Évolution du droit administratif relatif au droit et à la règlementation de l’énergie en 2023

Je commence ici en présentant une excuse. Tout comme moi, le lecteur de cette publication aura certes apprécié les revues annuelles effectuées par le professeur David Mullan au cours de la dernière décennie. Elles sont des classiques du genre. Cependant, toutes les bonnes choses ont une fin, et le professeur Mullan met progressivement fin à ses activités. De toute évidence, mes compétences en matière de persuasion doivent être perfectionnées, car je n’ai pas réussi à le convaincre à ne serait-ce que de continuer à contribuer aux revues annuelles publiées dans cette publication trimestrielle. Je m’en excuse. Je suis reconnaissant envers le professeur Mullan qui m’a offert un soutien exceptionnel dans mes travaux universitaires depuis mon arrivée au Canada et qui a vu en moi le potentiel de reprendre le flambeau. Je ferai de mon mieux pour être à la hauteur de la confiance dont il fait preuve à mon endroit.

À l’heure actuelle, le droit administratif est relativement bien établi au Canada. Les années qui se sont écoulées depuis les arrêts marquants de la Cour suprême du Canada de la fin des années 1970 — Nicholson[1] et Société des Alcools du N.-B.[2] — ont été marquées par des changements constants, parfois de l’ordre de l’avulsion. Dans l’arrêt Vavilov de 2019, la Cour a cherché à positionner le droit au contrôle judiciaire des mesures administratives sur des bases solides[3]. Cet effort a été couronné de succès : la stabilité a remplacé l’incertitude; le cadre transparent défini dans l’arrêt Vavilov a permis aux tribunaux et aux avocats d’examiner plus rapidement le bien-fondé des différends et de présenter des arguments clairs.

Depuis l’arrêt Vavilov, les interventions de la Cour en droit administratif ont été sporadiques. Les appels en droit purement administratif ont été peu nombreux sur le terrain et la plupart des affaires de droit administratif dont la Cour a été saisie après Vavilov étaient celles qui comportaient une dimension supplémentaire qui exigeait des éclaircissements. Les arrêts Bell Canada[4] et Postes Canada[5] ont accompagné l’arrêt Vavilov en 2019. Il n’y a eu aucune décision de droit administratif digne de mention en 2020, et une seule en 2021 (où la Cour devait aussi clarifier une question sur le rôle des cours d’appel dans les affaires de contrôle judiciaire[6]). À la fin de cette année-là, j’ai fait remarquer que la Cour avait été « pratiquement silencieuse » sur la norme de contrôle depuis l’arrêt Vavilov[7]. Deux décisions ont été rendues en 2022 : l’arrêt Abrametz[8], qui portait principalement sur les retards déraisonnables dans les procédures administratives et la norme de contrôle, n’a été mentionné que brièvement et l’arrêt Entertainment Software Association[9], une affaire intéressante qui portait sur une question non tranchée dans l’arrêt Vavilov. Même si l’analyse s’écartait à certains égards de l’esprit de l’arrêt Vavilov, elle était suffisamment subtile pour que les ramifications demeurent limitées, selon toute vraisemblance. L’année dernière, la cour a été saisie d’une autre affaire ésotérique portant sur les droits linguistiques et les valeurs de la Charte (CSFTNO)[10]. Une seule décision de droit administratif pur a été rendue dans l’arrêt Mason[11] (bien que son importance réside en grande partie dans la réaffirmation des principes fondamentaux du contrôle du caractère raisonnable énoncés dans Vavilov).

Il semble clair que l’exercice de simplification de l’arrêt Vavilov a réduit le nombre de questions en litige sur lesquelles les tribunaux d’appel se dissocient des autres et pour lesquelles la participation de la Cour est donc requise. La tendance voulant que la Cour n’entende que les affaires qui portent une dimension supplémentaire se poursuivra probablement, les affaires de droit administratif pur étant probablement rares sur le terrain. Bien sûr, trois des quatre affaires de droit administratif actuellement en cheminement comportent indubitablement une dimension supplémentaire : L’affaire Yatar a trait aux droits d’appel limités et au pouvoir judiciaire discrétionnaire. L’affaire York Teachers, pour sa part, a trait à l’interrelation entre le contrôle judiciaire et la Charte et celle de la Société des casinos porte sur l’application de la jurisprudence relative à la liberté d’association par un tribunal spécialisé en relations de travail[12]. La dernière des quatre est l’affaire de l’Ontario Mandate Letters. Elle touche même des questions de principe constitutionnel de haut niveau (bien qu’à mon avis elle eût pu être réglée en l’état devant les tribunaux inférieurs par l’application du critère standard concernant la révision des motifs)[13]. La stabilité signifie donc que la Cour tranche un moins grand nombre de cas de droit administratif pur.

Cette stabilité relative entraîne plusieurs conséquences.

