La modernisation du Traité du fleuve Columbia : arrangements provisoires pour la mise en œuvre de l’entente de principe

Le présent commentaire porte sur les arrangements provisoires que les États-Unis et le Canada (« les Parties ») ont adoptés pour combler l’écart temporel (la « période intérimaire » entre l’entente de principe[1] (« EdP ») sur un traité du fleuve Columbia[2] « modernisé » (« TFC » ou « Traité ») adopté à la mi-2024, ainsi que sur la conclusion et la ratification du texte définitif du traité modernisé à une date ultérieure. Les arrangements provisoires consistent en trois séries de documents : (1) un échange de notes entre le Canada et les É.-U.[3] au sujet d’un plan d’exploitation assuré en vertu du Traité du fleuve Columbia pour 2024-2025 (18 et 20 septembre 2024) et une entente des parties sur la détermination des avantages tirés de la production d’électricité pour les régions en aval pendant la période intérimaire (13, 16 et 17 septembre 2024)[4]; (2) un échange de notes entre le Canada et les États-Unis concernant des arrangements provisoires relatifs à des activités d’exploitation planifiées aux fins de la gestion des risques d’inondation (18 et 22 novembre 2024)[5]; (3) une entente entre les Entités[6] concernant des arrangements relatifs à des activités d’exploitation planifiées aux fins de la gestion des risques d’inondation (14 et 15 novembre 2024).

En pratique, les Parties et leurs entités opérationnelles[7] (les « Entités ») utilisent la capacité opérationnelle attribuée par le Traité[8] pour mettre en œuvre de façon sélective certaines des modalités de l’EdP non contraignante. Les Parties et leurs Entités ont choisi d’accorder la priorité à la mise en œuvre rapide des nouvelles dispositions de l’EdP relatives à la régulation des élévations des niveaux d’eau et à la génération d’électricité, mais n’ont pas accordé la même priorité aux autres éléments de l’EdP, notamment celles traitant des considérations écosystémiques, et à la création du « Joint Ecosystem and Indigenous and Tribal Cultural Values Body » (« JEB »). Les arrangements provisoires ne traitent pas non plus de deux groupes de dispositions de l’EdP qui visaient clairement à conférer un avantage au Canada; premièrement, une indemnité annuelle supplémentaire versée au Canada pour des « avantages supplémentaires »[9] découlant d’activités coordonnées, et deuxièmement, certaines règles en matière de flexibilité conçues pour permettre au Canada (Colombie-Britannique) « de procéder à des activités prévues dans le Traité pour réaliser des priorités nationales, comme celles concernant l’environnement, les valeurs culturelles autochtones et les avantages socioéconomiques » [traduction][10].

La publication explique d’abord pour quelles raisons il pourrait être nécessaire pour les Parties de conclure des arrangements provisoires. Elle poursuit par une brève description des règles et pratiques relatives à l’échange de notes diplomatiques et aux ententes entre les Entités. Elle porte ensuite, en premier lieu, sur les arrangements provisoires relatifs à la régulation des élévations des niveaux d’eau ou la gestion des risques d’inondation, puis sur l’exploitation aux fins de la génération d’électricité et les avantages de celle-ci en aval. Dans chaque cas, l’analyse commence par un résumé des dispositions applicables du Traité, puis des dispositions pertinentes de l’EdP, et enfin des mesures provisoires que les Parties et leurs entités opérationnelles ont adoptées pour traiter chaque sujet principal (régulation des élévations des niveaux d’eau et génération d’électricité).

L’ENTENTE DE PRINCIPE ET LE BESOIN DE MESURES PROVISOIRES

Le 8 juillet 2024, le Canada et les États-Unis ont annoncé qu’ils avaient conclu une entente de principe[11] sur un traité du fleuve Columbia « modernisé ». J’ai rédigé deux publications à propos de ce développement important[12]. Les Parties n’ont pas publié le libellé intégral de l’EdP, mais plutôt un « document public »[13] la résumant. Cette omission s’avère problématique dans le contexte actuel, car au moins certains des documents qui font l’objet de cette publication renvoient expressément au libellé de l’EdP.

Les Parties ont poursuivi leurs négociations après avoir conclu l’EdP, mais n’ont pas encore convenu du libellé des modifications requises — modifications qui seraient ensuite assujetties aux processus nationaux de ratification dans chaque État avant que le traité modernisé puisse entrer en vigueur. Dans le cas de nombreux traités, cela ne poserait pas de problème, car le traité existant demeurerait simplement en vigueur jusqu’à ce que les nouveaux arrangements puissent être finalisés. Et dans la plupart des cas, on pourrait s’attendre à ce qu’ils le soient assez rapidement. Cependant, dans le cas du Traité du fleuve Columbia, rien ne semble vouloir évoluer en ce sens, et ce, pour deux raisons : l’une intrinsèque au Traité, et l’autre, extrinsèque.

Bien que le TFC, globalement, n’ait pas de date de fin particulière (en fait, il ne peut être résilié qu’en partie et, le cas échéant, sous réserve d’un préavis de dix ans[14]), le problème intrinsèque du TFC réside dans le fait que le régime de régulation des élévations des niveaux d’eau du Traité a changé automatiquement à minuit le 15 septembre 2024, la veille du 60e anniversaire de son entrée en vigueur. Plus précisément, le régime de régulation des crues du Traité est passé de l’exploitation assurée prévue au paragraphe 2 de l’article IV du Traité à ce qu’on appelle l’exploitation « sur demande » précisée au paragraphe 3 de l’article IV et assujettie aux modalités du protocole du Traité de 1964. L’exploitation assurée aux fins de la régulation des élévations des niveaux d’eau a été prévue par les dispositions du paragraphe 5 de l’annexe A (Principes d’exploitation) du Traité et les Plans d’exploitation aux fins de la régulation des élévations des niveaux d’eau (« PERC »). Le PERC actuel adopté en mai 2003[15] est effectivement remplacé en raison de l’expiration de l’article IV (2) du Traité.

