Proposition de loi sur le moratoire relatif aux pétroliers – un aperçu de l’histoire du moratoire

Le 12 mai 2017, le gouvernement du Canada a déposé au Parlement le projet de loi C-48 intitulé Loi sur le moratoire relatif aux pétroliers1. Cette initiative est consécutive au lancement du Plan national de protection des océans qui a eu lieu en novembre 2016, et vient concrétiser l’engagement du premier ministre pour l’officialisation d’un moratoire sur la circulation des pétroliers le long de la côte nord de la Colombie-Britannique. De façon plus générale, le plan vise à « accroître la sécurité maritime, à favoriser un transport maritime responsable, à protéger les milieux marins du Canada et à créer de nouveaux partenariats avec les collectivités autochtones et côtières »2.

Lorsque le gouvernement fédéral parle d’« officialiser » un moratoire relatif aux pétroliers de brut, il est utile de revoir le contexte historique ainsi que les restrictions existantes aujourd’hui sur la circulation des pétroliers, qu’elles soient officieuses ou non. L’état du moratoire relatif aux pétroliers sur la côte ouest, ou la nécessité d’un tel moratoire, est un sujet de grand intérêt en Colombie-Britannique depuis des décennies. Le présent article porte sur certaines périodes de cette histoire houleuse, afin de faciliter notre compréhension de la situation passée et de ce qui nous attend.

1. Quelques faits au sujet de l’activité pétrolière et des pétroliers sur la côte de la Colombie-Britannique

Les pétroliers circulent le long de la côte de la Colombie-Britannique depuis les années 1930. Selon Transports Canada, il y avait en 2015 environ 197 513 départs et arrivées de navires dans les ports de la Colombie-Britannique, dont environ 1 487 étaient des pétroliers, une proportion d’environ 0,75 pour cent3.

Le pétrole est expédié principalement dans les ports de Vancouver, de Prince-Rupert et de Kitimat, et la plupart des cargaisons proviennent du long de la côte et y sont destinées. Le pétrole est transporté sur des barges, des porte-conteneurs, des transbordeurs et d’autres types de navires commerciaux et privés 4.

Les premiers puits de pétrole ont été forés entre 1913 à 1915, dans le détroit de la Reine Charlotte à Tian Bay, sur la côte ouest de l’île Graham5.

2. Comment fonctionne le moratoire proposé

Le moratoire proposé s’ajoute à la zone d’exclusion volontaire des pétroliers, établie en 19856.

Les caractéristiques de base de la législation proposée sont les suivantes :

  • Il est interdit aux pétroliers qui transportent plus de 12 500 tonnes métriques de pétrole brut ou d’hydrocarbures persistants de s’arrêter, de charger ou de décharger leurs cargaisons dans les ports et installations maritimes situés dans le Nord de la Colombie-Britannique.
  • La zone du moratoire proposé s’étend sur la côte nord de la Colombie-Britannique, depuis la pointe nord de l’île de Vancouver jusqu’à la frontière avec l’Alaska – plus précisément, au nord de la ligne située par 50o53’00” de latitude nord et à l’ouest de la ligne située par 126o38’36” de longitude ouest.
  • Les navires qui transportent moins de 12 500 tonnes métriques de pétrole brut ou d’hydrocarbures persistants demeureront admis dans la zone du moratoire, afin que les collectivités nordiques puissent recevoir des cargaisons d’huile de chauffage et d’autres produits.
  • Le capitaine d’un pétrolier pouvant transporter une quantité supérieure à 12 500 tonnes métriques d’hydrocarbures en vrac sous forme liquide doit faire rapport au ministre des Transports avant que le pétrolier n’entre dans la zone du moratoire.
  • La définition du terme « pétrole brut » est semblable à celle qui figure dans la Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires.
  • Les hydrocarbures persistants sont énumérés dans une annexe de la Loi et comprennent des produits plus lourds qui se dissipent lentement, y compris : le bitume partiellement valorisé; le pétrole brut synthétique; le brai de pétrole; le gatsch et le combustible de soute C.
  • Les produits pétroliers raffinés peuvent être retirés de la liste ou ajoutés à celle-ci, selon des critères scientifiques et relatifs à la sécurité de l’environnement.
  • Le ministre peut exempter le pétrolier de l’interdiction « si l’exemption est essentielle au réapprovisionnement communautaire ou industriel ou est autrement dans l’intérêt public ».
  • Les recours et sanctions en cas de violation peuvent comprendre une amende pouvant atteindre cinq millions de dollars, l’emprisonnement, la détention et la vente du navire. Le propriétaire, les directeurs et les officiers peuvent tous être partis à une infraction.