Premièrement, l’aspect le plus évident est le constat que les cours d’appel gagnent en influence. Elles sont certainement plus influentes en ce qui concerne les plaideurs, car il devient de plus en plus certain que leur prononcé marquera la fin des procédures. Elles sont probablement aussi plus influentes sur le plan de l’élaboration du droit : bien entendu, elles doivent travailler dans le cadre de l’arrêt Vavilov (de sorte que la portée de l’innovation est limitée dans cette mesure), mais elles jouissent d’une grande latitude en ce qui concerne la détermination des exigences de contrôle de la raisonnabilité dans des domaines particuliers et, lorsque la norme de la décision correcte s’applique, l’établissement du cadre juridique, en particulier dans les domaines de la règlementation économique.

Deuxièmement, dans le même ordre d’idées, la prudence est de mise avant de tirer des conclusions générales des décisions de la Cour suprême du Canada. Comme je l’ai fait remarquer dans un article paru en 2017 dans l’University of New Brunswick Law Journal, il peut être difficile de distinguer le « signal » du « bruit » en droit administratif. Les cas de contrôle judiciaire sous-tendent invariablement l’application de principes généraux à des domaines précis du droit. Cependant, une décision visant à régler une question dans un domaine particulier du droit peut entraîner des répercussions sur l’application des principes généraux[14]. C’est le propre d’un haut tribunal qui, par définition, ne traite que de questions d’importance nationale, et c’est précisément ce qu’on peut observer en ce moment, parce que les principes généraux du contrôle judiciaire ont été établis par l’arrêt Vavilov. En somme, il est très peu probable que la Cour, lorsqu’elle tranche une question dans un domaine particulier, ait l’intention de modifier le fonctionnement des principes généraux. Une décision de la Cour pourrait bien s’assimiler à du « bruit » en ce qui concerne les principes généraux. Ce n’est que lorsqu’il y a présence d’un « signal » — une déclaration claire dans une décision ou une inférence de plusieurs décisions — qu’on peut affirmer sans se tromper que les principes généraux ont changé. C’est la raison pour laquelle j’ai exprimé des réserves l’an dernier en décrivant les arrêts Entertainment Software Association et Abrametz, mon analyse s’inscrivant dans un espace balisé par des mises en garde au sujet du « signal » et du « bruit »[15].

Troisièmement, et ce qui est peut-être l’aspect le plus réjouissant, l’éventail des questions qui seront abordées dans un document de type rétrospective annuelle est plus large. Étant donné que la norme de contrôle jouit d’une stabilité relative et que la Cour joue un rôle plus près du droit administratif pour ce qui est du contrôle judiciaire, des sujets négligés depuis longtemps pourraient prendre de l’importance. L’année qui vient de s’écouler a soulevé une véritable abondance de questions de droit administratif fascinantes partout au pays, surtout dans les cours d’appel. Il y a eu des décisions importantes sur l’obligation de consulter[16], l’obligation de maintenir l’examen régulier de l’entrée en vigueur de dispositions législatives[17], l’indépendance administrative[18], l’utilisation de l’intelligence artificielle dans l’administration publique[19], le principe voulant que les procédures d’appel administratives puissent « corriger » les vices de procédure[20], le contenu du dossier dans le cadre du contrôle judiciaire[21] et l’épuisement des recours[22].

Cela dit, permettez-moi de revenir à ce qui est proposé dans le présent document.

Dans la partie I, je discuterai de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration)[23], qui entraîne des répercussions dans tout le domaine du droit administratif, même si l’objet précis concerne l’immigration. Je vais traiter brièvement de l’arrêt CSFTNO, qui est peu susceptible d’entraîner des répercussions à long terme dans le domaine du droit de l’énergie, mais qui mérite néanmoins d’être surveillée. Je terminerai la partie I en soulignant certaines décisions d’appel qui soulignent l’importance d’une justification réceptive de la part de tous les décideurs, peu importe leur statut et leur perception des enjeux : les avocats du secteur de l’énergie qui rédigent et contestent des décisions devraient en prendre bonne note.

Dans la partie II, je parlerai de deux récentes décisions d’appel sur la portée des pouvoirs de règlementation, un sujet important qui a attiré l’attention des tribunaux fédéraux et de l’Alberta au cours de la dernière année. Les deux décisions réaffirment d’importants principes fondamentaux et, dans l’exemple de la cour de l’Alberta, la décision propose une réflexion sur des questions importantes au sujet de l’autorité des décisions antérieures à l’ère postérieure à Vavilov. Dans la section I, je parlerai également d’une importante décision récente de la Cour d’appel fédérale sur la transparence de la justice, qui pourrait être d’application générale, d’une contribution à l’équité procédurale intéressante de la Cour d’appel de l’Alberta, mais qui n’aura probablement pas de ramifications systémiques, et d’une décision de la Cour suprême sur la règlementation extraterritoriale.