Toutefois, il reste des incertitudes considérables quant à la façon de mettre en œuvre l’exploitation « sur demande », et cela a peut-être été le facteur le plus important derrière les négociations de l’EdP. La perte pour les États-Unis d’une exploitation assurée aux fins de la régulation des crues a procuré au Canada l’un de ses plus importants leviers de négociation, puisqu’elle lui a permis de demander aux États-Unis de faire des concessions en échange de son assentiment à leur offrir une plus grande certitude grâce à une exploitation mieux planifiée aux fins de la régulation des élévations des niveaux d’eau. L’EdP a répondu à cette préoccupation, mais elle ne crée pas d’obligations juridiques pour l’une ou l’autre des Parties et n’est pas automatiquement mise en œuvre.

Le défi externe résulte des élections américaines de novembre 2024 et de la transition présidentielle subséquente en janvier 2025. Malgré les déclarations optimistes du secrétaire Blinken et de la ministre Joly en novembre 2024[16], il n’a jamais semblé probable que les Parties seraient en mesure d’élaborer le texte définitif du traité et d’en obtenir l’approbation avant la transition présidentielle. Il a donc fallu prévoir des dispositions transitoires concernant non seulement la régulation des élévations des niveaux d’eau, mais aussi l’exploitation aux fins de la génération d’électricité et les avantages de celle-ci en aval. Cela dit, les arguments en faveur d’arrangements provisoires traitant des avantages liés à la génération d’électricité en aval sont (juridiquement) beaucoup plus faibles que ceux en faveur d’une exploitation planifiée aux fins de la régulation des élévations des niveaux d’eau. Il en est ainsi simplement parce que le Traité lui-même ne prévoit aucun changement dans l’exploitation aux fins de la génération d’électricité à la date de son 60e anniversaire. N’empêche, les intérêts américains ont clairement exercé des pressions pour que les changements envisagés par l’EdP soient mis en œuvre le plus tôt possible. Quoi qu’il en soit, la principale question qui se pose probablement pour les deux Parties maintenant, et surtout pour le Canada, est celle de savoir quelle pourrait être la durée de cette période qui se veut intérimaire. Dans le scénario où les Démocrates auraient conservé le pouvoir, il aurait pu être raisonnable de s’attendre à une période intérimaire raisonnablement courte (dépendant des mesures nationales des États-Unis pour la mise en œuvre de tout amendement au traité), mais sous la présidence de Trump, il semble naïf d’anticiper soit la finalisation rapide ou à l’intérieur d’un délai prévisible du texte du traité, soit la conclusion rapide des procédures nationales de ratification. Bien sûr, il ne faut pas fermer la porte à d’autres scénarios. Compte tenu de la prorogation actuelle du Parlement et d’une élection fédérale probable cette année, vraisemblablement plus tôt que plus tard, il sera également difficile pour le Canada (sinon la Colombie-Britannique) de finaliser le texte et de procéder à la ratification — ce qui sous-tendra, du moins dans le cas du Canada, de déposer les modifications proposées au traité à la Chambre des communes[17]. Du reste, la voie vers la certitude de ce côté-ci de la frontière semble plus prévisible et réalisable dans un délai plus court que ce que nous observons chez nos voisins du sud.

En résumé, les États-Unis et le Canada sont parvenus à une entente de principe sur la façon de modifier le Traité, mais ils n’ont pas été en mesure de finaliser le texte et de se conformer aux procédures nationales de ratification pour respecter le délai interne imposé par les dispositions du Traité sur la régulation des crues, ou le délai externe imposé par le transfert du pouvoir exécutif aux États-Unis. Par conséquent, les deux administrations s’en sont remises à une série de mesures ponctuelles pour mettre en œuvre maintenant certaines des modifications convenues (en principe), seulement certaines d’elles, en attendant la finalisation et la ratification nationale du texte officiel du traité. Les Parties ont choisi de le faire au moyen d’une combinaison de notes diplomatiques et d’ententes entre les Entités responsables de l’exploitation. La prochaine étape consiste donc à examiner comment le TFC traite de tels instruments.

NOTES DIPLOMATIQUES ET ENTENTES ENTRE LES ENTITÉS

Les États consignent fréquemment des ententes entre eux sous forme d’échange de notes diplomatiques. Ces ententes prennent habituellement la forme d’une lettre d’un haut fonctionnaire ou d’un diplomate (par exemple un ambassadeur) exprimant la compréhension qu’a l’État A de l’entente qui a été conclue avec l’État B. Une personne de rang semblable dans l’État B répond par une lettre rédigée en termes parallèles reconnaissant cette même compréhension. Contrairement à une entente de principe, un échange de notes diplomatiques est un traité pour les besoins du droit international en ce sens qu’il « s’entend d’un accord international conclu par écrit entre États et régi par le droit international, qu’il soit consigné dans un instrument unique ou dans deux ou plusieurs instruments connexes, et quelle que soit sa dénomination particulière »[18]. Le TFC lui-même prévoit expressément que les Parties puissent utiliser un échange de notes pour confirmer ou modifier l’application du Traité de diverses façons. Voici quelques exemples pertinents tirés du texte du Traité :

  • Le paragraphe 1 de l’article IV exige un échange de notes pour confirmer l’adoption du premier plan d’exploitation relatif aux réservoirs de stockage au Canada, et encore une fois « si, de l’avis du Canada ou des États-Unis [un nouveau plan d’exploitation] s’écarte sensiblement du plan d’exploitation qui le précède immédiatement [le nouveau plan] doit, pour devenir en vigueur, être confirmé par un échange de notes… » [traduction][19].
  • Le paragraphe 1 de l’article VIII prévoit qu’avec l’approbation des deux parties, laquelle est attestée par un échange de notes, « une partie des avantages tirés de la génération d’électricité en aval auxquels le Canada a droit peut être cédée à des intérêts aux États-Unis… » [traduction][20].
  • Le paragraphe 4 de l’article XV exige que la Commission d’ingénieurs permanente, l’organe de contrôle du Traité, « se conforme aux instructions convenues par le Canada et les États-Unis, un échange de notes en faisant foi, relatives à son administration et à ses procédures » [traduction][21].
  • Le paragraphe 4 de l’article XIV, le plus important pour les besoins actuels, prévoit que « le Canada et les États-Unis peuvent, par un échange de notes, habiliter les entités à prendre en charge toute autre question couverte par la portée du Traité, ou les investir de ce mandat » [traduction][22].

