INTRODUCTION
Le 10 mai 2022, la Cour d’appel de l’Alberta a rendu sa décision[2] très attendue (ci-après la « Décision ») sur la constitutionnalité de la Loi sur l’évaluation des impacts (ci-après la « LEI ») et du Règlement sur les activités concrètes (ci-après le « Règlement ») du gouvernement fédéral. Le plus haut tribunal de l’Alberta a examiné des questions législatives et constitutionnelles complexes et a jugé que la LEI « modifierait de façon permanente la répartition des pouvoirs et placerait à jamais les gouvernements provinciaux sous l’emprise économique du gouvernement fédéral[3] » [traduction].
Le gouvernement fédéral a déjà annoncé son intention d’interjeter appel de la Décision devant la Cour suprême du Canada. Si celle-ci confirme la Décision, cela aura des répercussions importantes sur la réglementation des projets désignés et sur la répartition constitutionnelle des pouvoirs du Canada en matière d’évaluations environnementales.[4]
CONTEXTE
En juin 2019, le gouvernement fédéral a promulgué la LEI, qui a remplacé la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012. Pour faire suite à cette promulgation, le gouvernement de l’Alberta a soumis un renvoi constitutionnel devant la Cour d’appel de l’Alberta, où il a demandé l’avis de la Cour sur la constitutionnalité de la LEI et du Règlement.
La LEI est un texte complexe de la législation fédérale sur l’environnement qui détermine quand et à quelles conditions un projet ou une activité d’exploitation des ressources sera soumis à une évaluation fédérale de ses impacts sur l’environnement.
En termes simples, la LEI prévoit un mécanisme par lequel le ministre peut désigner certains projets ou certaines activités en vertu du Règlement, qui sont alors automatiquement interdits en vertu de l’article 7 de la LEI s’ils peuvent entraîner des effets relevant d’un domaine de compétence fédérale. L’interdiction de l’article 7 s’applique jusqu’à ce que l’Agence décide, en vertu de l’article 16(1), « qu’aucune évaluation d’impact du projet n’est requise » ou que « le promoteur prend la mesure en conformité avec les conditions qui sont énoncées dans la déclaration qui lui est remise » pour le projet à la suite d’une évaluation d’impact. De façon cruciale, l’interdiction et les autres mécanismes prévus par la LEI sont régis en grande partie par le seuil des « effets relevant d’un domaine de compétence fédérale », qui est défini de façon large et qui comprend les effets potentiels sur l’environnement, la socio-économie et la santé[5]. Par conséquent, l’une des questions clés de la Décision était de savoir dans quelle mesure les « effets relevant d’un domaine de compétence fédérale » liaient réellement la LEI aux questions relevant d’un domaine de compétence fédérale.
DÉCISION DE LA MAJORITÉ
Comme point de départ, les juges majoritaires ont insisté sur le fait que l’ « environnement » n’est pas un domaine de compétence qui a été attribué au Parlement ou aux provinces en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867 et que, par conséquent, une question environnementale peut comporter « certains aspects provinciaux et certains aspects fédéraux[6] » [traduction]. Cependant, les projets ne seront assujettis à la surveillance environnementale fédérale que s’ils sont liés d’une façon ou d’une autre à un chef de compétence fédérale.
En s’appuyant sur ces principes, la Cour a « caractérisé » le « caractère véritable » de la LEI à la lumière de son objet et de ses effets juridiques et pratiques. La Cour a conclu que l’objectif principal de la LEI consistait en « l’établissement d’un régime fédéral d’évaluation des impacts et de réglementation qui soumet toutes les activités désignées par l’exécutif fédéral à une évaluation de tous leurs effets ainsi qu’à une surveillance et à une approbation fédérales[7] » [traduction]. Caractérisée de cette façon, la Cour a conclu que la LEI « empiète fatalement sur la compétence provinciale et les droits de propriété des provinces en tant que propriétaires de leurs terres publiques et de leurs ressources naturelles » [traduction]. En particulier, et parmi les douze autres motifs fournis à l’appui de cette conclusion[8], la Cour a rejeté le déclencheur des « effets relevant d’un domaine de compétence fédérale qui sont définis par le gouvernement fédéral » [traduction] et a conclu que bon nombre de ces effets n’étaient pas liés, ou pas suffisamment liés, à un chef de compétence fédérale[9].
La Cour a ensuite examiné la deuxième étape de l’analyse constitutionnelle, qui consistait à déterminer si la LEI pouvait être « classifiée » sous n’importe quelle rubrique de compétence fédérale. Or, la Cour a conclu que la LEI ne faisait partie d’aucune chef de compétence fédérale, y compris le pouvoir fédéral associé à la paix, à l’ordre et au bon gouvernement (POBG). La Cour a plutôt conclu que la LEI relevait « carrément de plusieurs chef de compétence provinciale » [traduction], notamment 1) les ressources naturelles (art 92A); 2) la gestion des terres publiques (art 92(5)); 3) les ouvrages et entreprises locaux (art 92(1)); 4) la propriété et les droits civils (art 92(13))[10].
Au bout du compte, la Cour a conclu que la LEI « constitue une profonde intrusion dans la compétence législative provinciale et les droits de propriété des provinces[11] » [traduction] qui, si elle était maintenue, entraînerait « la centralisation de la gouvernance du Canada au point où ce pays ne serait plus reconnu comme une véritable fédération[12] » [traduction].