Dans la partie III, j’aborderai une question à l’ordre du jour de la Cour suprême du Canada, à savoir l’incidence d’un droit d’appel circonscrit sur la capacité d’une partie de demander un contrôle judiciaire[24]. Cette question a suscité énormément d’attention depuis l’arrêt Vavilov et a généré beaucoup de chaleur (mais pas nécessairement de lumière). La Cour suprême pourra ou non se prononcer avec autorité sur cette question dans une décision à venir, mais entre-temps, compte tenu de la jurisprudence des cours d’appel et des cours de première instance qui s’accumule, il me semble que le moment est choisi pour faire le point. Compte tenu de la prévalence des droits d’appel limités en droit règlementaire canadien, ce sujet est extrêmement important pour les avocats du secteur de l’énergie.

Je n’aborderai pas ici la norme de contrôle applicable à la règlementation[25], une question qui sera débattue à la Cour suprême en avril, mais le professeur Mullan en a discuté de façon exhaustive dans un numéro récent du trimestriel. Je vais donc attendre patiemment de voir ce que la Cour suprême en dit. Je suis également l’avocat de l’appelant dans l’une de ces affaires et j’ai peu à ajouter, hormis mes observations écrites, à ce que j’ai déjà dit à ce sujet. Si je suis réinvité l’année prochaine, j’espère pouvoir vous faire part de mes réflexions sur la décision de la Cour suprême à ce sujet.

I. SÉLECTION DE LA NORME DE CONTRÔLE DE LA RAISONNABILITÉ ET APPLICATION DE LA NORME DE LA DÉCISION RAISONNABLE

Après un hiatus de près de quatre ans, la Cour suprême du Canada a appliqué cette année la norme de la décision raisonnable pour la première fois depuis l’arrêt Vavilov et l’arrêt semblable Postes Canada. L’arrêt Mason est important en ce qui concerne la méthodologie de contrôle de la raisonnabilité, à savoir (1) le besoin qu’un tribunal administratif prenne en compte les observations des parties; (2) la mesure dans laquelle les motifs implicites peuvent appuyer le caractère raisonnable d’une décision et (3) lorsqu’une cour de révision peut consulter une loi. Je commencerai toutefois par parler du choix de la norme de contrôle par les juges majoritaires, qui pourrait porter le coup de grâce à l’analyse du contexte.

SÉLECTION DE LA NORME DE CONTRÔLE : LA MORT DU CONTEXTE?

L’arrêt Mason est une affaire de droit de l’immigration. Dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, l’article 74(d)[26] autorise la Cour fédérale, après avoir entendu une demande de contrôle judiciaire portant sur une affaire d’immigration ou de statut de réfugié, à certifier que l’affaire soulève une question grave de portée générale que la Cour d’appel fédérale doit trancher. Pendant des années, cette disposition a été interprétée comme exigeant un examen de la décision correcte sur des questions de droit. Comme la Cour suprême l’a expliqué dans une question rhétorique dans Pushpanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), « Se peut-il que le législateur ait prévu un appel exceptionnel devant la Cour d’appel sur des questions de « portée générale », mais ait exigé qu’en dépit de la « portée générale » de la question, la cour accepte les décisions de la Commission qui sont erronées en droit, voire clairement erronées en droit, mais non manifestement déraisonnables? » [27].

En 2015, la Cour suprême a brusquement changé de cap, appliquant la norme de la décision raisonnable à une question d’interprétation dans Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration)[28]. Je n’ai pas l’intention de discuter des tenants et aboutissants de ce différend (qui est bien décrit par la juge Côté dans ses motifs convaincants concordants aux para 128–37), mais je tiens simplement à souligner que l’approche de certification des questions est depuis longtemps une source importante de contestation[29].

Maintenant, bien sûr, le point de départ est le cadre que procure l’arrêt Vavilov. Avec des collègues, j’ai comparu devant la Cour dans l’affaire Mason au nom de l’intervenant pour l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés. Nous avons fait valoir qu’en vertu de l’arrêt Vavilov, la norme de la décision correcte devrait s’appliquer. Nous nous sommes fortement appuyés sur le retour apparent de l’analyse contextuelle dans l’affaire Entertainment Software Association[30], qui rend l’intention législative et les arguments relatifs à la primauté du droit conformes à l’approche utilisée dans l’affaire Entertainment Software Association. Je ne répéterai pas les arguments ici, car ils sont élaborés en détail avec clarté par la juge Côté dans ses motifs concordants aux para 146–176. Il suffit ici de dire qu’après avoir glissé nos doigts dans la porte entre-ouverte par l’affaire Entertainment Software Association, cette porte a été fermée par le juge Jamal dans Mason : « reconnaître en l’espèce l’existence d’une nouvelle catégorie de questions assujetties à la norme de la décision correcte entrerait en conflit avec l’objectif de l’arrêt Vavilov de simplifier et de rendre davantage prévisible le cadre d’analyse de la norme de contrôle en ne prévoyant que quelques exceptions limitées au principe du contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable »[31].