Ce dernier exemple nous amène à la question des « Entités » et des ententes entre celles-ci. Le TFC reconnaît de façon pragmatique que, bien que le traité lui-même soit conclu entre les deux gouvernements, la responsabilité de la construction et de l’exploitation des réservoirs de stockage, de la coordination de leurs activités, et des installations de production et de transport connexes, ainsi que de la mise en œuvre générale des dispositions du traité, doit nécessairement relever d’autres entités désignées conformément au paragraphe (1) de l’article XIV du Traité. Les Entités désignées pour répondre aux impératifs opérationnels découlant du TFC sont BC Hydro pour le Canada et la Northwestern Division, US Army Corps of Engineers (« USACE ») et la Bonneville Power Administration pour les États-Unis. Les ententes entre les Entités ne sont pas des traités et ne sont pas régies par le droit international. Il convient également de mentionner que chaque Partie peut modifier, de temps à autre, l’Entité désignée.

LES ARRANGEMENTS PROVISOIRES SUR LA RÉGULATION DES CRUES ET LA GESTION DES RISQUES D’INONDATION

Avant d’examiner les arrangements provisoires relatifs à la régulation des élévations des niveaux d’eau et à la gestion des risques d’inondation que les Parties ont adoptés, il est bon de rappeler les dispositions du Traité sur la régulation des élévations des niveaux d’eaus ainsi que ce que les Parties ont dit publiquement sur leur EdP à ce sujet.

Le Traité et la régulation des crues

La régulation des crues était l’un des deux principaux objectifs du Traité (l’autre étant la génération d’électricité) lors de sa première négociation. Afin d’atteindre ces objectifs, le Canada a accepté de construire les trois barrages visés par le Traité, à savoir les barrages Keenleyside (Arrow), Duncan et Mica et de consacrer 15,5 millions d’acres-pieds (MAP) de ce réservoir de stockage à l’« une régulation améliorée du débit » [traduction][23]. Il se trouve que le Canada a construit des réservoirs de stockage supplémentaires (notamment derrière le barrage Mica), lesquels sont désignés comme des réservoirs de stockage hors traité. Pour ce qui est de la régulation des crues, le Canada a accepté de consacrer 8,45 MAP de réservoir de stockage prévu dans le Traité à la régulation des élévations des niveaux d’eau[24]. La plus grande partie de cet espace de stockage d’eau (7,1 MAP) consacrée à cette fin a été au départ désigné à Arrow, mais une série d’ententes entre les Entités (conclues en 1995) a redistribué l’obligation relative à la régulation des crues comme suit : Arrow, 3,6 MAP, Mica, 4,08 MAP et Duncan, 1,27 MAP (aucun changement) pour un total de 8,95 MAP (BC Hydro a accepté d’augmenter l’espace total de stockage aux fins de la régulation des élévations des niveaux d’eau de 0,5 MAP en retour du déplacement en amont de l’espace de stockage à cette fin d’Arrow à Mica)[25]. Cet espace de stockage d’eau a fait l’objet d’une exploitation assurée aux fins de la régulation des élévations des niveaux d’eau, dont il a été question dans l’introduction, jusqu’en 2024. En contrepartie des engagements liés à la construction et à l’exploitation, le Canada a reçu un paiement unique totalisant 64,4 millions de dollars américains[26].

Les paragraphes 4 et 5 de l’article IV[27] stipulent comment le Canada sera payé lorsqu’il fournira des services d’exploitation sur demande aux fins de la régulation des élévations des niveaux d’eau après 2024 : les États-Unis doivent payer au Canada « a) les frais d’exploitation engagés par le Canada aux fins de la régulation des élévations des niveaux d’eaus et b) une indemnité pour les pertes économiques subies par le Canada directement attribuables à la renonciation, par le Canada, à d’autres utilisations des eaux stockées pour assurer la régulation des élévations des niveaux d’eau » [traduction][28]. L’exploitation sur demande exige que le Canada exploite les réservoirs de stockage disponibles (visés par le Traité ou hors traité) « pour répondre aux besoins en matière de régulation des élévations des niveaux d’eau pendant la durée de la période d’inondation visée par la demande » [traduction][29].

Que disait l’EdP au sujet de la gestion des risques d’inondation ?

L’EdP traite de dispositions relatives aux inondations en utilisant le langage plus moderne de la gestion des risques d’inondation (« GRI ») plutôt que de la régulation des élévations des niveaux d’eau. Le « document public »[30] d’août 2024 est plutôt bref. Il aborde d’entrée de jeu le changement automatique des règles relatives à la régulation des élévations des niveaux d’eau du Traité, qui est entré en vigueur en septembre 2024, et enchaîne ensuite avec les dispositions suivantes :

Le Canada et les États-Unis prévoient de mettre à jour les activités d’exploitation planifiée aux fins de la gestion des risques d’inondation (aussi appelées les activités « assurées ») avec le Canada, en assurant la disponibilité de 3,6 MAP pour le réservoir Arrow jusqu’à l’année d’exploitation 2044 aux fins de la GRI pour les États-Unis.

