1. INTRODUCTION
Le Canadian Energy Reliability Council (« CERC ») a été créé en 2024. Il a pour objectif de veiller à la fiabilité énergétique tandis que le Canada navigue dans un marché et un paysage politique de l’énergie en constante évolution, au pays comme à l’étranger. Pour ce faire, il facilitera la collaboration entre ses membres, les intervenants et le gouvernement.
Le présent article décrit les principales menaces qui pèsent sur la fiabilité énergétique du système énergétique canadien. Il est difficile de classer ces menaces en ordre d’importance, car tout classement possible est appelé à changer brusquement. De plus, ces menaces sont souvent combinées pour diverses raisons.
Les menaces à la fiabilité énergétique ont différentes origines, dont l’environnement physique et les changements dans les tendances économiques et commerciales. Toutefois, un facteur important de risque lié à la fiabilité découle des politiques gouvernementales et publiques, particulièrement en ce qui concerne la carboneutralité.
Tandis que le présent article était en cours d’achèvement, un exemple opportun de la concrétisation d’un risque lié à la politique publique s’est présenté lorsque la guerre commerciale qui couvait entre les États-Unis et le Canada a éclaté. Il est impossible de prévoir les répercussions que celle-ci aura sur la fiabilité énergétique, des deux côtés de la frontière, mais il est néanmoins important de comprendre qu’elles pourraient être ces répercussions.
2. QU’EST-CE QUE LA FIABILITÉ ÉNERGÉTIQUE ?
Pendant la majeure partie des quelque 150 dernières années, le système énergétique dont nous jouissons au Canada a fourni une énergie fiable aux Canadiens. Mais qu’est-ce que la fiabilité et qu’entend-on par celle-ci ?
La plupart des personnes ont, par intuition, une idée de ce que signifie la fiabilité énergétique : Puis-je trouver un endroit suffisamment proche d’où je me trouve pour faire le plein d’essence, et cette station est-elle ouverte lorsque j’en ai besoin ? Lorsque je rentre à la maison et que j’active l’interrupteur, est-ce que les lumières s’allument ? Et lorsque l’hiver s’installe et que les températures baissent, le système de chauffage de ma maison me fournit-il la chaleur dont j’ai besoin ?
Lorsque le système énergétique est fiable, la réponse à toutes ces questions est « oui ». Peut-être pas en tout temps — il est difficile pour tout système de livrer quoi que ce soit 24 heures par jour, sept jours par semaine, 365 jours par année, chaque année. Ces difficultés se présentent pour différentes raisons, notamment l’imprévisibilité de la fiabilité des composants individuels du système et, par conséquent, la difficulté d’assurer l’efficacité des programmes d’entretien préventif et la rapidité avec laquelle l’exploitant peut s’adapter à de nouvelles menaces. Par ailleurs, il existe un compromis inhérent entre la fiabilité et le coût. Plus on dépense, plus le système est susceptible d’être fiable. En contrepartie, plus on investit dans le système, moins il devient abordable pour ses utilisateurs.
N’empêche, comme dans le cas de nombreux calculs coûts-avantages, les solutions les plus simples sont celles qui coûtent le moins; et plus la solution est fiable, plus il en coûte pour l’améliorer. Cela dit, bien que la fiabilité puisse, dans une certaine mesure, être quantifiée, elle présente une valeur relative très différente pour différents consommateurs d’énergie. Du reste, pour peu que les périodes d’indisponibilité de l’énergie soient brèves et peu fréquentes, la plupart des gens sont satisfaits.
La résilience est étroitement liée à la fiabilité, et la compréhension intuitive qu’ont les gens de ce qu’est la fiabilité énergétique inclut également la notion de résilience. La résilience est liée à la fiabilité et inclut la façon dont les gens perçoivent la fiabilité énergétique. La fiabilité fait référence aux modes d’utilisation ordinaires, tandis que la résilience fait référence à la capacité d’adaptation à des perturbations. La résilience comporte également une composante temporelle; plus un système énergétique s’adapte rapidement à des perturbations, plus il est perçu comme étant résilient. Les deux termes sont souvent utilisés de façon interchangeable dans des contextes comme les réseaux électriques et les pipelines.
3. LE SYSTÈME ÉNERGÉTIQUE DU CANADA
Le système énergétique du Canada diffère d’une province à l’autre dans sa composition quant aux différents de types d’énergie, de combustibles et de systèmes de distribution. Le diagramme ci-dessous illustre les interdépendances entre des segments du système énergétique canadien. Il ne s’agit pas d’une représentation exacte du système énergétique d’une province ou d’un territoire, mais plutôt d’une approximation pour l’ensemble du Canada.
Figure 1 : Simulation du flux d’énergie au Canada[1]
On parle souvent du système énergétique du Canada en renvoyant à différents secteurs : le secteur gazier, le secteur de l’électricité, les carburants, les pipelines, etc. Bien que certaines entreprises puissent exploiter leurs activités dans plusieurs segments, en règle générale, les segments du marché sont exploités de façon assez indépendante. Cependant, comme l’illustre le diagramme, il y a de nombreux points de contact entre les secteurs du système.
Le diagramme ne présente pas les nombreuses interconnexions entre les systèmes qui, bien qu’elles ne soient pas directement liées à la production ou au transport d’énergie, demeurent essentielles. Par exemple, l’électricité utilisée pour alimenter les raffineries et les pipelines et l’essence pour alimenter les camions utilisés pour construire et entretenir le réseau électrique.
On peut à juste titre affirmer que le Canada possède l’un des systèmes énergétiques les plus fiables au monde. Celui-ci a grandement contribué au bien-être des Canadiens et à la croissance de l’une des économies les plus prospères du monde. Les producteurs et les fournisseurs d’énergie, qu’ils soient règlementés ou non, prennent des mesures pour s’assurer de pouvoir acheminer l’énergie jusqu’à leurs clients, motivés par les forces concurrentielles ou un régime règlementaire.
Si nous devions dessiner le même diagramme pour, disons, 2050, il pourrait paraître très différent, en partie à cause des changements technologiques, mais en grande partie à cause de la politique favorisant un système à faibles émissions de carbone. Les parcours qui ont évolué relativement lentement ces quelque 100 dernières années sont maintenant en voie d’être redessinés. Quelles seront les répercussions de ces changements sur la fiabilité du système énergétique ? Il est important de comprendre ces interdépendances lorsqu’on planifie des changements. Nous reviendrons un peu sur ces changements plus loin, en particulier ceux qui découlent de la politique énergétique.