3. Restrictions fédérales actuelles concernant les activités pétrolières extracôtières

L’attention des gouvernements fédéral et provincial et leurs discussions au sujet du moratoire ont été centrées sur deux types d’activités pétrolières extracôtières : 1) l’exploration pétrolière et gazière; 2) le transport du pétrole brut.

Le gouvernement fédéral, par voie d’une politique et d’un décret, impose un moratoire de fait sur l’exploration et pétrolière et gazière au large de la côte de la Colombie-Britannique depuis 1972.
En 1972, le gouvernement fédéral a également annoncé un moratoire sur le transport du pétrole brut par l’entrée Dixon, le détroit d’Hecate et le détroit de la Reine-Charlotte, mais il n’a jamais mis en œuvre ce moratoire au moyen d’un instrument législatif. Depuis ce temps, l’état du moratoire est source de débats et de confusion. En droit et en pratique, le gouvernement fédéral permet et règlemente l’exportation, l’importation ou l’expédition de pétrole depuis ou vers les ports de la Colombie-Britannique.
Le gouvernement fédéral, dans le cadre d’une entente avec les États-Unis, a établi une zone d’exclusion volontaire des pétroliers qui restreint la circulation de pétroliers de l’Alaska à Washington, mais cette restriction est spécifique et étroite.

Une explication plus approfondie est présentée plus loin.

a. Moratoire sur l’exploration pétrolière et gazière, 1972

En 1972, le gouvernement fédéral a annoncé un moratoire sur l’exploitation pétrolière et gazière au large de la Colombie-Britannique. Il a mis en place le moratoire par le biais de politique en décidant de ne plus délivrer de permis d’exploration au large de la Colombie-Britannique et de suspendre tous les permis en vigueur à l’époque. Cette décision a, dans les faits, imposé un moratoire sur toutes les zones d’exploitation extracôtière de compétence fédérale7.

En 1989, la Colombie-Britannique a annoncé qu’elle ne permettrait plus l’exploration extracôtière pendant au moins cinq ans. Le gouvernement fédéral a réaffirmé sa politique et a ajouté qu’il n’accepterait pas de demandes d’exploitation extracôtière, sauf si le gouvernement de la Colombie-Britannique le lui demandait 8.

La Colombie-Britannique a amorcé l’examen de son moratoire en 2002, après quoi le moratoire provincial a été levé. La province a alors fait appel au gouvernement fédéral pour qu’il revoie le moratoire fédéral, ce qui a mené à une série d’examens et de rapports9.

b. Moratoire sur la circulation des pétroliers

Il n’y a pas consensus sur la question de savoir si un moratoire fédéral sur la circulation de pétroliers de brut a déjà progressé au-delà de l’annonce politique de son entrée en vigueur. Les rapports gouvernementaux, fédéraux et provinciaux, sont mitigés sur ce point. Cependant, aucune législation fédérale n’établit de moratoire fédéral et le transport de pétrole brut est autorisé et règlementé dans le cours normal des activités.

Plusieurs rapports fédéraux et provinciaux publiés depuis 1972 font état d’un moratoire sur la circulation des pétroliers de brut, par exemple :

  • Dans un examen fédéral-provincial mixte de 1986 sur l’exploration extracôtière, le moratoire sur les activités extracôtières était décrit comme suit :

    En 1972, le gouvernement fédéral a imposé un moratoire pour empêcher les pétroliers de brut de circuler par l’entrée Dixon, le détroit d’Hecate et le détroit de la Reine-Charlotte, à destination du terminal du pipeline de Trans-Alaska à Valdez en Alaska. Par la suite, un décret fédéral a relevé, pour une période indéterminée, les titulaires de permis d’exploration extracôtière en vigueur de leurs obligations relativement à l’exécution de forage exploratoire dans ces eaux et a interdit tout forage subséquent.