La mise en œuvre de l’activité d’exploitation planifiée de 3,6 MAP à Arrow serait réalisée par les Entités de la même manière que l’activité d’exploitation du réservoir de stockage actuel :

      • ce volume serait évacué conformément à un graphique de retenue des eaux (« GRE »);
      • le remplissage coordonné des projets canadiens aux fins de la GRI pour les ÉtatsUnis se poursuivrait de la même façon qu’aujourd’hui, au moyen d’un remplissage proportionnel pour gérer les débits en aval. L’Entité américaine devrait présenter un Plan d’exploitation aux fins de la régulation des élévations des niveaux d’eau mis à jour reflétant le besoin de 3,6 MAP aux fins de la GRI. En coordonnant l’exploitation de tous les réservoirs de stockage d’eau visés par le Traité à toutes les fins, tous les efforts seraient déployés pour réduire au minimum les dommages causés par les inondations aux États-Unis et au Canada [traduction][31]

Fait à noter : bien que l’EdP soustrait les barrages Mica et Duncan des activités d’exploitation assurées aux fins de la réglementation des élévations des niveaux d’eau, le barrage à Arrow continuera d’être utilisé pour la même capacité de 3,6 MAP, comme c’est le cas depuis 1995. Le document public[32] ne définit pas le terme « remplissage proportionnel », et cet aspect devrait être précisé.

En ce qui concerne l’indemnisation pour l’exploitation planifiée aux fins de la GRI, le document public indique ce qui suit :

On s’attend à ce que les États-Unis compensent le Canada pour les activités d’exploitation planifiée aux fins de la GRI en lui versant une indemnité de 37,6 millions de dollars américains par année, indexée à l’inflation (selon l’indice des prix à la consommation aux É.-U. ou un facteur équivalent). Cette indemnisation devrait commencer la première année au cours de laquelle le Canada fournit les services planifiés aux fins de la GRI, ce qui peut être aussi tôt que la présente année d’exploitation. Cette indemnisation devrait prendre fin après l’année d’exploitation 2044. L’exécution des activités d’exploitation planifiées aux fins de la GRI prendra fin lorsque les versements de l’indemnité prendront fin [traduction][33].

Le document public reconnaît également que les activités d’exploitation assurées aux fins de la GRI s’ajouteront aux activités d’exploitation sur demande aux fins de la régulation des élévations des niveaux d’eau postérieures à 2024 décrites au paragraphe IV (3) du Traité[34] et aux paragraphes 1 et 2 du Protocole[35], au lieu de les remplacer. C’est ce qui ressort de l’engagement des parties à « élaborer un processus visant à améliorer la compréhension des positions respectives des Parties en ce qui concerne l’exploitation sur demande aux fins de la régulation des élévations des niveaux d’eau » [traduction][36]. J’ai examiné la position des Parties sur cette question, particulièrement en ce qui concerne le déclencheur d’une exploitation sur demande il y a plus de dix ans[37], et les Parties elles-mêmes, par l’intermédiaire de leurs entités respectives, ont énoncé leurs positions préliminaires (et conflictuelles) sur ces questions dans deux publications importantes[38].

Enfin, le document public[39] fait également référence à un intérêt mutuel dans la gestion du risque d’inondation au lac Kootenay qui sous-tend l’utilisation du barrage Libby (et peut-être aussi du barrage Duncan), ainsi qu’à une ordonnance relative à des « niveaux », au lac Kootenay, fixés par la Commission mixte internationale (on y fait aussi référence au paragraphe XII [6] du TFC).

Nous pouvons maintenant aborder la question de savoir comment les Parties ont mis en œuvre (ou non) ces dispositions de l’EdP dans les arrangements provisoires aux fins de la GRI.

COMMENT LES ARRANGEMENTS PROVISOIRES AUX FINS DE LA GRI METTENT-ILS EN ŒUVRE LES DISPOSITIONS DE L’EDP ?

En ce qui concerne l’entente provisoire aux fins de la GRI, il existe (par ordre chronologique) une entente entre les Entités sur les activités planifiées aux fins de la GRI (les 14 et 15 novembre 2024) et un échange de notes (les 18 et 22 novembre) entre les Parties. Malgré la chronologie de ces ententes, il est important de souligner que si la poursuite d’une activité d’exploitation planifiée est incompatible avec les modalités du Traité existant, nous devons identifier la source d’autorité qui pourra modifier les modalités divergentes. Cela exige une analyse hiérarchique plutôt que chronologique, car les Entités elles-mêmes n’ont manifestement pas la compétence requise pour modifier les modalités du Traité. Cela prête à penser que notre recherche en vue d’identifier la source d’autorité devrait commencer par l’examen de l’échange de notes, mais dans la pratique, il est plus facile d’examiner les deux documents (entente entre les Entités et échange de notes) en parallèle.

Prééminence du Traité sur les arrangements provisoires aux fins de la GRI

L’entente entre les Entités affirme que les arrangements entre les Parties et les Entités sont fondés sur l’alinéa XIV (2) (k) du Traité. Il s’agit de l’alinéa qui permet aux Entités d’élaborer et de mettre en œuvre des plans d’exploitation détaillés susceptibles de mener à des activités d’exploitation plus avantageuses pour les deux pays que celles qui seraient requises selon les modalités des annexes A et B du Traité[40]. En revanche, l’échange de notes considère que les arrangements sont en vigueur en vertu des modalités plus générales du paragraphe XIV (4) cité ci-dessus. À mon avis, il s’agit d’une explication plus convaincante des arrangements en tant que source d’autorité. En effet, il est remarquable que l’échange de notes adopte le libellé précis du paragraphe XIV (4) lorsque les Parties déclarent que « la portée du Traité » [traduction][41], qui reste en vigueur, comprend « des mesures coopératives pour la génération d’électricité et la réglementation des inondations » [traduction][42], des extraits du préambule du Traité, et qui englobe ainsi l’entente provisoire entre les Entités concernant la période d’exploitation aux fins de la GRI; plus tard, les Parties adoptent le libellé « habiliter ou investir du mandat » [traduction] et font expressément référence au paragraphe XIV (4).

Durée

L’entente entre les Entités et l’échange de notes prévoient que les arrangements provisoires s’appliqueront de la présente année d’exploitation (août 2024 au 31 juillet 2025) jusqu’au 31 juillet 2027 (c.-à-d. une période de trois ans), sauf s’ils sont remplacés plus tôt « le premier 31 juillet suivant l’entrée en vigueur du Traité modernisé » [traduction][43]. Toutefois, l’entente entre les Entités ajoute une réserve :

S’il apparaît aux Entités que le Traité modernisé n’entrera pas en vigueur avant le 1er juillet 2027, elles feront des efforts de bonne foi pour négocier une nouvelle entente entre elles relativement à la planification d’activités d’exploitation aux fins de la GRI qui continue de refléter l’entente de principe du 8 juillet 2024 [traduction][44].

Cet engagement n’est pas documenté dans l’échange de notes, mais son inclusion dans les ententes entre les Entités donne à penser que les Entités elles-mêmes ne sont pas trop optimistes quant à l’achèvement rapide de la modernisation officielle du Traité.

Planifié ou une option en faveur des États-Unis ?

L’entente entre les Entités et l’échange de notes renvoient aux arrangements comme des documents de planification, mais l’assurance d’exécution de ces activités d’exploitation planifiées n’est qu’unidirectionnelle, en faveur des États-Unis; il n’y a pas de réciprocité. Au lieu de cela, les deux arrangements offrent aux États-Unis l’option d’exiger que le Canada évacue l’eau stockée, comme l’exigent les modalités des ententes; et ce n’est que si et quand les ÉtatsUnis exercent cette option que les États-Unis sont tenus de verser 37,6 millions de dollars américains pour les avantages conférés par l’exploitation planifiée ou assurée au cours de l’année d’exploitation suivante. Bien que cela puisse offrir aux États-Unis la possibilité d’exercer l’option de manière à ce qu’elle joue en leur faveur (en influant sur leur responsabilité) en fonction des renseignements disponibles (par exemple sur le manteau neigeux, etc.) cela semble peu probable dans le cours normal des choses, car l’entente entre les Entités exige que les ÉtatsUnis fassent leur choix au plus tard le 30 septembre de l’année précédente. Ce n’est qu’à la première année (2024–2025) que les États-Unis ont été autorisés à reporter l’exercice de l’option jusqu’au 31 décembre 2024. Cela dit, il ne s’agit pas d’une règle ferme puisqu’elle permet aux Entités de convenir d’une date différente. Le choix est effectué par l’Entité américaine effectuant le paiement prescrit. Je ne sais pas si le paiement a été fait ou non pour cette année.

L’entente entre les Entités[45] et l’échange de notes restent fidèles à l’idée voulant qu’aucune disposition de ces arrangements, relative aux activités d’exploitation planifiée aux fins de la GRI, ne porte atteinte au droit des États-Unis de bénéficier d’une exploitation sur demande. L’échange de notes l’exprime en ces termes :

Le gouvernement des États-Unis partage la compréhension exprimée par le gouvernement du Canada dans sa note selon laquelle la prestation d’activités d’exploitation planifiée aux fins de la GRI, et le versement de l’indemnité de contrepartie, en vertu de l’entente provisoire entre les Entités concernant la période d’exploitation aux fins de la GRI, serait distincte de la prestation d’activités d’exploitation sur demande aux fins de la GRI (avec le versement de l’indemnité de contrepartie) en vertu du paragraphe 3 de l’article IV du Traité et n’aurait aucun lien avec elle [traduction][46].

Un nouveau Plan d’exploitation aux fins de la gestion des risques d’inondation

Comme il a été mentionné ci-dessus, le Plan d’exploitation aux fins de la régulation des élévations des niveaux d’eau (« PERC ») (2003) en vigueur a expiré à l’expiration de l’exigence d’exploitation assurée prévue au paragraphe 4 (2) du Traité. La mise en œuvre complète des activités planifiées aux fins de la GRI exige donc l’établissement d’un nouveau Plan d’exploitation aux fins de la gestion des risques d’inondation (« PEGRI »). L’entente entre les Entités (confirmée à cet égard par l’échange de notes) prévoit que les Parties suivront la pratique actuelle du PEGRI, de sorte que le PERC sera élaboré en premier lieu par l’US Army Corps of Engineers (« USACE »). L’entente entre les Entités confirme également que le PEGRI (y compris toute mise à jour) « ne s’appliquera pas aux activités d’exploitation du réservoir de stockage visé par le Traité de l’Entité canadienne, à moins que celle-ci ait accepté qu’il en soit autrement » [traduction][47].

L’entente entre les Entités prévoit que le nouveau PEGRI sera établi d’ici le 31 mars 2025. À défaut, l’Entente stipule que les entités appliqueront les règles d’exploitation actuelles (c’estàdire les règles en vigueur dans le cadre du PERC pour 2023–2024) avec des rajustements appropriés pour refléter la capacité de stockage aux fins de la GRI de 3,6 MAP à Arrow (comme le prévoit l’EdP) pendant la « période de remplissage aux fins de la régulation des élévations des niveaux d’eau » [traduction], définie dans le PERC comme la « période d’exploitation du réservoir aux fins de la régulation des élévations des niveaux d’eau qui commence 20 jours avant la date à laquelle le débit quotidien moyen naturel devrait dépasser 450 000 pi/s à The Dalles, en Oregon. La période de remplissage aux fins de la régulation des élévations des niveaux d’eaus prendra fin lorsqu’il n’y aura plus de risque d’inondation dans les zones endommagées au Canada et aux États-Unis […] » [traduction][48].

Il semble qu’à l’avenir, les modalités du PEGRI seront reflétées dans les plans d’exploitation assurés (« PEA ») successifs ou les plans d’exploitation détaillés (« PED ») adoptés par les Entités sur une base annuelle. Mais que se passe-t-il durant une année où les États-Unis n’effectuent pas leur paiement et n’exercent pas leur option relative à l’exploitation planifiée aux fins de la GRI ? L’entente entre les Entités suggère que dans un tel cas, « aucune » des dispositions relatives à la GRI reflétées dans ces PEA ou PED « ne sera applicable »[49]. Cela semble simple, mais je soupçonne qu’il sera difficile de démêler les activités d’exploitation aux fins de la GRI dans un cas particulier sans courir le risque qu’il y ait désaccord.

Sans porter atteinte

En plus de confirmer leur compréhension du fait que les dispositions au sujet des activités planifiées aux fins de la GRI sont complémentaires aux dispositions du Traité (voir ci-dessus) relatives à la prestation d’activités d’exploitation sur demande, et ne les remplacent pas, les Parties soulignent également dans leur échange de notes « que l’habilitation à prendre en charge, dont il est question dans cet échange de notes, n’a pas pour effet d’éteindre les options qui peuvent être à la disposition de l’une ou l’autre des Parties pour résoudre tout différend relatif à l’interprétation du Traité, comme le prévoit son article XVI, et ne porte pas atteinte aux droits et obligations des Parties en vertu du Traité » [traduction][50]. La référence à l’article XVI est une référence à la disposition du Traité relative au « règlement des différends » [traduction]. Cela est important dans la mesure où les dispositions relatives à une prestation sur demande posent des défis importants en matière d’interprétation qui peuvent, en fin de compte, exiger qu’une tierce partie tranche[51].

Autres questions liées à la gestion des risques d’inondation dans l’EdP

Les arrangements provisoires établis aux fins de la gestion des risques d’inondation ne renferment aucune disposition pour régler d’autres questions liées aux inondations mentionnées dans l’EdP, notamment l’exploitation du barrage Libby et les problèmes d’inondation au lac Kootenay, ni ne répondent au besoin de clarifier les règles concernant la prestation sur demande d’activités d’exploitation, notamment les déclencheurs justifiant ce type de demande. De plus, bien que le PERC (2003) fasse référence au barrage Libby et au devoir de coordination des activités d’exploitation du barrage Libby en vertu des paragraphes XII (5) et (6), il n’y a aucune référence au barrage Libby dans l’entente entre les Entités ou dans l’échange de notes, et l’entente de coordination des activités à Libby a également expiré en septembre 2024, ainsi que les dispositions relatives à l’exploitation assurée aux fins de la régulation des élévations des niveaux d’eau. L’accent mis sur le barrage à Arrow dans ces documents donne à penser que nous pouvons nous attendre à ce que le PEGRI ne traite pas de la coordination des activités d’exploitation au barrage Libby. Cela dit, je reconnais que l’entente entre les Entités prévoit que « la portée du PEGRI comprend nécessairement les activités de remplissage par l’Entité canadienne, mais peut comprendre d’autres activités planifiées au Canada ou aux États-Unis » [traduction][52].

Enfin, il convient de souligner que le PERC actuel répond également au besoin éventuel d’une exploitation aux fins de la régulation des élévations des niveaux d’eau pendant l’automne et l’hiver, où la pluie et la fonte des neiges en basse altitude, combinées, peuvent causer des débits des eaux dans le cours inférieur du Columbia[53]. Le PERC exige d’exploiter les barrages Arrow et Mica dans la plage des débits naturels « autant que possible »[54] pour gérer ce risque. Il n’est pas clair si ces exigences (qui pourraient par exemple avoir pour effet de réduire l’énergie autrement disponible produite par les barrages Mica et Revelstoke) seront incluses dans le PEGRI.

ARRANGEMENTS RELATIFS À LA GÉNÉRATION D’ÉLECTRICITÉ ET AUX AVANTAGES CONNEXES EN AVAL

On se rappellera que le TFC exigeait du Canada qu’il construise un réservoir de stockage de 15,5 MAP qui pourrait être utilisé à des fins de production d’électricité lorsqu’il n’est pas exploité aux fins de la régulation des eaux. Ce réservoir de stockage a procuré au Canada un potentiel de génération d’électricité à Mica et, par la suite, à Revelstoke (un barrage au fil de l’eau non visé par le Traité situé immédiatement en aval du barrage Mica) ainsi qu’une petite capacité de génération installée à Arrow/Keenleyside (185 MW)[55]. Le barrage Duncan n’est pas exploité pour la génération d’électricité. De plus, et ce qui est le plus important du point de vue du Traité, l’exploitation convenue de ce réservoir de stockage d’eau canadien, conformément aux plans d’exploitation assurés et détaillés (PEA et PED), a permis aux barrages américains sur le courant principal d’utiliser plus efficacement le débit du fleuve. Par conséquent, il a été convenu que le Canada aurait droit à 50 % de la capacité supplémentaire et des avantages tirés de la production d’électricité dans ces installations sur le cours principal. C’est ce qu’on appelle l’avantage tiré de la génération d’électricité en aval et le calcul de cet avantage est prescrit par les articles III à V et les annexes A et B du Traité. La méthode d’évaluation de cet avantage et la taille de cet avantage sont devenues de plus en plus contestées au fil du temps[56]. Par conséquent, bien qu’il n’y ait pas eu d’élimination progressive ou de modifications automatiques des dispositions relatives à la génération d’électricité du Traité en 2024 comme ce fut le cas (comme nous l’avons vu) pour les dispositions relatives à la régulation des élévations des niveaux d’eau, l’ampleur de l’avantage tiré de la génération d’électricité en aval est devenue un élément important des négociations visant à moderniser le TFC.

Que disait l’EdP au sujet l’exploitation aux fins de la production d’électricité et des avantages en aval ?

Le « document public »[57] décrivant l’EdP contient deux groupes de dispositions traitant de l’exploitation des barrages visés par le Traité au Canada à des fins de production d’électricité. Le premier groupe de dispositions (dans l’ordre où elles figurent dans le document) vise à donner au Canada une plus grande souplesse dans l’exploitation des barrages visés par le Traité afin de répondre aux priorités nationales, comme « l’environnement, les valeurs culturelles autochtones et les avantages socioéconomiques »[58]. Cependant, l’EdP elle-même indique clairement que ces règles ne deviennent applicables qu’après l’entrée en vigueur du Traité modernisé. Par conséquent, il n’est pas surprenant (quoique probablement décevant pour certains) que les arrangements provisoires n’intègrent pas ces dispositions offrant de la souplesse quant aux activités d’exploitation visées par le Traité pendant la période intérimaire.

Le deuxième groupe de dispositions porte sur les avantages tirés de la production d’électricité en aval et prescrit simplement un calendrier de décroissance des avantages liés à la capacité et à la production d’électricité sans justification ni argument. Les changements apportés à l’EdP visent la période commençant le 1er août 2024 (la nouvelle année d’exploitation) et se terminant le 31 juillet 2044. Bien que l’EdP ne prévoie pas expressément que cette question sera abordée dans des arrangements provisoires, les Parties ont choisi de le faire au moyen d’un autre échange de notes[59] et de deux ententes entre les Entités (bien que l’une de ces ententes porte sur l’adoption d’un plan d’exploitation assuré « PEA ») pour l’année d’exploitation en cours qui, comme je l’ai déjà mentionné, est pertinente à la fois en ce qui concerne les activités d’exploitation aux fins de la régulation des élévations des niveaux d’eau et celles aux fins de la production d’électricité en vertu du Traité)[60].

Modification de la source d’autorité pour ce qui est des avantages en aval

À mon avis, tout changement apporté à la façon dont les avantages tirés de la production d’électricité en aval pour le Canada sont déterminés constitue une modification importante de l’un des éléments les plus fondamentaux du Traité. En effet, l’ensemble de l’annexe B du Traité porte sur la « Determination of the Downstream Power Benefits »[61] (détermination des avantages tirés de la génération d’électricité en aval). Comment les Parties ont-elles alors réglé cette question dans les arrangements provisoires ? Encore une fois, le document clé est l’échange de notes diplomatiques; les Entités ne peuvent pas modifier le Traité au moyen d’une entente entre les Entités. Encore une fois, le paragraphe XIV (4) est au cœur de l’argumentation. Voici de nouveau le libellé :

  1. Le Canada et les États-Unis peuvent, par un échange de notes, habiliter les entités à prendre en charge toute autre question couverte par la portée du Traité, ou les investir de ce mandat[62].

Cependant, dans l’échange de notes, le fil conducteur entre les raisonnements est ténu. Les notes reconnaissent encore une fois que la portée du Traité comprend des mesures de coopération pour la production d’électricité et concluent plus tard que cela s’étend à l’entente entre les Entités sur la détermination des avantages tirés de la génération d’électricité en aval pendant la période intérimaire[63]. Cette approche pose au moins deux problèmes. Premièrement, les notes n’expliquent pas comment une disposition générale d’un traité, comme le paragraphe XIV (4), peut avoir préséance sur toute une série de dispositions précises du TFC concernant la détermination des avantages en aval. La première règle d’interprétation des traités, tout comme la première règle d’interprétation législative, est l’obligation de lire des dispositions particulières dans le contexte de l’ensemble de l’instrument. Le paragraphe 31 (1) de la Convention de Vienne sur le droit des traités dit ceci :

  1. Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.
  2. Aux fins de l’interprétation d’un traité, le contexte comprend, outre le texte, préambule et annexes inclus :
    • a) Tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre toutes les parties à l’occasion de la conclusion du traité;
    • b) Tout instrument établi par une ou plusieurs parties à l’occasion de la conclusion du traité et accepté par les autres parties en tant qu’instrument ayant rapport au traité[64].

Mais bien sûr, dans le cas d’un traité bilatéral, les Parties peuvent s’entendre sur à peu près n’importe quelle interprétation du traité qui convient à leurs intérêts[65]. Au moins, elles peuvent le faire librement à moins qu’une personne ayant qualité pour agir (et un intérêt qui la motive) devant un tribunal national fasse valoir que le paragraphe XIV (4), aussi large soit-il, ne peut être invoqué pour utiliser une entente entre les Entités afin de modifier considérablement l’un des concepts fondamentaux du Traité. Et dans ce cas, les personnes les plus touchées (les propriétaires de barrages sur le cours principal aux États-Unis et leurs contribuables) n’auront aucun intérêt à contester toute réduction du droit des Canadiens aux avantages tirés de la génération d’électricité en aval. (Cela dit, les propriétaires de ces barrages sur le cours principal se demandent si les entités américaines ont été trop généreuses envers le Canada pour ce qui est de déterminer les avantages continus en aval[66]). Et nous ne pouvons pas non plus nous attendre à ce que l’organe de contrôle du Traité, la Commission d’ingénieurs permanente (« CIP »), établie par l’article XV du Traité, s’oppose à cette « modification »; après tout, le paragraphe XV (4) stipule que la CIP :

[…] se conforme aux instructions convenues par le Canada et les États-Unis, un échange de notes en faisant foi, relatives à son administration et à ses procédures [traduction][67].

Le deuxième problème, cependant, c’est que l’entente entre les Entités, bien qu’elle soit formulée (par son titre) comme une entente relative à la période intérimaire, reproduit l’intégralité du calendrier de décroissance des avantages du Canada de l’EdP à compter de la présente année d’exploitation jusqu’en 2044. Et l’échange de notes semble appuyer cette approche.

Une deuxième source d’autorité est citée dans les notes diplomatiques pour les arrangements entre les Entités relatifs au PEA[68], mais à mes yeux, elle est secondaire et n’a rien à voir avec la réduction des avantages tirés de la génération d’électricité en aval. Je me reporte aux renvois au paragraphe IV (1) du Traité (cité ci-dessus), qui exige un échange de notes chaque fois qu’un nouveau PEA s’écarte considérablement de son prédécesseur.

Enfin, tout comme les arrangements aux fins de la GRI, l’échange de notes et l’entente entre les Entités sur les avantages en aval contiennent des clauses sans préjudice rédigées de façon large confirmant l’applicabilité des dispositions du Traité relatives au règlement des différends.

CONCLUSION : QUAND UNE ENTENTE DE PRINCIPE N’EST-ELLE PAS UNE ENTENTE DE PRINCIPE ?

La réponse à l’énigme ci-dessus doit être qu’une entente de principe n’est plus une simple entente de principe lorsque les Parties à celle-ci ont convenu d’exiger la mise en œuvre de l’EdP — ou du moins de certaines parties de celle-ci. Et bien que l’EdP en soi semble refléter un accord équilibré entre les Parties, je pense que ces arrangements provisoires sont quelque peu unilatéraux au moins à deux égards.

Le premier est que les États-Unis obtiennent maintenant ce qu’ils voulaient le plus du processus de modernisation du Traité. Ils n’ont pas à attendre l’entrée en vigueur d’un traité modernisé pour obtenir à la fois des engagements à des activités d’exploitation planifiées aux fins de la gestion des risques d’inondation et une réduction immédiate de la taille des avantages tirés de la génération d’électricité en aval. En revanche, le Canada doit attendre à la fois l’indemnisation pour les « avantages supplémentaires » et les dispositions qui lui offriront la souplesse nécessaire pour prendre en compte des valeurs autres que la génération d’électricité et la régulation des montées des eaux dans ses motifs d’exploitation. Je ne vois pas non plus beaucoup d’assurance dans ces arrangements pour le Canada quant à l’exploitation coordonnée future (et intérimaire) du barrage Libby, mais le nouveau PEGRI clarifiera peut-être la question.

Le deuxième est que les arrangements provisoires accordent clairement la priorité aux valeurs traditionnelles du Traité que sont la génération d’électricité et la régulation des élévations des niveaux d’eau, ainsi qu’aux acteurs traditionnels du Traité — les Entités. Ainsi, même si toutes les parties prenantes, y compris les Parties, ont fait beaucoup pour rehausser l’importance accordée aux valeurs écologiques et à la participation des peuples autochtones, tout cela est mis de côté par ces arrangements provisoires. Comme Charles Wilkinson l’aurait sans doute observé, les « Seigneurs d’hier » sont encore parmi nous aujourd’hui[69]. Les Parties auraient pu appuyer davantage ces nouvelles orientations pour un Traité modernisé. Par exemple, elles auraient pu annoncer des désignations ou des nominations d’entités nouvelles ou supplémentaires à la CIP, qui représenteraient l’importance de la fonction écosystémique dans les exploitations futures en vertu du Traité[70].

Peut-être qu’aucun tort réel ne sera causé si ces arrangements provisoires se révèlent de courte durée. Cependant, je pense qu’il existe au moins un certain risque que l’instabilité politique au sud de la frontière, combinée à la rhétorique anti-canadienne et au discours sur les tarifs qui émanent de la Maison-Blanche, ainsi que les changements anticipés au gouvernement fédéral au Canada, sont autant de facteurs qui feront en sorte que ces arrangements provisoires poursuivront leur vie propre. Et si cela se produit, il deviendra de plus en plus difficile de faire valoir les autres valeurs mises en évidence dans l’EdP, ainsi que l’importance de la participation accrue des peuples autochtones et de la société civile. J’espère me tromper.

Enfin, il y a un autre aspect de ces arrangements provisoires que je trouve troublant. Ils font peu pour combler le déficit démocratique associé à l’acte exécutif de conclure des traités. Je pense avoir démontré ci-dessus que ces arrangements provisoires sont en fait des modifications au Traité déguisées en mesures d’« habilitation » des Entités. Pourtant, ces modifications n’ont pas fait l’objet d’un examen et d’un débat publics comme c’est habituellement le cas pour les amendements importants à des traités. Elles ont simplement été adoptées au moyen de notes diplomatiques et d’ententes entre les Entités. Il est vrai, bien sûr, qu’il y a eu un débat public sur l’EdP à partir de la mi-juillet 2024, mais je ne me souviens pas que quelqu’un nous ait dit, par exemple, que les Parties et les Entités avaient déjà approuvé l’échange de notes autorisant une modification du plan d’exploitation assuré et de l’entente entre les Entités sur la détermination des avantages tirés de la génération d’électricité en aval pendant la période intérimaire aussi tôt qu’à la mi-septembre 2024. De plus, si ces arrangements (et je fais référence ici aux échanges de notes) sont en réalité des modifications au Traité, on peut se demander (du moins de ce côté-ci de la frontière) pourquoi ils n’ont pas été déposés au Parlement (je ne trouve aucun document indiquant qu’ils l’ont été), comme l’exige la Politique sur le dépôt des traités devant le Parlement[71], une politique qui a été adoptée pour combler le déficit démocratique associé à la conclusion de traités par l’organe exécutif. 

 

Laisser un commentaire