Ce n’est pas tous les jours qu’une décision d’un organisme de réglementation de l’énergie se retrouve devant la Cour suprême du Canada. Il est encore plus rare que ce soit deux décisions provenant de différentes provinces, portant essentiellement sur la même question qui s’y retrouvent ensemble.
L’enjeu dans ces cas est la doctrine de la prudence. C’est un concept fondamental d’abord établi par le juge Brandeis de la Cour suprême des États-Unis dans Southwestern Bell en 19231. Les tribunaux canadiens et les organismes de réglementation ont affirmé la règle au fil des décennies.
Le principe établi est le suivant : si un service public effectue un investissement prudent, il est autorisé à recouvrer les coûts à travers les tarifs2. Il y a une présomption que les investissements sont prudents à moins de preuves contraires3 et la question de savoir si une décision est prudente doit être fondée sur les faits connus par le service public au moment où l’investissement est effectué. En d’autres mots, l’information rétrospective ne peut pas être utilisée4.
Pour les services publics, ceci est un article de foi. Les tribunaux ont depuis longtemps reconnu la nécessité d’équilibrer les intérêts des consommateurs et des investisseurs et la doctrine de la prudence est une des garanties fondamentales des investisseurs. Deux causes récentes, le Power Workers5 en Ontario et l’ATCO Gas6 (ATCO) en Alberta remettent en question le principe.
Avant d’examiner les décisions, il serait utile de rappeler que deux choses ont changé au fil des décennies. Ces deux facteurs peuvent-ils avoir une incidence sur l’issue de ces deux cas.
La première est que les tribunaux au Canada et aux États-Unis accordent maintenant une plus grande déférence aux organismes de réglementation7, plus particulièrement aux organismes de réglementation complexes comme les commissions d’énergie qui gèrent des milliards de dollars d’investissement dans un secteur essentiel. Cette retenue couvre désormais non seulement les faits mais également l’interprétation juridique de la loi constitutive de chaque commission8.
Le second facteur qui a changé est que la tarification partout en Amérique du nord se fait désormais sur la base d’une année d’essai future. Autrefois, les régulateurs regardaient les coûts antérieurs. La question se pose alors, la même règle s’applique-t-elle lorsque les régulateurs ont seulement refusé une certaine partie des coûts dans l’avenir ? Certains prétendent que les régulateurs ne violent pas la règle de prudence car les services publics peuvent-ils gérer les coûts dans l’avenir.
Cette discussion est présente dans les deux appels.
Il y a une autre question à savoir à quel point il est important si la décision en ce qui concerne le coût avait déjà été prise par un tiers habilité à le faire. Ce caractère est également présent dans ces deux cas.
Dans l’affaire Power Workers, la Commission de l’énergie de l’Ontario (la Commission) a refusé à Ontario Power Generation(OPG) de recouvrer $145 millions sur les $2,8 milliards des coûts de rémunération des services publics au cours d’une année d’essai future sur deux ans. Ces coûts découlent d’une convention collective que le service public avait conclue avec le syndicat des travailleurs et travailleuses du secteur énergétique et ce processus avait impliqué un arbitre indépendant.
Tant le syndicat que le service public ont fait valoir que la Commission était tenue de présumer que les coûts de rémunération étaient prudents. La Commission a désapprouvé cela et jugé qu’il pouvait s’appuyer sur des études d’analyses comparant les performances des services publics avec celles des entreprises similaires. Ces études, qui ont été mandatées par la Commission dans une précédente affaire, ont montré des effectifs élevés, une rémunération excessive et de mauvaises performances dans les installations d’OPG. En conséquence, la Commission a refusé les coûts de 145 millions.
La Commission a reconnu les contraintes imposées par le syndicat de l’OPG mais a néanmoins conclu que les contribuables ne devaient supporter que des coûts raisonnables. La décision de la Commission a été portée devant la Cour divisionnaire de l’Ontario qui a confirmé la réduction de $145 millions bien qu’un des membres ait été dissident9. Le tribunal a jugé que la Commission doit avoir la liberté nécessaire pour considérer les comparateurs actuels de rémunérations dans le but de remplir son fardeau de protection des contribuables.
La décision de la Commission a été infirmée par la Cour d’appel de l’Ontario qui a jugé que les coûts ont été fixés par des conventions collectives. La cour a jugé que la Commission avait agit de façon déraisonnable en considérant des informations rétrospectives pour la comparaison de marché. En bref, la Commission n’avait pas correctement appliqué le critère de la prudence.
L’affaire ATCO Gas en Alberta est similaire à l’affaire Ontario Power Workers en Ontario. Là, le service public a demandé à la Commission de l’Alberta à percevoir une redevance spéciale des contribuables pour couvrir les engagements de retraite non capitalisés de 157 millions. Ces coûts comprenaient une indemnité de vie chère qui a été fixé à l’avance chaque année par un administrateur du régime indépendant. Dans le passé, cette allocation avait été fixée à 100 % de l’indice des prix à la consommation (IPC). La Commission n’avait encore jamais fait face à la question parce que la responsabilité avait été financée et une charge spéciale aux contribuables n’a pas été nécessaire.