4. PEUT-ON MESURER LA FIABILITÉ ÉNERGÉTIQUE ?
La plupart des gens n’utilisent pas une mesure de fiabilité de la même façon qu’ils mesurent, par exemple, la quantité d’énergie qu’ils consomment ou qu’ils font le suivi de ses coûts. Cependant, les industries qui produisent, fournissent et vendent de l’énergie mesurent et suivent la fiabilité de leurs systèmes.
Le système énergétique du Canada comprend une composante règlementée sur le plan économique (la distribution d’électricité et de gaz naturel) et d’autres composantes[2]. La règlementation économique du système énergétique canadien a été instaurée à l’origine pour pallier les défaillances du marché causées par les fournisseurs monopolistiques de services énergétiques. La distribution de gaz naturel et d’électricité était considérée comme un « monopole naturel », en raison des énormes économies d’échelle inhérentes à leur système de distribution. Cependant, les fournisseurs monopolistiques peuvent éventuellement exercer un contrôle sur les prix et les quantités, ce qui entraîne des inefficiences économiques. La règlementation tente d’atténuer ces inefficiences en fixant les prix et d’autres conditions de vente. La règlementation économique est souvent appelée règlementation des prix.
Dans les parties du système énergétique qui sont assujetties à la règlementation économique, le fondement de celle-ci est un « pacte règlementaire » qui tente d’équilibrer la prestation d’un « service sûr et fiable » avec des tarifs « justes et raisonnables » et qui donne au service public la possibilité de réaliser un « rendement équitable ». Dans la partie du système énergétique qui est fondée sur le marché, la concurrence génère des prix que l’acheteur et le vendeur sont prêts à accepter — la concurrence incite les fournisseurs à continuer de produire et de fournir une énergie fiable.
Les entreprises qui fournissent notre électricité et notre gaz naturel ainsi que les organismes qui les règlementent utilisent diverses mesures pour mesurer et surveiller la fiabilité. Celles-ci comprennent l’indice de durée moyenne des interruptions de service touchant le réseau (System Average Interruption Duration Index — « l’indice SAIDI ») et l’indice de la fréquence moyenne des interruptions de service touchant le réseau (System Average Interruption Frequency Index « l’indice SAIFI »).
5. COMMENT RENDRE NOTRE SYSTÈME ÉNERGÉTIQUE FIABLE ?
Des organisations comme l’Institute of Electrical and Electronics Engineers, l’American Society of Mechanical Engineers et l’Association canadienne de normalisation élaborent et tiennent à jour des normes pour appuyer la conception, la fabrication, le déploiement et la mise à l’essai de composants sûrs et fiables qui seront utilisés dans notre infrastructure énergétique. Ces normes sont suivies par les ingénieurs, les techniciens et les gestionnaires qui construisent et entretiennent notre système énergétique.
Cependant, la fiabilité énergétique est « plus qu’une simple question technique. Elle est aussi tributaire de la structure organisationnelle qui habilite et limite les entités dans leur gestion des opérations » [traduction][3]. Les structures de gestion sont très importantes et doivent être établies pour s’assurer que l’infrastructure demeure fiable tout au long de sa durée de vie utile et que les éléments nécessaires sont en place pour garantir le fonctionnement tel qu’il a été conçu.
Un exemple d’organisme qui appuie une approche systémique de la fiabilité est la North American Electricity Reliability Corporation (« NERC »). La NERC assure une surveillance coopérative du réseau haute tension dans trois pays : les États-Unis, le Canada et le Mexique.
Il a été constitué dans sa forme actuelle en réponse à une importante panne d’électricité en 2003, dans l’Est des États-Unis et en Ontario, causée par la chute d’un arbre sur une ligne de transport. Cet événement a provoqué une cascade inattendue de déclenchements de disjoncteurs d’équipements[4] et a mis au jour la vulnérabilité d’un élément important de l’infrastructure énergétique dont les gens dépendent — non seulement pour leur subsistance, mais aussi pour soutenir la vie humaine.
À l’heure actuelle, la NERC impose plus de 100 normes de fiabilité obligatoires dans les domaines de l’équilibre entre les ressources et la demande, de la protection des infrastructures essentielles, des communications, des opérations d’urgence, de la conception et de l’entretien des installations, de la fiabilité des interconnexions, de la modélisation, des données et de l’analyse, du rendement, de la formation et de la certification du personnel, ainsi que des opérations de transport.
6. QUELS SONT LES DÉFIS ACTUELS DU CANADA EN MATIÈRE DE FIABILITÉ ÉNERGÉTIQUE ?
Les menaces à la fiabilité mettent à l’épreuve presque toutes les étapes du processus de production et de distribution d’énergie. Ces menaces comprennent l’environnement (p. ex. le feu, le vent, les inondations, les séismes), le vieillissement de l’infrastructure, les problèmes liés à la chaîne d’approvisionnement, les cybermenaces et les menaces physiques, ainsi que la suffisance des ressources en électricité. Cette dernière découle des changements apportés au réseau électrique pour réduire la production à forte intensité de GES à partir de ressources renouvelables, tandis que la demande d’électricité augmente à un rythme qui n’a pas été observé depuis longtemps. Nous connaissons, pour la plupart, ces menaces, et certains d’entre nous en ont peut-être ressenti les effets directs sur la fiabilité.
Il est souvent difficile de catégoriser rigoureusement les problèmes de fiabilité. Par exemple, la modernisation des infrastructures peut les rendre plus résilientes à certaines des menaces environnementales décrites ci-dessous. Les infrastructures vieillissantes ou mal entretenues peuvent être plus vulnérables aux menaces environnementales.
Par ailleurs, comme nous l’avons vu plus haut dans cet article, le système énergétique du Canada comporte de nombreuses interdépendances — par exemple, le gaz naturel est essentiel pour une partie de la production d’électricité; sans électricité, les flux de pétrole et de gaz dans les pipelines pourraient être touchés. Il est important de comprendre les interdépendances et leur incidence sur la fiabilité de la distribution d’énergie.