DÉCISIONS CONCORDANTES ET DISSIDENTES
La juge Strekaf a souscrit à l’analyse et aux conclusions des juges majoritaires, à l’exception de celle selon laquelle la LEI et le Règlement équivalaient à une expropriation de facto par le gouvernement fédéral des ressources naturelles des provinces, sur laquelle elle a refusé d’exprimer une opinion.
En dissidence, le juge Greckol aurait confirmé que la LEI et le Règlement constituaient « un exercice valide du pouvoir du Parlement de légiférer en matière d’environnement[13] » [traduction]. Le juge Greckol était d’avis que, même si la LEI et le Règlement s’appliquaient aux projets intraprovinciaux, qui à première vue relevaient des domaines de compétence des provinces, ils étaient néanmoins constitutionnels parce qu’ils ciblaient les effets environnementaux négatifs relevant des domaines de compétence fédérale.[14]
RÉPERCUSSIONS
La Décision est importante pour le gouvernement de l’Alberta et divers intervenants autochtones et industriels alliés. Depuis sa création, la LEI a fait l’objet de vives critiques de la part de diverses provinces et de participants du marché des ressources, qui ont fait valoir que la LEI a engendré un degré élevé d’incertitude et de complexité réglementaires en ce qui concerne l’approbation et la surveillance des projets. La Cour s’est fait l’écho de préoccupations similaires et a noté plusieurs impacts commerciaux pratiques découlant de la LEI, notamment des retards et le ralentissement des investissements.
La Décision a plusieurs répercussions importantes sur la répartition des pouvoirs en ce qui a trait aux questions énergétiques. Premièrement, il s’agit d’une mise à jour majeure du droit constitutionnel concernant l’autorité fédérale en matière d’évaluation environnementale, qui n’avait pas fait l’objet d’un examen approfondi depuis l’affaire Oldman River, en 1993, où la Cour suprême a confirmé une version antérieure mais considérablement différente de la législation fédérale sur l’évaluation environnementale.[15] Deuxièmement, la décision contribue à un corpus croissant de jurisprudence récente qui délimite les compétences provinciales et fédérales en matière de législation environnementale moderne. Ces développements ont été stimulés au cours des dernières années, à mesure que divers ordres de gouvernement sont devenus de plus en plus motivés à réglementer les questions environnementales, ce qui a invariablement mené à des différends, à de l’incertitude et à des interventions judiciaires.
En dépit de la forte réprimande de la majorité à propos de la position du Canada à l’égard de la LEI, la Cour suprême du Canada aura le dernier mot, étant donné que le gouvernement fédéral a déjà annoncé son intention d’en appeler de la Décision. D’ici là, et puisque la décision était un « renvoi » ou un « avis consultatif », on s’attend à ce que la LEI demeure en vigueur jusqu’à ce que la Décision soit confirmée par la Cour suprême. BLG continuera de surveiller ces événements et de faire le point à ce sujet.
- Une version antérieure (en anglais seulement) de cet article a été publiée dans les Perspectives de BLG, voir : www.blg.com/en/insights/2022/05/court-of-appeal-finds-federal-impact-assessment-act-unconstitutional.
* Rick Williams est associé au bureau de Vancouver de Borden Ladner Gervais LLP. Chidinma B. Thompson et Matti Lemmens sont associés au bureau de Calgary de Borden Ladner Gervais LLP, et Brett Carlson y est avocat.
- Reference re Impact Assessment Act, 2022 ABCA 165 [LEI].
- Ibid au para 27.
- Brett Carlson a agi en tant que conseiller juridique de l’Association canadienne de pipelines d’énergie dans le cadre de cette affaire. Veuillez communiquer directement avec lui si vous avez des questions au sujet de la Décision.
- Par exemple, « effets relevant d’un domaine de compétence fédérale » comprend tout changement lié à tout changement : (1) se produisant à l’extérieur d’une province pour laquelle une activité est située; (2) aux conditions sanitaires, sociales ou économiques des peuples autochtones du Canada; (3) aux poissons et à leur habitat; (4) aux oiseaux migrateurs; (5) aux terres fédérales.
- LEI, supra note 2 au para 47, citant Procureur général du Québec c Grand Chief Dr. Moses, 2010 CSC 17.
- Ibid au para 372.
- Voir le résumé des motifs de la portée trop large, ibid au para 373.
- Par exemple, les « effets relevant d’un chef de compétence fédérale », qui comprennent les effets extraprovinciaux découlant d’un projet, permettraient effectivement au Canada d’exercer une surveillance fédérale sur les provinces sur la seule base qu’un projet relevant de sa compétence émet des émissions de GES. Citant la récente décision de la Cour suprême dans l’affaire Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, la Cour a conclu que le Parlement n’a pas compétence sur la réglementation générale des émissions de GES.
- LEI, supra note 2 aux para 409–20.
- Ibid au para 421.
- Ibid au para 423.
- Ibid au para 740.
- Ibid.
- Voir à titre d’exemples : Orphan Well Association c Grant Thornton Ltd, 2019 CSC 5; Renvoi relatif à la Environmental Management Act, 2020 CSC 1; Renvoi relatif à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, 2021 CSC 11.