) de la Loi, qui stipule que l’Office peut « interdire ou faire cesser tout acte contraire à ceux-ci » [on fait référence à la présente loi ou à ses règlements, ou à un certificat, à une licence, à un permis, à une ordonnance ou à des instructions qui en découlent], conférait un pouvoir suffisant. L’Office a fait remarquer que l’alinéa 73a) permet à une entreprise de pénétrer sur des terrains privés ou appartenant à la Couronne en vue de faire des levés et des examens. L’Office a donc conclu que le Parlement avait l’intention de conférer à une municipalité le pouvoir d’interdire des actes qui enfreignent l’alinéa 73a)37.
Question 4 : Déterminer si l’Office devrait interdire à Burnaby de faire appliquer ses règlements
La Ville a soutenu que les faits n’appuyaient pas une ordonnance visant à interdire à Burnaby de faire appliquer ses règlements et que cela est d’autant plus vrai que l’ONÉ n’avait pas précisé comment les renseignements devaient être recueillis ni l’emplacement où les études requises devaient être menées38. En outre, la Ville a adopté la position voulant que l’Office ne doive pas rendre une telle ordonnance sans tenir compte du préjudice environnemental que les travaux proposés causeraient39.
L’Office a rejeté ces allégations, concluant que la preuve par affidavit du responsable de projet de Trans Mountain fournit « des motifs impérieux et précis pour rendre une telle ordonnance. »40 Plus particulièrement, l’Office a accepté la preuve par affidavit indiquant que les travaux prescrits ne pourraient être effectués sans une perturbation minimale des terrains visés, et que Trans Mountain avait tenté à maintes reprises de collaborer avec Burnaby, mais qu’en aucun temps la Ville n’en avait fait de même41. En outre, l’Office a explicitement rejeté la thèse de Burnaby selon laquelle il n’avait pas précisé l’emplacement ou les renseignements nécessaires, et a renvoyé à la décision no 28, à laquelle étaient joints des documents exposant en détail les travaux prescrits à effectuer et l’emplacement où les levés allaient être faits. Enfin, l’Office a rejeté la thèse de Burnaby selon laquelle il doit tenir compte des répercussions environnementales d’une ordonnance qui vise à empêcher Burnaby de faire appliquer ses règlements. L’Office a fait remarquer que les études et les examens n’étaient pas des projets désignés et qu’il n’était pas persuadé qu’il serait nécessaire de procéder à une évaluation environnementale. Il a toutefois noté que les travaux prescrits pour guider une évaluation environnementale du projet sont nécessaires en vertu de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012)42.
Demande d’autorisation déboutée par la Cour d’appel fédérale et la Cour d’appel de la C.B.
Le 29 octobre 2014, Burnaby a déposé auprès de la Cour d’appel fédérale une demande d’autorisation d’interjeter appel de la décision no 40. Dans sa demande, Burnaby a soutenu que l’Office n’avait pas la compétence voulue pour empêcher Burnaby de faire appliquer ses règlements ou pour trancher les questions constitutionnelles liées à l’interprétation des articles 73 et 75 de la Loi. Le 12 décembre 2014, la Cour d’appel fédérale a rejeté la demande d’autorisation de Burnaby43.
Burnaby a également demandé l’autorisation d’interjeter appel de la décision de la BCSC (mentionnée ci-dessus) auprès de la Cour d’appel de la C.-B. (« BCCA »). Le 27 novembre 2014, la BCCA a rejeté la demande d’autorisation de Burnaby et indiqué que la demande était « une attaque indirecte contre la décision de l’ONÉ » [Traduction] et que les questions soulevées avaient « été traitées au moyen d’une ordonnance définitive et sans appel de l’ONÉ »44 [Traduction].
Répercussions de la décision no 40
À première vue, le règlement de Burnaby n’était pas extraordinaire – son seul but est d’éviter la perturbation de la végétation et des éléments naturels dans les aires de conservation et les parcs municipaux. Toutefois, parce que le règlement interdisait à Trans Mountain de réaliser un ouvrage visant à générer des renseignements pour le processus réglementaire de l’ONÉ, il a été conclu que le règlement était en contradiction avec le régime législatif fédéral et que la doctrine de la prépondérance s’appliquait.
Évidemment, la décision de l’ONÉ (et le rejet subséquent de l’autorisation d’interjeter appel rendu par la Cour d’appel fédérale) offre une plus grande certitude aux sociétés pipelinières sous réglementation fédérale dans des situations où les règlements municipaux (intentionnellement ou de façon fortuite) cherchent à leur interdire d’effectuer les travaux requis dans le cadre du processus réglementaire fédéral. De plus, elle confirme que les sociétés pipelinières sous réglementation fédérale ont le pouvoir d’accéder à des terrains publics et privés (sans le consentement du propriétaire) en vue de réaliser des levés et des enquêtes aux termes de l’article 73 de la Loi.
Toutefois, la décision s’applique aussi plus largement à d’autres secteurs où les règlements municipaux empiètent sur des entreprises fédérales, ajoutant à une liste déjà longue de jurisprudence récente, y compris 2241960 Ontario Inc. v. Scugog Township45 et Burlington Airpark Inc. v. Burlington (City)46, deux affaires où les tribunaux ont maintenu l’application de règlements municipaux exigeant le recours à des matériaux de remblayage propres aux aérodromes fédéraux, ainsi que Detlor v. Brantford47, où la Cour a maintenu les règlements municipaux interdisant l’imposition de certains « frais de développement » par une collectivité autochtones à des promoteurs immobiliers. Le raisonnement de l’Office peut également orienter les autorités municipales qui envisagent des moyens de réduire au minimum les expéditions ferroviaires d’hydrocarbures traversant les municipalités. Au Canada, les expéditions ferroviaires d’hydrocarbures se sont considérablement accrues au cours des dernières années. De plus, un certain nombre de politiciens municipaux (compte tenu de la catastrophe de Lac-Mégantic) ont annoncé publiquement la prise de mesures visant à éliminer les expéditions ferroviaires de pétrole brut. Au Canada, la plupart des chemins de fer sont des lignes interprovinciales ou internationales, et sont par conséquent de compétence fédérale48. À ce titre, à la lumière de la décision no 40, les autorités municipales devront examiner attentivement toute tentative d’éliminer ce risque au moyen d’un règlement municipal.
*Richard King est associé chez Olser, Hoskin and Harcourt LLP.
**Patrick Welsh est avocet chez Olser, Hoskin et Harcourt LLP.
***Rebecca HallMcGuire y est stagiaire en droit.