6.1 Menaces environnementales
Les menaces environnementales comprennent le vent, la chaleur et le froid extrêmes, les feux de forêt, les inondations, la sécheresse, les tsunamis et les tremblements de terre, pour ne nommer que celles-ci. Étant donné que les infrastructures énergétiques exposées sont particulièrement vulnérables à ces menaces, le réseau électrique est souvent le premier et le plus visiblement touché. Cependant, les infrastructures pipelinières, routières et ferroviaires ne sont pas à l’abri des inondations et des tremblements de terre. Les feux de forêt et les tsunamis peuvent avoir une incidence sur l’accès à toutes les infrastructures énergétiques. La production hydroélectrique est particulièrement vulnérable à la sécheresse.
Le Canada a été le théâtre de nombreux incidents de ce genre. Parmi les exemples dignes de mention, mentionnons les feux de forêt à Fort McMurray qui ont entraîné des répercussions importantes sur les activités d’extraction pétrolière et gazière dans le nord de l’Alberta et les inondations dans la vallée du Fraser qui ont exposé certaines parties du principal gazoduc nord-sud.
Le renforcement de l’infrastructure exige des investissements de capitaux. Les investissements dans le secteur règlementé — qui comprend les pipelines, les lignes de transport et de distribution d’électricité et d’autres infrastructures connexes — exigent habituellement une approbation règlementaire. Les organismes de règlementation comprennent-ils la nécessité de s’assurer que le système énergétique demeure fiable face à ces menaces multiples ?
Les organismes de règlementation se montrent habituellement très prudents en ce qui concerne l’approbation des dépenses. Ils doivent constater un lien direct entre le besoin et la dépense. Peuvent-ils approuver ces investissements, qui pourraient être qualifiés de « spéculatifs » en ce sens qu’ils ne seront peut-être pas nécessaires si un événement ne se produit pas ou s’il n’est pas raisonnablement prévu qu’il se produira ou s’il s’agit d’un événement à incidence élevée dont la probabilité est faible ?
Une meilleure compréhension des menaces elles-mêmes aiderait à la fois les organismes de règlementation et les entreprises de services publics. Les tremblements de terre sont difficiles à prévoir, mais une évaluation probabiliste est possible et une analyse des risques peut dégager les éléments probants nécessaires pour fonder une décision. Les données météorologiques sur lesquelles nous nous appuyons pour prévoir la demande d’énergie et les codes de conduite et les normes de construction des infrastructures ne remontent, au mieux, qu’à quelques centaines d’années, à savoir un historique clairement trop court pour nos besoins en matière de prévision. Il en va de même pour les données sur le niveau de la mer, des lacs et des rivières. De meilleures données et une approche plus efficace à l’égard de ces données seraient très utiles.
La disponibilité de données de meilleure qualité et de meilleures méthodes d’analyse de celles-ci peuvent également être utiles pour les acteurs dans d’autres secteurs du système énergétique qui n’ont pas à présenter leurs arguments à un organisme de règlementation économique.
6.1.1 Demande accrue pendant les vagues de chaleur et de froid
Les épisodes de chaleur et de froid extrêmes entraînent une forte hausse de la consommation d’électricité et de gaz naturel en raison de l’augmentation des besoins en chauffage et en climatisation. Bien que les services publics d’électricité et de gaz naturel conçoivent généralement leurs réseaux pour répondre aux besoins en ces périodes de pointe, ces derniers peuvent tout de même dépasser la capacité disponible pour un certain nombre de raisons, notamment des temps d’indisponibilité imprévus de l’approvisionnement en gaz ou en électricité en raison de dommages à l’infrastructure qui sont souvent liés à la cause de l’événement de chaleur ou de froid extrême. Il y a lieu de croire que la fréquence et la durée des phénomènes météorologiques extrêmes pourraient augmenter. Cependant, il ne semble pas y avoir de consensus sur la question de savoir s’ils sont en augmentation et, le cas échéant, dans quelle mesure. Les incendies récents dans la région de Los Angeles pourraient indiquer une nouvelle réalité : des conditions météorologiques extrêmes qui se présentent en dehors de la saison prévue[5].
6.1.2 Dommages matériels à l’infrastructure
Les tempêtes de verglas et les vents violents peuvent endommager les lignes électriques, les transformateurs et les poteaux, causant des perturbations généralisées de l’approvisionnement en électricité.
Étant donné que les conditions météorologiques extrêmes ont une incidence sur la fiabilité, à la fois parce qu’elles peuvent endommager l’infrastructure et provoquer une augmentation de la demande, comme décrit ci-dessus, il est important de comprendre les aspects quantitatifs de tout changement aux paramètres liés aux conditions météorologiques qui sont utilisés pour prévoir la charge et concevoir l’infrastructure.
6.1.3 Collectivités rurales et éloignées
Les collectivités rurales, et plus particulièrement, les collectivités éloignées, peuvent être plus vulnérables à de nombreuses menaces environnementales. En outre, elles sont souvent hors réseau et desservis par des systèmes énergétiques moins fiables. Il est possible que le personnel responsable de l’entretien ne se trouve pas sur place et, par conséquent, les délais d’intervention en cas de panne peuvent être plus longs. La disponibilité de pièces de rechange peut être moins certaine que dans les régions moins éloignées.
6.2 Infrastructure vieillissante et d’une capacité insuffisante
Le vieillissement de l’équipement et des installations menace directement la fiabilité. Dans certains cas, cela peut aussi présenter un risque pour la sécurité. L’infrastructure énergétique exige des investissements de capitaux « patients » sur un horizon prolongé. L’évolution continue du système énergétique et le désir de transformer ou d’abandonner les infrastructures énergétiques existantes créent une incertitude accrue sur le plan de la règlementation. Cela a une incidence sur la volonté et la capacité des investisseurs de financer les dépenses en immobilisations pour l’infrastructure énergétique existante et d’entretenir l’infrastructure vieillissante, autant de facteurs qui entraînent de graves répercussions sur la fiabilité énergétique.
En outre, tandis que le besoin de construire davantage d’infrastructures s’est intensifié, le processus d’approbation et de délivrance des permis, pour sa part, est devenu plus complexe. Il s’agit d’un phénomène bien documenté qui entraînera de graves répercussions sur la fiabilité énergétique à l’avenir. Les investissements dans des projets énergétiques au Canada peuvent être perçus comme étant plus risqués que dans d’autres administrations, ce qui entraîne des coûts plus élevés et une réticence au financement des projets.