    En 1981, la province de la Colombie-Britannique a renforcé le moratoire lorsqu’elle a déclaré une zone maritime intérieure. Parallèlement, un moratoire d’une durée indéterminée a été imposé sur l’exploration extracôtière dans le détroit Johnstone au sud de Telegraph Cobe, dans les détroits de Georgia et Juan de Fuca. Depuis février 1986, tous ces moratoires demeurent en vigueur10.

  • Le mandat du comité d’examen public fédéral11 2003 et du comité d’examen scientifique12 concurrent affirme ceci :

    En 1972, le gouvernement du Canada a imposé un moratoire sur le trafic des pétroliers de brut dans l’entrée Dixon, le détroit d’Hécate et le détroit de la Reine-Charlotte en raison de préoccupations relatives aux incidences environnementales possibles de ce trafic. Le moratoire a subséquemment été élargi afin d’y inclure les activités pétrolières et gazières. Par la suite, il y a eu l’application d’une interdiction semblable par le gouvernement de la Colombie-Britannique.

  • Le mandat du comité d’examen scientifique 2002 de la Colombie-Britannique décrit comme suit la perspective provinciale13 :

    La Colombie-Britannique a toujours restreint les activités pétrolières et gazières, et ce depuis 1959, à l’exception d’une brève période, soit de 1965 à 1966. La province a émis trois décrets distincts (1959, 1966 et 1981), réservant le plancher océanique au large des îles de la Reine-Charlotte et de l’île de Vancouver jusqu’aux terres de la Couronne.

    En outre, un moratoire fédéral est en place depuis 1972.

c. Zone d’exclusion volontaire des pétroliers, 1985

Au terme de la construction du système de pipelines Trans Alaska dans les années 1970, les pétroliers transportaient du pétrole brut depuis l’Alaska jusqu’aux ports situés le long de la côte ouest des États-Unis. Des routes ont été établies en 1977 pour contrer les risques environnementaux. Ces routes obligent les pétroliers à se rendre loin à l’ouest des îles de la Reine-Charlotte et de l’île de Vancouver.

Entre 1982 et 1985, ces routes ont fait l’objet de conflits en raison des coûts supplémentaires qui en découlent. Le Canada et les États-Unis ont étudié les routes et les risques, et se sont entendus sur certaines routes acceptables de part et d’autre.

En 1985, le gouvernement fédéral a négocié la zone d’exclusion volontaire des pétroliers (TEZ) avec la garde côtière américaine. La TEZ s’étend des côtes de la Colombie-Britannique vers l’ouest, et elle a été calculée en fonction de la pire dérive éventuelle d’un pétrolier chargé en panne, par rapport au temps requis pour que les secours arrivent sur les lieux. Les pétroliers chargés qui circulent de l’Alaska vers Washington doivent naviguer à l’ouest de la zone14.

À la suite des discussions de 1988 auxquelles ont participé les États-Unis et la Garde côtière canadienne ainsi que les représentants du groupe d’utilisateurs de l’industrie américaine des pétroliers, tous ont convenu que la TEZ serait volontairement adoptée le long de la côte de la Colombie-Britannique15.

La TEZ ne s’applique pas aux pétroliers qui voyagent depuis ou vers les ports canadiens16.

4. Le nouveau moratoire sur les pétroliers le long de la côte nord – quelles sont les perspectives d’avenir?

En novembre 2015, le premier ministre a demandé à quatre ministres fédéraux de se concerter pour « officialiser un moratoire sur la circulation des pétroliers le long de la côte nord de la Colombie-Britannique » (ci-après, le « Moratoire proposé »)17. L’idée du moratoire n’est pas nouvelle, contrairement à la restriction dans la Loi proposée. Si elle est adoptée, la Loi permettra de résoudre tout problème de confusion relativement à l’état d’un moratoire sur les pétroliers.

Le premier ministre Trudeau a récemment dit ceci : « aucun pays ne trouverait 173 milliards de barils de pétrole pour simplement les laisser enfouis dans le sol »18. Bien que cette déclaration démontre l’engagement du gouvernement fédéral à l’égard de l’exploitation des ressources pétrolières du Canada, la Loi crée un obstacle logistique important à cette exploitation.

La Loi proposée définit un choix stratégique clair quant aux endroits où le pétrole brut peut être exporté le long de la côte de la Colombie-Britannique, c.-à-d. depuis la côte sud seulement. Ce choix a de profondes répercussions sur les économies de la Colombie-Britannique et du Canada, car les deux dépendent fortement du commerce d’exportation.