Bien que j’aie poussé un cri de douleur pour mes doigts blessés et la fin définitive du contrôle de la décision correcte sur des questions certifiées en vertu de la LIPR, je ne suis pas mécontent du résultat global. L’arrêt Vavilov a effectivement simplifié et clarifié le droit; le rejet de la prise en compte du contexte dans le choix de la norme de contrôle a constitué une partie importante de l’exercice de simplification et de clarification. Notre argument en faveur de la décision correcte dans Mason était adapté strictement[32], mais un rejet ferme de l’analyse contextuelle dissuadera fortement les tribunaux inférieurs d’ouvrir des catégories de la décision correcte. En effet, le juge Jamal n’a pas accordé ne serait-ce qu’un pouce de latitude à la portée des catégories existantes. Les questions certifiées ne sont pas, à son avis, des questions de droit générales d’une importance capitale pour le système juridique de par leur nature; en l’espèce, la question soulevée au sujet de la question certifiée était « spécifiquement l’interprétation des conditions » d’une disposition distincte[33], comme ce sera habituellement le cas.

C’est louablement clair. J’accueille de bon aloi la perde de la bataille sur la LIPR si elle signifie que la simplicité et la clarté prévalent dans les guerres qui font rage depuis des décennies en droit administratif canadien.

Néanmoins, nous nous trouvons maintenant dans une situation où, dans ses deux premières discussions sur la norme de contrôle à la suite de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a adopté des approches divergentes, s’appuyant fortement sur le contexte de l’affaire Entertainment Software Association, mais détournant le regard de l’arrêt Mason. Après tout, il est remarquable qu’une loi qui ne disait absolument rien au sujet du contrôle judiciaire ou des appels ait été retenue dans l’affaire Entertainment Software Association pour exiger un contrôle selon la norme de la décision correcte, mais qu’une loi comportant des mécanismes complexes relatifs au contrôle judiciaire et à l’appel ait été retenue, dans l’affaire Mason, pour démontrer l’absence de toute intention législative pertinente.

J’ai la nette impression que si l’affaire Mason avait été entendue et tranchée avant l’affaire Entertainment Software Association, les résultats de la norme de contrôle auraient été inversés. Pourtant, des divergences inexpliquées d’une année à l’autre — de ce genre particulier — ont été l’un des écueils qui ont mené à l’arrêt Vavilov. Si la Cour suprême veut atteindre la simplicité et la clarté promises par l’arrêt Vavilov, elle doit choisir une approche et s’y tenir. J’espère (pour le bien de la Cour suprême) que le rejet de l’analyse contextuelle dans Mason est définitif.

APPLICATION DE LA NORME DE LA DÉCISION RAISONNABLE : MÉTHODE DE CONTRÔLE DE LA RAISONNABILITÉ

La décision dans l’affaire Mason

La norme étant le caractère raisonnable, le juge Jamal s’est ensuite demandé si la décision en cause était raisonnable. La question particulière en l’espèce portait sur les dispositions de la LIPR relatives à l’interdiction de territoire, qui déterminent qui peut ou ne peut pas obtenir un statut au Canada. L’al. 34(1)e) rend inadmissible quiconque « [est] l’auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada ». Concrètement, une conclusion d’interdiction de territoire mène généralement à l’expulsion du Canada. M a été accusé de tentative de meurtre après avoir déchargé une arme à feu et blessé deux personnes lors d’un concert à la Légion royale canadienne en Colombie-Britannique. Les accusations ont toutefois été suspendues, et le demandeur n’a donc pas été déclaré coupable. Le ministre a soutenu — et la Section d’appel de l’immigration était d’accord — que la conduite du demandeur était visée à l’al. 34(1)e). M a fait valoir, sur la base du contrôle judiciaire, qu’il était déraisonnable d’interpréter l’al. 34(1)e) comme englobant les « acte[s] de violence » qui ne se produisent pas dans le contexte du terrorisme, des crimes de guerre ou de la criminalité organisée, étant donné qu’il s’agit des préoccupations qui sous-tendent les dispositions de la LIPR relatives à l’interdiction de territoire. M a fait valoir qu’il doit y avoir un lien entre la sécurité nationale et l’application de l’al. 34(1)e). Avant l’arrêt Vavilov, la Cour fédérale (le juge Grammond) l’a confirmé; après l’arrêt Vavilov, la Cour d’appel fédérale (le juge d’appel Stratas; avec le concours des juges d’appel Rennie et Mactavish) a conclu que la décision du tribunal était raisonnable.

