La décision de l’Alberta sur Market Surveillance Administrator v. TransAlta

Décision commentée sur : Décision de l’AUC 2014-1351, TransAlta Corporation, TransAlta Energy Marketing Corp., TransAlta Generation Partnership, M. Nathan Kaiser et M. Scott Connelly; Plaintes sur les agissements de l’administrateur de la surveillance du marché, 15 mai 2014.

L’Alberta Utilities Commission  a statué dans ce qui est probablement le premier des nombreux défis de procédures dans le procès très disputé entre l’Alberta Market Surveillance Administrator et TransAlta. Le litige tourne autour de très graves accusations de manipulation de marché

Est-il possible d’assurer la présence d’un marché de l’électricité concurrentiel en Alberta? Je crois qu’il s’agit de la grande question qui sous-tend l’actuelle procédure entamée devant l’Alberta Utilities Commission (AUC) mettant en cause Market Surveillance Administrator (l’administrateur de la surveillance du marché (MSA)) et TransAlta (TAU). Il y a plusieurs mois, le MSA a déposé auprès de l’AUC un avis de demande d’ouverture de procédure contre TAU et deux de ses employés actuels ou antérieurs, Kaiser et Connelly. En bref, le MSA accuse ces parties d’avoir illégalement manipulé le prix de l’électricité qui avait été établi par le gouvernement de l’Alberta au moyen de son outil d’établissement du prix de l’électricité, à l’avantage de TAU, en violation de l’Electric Utilities Act, SA 2003, c E-5.1 et du Fair, Efficient and Open Competition Regulation, Alta Reg 159/2009. Le MSA souhaite porter ces accusations devant l’AUC, conformément à ce qui est prévu dans l’Alberta Utilities Commission Act, SA 2007, c A-37.2 (AUCA). Quelques jours avant que le MSA ne prenne ces mesures, TAU, Kaiser et Connelly ont profité de l’occasion pour déposer leurs propres plaintes auprès de l’AUC en vertu de l’article 58 de l’AUCA, alléguant que le MSA abusait de ses pouvoirs. Autrement dit, TAU, Kaiser et Connelly savaient ce qui les attendait. Il y a trois ans (mars 2011), le MSA avait informé TAU qu’il amorçait une enquête; il a depuis assidûment recueilli de l’information auprès de TAU pour monter son dossier. En novembre 2013, le MSA a fourni à TAU le dossier provisoire qu’il avait monté contre TAU. Il est donc assez évident que le dépôt préventif de TAU, Kaiser et Connelly constituait un effort stratégique pour saisir cette occasion d’agir, placer le MSA sur la défensive et peut-être faire entendre les plaintes contre le MSA avant que le propre dossier du MSA ne puisse être entendu.

C’est là la principale question en cause dans ces procédures préliminaires : TAU, Kaiser et Connelly seraient-ils capables de détourner la demande du MSA? Selon moi, l’AUC a conclu que ce ne serait pas le cas avec raison.

La question juridique 

La question juridique en cause dans le cadre de ces procédures préliminaires concerne l’interprétation adéquate de l’article 58 de l’AUCA. Cette section se lit comme suit :

[Traduction] 58(1) Toute personne peut déposer une plainte écrite devant la Commission concernant les agissements de l’administrateur de la surveillance du marché.

(2) La Commission

a) doit rejeter la plainte si la Commission est convaincue qu’elle concerne une question dont l’objet a déjà été traité ou est actuellement traité par la Commission ou tout autre organe;

b) peut rejeter la plainte si la Commission est convaincue que la plainte est futile, vexatoire ou sans objet ou qu’elle ne justifie pas la tenue d’une enquête ou d’une audience.

(3) La Commission peut, au moment d’examiner une plainte, prendre l’une ou plusieurs des mesures suivantes :

a) rejeter la plainte en tout ou en partie;

b) demander au Market Surveillance Administrator ( l’administrateur de la surveillance du marché) de modifier sa conduite relativement à la question qui fait l’objet de la plainte;

c) demander à l’administrateur de la surveillance du marché de cesser le comportement qui fait l’objet de la plainte.

(4) Toute décision prise par la Commission en vertu du paragraphe (2) ou (3) est définitive et ne peut faire l’objet d’un appel aux termes de l’article 29.

Il s’agit ici du libellé exécutoire de l’alinéa 58(2)a). Cette disposition ainsi que les faits visés dans la procédure mènent vers deux principales interprétations de la loi : (1) La période pertinente pour l’application de cet alinéa correspond-elle au moment où les plaintes écrites ont été déposées (moment où la procédure du MSA n’avait pas encore été entamée) ou au moment où la question a été tranchée par l’AUC? (2) Les plaintes déposées par TAU, Kaiser et Connelly et la demande produite par le MSA sont-elles « reliées »?

Dans sa réponse à ces deux questions, l’AUC a pris soin d’examiner la signification ordinaire et grammaticale des dispositions pertinentes, et de les étudier en fonction de leur contexte réglementaire global et de leur intention législative, notant également qu’elle doit éviter d’adopter une interprétation qui mènerait à une incohérence absurde. Les observations finales de l’AUC concernant le contexte réglementaire et l’intention législative méritent d’être citées en totalité :

[Traduction] [66] Dans l’ensemble, la Commission estime que la législation précise clairement l’importance fondamentale d’établir et de maintenir un marché de l’électricité juste, efficace et ouvert à la concurrence. La législation établit que le MSA est le gardien du marché et que l’un de ses principaux objectifs est de protéger le fonctionnement juste, efficace et concurrentiel du marché de l’électricité. Le MSA détient de vastes pouvoirs pour mener à bien ce rôle. La Commission considère que ces vastes pouvoirs reflètent l’importance fondamentale de préserver ou de maintenir un marché juste, efficace et concurrentiel.

[67] La Commission souligne que l’exercice des pouvoirs du MSA sur les joueurs dans le marché n’est pas illimité et est assujetti à de nombreuses vérifications. Premièrement, elle a l’obligation légale d’agir de manière juste, responsable et dans l’intérêt du public. Deuxièmement, elle est tenue de consulter les joueurs sur le marché en ce qui concerne les procédures d’enquête et toute ligne directrice qu’elle élabore en vertu du paragraphe 39(4) de l’Alberta Utilities Commission Act. Elle ne peut modifier les procédures ou les lignes directrices actuelles sans consultation préalable. Troisièmement, les préoccupations du MSA concernant la conduite des joueurs sur le marché sont étudiées par la Commission. Quatrièmement, toute personne qui est préoccupée par la conduite du MSA peut déposer une plainte à cet égard.

[68] La législation confère à la Commission un rôle de supervision des activités et de la conduite du MSA. La Commission régit non seulement les questions que le MSA lui soumet, mais elle régit aussi les plaintes relatives à la conduite du MSA. Fait important, ni le MSA ni un plaignant ne peuvent en appeler d’une décision de la Commission au sujet d’une plainte2.

Quant à l’objet de l’alinéa 58(2)a), l’AUC souligne que l’alinéa ne concerne pas le bien-fondé des plaintes (c’est plutôt l’objet de l’alinéa discrétionnaire b)); l’objet de l’alinéa a) est plutôt le suivant :

[Traduction] [86]… aborder les conflits qui pourraient survenir dans des situations où une plainte et une question soumises par le MSA sont fondées sur des enjeux communs. Plus précisément, la Commission estime que l’alinéa 58(2)a) englobe plusieurs doctrines de la common law conçue pour assurer l’intégrité, l’équité et la finalité du processus de prise de décisions. Ces doctrines comprennent les suivantes : abus de la procédure; pourvoi accessoire; préclusion pour même question en litige; res judicata et lis pendens3.