Le fait de limiter les options d’exportation augmentera les coûts et compliquera l’exploitation de nos ressources pétrolières. Ce coût en vaut-il la peine, compte tenu des risques? Existe-t-il d’autres options qui nous permettraient de protéger la côte nord? L’analyse supportant le choix de politique mérite un examen approfondi pour déterminer la meilleure approche pour servir les intérêts environnementaux et économiques du Canada.

Alors que ce projet de loi est étudié par le Parlement, il y a fort à parier que nous en entendrons davantage sur ce perpétuel débat.

Zone de moratoire proposée

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*David Bursey est associé et Charlotte Teal est stagiaire en droit au sein du cabinet Bennett Jones LLP de Vancouver.

  1. Projet de loi C-48, Loi concernant la réglementation des bâtiments transportant du pétrole brut ou des hydrocarbures persistants à destination ou en provenance des ports ou des installations maritimes situés le long de la côte nord de la Colombie-Britannique, 1re sess, 42e Lég, 2017.
  2. Transports Canada, communiqué, « Le gouvernement du Canada présente la Loi sur le moratoire relatif aux pétroliers » (12 mai 2017).
  3. Transports Canada, « Renseignez-vous sur la sécurité des navires-citernes au Canada » (15 mai 2017), en ligne : <http://www.tc.gc.ca/fra/securitemaritime/securite-navires-citernes-canada-4513.html#ouest>.
  4. Ibid.
  5. Ministère de l’Énergie, des Mines et des Ressources pétrolières, « Offshore Oil & Gas in BC: A Chronology of Activity », en ligne : <http://www.empr.gov.bc.ca/Mining/Geoscience/MapPlace/thematicmaps/OffshoreMapGallery/Pages/chronologyofactivity.aspx>.
  6. Supra note 2.
  7. Lynne Myers & Jessica Finney, Exploitation du pétrole et du gaz au large de la Colombie-Britannique : état des moratoires provincial et fédéral, 2004, Bibliothèque du Parlement, Division des sciences et de la technologie, p 2. Voir également Ministère de l’Énergie, des Mines et des Ressources pétrolières, Chronology, supra note 5.
  8. Ibid.
  9. Ibid.
  10. Report and Recommendation of the West Coast Offshore Exploration Review Panel 1986, Examen mixte, Canada et Colombie-Britannique, p 9.
  11. Comité d’examen public, Rapport du Comité d’examen public relativement au moratoire du gouvernement du Canada visant les activités pétrolières et gazières extracôtières dans la région de la Reine-Charlotte, en Colombie-Britannique, Ottawa, 29 octobre 2004. Ce rapport a été commandé par le gouvernement fédéral, à la suite d’une demande d’examen soumise par le gouvernement de la Colombie-Britannique.
  12. La Société royale du Canada, Rapport du groupe d’experts sur des questions scientifiques reliées aux activités pétrolières et gazières au large des côtes de la Colombie-Britannique, Ottawa, février 2004.
  13. Scientific Review Panel, British Columbia Offshore Hydrocarbon Development – Report of the Scientific Review Panel (15 janvier 2002).
  14. Transports Canada, « Le routage sécuritaire des navires et l’établissement de rapports » (15 mai 2017), en ligne : <http://www.tc.gc.ca/fra/securitemaritime/routage-securitaire-navires-etablissement-rapports-4516.html>.
  15. Garde côtière canadienne, « Renseignements sur la zone d’exclusion volontaire des pétroliers », en ligne : <http://www.ccg-gcc.gc.ca/e0003909>.
  16. Supra note 14.
  17. Cabinet du premier ministre, « Lettre au ministre des Pêches », Ottawa,  novembre 2015, en ligne : <http://pm.gc.ca/fra/lettre-de-mandat-du-ministre-des-peches-des-oceans-et-de-la-garde-cotiere-canadienne>.
  18. « Trudeau: No country would find 173 billion barrels of oil in the ground and leave them there » CBC News (10 mars 2017), en ligne : <http://www.cbc.ca/news/world/trudeau-no-country-would-find-173-billion-barrels-of-oil-in-the-ground-and-leave-them-there-1.4019321>.

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