6.3 Problèmes liés à la chaîne d’approvisionnement, y compris la main-d’œuvre qualifiée
La transition vers des sources de production d’électricité à faibles émissions ou sans émission de GES, l’introduction du gaz naturel renouvelable (« GNR ») et de l’hydrogène dans le mélange de combustibles, les nouvelles technologies comme le captage, l’utilisation et le stockage du carbone (« CUSC ») et les véhicules électriques — toutes ces avancées créent de nouvelles attentes à l’égard de la chaîne d’approvisionnement et des changements dans les compétences attendues de la main-d’œuvre.
Selon un nouveau rapport, l’industrie canadienne de l’énergie pourrait créer 116 000 emplois d’ici 2035[6]. Environ 28 000 d’entre eux devraient être créés dans le secteur de l’électricité d’ici 2028[7]. De toute évidence, cela pèse lourd dans l’esprit des gestionnaires du secteur de l’électricité, car il ressort de cette enquête récente ce qui suit :
Figure 2 : Problèmes les plus urgents qui pèsent sur vos perspectives pour les cinq prochaines années (en % des employeurs), 2023[8]
Compte tenu du rythme et l’ampleur des changements requis pour notre système énergétique, est-il possible de les apporter sans courir le risque de créer des pénuries dans un domaine qui est essentiel à la fiabilité de l’énergie ? Il est important de voir au-delà de toute partie du système. Les contraintes liées aux compétences et aux matériaux peuvent également être ressenties par les utilisateurs finaux, qu’il s’agisse d’entreprendre des rénovations résidentielles ou de remettre en état une centrale industrielle pour utiliser l’électricité ou l’hydrogène.
6.4 Cybermenaces et menaces physiques
Le système énergétique du Canada doit composer avec d’importantes menaces en matière de cybersécurité et de sécurité physique qui peuvent perturber les opérations, mettre en danger la sécurité publique et compromettre la sécurité économique et nationale. Ces menaces se multiplient — et deviennent de plus en plus sophistiquées — à mesure que les exploitants adoptent les technologies numériques et l’intelligence artificielle pour la gestion et le contrôle de leurs systèmes et infrastructures, qui sont de plus en plus interconnectés.
Suncor Energy, une entreprise de premier plan dans le secteur des sables bitumineux, a connu un important incident de cybersécurité au milieu de 2023. Cette attaque, qui aurait été perpétrée par un groupe de pirates informatiques sophistiqué, a entraîné une interruption temporaire des activités de Suncor, et a coûté à l’entreprise non seulement des millions de dollars, mais a aussi entaché sa réputation.
Les pirates ont ciblé le réseau des technologies opérationnelles (« TO ») de Suncor, qui contrôle les processus et les dispositifs physiques dans les systèmes industriels de l’entreprise. Ils ont réussi à infiltrer le réseau d’entreprise de Suncor, puis se sont immiscés latéralement dans le réseau des TO en exploitant les interconnexions entre elles. Une fois à l’intérieur du réseau, ils ont lancé une attaque par rançongiciel qui a verrouillé des systèmes essentiels et ont exigé une rançon pour rétablir l’accès.
La plupart des secteurs de Suncor n’ont connu aucune interruption de l’approvisionnement et de la livraison des carburants, mais certaines parties de son système de paiement installé dans les stations-service et les dépanneurs ont été touchées. Quoi qu’il en soit, cet incident soulève d’importantes questions sur ce qui peut être fait pour prévenir de tels incidents[9].
6.5 Suffisance des ressources en électricité
Après de nombreuses années durant lesquelles la demande d’électricité est pratiquement restée stable, les prévisionnistes prévoient maintenant une augmentation importante des besoins en électricité. Par exemple, BC Hydro a récemment déclaré que la demande d’électricité devrait augmenter de 15 % d’ici 2030 en Colombie-Britannique. En Ontario, la SIERE prévoit des augmentations d’environ 24 % d’ici 2030, de 37 % d’ici 2035 et de 75 % d’ici 2050.
Qu’est-ce qui explique cette augmentation de la demande ? Elle s’expliquerait par plusieurs causes. L’une des principales raisons pour lesquelles la demande est demeurée pratiquement stable ces dernières années est attribuable aux mesures prises par les services publics pour accroître l’efficience énergétique. Ces économies du côté de la demande compensent l’augmentation de la demande d’électricité attribuable à la croissance de la population et du PIB, ce qui laisse la demande relativement stable. Cependant, grâce à des mesures comme le remplacement des ampoules incandescentes par des ampoules à LED et à l’amélioration considérable des solutions d’isolation des bâtiments largement disponibles, une bonne partie de ces « solutions simples » ont été adoptées. De plus, le taux de croissance de la population est en hausse. L’augmentation importante de 3 % de la population canadienne en 2023 représente le taux de croissance annuel le plus élevé de l’histoire récente, bien que cette croissance ait quelque peu ralenti pour s’établir à 2,4 % en 2024[10].
L’augmentation du nombre de centres de données, en particulier pour alimenter l’essor de l’intelligence artificielle, stimule aussi considérablement la demande d’électricité. Les centres de données devraient représenter 13 % de la nouvelle demande d’électricité et 4 % de la demande totale prévue en Ontario en 2035[11]. Les avancées très récentes dans la recherche et le développement sur l’IA pourraient se traduire par une consommation d’énergie beaucoup plus faible, bien que l’IA ne soit que l’un des éléments de la croissance de la demande provenant des centres de données. Cela dit, l’incidence de la croissance de la demande provenant des centres de données ne peut pas encore être prévue avec exactitude.
L’augmentation prévue de la charge pour les véhicules électriques, les thermopompes électriques pour remplacer les fournaises au gaz naturel et les pompes à chaleur à compression électrique pour les installations d’exportation de GNL, sont autant de facteurs qui contribuent à l’augmentation de la charge électrique.