Cela ne signifiait toutefois pas que la disposition légale a importé l’ensemble des règles techniques associées à ces doctrines de la common law. L’AUC a exprimé le critère pertinent comme suit: [Traduction] « la Commission estime qu’en vertu de l’alinéa 58(2)a), elle doit rejeter une plainte sur la conduite du MSA si elle est convaincue qu’il existe un lien logique ou raisonnable entre la plainte et une question dont l’essence ou la qualité essentielle est déjà ou a déjà été soumise à la Commission »4. Quant à la question de savoir si la disposition est applicable même dans une situation où les plaignants ont déposé en premier, la Commission a statué comme suit :

[Traduction] [94] Comme l’objet de l’alinéa 58(2)a) est de protéger le marché de l’électricité tout en favorisant un processus de prise de décision finale opportun, juste et efficace, la Commission conclut qu’une lecture trop technique ou littérale de cet alinéa empêchant son application lorsqu’une plainte est déposée avant que le MSA n’entame sa procédure contre le plaignant serait contraire à l’article 10 de l’Interpretation Act et produirait un résultat absurde. C’est particulièrement vrai en l’espèce, étant donné que le MSA a fourni ses faits et conclusions à un joueur sur le marché avant de produire l’avis d’ouverture des procédures contre ce dernier.

[Traduction] [95] Par conséquent, la Commission conclut que pour atteindre les objectifs décrits ci-dessus, elle doit rejeter la plainte en vertu de l’alinéa 58(2)a), même si ladite plainte a été déposée avant que le MSA n’ait produit un avis au titre de l’article 51 de l’Alberta Utilities Commission Act5.

Cela n’a pas empêché les plaignants d’être entendus devant la Cour au moment prévu, mais signifiait que « [Traduction] le jour de comparution des plaignants tomberait pendant les procédures entamées par le MSA »6. En outre, « dans l’éventualité où une question soulevée concernant une plainte rejetée en vertu de l’alinéa 58(2)e) ne serait pas ultimement considérée dans le contexte de la procédure connexe du MSA, on ne peut empêcher le plaignant de produire de nouveau la plainte, puisqu’elle concerne une question qui n’a pas été abordée »7.

En appliquant le critère de la « relation logique et raisonnable » à l’essence des accusations du MSA et des trois plaintes, la Commission a facilement conclu qu’elles portaient sur le même objet8.

La décision ne peut faire l’objet d’un appel (voir l’article 58(4)) et il est maintenant temps de souligner le bien-fondé des accusations du MSA, lesquelles sont corroborées par ce qui semble être une preuve irréfutable et des échanges de courriels internes de satisfaction au sein de TAU (pour obtenir des détails, consulter la demande du MSA auprès de l’AUC, produite le 21 mars 2014, accessible sur le site Web d’AUC, numéro de dossier 0630). Tout délai supplémentaire ne servira qu’à mettre en doute l’efficacité de la supervision du marché de l’électricité de l’Alberta par le MSA.

* Nigel Bankes est un professeur à la faculté de droit de la University of Calgary et est l’actuel président de la Natural Resources Law. Depuis 1984, il a enseigné des cours en droit des biens, en droit autochtone, en droit des ressources naturelles, en droit de l’énergie, sur la loi sur le pétrole et le gaz et le droit international de l’environnement. Il écrit énormément par rapoort au droit de l’énergie et à la réglementation.

  1. Alberta Utilities Commission, TransAlta Corporation, TransAlta Energy Marketing Corp., TransAlta Generation Partnership, Mr Nathan Kaiser and Mr Scott Connelly: Complaints about the conduct of the Market Surveillance Administrator (15 mars 2014), online: AUC <http://www.auc.ab.ca/applications/decisions/Decisions/2014/2014-135.pdf>.
  2. Ibid aux para 66-68.
  3. Ibid au para 86.
  4. Ibid au para 96.
  5. Ibid aux para 94-95.
  6. Ibid au para 91.
  7. Ibid au para 93.
  8. Ibid aux para 107-116.

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