Le juge Jamal a conclu que la décision du tribunal était déraisonnable. Le point de départ de son analyse a été les motifs du tribunal[34], interprétés comme éteignant le besoin que ces motifs « refléter ces enjeux »[35], soit la possibilité d’une expulsion du Canada. Partant de là, il a cerné trois lacunes dans la décision qui, cumulativement, ont mené à la conclusion du caractère déraisonnable. Bien que le tribunal ait « appliqué plusieurs techniques d’interprétation législative reconnues »[36], sa décision ne pouvait néanmoins pas résister au contrôle de la raisonnabilité.

Premièrement, le tribunal n’avait pas réussi à se rendre à l’argument de M voulant que l’al. 34(1)e) exige un lien avec la question de la sécurité nationale parce que la disponibilité de l’allégement discrétionnaire (par le ministre responsable) était plus étroite pour l’al. 34(1)e) que la disponibilité de l’allégement pour les infractions de grande criminalité et de criminalité (qui peuvent entraîner l’interdiction de territoire en vertu de l’article 36). La logique de l’argument de M est que le contexte de la loi indique que les crimes liés à la sécurité nationale doivent être considérés comme étant plus graves que les autres crimes, mais selon l’interprétation divergente, les crimes moins graves (en fait, en l’espèce, un crime pour lequel il n’y a même pas eu de condamnation) porteraient les conséquences les plus graves possibles. Il s’agissait d’un argument clé avancé par M — et donc « une contrainte juridique importante à l’interprétation de l’al. 34(1)e) » — mais le tribunal n’en a pas tenu compte[37].

Le tribunal n’avait pas non plus réussi à s’attaquer à un argument connexe au sujet de l’incidence d’une conclusion fondée sur l’al. 34(1)e) sur l’examen des risques avant renvoi qui doit être effectué par le ministre responsable avant la déportation de M ou d’une personne se trouvant dans une situation semblable. Encore une fois, l’argument de M était que le régime législatif n’aurait de sens que si les conséquences les plus graves étaient liées au motif d’interdiction de territoire le plus grave, à savoir la sécurité nationale, mais, encore une fois, le tribunal n’a pas tenu compte « de cet argument contextuel important qui… imposait une contrainte juridique importante »[38].

Deuxièmement, le tribunal n’a pas réussi à comprendre l’argument de M selon lequel le fait de ne pas exiger un lien avec la sécurité nationale entraînerait des conséquences absurdes que le Parlement n’aurait pas pu prévoir. La définition plus large engloberait un large éventail d’actes criminels ordinaires, allant des altercations domestiques aux bagarres dans des bars et dans les cours d’école. Ensuite, les personnes soupçonnées d’avoir commis ces actes subiraient la conséquence grave d’une interdiction de territoire au Canada (même si elles n’avaient pas nécessairement été reconnues coupables par un tribunal d’avoir commis l’acte en question)[39]. Cela « ferait fi » également des limites de la LIPR relativement aux jeunes contrevenants[40]. Encore une fois, le tribunal aurait dû tenir compte de cet aspect, qui n’était pas un « aspect mineur » du contexte interprétatif[41].

Troisièmement, le tribunal n’avait pas tenu compte des obligations du Canada en matière de droit international. L’analyse du juge Jamal est longue, mais le point clé est le suivant :

L’interprétation de la SAI permettrait de refouler un étranger qui a été déclaré interdit de territoire en application de l’al. 34(1)e), ce qui est contraire au par. 33(1) de la Convention relative aux réfugiés. En effet, selon l’interprétation de la SAI, un étranger pourrait être expulsé vers un pays où il risque d’être persécuté une fois qu’il a été déclaré interdit de territoire en application de l’al. 34(1)e), et ce, même s’il n’a pas été établi qu’il représente un danger pour la sécurité du Canada ou s’il n’a pas été reconnu coupable d’une infraction grave. Une telle personne pourrait invoquer le bénéfice du par. 33(1) de la Convention relative aux réfugiés, puisque les exceptions prévues au par. 33(2) ne s’appliqueraient pas. Selon la conception que la SAI se fait de l’interdiction de territoire prévue à l’al. 34(1)e), il ne serait pas nécessaire d’avoir des « raisons sérieuses » de considérer l’étranger comme un « danger pour la sécurité » du Canada ou qu’il ait « été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave »[42].

Comme la LIPR doit toujours être interprétée en tenant compte des obligations internationales du Canada, il s’agissait d’une lacune fatale dans les motifs du tribunal. La SAI « a fait fi du principe du nonrefoulement — la « pierre angulaire du régime international de protection des réfugiés » — et elle a plutôt fait abstraction d’une contrainte juridique essentielle imposée à l’interprétation de la LIPR, une contrainte dont le législateur a décrété qu’elle devait être prise en compte pour interpréter et appliquer la LIPR »[43]. Il s’agissait d’une « omission cruciale » et la décision était donc déraisonnable[44]. Tout cela, même si l’argument du droit international n’avait pas été présenté au tribunal.

En réalité, il n’y avait qu’une seule interprétation raisonnable de l’al. 34(1)e), à savoir qu’un lien avec la sécurité nationale est requis. Les deux éléments contextuels que le tribunal n’a pas pris en compte, et « en particulier » l’élément relatif au droit international, « appuyaient fermement » l’interprétation de l’appelant de l’al. 34(1)e)[45]. Mais cette conclusion découlait de ce qu’on pourrait appeler une approche interne plutôt qu’externe, fondée sur les motifs plutôt que sur les dispositions législatives elles-mêmes[46].

La décision dans l’affaire CSFTNO

Dans les motifs rédigés par la juge Côté, la décision dans l’affaire Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest c Territoires du Nord-Ouest (Éducation, Culture et Emploi)[47] rappelle la décision dans Mason à cet égard (j’ai comparu pour l’intervenant du Yukon Francophone School Board). Cette affaire comportait plusieurs exercices du pouvoir discrétionnaire du ministre de refuser l’admission dans des écoles de langue française. La ministre avait adopté une politique qui élargissait les catégories de titulaires de droits des minorités prévues à l’article 23 de la Charte et avait permis à un groupe élargi d’enfants de fréquenter l’école en français. Cependant, les enfants en cause dans cette affaire n’étaient pas couverts par la portée de la politique. Ils étaient soit francophones, soit autrement intégrés à la communauté francophone des Territoires du Nord-Ouest, soit susceptibles de contribuer à la vitalité de la communauté en fréquentant l’école en français. Dans chaque cas, la Commission (la commission scolaire francophone provinciale) a recommandé qu’ils soient autorisés à fréquenter une école de langue française. Mais ces enfants ne s’inscrivaient pas dans la portée de la politique. Essentiellement, pour cette raison, la ministre avait refusé de leur permettre de fréquenter une école de langue française.

La Cour suprême a conclu à l’unanimité que les décisions de la ministre étaient déraisonnables. Dans les faits, les valeurs sous-jacentes de l’article 23 ont été engagés même si le droit lui-même ne l’était pas, car il y avait un « lien clair » entre l’article 23 et l’exercice du pouvoir discrétionnaire « puisque [les décisions] sont susceptibles d’avoir une incidence sur un milieu éducatif en situation minoritaire »[48]. Les valeurs sous-jacentes à l’article 23 supposent le maintien et le développement de la vitalité de la langue de la minorité (valeurs auxquelles l’admission des enfants aurait contribué)[49]. Des preuves d’un lien clair entre l’admission de ces élèves francophones ou francophiles et les valeurs qui sous-tendent l’article 23 ont été présentées à la ministre. Cependant, la ministre n’a pas réussi à justifier ses décisions compte tenu de la preuve de ce lien. (Il y a beaucoup plus à dire au sujet de la distinction entre les droits garantis par la Charte et les valeurs de la Charte et certaines des difficultés potentielles créées par l’analyse à l’arrêt CSFTNO, mais, heureusement, il est peu probable que les avocats spécialisés en droit de l’énergie en tiennent rigueur.)

Répercussions sur la méthode de contrôle de la raisonnabilité

La méthodologie de contrôle de la raisonnabilité comporte quatre grandes ramifications.

Premièrement, bien qu’il soit maintenant presque banal de le dire, un décideur administratif doit répondre, dans ses motifs, aux observations des parties. Remarquez que la décision du tribunal dans Mason a été rendue longtemps avant la décision dans Vavilov. Je pense que les tribunaux d’un océan à l’autre comprennent maintenant qu’il est nécessaire d’examiner les arguments qui leur sont présentés pour rendre une décision raisonnable. C’est le principe de la justification réceptive qui était au cœur de l’arrêt Vavilov. Les seules limites pertinentes sont que l’exigence de répondre à une observation ne concerne qu’un argument « clé ». Dans ce cas-ci, les arguments étaient des « éléments essentiels » à l’appui de la thèse de M[50].

C’est une caractéristique remarquable de l’arrêt Vavilov. Non seulement les motifs du tribunal sont-ils traités comme point de départ — ce qui élève le tribunal à un statut de partenaire égal[51] (presque) en ce qui concerne l’interprétation du droit — mais les motifs du tribunal sont façonnés par l’interaction entre le tribunal et le citoyen. Vavilov exige, pourrait-on dire, un processus législatif dirigé par le citoyen.