L’offre suit-elle cette hausse de la demande ? Selon la NERC, pas partout[12] :
Résumé des domaines d’évaluation de la capacité et des risques énergétiques |
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Secteur |
Niveau de risque |
Années |
Résumé du risque |
Midcontinent Independent System Operator (MISO) |
Élevé |
2025 |
Les ajouts de ressources ne suivent pas le rythme des mises hors service des génératrices et de la croissance de la demande. Les marges de réserve sont inférieures aux niveaux de la marge de référence (« NMR ») en hiver et en été. |
Manitoba |
Rehaussé |
2028 |
Possibilité de pénuries de ressources dans les conditions de faible production hydroélectrique, exacerbées par une demande croissante. |
SaskPower |
Rehaussé |
2026 |
Risque d’une production insuffisante à l’automne et au printemps tandis qu’un plus grand nombre de génératrices deviennent hors réseau pour entretien. |
Southwest Power Pool (SPP) |
Rehaussé |
2025 |
Les pénuries d’énergie potentielles pendant les périodes de pointe estivales et hivernales découlent des conditions de vent faible et du risque lié au gaz naturel. |
New England |
Rehaussé |
2026 |
La forte croissance de la demande et les limitations persistantes touchant l’infrastructure du gaz naturel en hiver présentent des risques d’insuffisance de l’offre dans des conditions hivernales extrêmes. |
Ontario |
Rehaussé |
2027 |
Les marges de réserve sont inférieures aux NMR à mesure que les réacteurs nucléaires font l’objet d’une remise en état et que certains contrats d’échange de ressources expirent. La croissance de la demande s’ajoute également aux besoins d’approvisionnement en ressources. |
PJM |
Rehaussé |
2026 |
Les ajouts de ressources ne suivent pas le rythme des mises hors service des génératrices et de la croissance de la demande. Les saisons hivernales remplacent l’été comme période à risque élevé en raison du rendement des génératrices et des problèmes d’approvisionnement en carburant. |
SERC East |
Rehaussé |
2028 |
La croissance de la demande et les mises hors service prévues des génératrices contribuent à l’augmentation des risques énergétiques. La charge est à risque dans des conditions hivernales extrêmes qui entraînent une flambée de la demande alors que les approvisionnements sont menacés par le rendement des génératrices, des problèmes de carburant et l’incapacité d’obtenir des transferts d’urgence. |
Electricity Reliability Council of Texas (ERCOT) |
Rehaussé |
2026 |
La montée en flèche de la charge soulève des préoccupations quant à la suffisance des ressources, car la part des ressources disponibles dans le mélange peine à suivre le rythme. Les conditions météorologiques hivernales extrêmes peuvent causer les pertes dues à la charge les plus graves. |
Californie-Mexique |
Rehaussé |
2028 |
La croissance de la demande et les mises hors service prévues des génératrices peuvent entraîner une des insuffisances de l’offre pendant les épisodes de chaleur à grande échelle qui limitent l’offre d’énergie disponible pour l’importation. |
Colombie-Britannique |
Rehaussé |
2027 |
La sécheresse et les températures extrêmement froides en hiver peuvent entraîner des périodes où les réserves d’exploitation sont insuffisantes lorsque les régions avoisinantes ne sont pas en mesure de fournir un surplus d’énergie. |
Dans certaines régions, l’intégration de grandes quantités de sources d’énergie renouvelable intermittentes dans le réseau électrique, en particulier les énergies éolienne et solaire, pose des défis, principalement en raison de leur variabilité et de leur imprévisibilité. Ces sources dépendent des conditions météorologiques : l’énergie solaire ne génère de l’énergie que pendant les heures de clarté et est affectée par la couverture nuageuse, tandis que l’énergie éolienne dépend de la vitesse du vent, qui peut fluctuer.
Cette intermittence peut entraîner un décalage entre l’offre et la demande d’énergie, en particulier pendant les périodes de pointe où la production d’énergie renouvelable peut être insuffisante. En l’absence de solutions adéquates de stockage d’énergie ou de production d’appoint, le réseau risque de devenir instable ou de tomber en panne. Nous allons examiner cela un peu plus en détail dans la sous-section suivante. Pour relever ces défis, il faut investir dans l’infrastructure du réseau, le stockage d’énergie à grande échelle, les technologies répondant à une demande et des sources d’énergie diversifiées afin de garantir un approvisionnement en électricité stable et fiable.
Le gaz naturel répond de plus en plus au besoin d’une production d’appoint fiable. Cependant, de façon générale, la production de gaz naturel a tendance à dépendre d’un système de livraison juste à temps pour son carburant. Cela soulève des questions au sujet de la fiabilité de l’approvisionnement en gaz naturel et de l’incidence subséquente sur la fiabilité du réseau électrique. La NERC joue un rôle actif dans ce domaine et a publié un certain nombre d’analyses traitant de la question[13].
Voici d’autres problèmes de fiabilité liés au déploiement des énergies renouvelables intermittentes :
- Ressources fondées sur un onduleur — Les énergies solaire et éolienne génèrent un courant continu et exigent d’utiliser de l’électricité pour que les appareils électroniques convertissent le courant continu en courant alternatif. La maturité de cette technologie pose des défis sur le plan du maintien de la fiabilité, de la stabilité et de l’efficacité opérationnelle du réseau.
- Quantité croissante de solutions de production sur un réseau de distribution qui ne fait pas l’objet du même niveau de surveillance de la fiabilité que le réseau haute tension. Cela pose également un défi pour les opérations du réseau haute tension, car la « visibilité » de ces ressources de production est limitée.
6.5.1 Énergies renouvelables intermittentes
Partout dans le monde et au Canada, de plus en plus d’électricité est produite par des sources renouvelables intermittentes. Aux États-Unis, la Californie est en tête pour ce qui est de la quantité d’électricité produite à partir de l’énergie éolienne et de l’énergie solaire. Selon l’Association des industries solaires, la Californie a produit 46 874 MW à la fin de 2023, ce qui représente 28 % de la production d’électricité de l’État. L’énergie éolienne représentait 6,9 % de la production en 2022.