Maintenant qu’il y avait un passif non capitalisé, la Commission a eu à examiner si l’indice du coût de la vie était trop riche. Le service public a fait valoir qu’il s’agissait d’un coût engagé, fixé par une autorité indépendante. La Commission a désapprouvé et réduit l’indemnité de vie chère recouvrable à 50 % de l’IPC. La Commission s’est fondée sur les preuves que 100 % de l’IPC était élevé selon les normes de l’industrie. La Commission a également conclu que les contraintes juridiques sur l’administrateur du régime ne justifiaient pas le passage des coûts excessifs aux contribuables.
ATCO a interjeté appel devant la Cour d’appel de l’Alberta qui a confirmé la décision de la Commission. Le service public a fait valoir que leur décision d’utiliser 100 % de l’indice était non seulement prudente mais nécessaire. ATCO en outre, a fait valoir que les données de comparaison étaient des informations rétrospectives qui ont violé la règle de prudence acceptée.
La Commission était en désaccord avec ATCO Gas en indiquant que la loi ne prescrivait pas l’utilisation du test de l’investissement prudent avec égard pour l’indice des prix. La Cour a en outre déclaré que les décisions de la Commission ont droit à une déférence. La Cour a rejeté l’argument d’ATCO Gas à l’effet que l’indice de 100 % doit être présumé être prudent car il a été fixé plus tôt par une tierce partie indépendante. Par ailleurs, la Cour a jugé que la Commission n’était pas limitée à l’examen de la prudence basé uniquement sur les faits connus à l’époque.
Compte tenu de la similitude des faits et des questions juridiques dans ces deux cas, il n’est pas surprenant que la Cour suprême du Canada ait autorisé les appels. Les deux appels seront entendus ensemble dans une audience prévue pour décembre 2014. Ce sera la première décision de la Cour suprême du Canada sur un principe important portant sur une loi sur les services publics depuis Stores Block10 il y a de cela huit années. Le résultat pourrait avoir un impact majeur sur la réglementation de l’énergie en Amérique du nord.
Ce n’est pas tous les jours qu’une décision d’un organisme de réglementation de l’énergie se retrouve devant la Cour suprême du Canada. Il est encore plus rare que ce soit deux décisions provenant de différentes provinces, portant essentiellement sur la même question qui s’y retrouvent ensemble.
L’enjeu dans ces cas est la doctrine de la prudence. C’est un concept fondamental d’abord établi par le juge Brandeis de la Cour suprême des États-Unis dans Southwestern Bell en 19231. Les tribunaux canadiens et les organismes de réglementation ont affirmé la règle au fil des décennies.
Le principe établi est le suivant : si un service public effectue un investissement prudent, il est autorisé à recouvrer les coûts à travers les tarifs2. Il y a une présomption que les investissements sont prudents à moins de preuves contraires3 et la question de savoir si une décision est prudente doit être fondée sur les faits connus par le service public au moment où l’investissement est effectué. En d’autres mots, l’information rétrospective ne peut pas être utilisée4.
Pour les services publics, ceci est un article de foi. Les tribunaux ont depuis longtemps reconnu la nécessité d’équilibrer les intérêts des consommateurs et des investisseurs et la doctrine de la prudence est une des garanties fondamentales des investisseurs. Deux causes récentes, le Power Workers5 en Ontario et l’ATCO Gas6 (ATCO) en Alberta remettent en question le principe.
Avant d’examiner les décisions, il serait utile de rappeler que deux choses ont changé au fil des décennies. Ces deux facteurs peuvent-ils avoir une incidence sur l’issue de ces deux cas.
La première est que les tribunaux au Canada et aux États-Unis accordent maintenant une plus grande déférence aux organismes de réglementation7, plus particulièrement aux organismes de réglementation complexes comme les commissions d’énergie qui gèrent des milliards de dollars d’investissement dans un secteur essentiel. Cette retenue couvre désormais non seulement les faits mais également l’interprétation juridique de la loi constitutive de chaque commission8.
Le second facteur qui a changé est que la tarification partout en Amérique du nord se fait désormais sur la base d’une année d’essai future. Autrefois, les régulateurs regardaient les coûts antérieurs. La question se pose alors, la même règle s’applique-t-elle lorsque les régulateurs ont seulement refusé une certaine partie des coûts dans l’avenir ? Certains prétendent que les régulateurs ne violent pas la règle de prudence car les services publics peuvent-ils gérer les coûts dans l’avenir.
Cette discussion est présente dans les deux appels.
Il y a une autre question à savoir à quel point il est important si la décision en ce qui concerne le coût avait déjà été prise par un tiers habilité à le faire. Ce caractère est également présent dans ces deux cas.