Deuxièmement, l’arrêt CSFTNO démontre qu’un décideur doit aussi composer avec des éléments de preuve pertinents. En l’espèce, la décision de la ministre était déraisonnable parce qu’elle n’a pas tenu compte de l’appui de la Commission aux demandes[52]; elle n’a pas tenu compte des « caractéristiques individuelles de chaque demande par rapport aux bénéfices qui pourraient découler de la décision de les accueillir »[53]; elle a « accordé une trop grande importance à son obligation de prendre des décisions cohérentes »[54]et « a accordé un poids disproportionné au coût des services envisagés dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire »[55]. Cela signifie qu’elle « n’a pas démontré qu’elle s’est penchée de façon significative dans ses décisions sur les valeurs que constituent le maintien et l’épanouissement de la communauté franco‑ténoise, de manière à refléter les répercussions importantes que ces décisions pouvaient avoir sur celle-ci »[56]. En bref, elle n’a pas fait preuve de réceptivité à l’égard de la preuve dont elle disposait quant à la contribution que l’admission de ces enfants apporterait à la vitalité de la communauté de langue officielle en situation minoritaire. Lorsqu’il y a des éléments de preuve dans le dossier qui ont une incidence sur la décision à prendre, le décideur ne peut pas les balayer du revers de la main; il doit plutôt s’y attaquer activement (ou, subsidiairement, expliquer pourquoi il n’est pas nécessaire de s’y attaquer).

Troisièmement, pour déterminer si un décideur a traité des arguments clés, une cour de révision doit faire preuve d’une grande prudence avant de déduire qu’un argument a été examiné. Dans l’affaire Mason, la Cour d’appel fédérale a conclu que le tribunal avait implicitement réfléchi aux arguments présentés. Le juge Jamal n’était pas du tout d’accord[57]. Comme il s’agissait d’arguments clés — des « éléments essentiels », il fallait les aborder de front et en y répondant par des motifs explicites.

Il est difficile d’établir des paramètres clairs. La question est de savoir dans quelle mesure une cour de révision doit tenir compte du « contexte institutionnel » et la référence à « de l’historique et du contexte de l’instance »[58] pour déduire que les arguments ont été traités. La référence au contexte permet de combler certaines lacunes dans les motifs d’un tribunal, mais pas toutes, de toute évidence. Voici ce que j’ai écrit (en commentant la décision de la Cour d’appel fédérale) dans mon livre sur l’arrêt Vavilov :

[Traduction]

Pour ma part, les termes « motifs implicites » ou « motifs sous-jacents » sont trop fortement associés aux jours les plus sombres de la décennie Dunsmuir, alors je préfère dire simplement que les décisions administratives devraient être interprétées équitablement, dans leur contexte global. Ce point est bien expliqué aux paragraphes 93–94 de l’arrêt Vavilov… sans mention des mots « implicites » ou « sous-jacents »… Je dirais que la meilleure façon de résumer ce passage, c’est qu’une décision n’est pas déraisonnable parce qu’elle ne mentionne pas expressément un point en particulier, alors qu’il est évident que le décideur n’en a pas tenu compte. Si un examen est nécessaire, ce devrait être un examen de l’évidence (note 49, aux pp 213–214)[59].

Autrement dit, le tribunal « doit avoir la certitude » qu’un argument a été traité[60]. Cela rejoint l’analyse de la Cour suprême dans l’arrêt Mason. De toute évidence, le juge Jamal n’était pas « convaincu » que le tribunal avait examiné les principaux arguments. Cela rejoint également l’analyse de l’arrêt CSFTNO, car il était loin d’être évident que la ministre avait traité les éléments de preuve établissant un lien entre les demandes et les valeurs sous-jacentes à l’article 23 de la Charte. Pour les décideurs, la leçon à retenir, c’est qu’il faut pécher par excès de prudence lorsqu’il s’agit de traiter un argument ou une preuve; la leçon à retenir pour les cours de révision, c’est qu’il faut pécher par excès de prudence lorsqu’il s’agit de ne pas déduire qu’un argument ou une preuve a été abordé en l’absence d’un débat explicite.

Quatrièmement, le traitement du droit international crée une tension dans les motifs du juge Jamal dans Mason et, en fait, rappelle une tension fondamentale dans l’arrêt Vavilov. Le tribunal n’a pas entendu d’arguments sur le droit international. Pourtant, le juge Jamal a conclu que le droit international constituait une contrainte juridique importante pour le tribunal.

D’une part, le juge Jamal a reproché à la Cour d’appel fédérale d’avoir introduit une étape supplémentaire dans l’analyse de l’arrêt Vavilov. Comme la Cour l’a décrit ci-dessous, le juge devrait procéder à « une analyse préliminaire du texte, du contexte et de l’objet de la loi, simplement pour comprendre l’état de la situation, avant d’examiner les motifs du décideur administratif »[61]. Le juge Jamal est d’avis que l’« arrêt Vavilov indique clairement que la cour de révision doit commencer son analyse à partir des motifs du décideur administratif; prendre comme point de départ sa propre perception du fond de l’affaire risque d’amener la cour de révision à glisser vers un contrôle selon la norme de la décision correcte »[62].