Comment le réseau d’électricité prend-il en charge le fait qu’un tiers de son électricité est produite par des sources intermittentes ? Selon l’Independent System Operator de la Californie (« CAISO »), une façon consiste à :
procéder à des interruptions de service en alternance, ou à des réductions de charge contrôlées, à savoir des interruptions de courant relativement courtes, en alternance dans le bassin de collectivités, afin de réduire la demande pour l’aligner sur l’offre et maintenir la fiabilité du réseau. Les interruptions planifiées permettent d’optimiser l’utilisation de l’énergie disponible lorsque l’offre est insuffisante et de veiller à ce que le réseau ne tombe pas en panne en raison d’interruptions incontrôlées ou imprévues, tout en limitant les interruptions au plus petit groupe de clients dans une zone plus confinée pour des périodes plus courtes [traduction][14].
Les interruptions en alternance ne sont pas toutes causées par une pénurie d’électricité provenant de sources intermittentes. Comme l’a souligné le CAISO, en plus de la couverture nuageuse et du manque de vent, qui réduisent la production d’énergie solaire et éolienne et affectent l’offre, plusieurs autres facteurs peuvent influer sur la disponibilité de l’énergie. Parmi les principaux, notons des températures élevées qui entraînent une utilisation accrue de la climatisation et une augmentation de la demande d’électricité, ainsi que des pannes imprévues de centrales ou de lignes de transport causées par une défaillance mécanique, un feu de forêt ou des contraintes sur les lignes de transport.
Le CAISO a amorcé des interruptions en alternance les 14 et 15 août 2020. Cela faisait près de deux décennies qu’aucune interruption n’avait été imposée en raison de pénuries d’énergie. Qu’est-ce qui a déclenché cette interruption en alternance? Selon l’analyse des causes fondamentales commandée par le gouverneur à la suite de cet événement, trois facteurs ont exigé des interruptions en alternance :
- une vague de chaleur extrême dans l’Ouest des États-Unis qui a entraîné une demande d’électricité supérieure aux cibles actuelles en matière de suffisance et de planification des ressources en électricité;
- en fin d’après-midi, la production d’énergie solaire diminue plus rapidement que la demande;
- certaines pratiques du marché énergétique du prochain jour ouvrable ont exacerbé les problèmes d’approvisionnement.
Dans l’ensemble du Canada, la part de production d’électricité à partir de sources renouvelables intermittentes est beaucoup plus faible, soit 6,6 % :
- Énergie éolienne : Passe de 1,5 % en 2013 à 5,8 % en 2022.
- Énergie solaire : Passe de 0,1 % en 2013 à 0,8 % en 2022.
Cependant, l’énergie produite à partir de sources solaire et éolienne n’est pas distribuée uniformément dans tout le pays. En 2021, l’Île-du-Prince-Édouard se classe au premier rang des provinces, 99 % de son électricité étant produite par le vent. Viennent ensuite l’Alberta avec 20 % d’énergie éolienne et 6 % d’énergie solaire, puis l’Ontario avec 10 % d’énergie éolienne et 2,5 % d’énergie solaire[15].
Même compte tenu de ces taux de pénétration plus faibles, les énergies renouvelables intermittentes peuvent encore avoir un impact si le vent ne souffle pas ou si le soleil ne brille pas. Par exemple, le 5 avril 2024, l’Alberta Electric System Operator (« AESO ») a procédé à un délestage ferme pour la première fois depuis 2013. Bien que la demande d’électricité ait été relativement faible le 5 avril, alors que les températures dominantes avoisinaient 0 °C dans l’ensemble de l’Alberta, il y a eu un nombre élevé de pannes de génératrices thermiques et une faible production éolienne, ce qui a réduit l’offre[16].
Avant le délestage, une période de temps exceptionnellement froid a entraîné une forte demande, ce qui a amené l’AESO à déclarer une situation d’alerte énergétique pendant quatre jours consécutifs, soit du 12 janvier au 15 janvier 2024. Les alertes énergétiques indiquent que le réseau d’électricité de la province est soumis à des contraintes, qu’il pourrait y avoir une pénurie et qu’il faut prendre des mesures pour garantir sa stabilité. L’AESO a déclaré que « le froid extrême qui entraîne une demande d’énergie élevée a placé le réseau de l’Alberta dans une situation où il y a un risque élevé d’interruptions du service en alternance. Par conséquent, il a demandé aux Albertains de limiter immédiatement leur consommation d’électricité à des besoins essentiels seulement » [traduction][17].
Le rapport sur les interruptions attribuait les alertes énergétiques à une combinaison de pannes de génératrices existantes et d’une production éolienne très faible tout au long de la journée. Le rapport indique également que les prévisions de vent avaient anticipé une faible production éolienne vers le 11 janvier 2024.
6.6 Politique publique et décarbonation du système énergétique canadien ?
Bon nombre des changements touchant le système énergétique du Canada que nous observons, et que l’on continuer probablement d’observer, sont dictés non pas principalement par la demande organique ascendante, mais plutôt par une politique descendante. Cette politique fixe diverses cibles et divers objectifs pour 2030, 2035, 2040 et d’ici 2050 un objectif de zéro émission nette de GES dans l’ensemble de l’économie.
Quelle importance cette politique accorde-t-elle à la fiabilité énergétique ? Compte tenu du rythme et l’ampleur des changements proposés, est-il possible de les apporter sans courir le risque de créer des pénuries dans un domaine qui est essentiel à la fiabilité de l’énergie ? Il est également important de voir au-delà d’une partie précise du système. Certaines des incidences les plus importantes sur la fiabilité peuvent être ressenties par les utilisateurs finaux, car la façon dont ils utilisent différents types d’énergie est susceptible de changer, que ce soit à la suite de rénovations résidentielles ou du rééquipement d’une centrale industrielle pour utiliser de l’électricité ou de l’hydrogène.
De plus en plus, la politique énergétique pousse au remplacement des combustibles fossiles liquides et gazeux par l’électricité — remplaçant les molécules par des électrons qui doivent être produits ou générés à l’aide d’énergie. Cependant, comme nous l’avons vu ci-dessus, la suffisance des ressources en électricité soulève déjà des préoccupations. D’où viendra l’électricité nécessaire à une politique de consommation énergétique nette zéro qui repose sur l’électricité ?
Des mesures ont déjà été prises pour accélérer le passage à l’électricité, y compris l’interdiction du gaz naturel par les municipalités. Un certain nombre de municipalités canadiennes ont interdit ou restreint l’utilisation du gaz naturel dans la construction de nouveaux bâtiments, y compris la Communauté métropolitaine de Montréal, la Ville de Vancouver, la Ville de Richmond (C.-B.), Nanaimo (C.-B.) et Prévost (Québec).
De plus, deux récentes décisions règlementaires ont révélé que la demande de gaz naturel diminuera considérablement en raison de l’électrification accrue. Dans un cas, on a refusé un projet d’immobilisations visant à améliorer un pipeline et, dans un autre cas, on a refusé toute période d’amortissement pour certains investissements dans les infrastructures de gaz naturel[18].
Ces mesures sont peut-être bien intentionnées, mais se demande-t-on s’il y aura suffisamment d’électricité disponible à un prix abordable pour le Canadien moyen l’incitant à remplacer le gaz naturel nécessaire pour chauffer sa maison, et alimenter les entreprises et l’industrie énergétique ? S’il n’y a pas suffisamment d’électricité, d’où viendra-t-elle ?
Un article récent de la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie traite plus en détail de ces décisions[19]. Cet article concluait ce qui suit :
Pour que les organismes de règlementation puissent prendre des décisions éclairées, il faut une vision holistique d’une transition énergétique qui n’est pas toujours compatible avec de telles vues. Cela exige également que les décideurs fournissent une orientation stratégique claire, dans la mesure du possible. Pourtant, lorsque cela n’est pas possible, ils doivent s’assurer d’encourager et d’appuyer l’organisme de règlementation pour qu’il prenne des mesures qui tiennent compte de tous les aspects du système énergétique lorsque celui-ci rend des décisions au sujet de la transition énergétique[20].
Bien que les politiques énergétiques fédérales et provinciales puissent de plus en plus pencher en faveur de l’électrification comme étant « LA » voie pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050, il pourrait aussi y avoir d’autres voies viables. Les autres options comprennent, sans toutefois s’y limiter :
- Des solutions de CUSC dans les procédés industriels et basés sur des combustibles fossiles pour permettre des opérations à consommation énergétique nette zéro sans électrification complète.
- Une utilisation accrue des mini-réseaux et des microréseaux d’énergie, y compris les systèmes thermiques de quartier utilisant la production combinée de chaleur et d’électricité (PCCE).
- L’hydrogène vert ou à faible teneur en carbone pour remplacer les combustibles fossiles dans les industries et les transports.
- Des biocarburants et des combustibles synthétiques pour décarboniser l’aviation, le transport maritime et d’autres secteurs difficiles à décarboniser.
- L’utilisation de la biomasse pour le chauffage.
- L’énergie nucléaire au moyen de réacteurs nucléaires avancés et de petits réacteurs modulaires (« PRM ») pour fournir une chaleur de haute température à l’industrie, réduisant ainsi sa dépendance aux combustibles fossiles. Cela pourrait se faire en conjonction avec des systèmes énergétiques de quartier utilisant la PCCE.
- Géothermie et chaleur renouvelable/résiduelle pour remplacer le chauffage à base de combustibles fossiles dans les bâtiments et les procédés industriels, y compris les systèmes de PCCE.
Il est important d’examiner ces solutions de rechange non seulement du point de vue des coûts, mais aussi d’examiner l’effet sur la fiabilité de l’adoption — ou de la non-adoption — de ces voies énergétiques.
7. RÉSUMÉ
Dans cet article, nous avons examiné certains des défis liés à la distribution continue d’une énergie fiable aux Canadiens. Pour évaluer ces défis et les relever, il est important de comprendre les interdépendances du système et de ne pas adopter une approche cloisonnée. Il est également important de reconnaître que la plus grande menace peut ne pas avoir encore été cernée — les incertitudes inconnues. Malgré cela, les incertitudes connues reviennent parfois à la charge de façon assez féroce, ce qui démontre une lacune importante dans la préparation d’événements habituellement peu fréquents. On peut penser par exemple à la fermeture du Colonial Pipeline[21] et au gel des puits de gaz au Texas en 2021[22]. Tandis que nous en apprenons davantage sur les menaces en général, nous pouvons améliorer la préparation en vue d’événements indésirables futurs.
Le renforcement des infrastructures améliore la fiabilité et la résilience face à de nombreuses menaces, mais exige une approche réfléchie. Les investissements sont considérables et l’infrastructure énergétique a une longue durée de vie utile. Par conséquent, les périodes de rendement pour les investisseurs sont prolongées. De plus, il faut tenir compte du rendement décroissant des investissements pour les besoins de la fiabilité, dont nous avons discuté plus tôt.
La politique publique visant à atteindre la carboneutralité a de plus en plus d’incidence sur la fiabilité du réseau énergétique, et cette incidence pourrait bien s’accroître. Au moment de la rédaction du présent article, il y a peu de consensus sur une approche qui établit un équilibre entre la fiabilité et la résilience et d’autres objectifs clés — abordabilité et émissions de GES — et peu de compréhension de la façon dont ce consensus peut être atteint. Ce manque de consensus nous expose tous au risque d’un accès réduit à une énergie fiable.
- *David Morton est un ingénieur qui cumule plus de 45 ans d’expérience. Il se spécialise dans la règlementation des services publics et la politique énergétique. Il a dirigé la British Columbia Utilities Commission (BCUC), où il a notamment mené plusieurs enquêtes importantes pour le compte du gouvernement de la Colombie-Britannique. Il demeure actif au sein d’associations internationales de règlementation de l’énergie et participe fréquemment à des
conférences et à des séances de formation à l’échelle mondiale. - 1 Antje, Orths et al., « Flexibility From Energy Systems Integration: Supporting Synergies Among Sectors », (2019) 17:6 IEEE Power and Energy Mazazine, à la p 1, en ligne (pdf) : <esig.energy/wp-content/uploads/2020/01/PRE-RINT-Orths-Flexibility-from-Energy-Systems-Integration-.pdf>.
- 2 Dans les provinces de l’Atlantique et au Nunavut, les prix de l’essence et du diesel sont fixés, soit au niveau de la vente en gros ou au détail. Au Québec, la « Régie de l’énergie » établit un prix minimum en deçà duquel les détaillants ne peuvent pas vendre.
- 3 Daniel Scholten, Keeping an Eye on Reliability: The Organizational Requirements of Future Renewable Energy Systems, (Academic Publishers, 2012).
- 4 Le déclenchement s’entend de l’activation d’un disjoncteur ou d’un autre dispositif de protection, qui interrompt l’alimentation pour prévenir les dommages, la surchauffe ou l’incendie.
- 5 Richard Vanderford, « Natural Disasters Cost $417 Billion Worldwide in 2024 » (22 Janvier 2025), en ligne : <wsj.com/articles/natural-disasters-cost-417-billion-worldwide-in-2024-1bf513f3?msockid=2ef09c59de7f6a360bf988a1dfc76b32>.
- 6 Carrières dans le secteur de l’énergie, La main-d’œuvre du secteur de l’énergie au Canada : Perspectives du marché du travail national à l’horizon 2035 (Calgary : Carrières dans le secteur de l’énergie, 2024) à la p 30, en ligne (pdf) : <careersinenergy.ca/wp-content/uploads/2024/04/FINAL_CIE-National-Outlook-FR_Apr-25.pdf>.
- 7 Ressources humaines, industrie électrique du Canada, L’électricité en demande : Perspectives du marché du travail 2023 à 2028 (Ottawa : Ressources humaines, industrie électrique du Canada, 2023) à la p 12, en ligne (pdf) : <ehrc.ca/wp-content/uploads/2023/11/EHRC_LMIReport-FR_Digital_v2-1.pdf>.
- 8 Ibid at 88.
- 9 TeckPath, « A Deep Dive into the Suncor Cybersecurity Incident » (18 Septembre 2023), en ligne : <teckpath.com/a-deep-dive-into-the-suncor-cybersecurity-incident>.
- 10 Statistique Canada, Estimations de la population, trimestrielles, tableau 17-10-0009-01, (Ottawa : Statistique Canada, dernière modification le 30 Avril 2025), en ligne : <150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/fr/tv.action?pid=1710000901&cubeTimeFrame.startMonth=10&cubeTimeFrame.startYear=2013&cubeTimeFrame.endMonth=10&cubeTimeFrame.endYear=2024&referencePeriods=20131001%2C20241001&request_locale=fr>.
- 11 Société indépendante d’exploitation du réseau d’électricité, 2025 Annual Planning Outlook : Demand Forecast Information Session, Resource Planning : Demand and Conservation Planning (Société indépendante d’exploitation du réseau d’électricité, 2024), en ligne (pdf) : <ieso.ca/-/media/Files/IESO/Document-Library/engage/apo/APO-20241016-presentation-demand-forecast.pdf>. Au moment de l’achèvement du présent article, des avancées récentes laissent entendre que la consommation d’électricité par attribuable à l’IA pourrait être beaucoup plus faible qu’on ne l’avait prévu au départ.
- 12 North American Electric Reliability Corporation: 2024 Summer Reliability Assessment, May 2024, (North American Electric Reliability Corporation, 2024), en ligne (pdf) : <nerc.com/pa/RAPA/ra/Reliability%20Assessments%20DL/NERC_SRA_2024.pdf>.
- 13 Voir, par exemple, North American Electric Reliability Corporation : Reliability Guideline: Fuel Assurance and Fuel-Related Reliability Risk Analysis for the Bulk Power System, (Atlanta: North American Electric Reliability Corporation, 2023), en ligne (pdf) : <nerc.com/comm/RSTC_Reliability_Guidelines/Fuel_Assurance_and_Fuel-Related_Reliability_Risk_Analysis_for_the_Bulk_Power_System.pdf>.
- 14 California Independent System Operator, Fact Sheet: Rotating power outages, (2023), en ligne (pdf) : <caiso.com/Documents/Rotating-Power-Outages-Fact-Sheet.pdf>.
- 15 Régie de l’énergie du Canada, « Profils énergétiques des provinces et territoires » (dernière modification le 6 septembre 2024), en ligne : <cer-rec.gc.ca/fr/donnees-analyse/marches-energetiques/profils-energetiques-provinces-territoires>.
- 16 Alberta Market Surveillance Administrator, Alberta electricity system events on January 13 and April 5, 2024: MSA review and recommendations, (Alberta Market Surveillance Administrator, 2024), en ligne (pdf): <albertamsa.ca/assets/Documents/January-and-April-2024-Event-Report.pdf>.
- 17 Ibid à la p 6.
- 18 Phase 1 de l’instance sur les tarifs 2024-2028 d’Enbridge Gas Inc. (21 décembre 2023), EB-2022-0200, à la p 2, en ligne (pdf) : CEO <rds.oeb.ca/CMWebDrawer/Record/827754/File/document>. Voir aussi FortisBC Energy Inc : Application for Certificate of Public Convenience and Necessity for the Okanagan Capacity Upgrade Project (22 décembre 2023), G-361-23, en ligne : BCUC <ordersdecisions.bcuc.com/bcuc/decisions/en/522057/1/document.do>.
- 19 David Morton, « La transition énergétique et le gaz naturel : Deux organismes de règlementation s’expriment » (2024) 12 :4 Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie, en ligne : <energyregulationquarterly.ca/fr/articles/the-energy-transition-and-natural-gas-two-regulators-speak-out>.
- 20 Ibid.
- 21 Colonial Pipeline, un important gazoduc américain, a été la cible d’une attaque par rançongiciel de la part du groupe DarkSide. Cette attaque a entraîné la fermeture temporaire du gazoduc, ce qui a provoqué une pénurie généralisée de carburant et une fièvre d’achat le long de la côte Est. Colonial Pipeline a fini par payer une rançon aux pirates, mais l’attaque a mis en évidence la vulnérabilité des infrastructures essentielles aux cybermenaces. Voir généralement Shariq Khan, « Colonial Pipeline main US gasoline artery likely shut Friday » (dernière modification le 15 janvier 2025), en ligne : <Reuters.com/business/energy/colonial-pipelines-main-us-gasoline-artery-likely-shut-until-Friday-2025-01-15>.
- 22 Au Texas, durant les fortes tempêtes hivernales, les températures glaciales peuvent perturber la production de gaz naturel en provoquant le « gel » de têtes de puits et de pipelines, lequel entraîne une réduction de l’approvisionnement en gaz. Ces températures entraînent la formation de glace ou d’hydrates qui bloquent le flux de gaz. Ce phénomène peut entraîner l’arrêt des centrales électriques et avoir une incidence sur l’approvisionnement énergétique global.