Dans l’affaire Power Workers, la Commission de l’énergie de l’Ontario (la Commission) a refusé à Ontario Power Generation(OPG) de recouvrer $145 millions sur les $2,8 milliards des coûts de rémunération des services publics au cours d’une année d’essai future sur deux ans. Ces coûts découlent d’une convention collective que le service public avait conclue avec le syndicat des travailleurs et travailleuses du secteur énergétique et ce processus avait impliqué un arbitre indépendant.
Tant le syndicat que le service public ont fait valoir que la Commission était tenue de présumer que les coûts de rémunération étaient prudents. La Commission a désapprouvé cela et jugé qu’il pouvait s’appuyer sur des études d’analyses comparant les performances des services publics avec celles des entreprises similaires. Ces études, qui ont été mandatées par la Commission dans une précédente affaire, ont montré des effectifs élevés, une rémunération excessive et de mauvaises performances dans les installations d’OPG. En conséquence, la Commission a refusé les coûts de 145 millions.
La Commission a reconnu les contraintes imposées par le syndicat de l’OPG mais a néanmoins conclu que les contribuables ne devaient supporter que des coûts raisonnables. La décision de la Commission a été portée devant la Cour divisionnaire de l’Ontario qui a confirmé la réduction de $145 millions bien qu’un des membres ait été dissident9. Le tribunal a jugé que la Commission doit avoir la liberté nécessaire pour considérer les comparateurs actuels de rémunérations dans le but de remplir son fardeau de protection des contribuables.
La décision de la Commission a été infirmée par la Cour d’appel de l’Ontario qui a jugé que les coûts ont été fixés par des conventions collectives. La cour a jugé que la Commission avait agit de façon déraisonnable en considérant des informations rétrospectives pour la comparaison de marché. En bref, la Commission n’avait pas correctement appliqué le critère de la prudence.
L’affaire ATCO Gas en Alberta est similaire à l’affaire Ontario Power Workers en Ontario. Là, le service public a demandé à la Commission de l’Alberta à percevoir une redevance spéciale des contribuables pour couvrir les engagements de retraite non capitalisés de 157 millions. Ces coûts comprenaient une indemnité de vie chère qui a été fixé à l’avance chaque année par un administrateur du régime indépendant. Dans le passé, cette allocation avait été fixée à 100 % de l’indice des prix à la consommation (IPC). La Commission n’avait encore jamais fait face à la question parce que la responsabilité avait été financée et une charge spéciale aux contribuables n’a pas été nécessaire.
Maintenant qu’il y avait un passif non capitalisé, la Commission a eu à examiner si l’indice du coût de la vie était trop riche. Le service public a fait valoir qu’il s’agissait d’un coût engagé, fixé par une autorité indépendante. La Commission a désapprouvé et réduit l’indemnité de vie chère recouvrable à 50 % de l’IPC. La Commission s’est fondée sur les preuves que 100 % de l’IPC était élevé selon les normes de l’industrie. La Commission a également conclu que les contraintes juridiques sur l’administrateur du régime ne justifiaient pas le passage des coûts excessifs aux contribuables.
ATCO a interjeté appel devant la Cour d’appel de l’Alberta qui a confirmé la décision de la Commission. Le service public a fait valoir que leur décision d’utiliser 100 % de l’indice était non seulement prudente mais nécessaire. ATCO en outre, a fait valoir que les données de comparaison étaient des informations rétrospectives qui ont violé la règle de prudence acceptée.
La Commission était en désaccord avec ATCO Gas en indiquant que la loi ne prescrivait pas l’utilisation du test de l’investissement prudent avec égard pour l’indice des prix. La Cour a en outre déclaré que les décisions de la Commission ont droit à une déférence. La Cour a rejeté l’argument d’ATCO Gas à l’effet que l’indice de 100 % doit être présumé être prudent car il a été fixé plus tôt par une tierce partie indépendante. Par ailleurs, la Cour a jugé que la Commission n’était pas limitée à l’examen de la prudence basé uniquement sur les faits connus à l’époque.
Compte tenu de la similitude des faits et des questions juridiques dans ces deux cas, il n’est pas surprenant que la Cour suprême du Canada ait autorisé les appels. Les deux appels seront entendus ensemble dans une audience prévue pour décembre 2014. Ce sera la première décision de la Cour suprême du Canada sur un principe important portant sur une loi sur les services publics depuis Stores Block10 il y a de cela huit années. Le résultat pourrait avoir un impact majeur sur la réglementation de l’énergie en Amérique du nord.
* Gordon E. Kaiser, FCIArb, est un arbitre agrée pratiquant à Jams Resolution Center à Toronto et Washington DC, ainsi qu’aux Energy Arbitration Chambers de Calgary et de Houston. Il est un ancien vice-président de la Commission de l’énergie de l’Ontario. De plus il est un professeur adjoint à l’Osgoode Hall Law School, co- président du forum canadien sur la loi sur l’énergie et rédacteur en chef pour cette publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie.