Depuis le milieu des années 1980, les fusions et acquisitions approuvées par la Federal Energy Regulatory Commission (FERC) ont réduit de plus de moitié le nombre de services publics indépendants de vente au détail d’électricité. Ces opérations ont pris toutes les formes possibles : horizontales, verticales, convergentes et conglomérales; intégrées sur le plan opérationnel et à distance; nationales et internationales; cotées en bourse et privées; financées par emprunt et fondées sur un échange d’actions.
Cette consolidation s’est toutefois accompagnée d’une complexification organisationnelle. En effet, les services publics traditionnels d’avant les années 1980 (locaux, non diversifiés, financés de façon conservatrice) ont été remplacés par des systèmes de sociétés de portefeuille multinationales et multiétatiques dotées de structures organisationnelles comprenant de multiples entreprises commerciales, aux activités parfois conflictuelles, qui doivent leur capacité de financement et leur viabilité aux flux de trésorerie mensuels de leurs filiales de services publics.
En vertu de l’article 203 de la Federal Power Act1, la FERC doit conclure que ces opérations de consolidation et de complexification sont « respectueuses de l’intérêt public »2. Malgré de multiples énoncés de politique, règles et plus de 70 approbations de fusions, la FERC n’a jamais défini la notion d’ « intérêt public » sous la perspective du rendement de l’industrie. Bien que le Merger Policy Statement3 (énoncé de politique sur les fusions) de 1996 ait pour objectif d’ « encourager une plus grande concurrence de gros », ce concept transparaît rarement dans les ordonnances de fusion de la FERC4. Ces ordonnances ont pour seule exigence « l’absence de préjudice », et ce préjudice vise uniquement la concurrence que se livraient les entreprises avant la fusion, que cette concurrence ait été efficace ou non. Il y a concurrence efficace lorsque la structure d’un marché et le comportement de ses vendeurs poussent tous les concurrents à donner le meilleur d’eux-mêmes. En n’exigeant que « l’absence de préjudice » et en n’appliquant ce critère qu’à la concurrence avant la fusion, la FERC a engendré et approuvé des opérations dont la contribution au rendement de l’industrie est forcément sous-optimale. Depuis 30 ans, les décisions de la Commission en matière de fusion ont dissocié « l’intérêt public » de la notion du rendement de l’industrie5.
Cette dissociation a engendré, et continue d’engendrer, la possession d’actifs consolidés et des structures commerciales complexes. L’industrie de l’électricité d’aujourd’hui ne ressemble en rien à ce que la FERC avait l’intention de faire auparavant, parce que la Commission n’a jamais dévoilé quelle était son intention; non seulement sur le plan du rendement de l’industrie, mais aussi au niveau des principaux facteurs qui influent sur ce rendement. Ces facteurs comprennent notamment le nombre approprié de réseaux de services publics dans une région, la composition appropriée des entreprises et des structures commerciales dans ces réseaux, les types de propriétaires et les types de financement utilisés ainsi que les stratégies des propriétaires pour leur expansion ultérieure. Le principal facteur qui influence les décisions de la FERC en matière de fusion (c.-à-d. la principale force qui détermine les caractéristiques de l’industrie), ce n’est pas la protection de l’intérêt public, mais plutôt l’atteinte des objectifs stratégiques des requérants de la fusion.
La déférence de la Commission à l’égard des stratégies des requérants est logique et licite lorsque les marchés en cause qui donnent naissance à ces opérations sont bel et bien des marchés concurrentiels. Toutefois, lorsque des monopoles de détail sont impliqués dans les fusions, les marchés en cause ne sont pas efficacement concurrentiels. La déférence à l’égard d’opérations qui ne sont pas régulées par une concurrence efficace ne peut être compatible avec l’intérêt public.
Cette absence de considération pour l’intérêt public et la déférence qui en résulte à l’égard des opérations d’intérêt privé sont des erreurs sur le plan global. Elles conduisent à cinq principales erreurs politiques6. La FERC 1) ne se penche que sur la concurrence de gros, ignorant la concurrence de détail; 2) considère chaque fusion séparément des autres, ignorant leurs effets cumulatifs; 3) ignore la relation entre le prix d’achat et la valeur réelle de la transaction, approuvant ainsi des transactions dont la relation coûts-avantages est sous-optimale; 4) permet aux parties prenantes de l’opération de se répartir la quasi-totalité de la valeur de leur opération, sans tenir compte de la contribution à cette valeur des contribuables ciblés; 5) suppose, sans enquête, que les organismes de réglementation pourront et voudront gérer la complexité post-consommation.
Les partisans de la politique de fusion de la FERC pourraient faire valoir les deux principaux arguments suivants7. Premièrement, l’approbation quasi-universelle des fusions par la Commission n’a entraîné aucun recul évident du rendement de l’industrie. Deuxièmement, aucune étude ne permet de vérifier l’inefficacité de fonctionnement de l’industrie consolidée d’aujourd’hui comparativement à l’hypothèse où la FERC aurait fait les choses différemment. Mais ni l’un ni l’autre de ses arguments ne prouve que la politique de la FERC est valable. La simple absence de recul de rendement de l’industrie n’est pas un bon critère pour évaluer une industrie infrastructurelle de plusieurs milliards de dollars dont dépendent des vies, et l’absence d’études utiles est une raison pour les mener au lieu de poursuivre l’application de la politique sans remettre celle-ci en question.
La Commission devrait réexaminer les prémisses de sa politique8, soit que « l’absence de préjudice » est le critère qu’il convient d’appliquer; que la structure de marché visée par le critère d’absence de préjudice doit correspondre à celle avant la fusion, peu importe ses lacunes sur le plan concurrentiel; que les stratégies qui sous-tendent les projets de fusion sont nécessairement encadrées par des forces respectueuses de l’intérêt public. Ce réexamen devrait prendre la forme d’un avis d’enquête, dirigé par un groupe de travail ayant une expertise et une importance hiérarchique comparables à celles des bureaux de la Commission en matière de fiabilité et d’application. La collecte et l’analyse des faits, au lieu de la continuelle approbation des opérations de fusion, nous permettront de nous assurer que les futures fusions seront, comme l’exige l’article 203, bel et bien conformes à l’intérêt public.
* Scott Hempling offre ses conseils et témoigne devant des organismes de réglementation aux États-Unis et ailleurs dans le monde. Il est l’auteur de deux livres : Regulating Public Utility Performance: The Law of Market Structure, Pricing and Jurisdiction (American Bar Association, 2013) et Preside or Lead? The Attributes and Actions of Effective Regulators (2d ed., 2013). Professeur auxiliaire au Georgetown University Law Center, M. Hempling est titulaire d’un baccalauréat avec distinction de l’Université Yale en économie et en sciences politiques, ainsi qu’en musique, et d’un doctorat magna cum laude en jurisprudence du Georgetown University Law Center. Une version beaucoup plus longue de cet article a paru dans l’Energy Law Journal, publié par l’Energy Bar Association, en ligne : < https://www.eba-net.org/felj/energy-law-journal/current-issue >.
- Federal Power Act, 16 United States Code, art 824b [ci-après « article 203 »].
- Ibid, art 203(a)(4).
- Voir Inquiry Concerning the Commission’s Merger Policy under the Federal Power Act: Policy Statement, 61 Fed Reg 68 (1996), art 595.
- Scott Hempling, « Inconsistent with the public interest: FERC’s three decades of deference to electricity consolidation » (2018) 39, ELJ à la p 233, en ligne : < https://www.eba-net.org/felj/energy-law-journal/current-issue >.
- Ibid à la p 282.
- Ibid aux pp 286-87.
- Ibid à la p 270.
- Ibid à la p 308.