Par ailleurs, le juge Jamal a cherché des dispositions pertinentes de la LIPR qui indiquaient clairement que le législateur voulait que la LIPR soit interprétée conformément aux obligations internationales du Canada, comme l’alinéa 3(2)b) qui stipule que l’un des objets de la LIPR est « de remplir les obligations en droit international du Canada relatives aux réfugiés et aux personnes déplacées et d’affirmer la volonté du Canada de participer aux efforts de la communauté internationale pour venir en aide aux personnes qui doivent se réinstaller » et l’alinéa 3(3)f) qui exige que l’interprétation et l’application de la LIPR soient conformes « aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire ». Cela reposait certainement sur une considération — loin d’être préliminaire — du texte de la LIPR, que le tribunal n’a pas examiné et qu’il n’a pas été invité à examiner. Le processus législatif dirigé par le citoyen a ses limites!

Plus sérieusement, je pense que cette question exige une analyse minutieuse. Pour commencer, dans ses motifs typiquement convaincants pour la Cour d’appel fédérale, le juge d’appel Stratas s’est attardé à un thème que j’ai développé avant l’arrêt Vavilov dans un article portant sur les motifs réfléchis et sophistiqués du juge Grammond en première instance dans l’affaire Mason[63]. L’approche « interne » que j’ai préconisée a été conçue pour produire un contrôle judiciaire déférent et est conforme à l’arrêt Vavilov; l’approche « externe » que j’ai décrite a été explicitement rejetée dans l’arrêt Vavilov. Par conséquent, la méthode d’examen préliminaire de la Cour d’appel fédérale n’a pas été conçue pour mener à un contrôle judiciaire moins déférent. Bien au contraire.

Cela ne veut pas dire qu’une cour de révision devrait littéralement élaborer un point de vue préliminaire avant même de lire les motifs du tribunal. L’approche « interne » du juge d’appel Stratas vise à s’assurer qu’une cour de révision a une compréhension de base de la structure législative. Sans une telle compréhension, une cour de révision pourrait fort bien ne pas savoir quels arguments sont importants et quelles dispositions législatives auraient vraisemblablement figuré dans les motifs du tribunal. En fait, en pratique, les observations écrites des parties présenteront les dispositions pertinentes à une cour de révision. Elle doit donc avoir une idée de la façon dont la décision est rendue par rapport au régime législatif. Le fait que le juge Jamal se soit appuyé sur les dispositions de droit international de la LIPR prouve qu’une cour de révision ne peut pas procéder à un contrôle de la raisonnabilité dans l’abstrait, en s’écartant hermétiquement du texte législatif, du contexte et de l’objet.

Cela rappelle une tension à l’intérieur même de l’arrêt Vavilov. De nombreux passages de la discussion sur le contrôle de la raisonnabilité témoignent d’un engagement à faire preuve de déférence, mais d’autres laissent entendre que le contrôle judiciaire est plus intrusif. La discussion des principes d’interprétation des lois est emblématique de cette approche de type « d’une part, mais d’autre part », les décideurs étant autorisés à suivre une approche que les tribunaux ne seraient pas tenus de prendre en compte, mais aussi le texte, l’objet et le contexte. De même, bien que la norme de la décision raisonnable soit la norme de contrôle présomptive et que les questions de « compétence » ne fassent plus l’objet d’un contrôle de la décision correcte, il a également été suggéré dans l’arrêt Vavilov que certaines contraintes juridiques imposées aux décideurs administratifs sont exécutoires. Un décideur ne peut « élargir la portée de leurs pouvoirs au-delà de ce que souhaitait le législateur »[64] ou « de s’arroger des pouvoirs que le législateur n’a jamais voulu lui conférer »[65]. En particulier, un engagement à l’égard d’un processus législatif dirigé par le citoyen et d’un processus décisionnel raisonné peut tomber sous le vénérable principe selon lequel la compétence ne peut être accordée par consentement des parties[66].

En l’espèce, le juge Jamal est tout à fait sensible aux aspects déférents de ce qui a été dit dans l’arrêt Vavilov au sujet de l’interprétation des lois. Je pense qu’il serait d’accord pour dire que l’approche d’un décideur administratif pourrait « enrichi[r] et rehausse[r] bel et bien l’interprétation »[67]. Néanmoins, l’arrêt Vavilov affirme également qu’un décideur administratif « doit » tenir compte du texte législatif, du contexte et de l’objet. Dans Mason, l’une des raisons pour lesquelles l’interprétation du tribunal ne pouvait pas tenir, c’est qu’il n’avait pas tenu compte des éléments du régime législatif que le juge Jamal a jugés importants. Cette tension transcende l’arrêt Vavilov. Mason ne l’élimine pas.

Une chose est claire, cependant. En vertu de la LIPR, l’examen des obligations internationales sera obligatoire, ou presque obligatoire, dans l’interprétation de la loi à l’avenir. L’arrêt Vavilov a clairement indiqué que le droit international est parfois une contrainte pertinente. L’arrêt Entertainment Software Association a indiqué clairement que les obligations internationales sont pertinentes pour le contexte de l’analyse de l’interprétation des lois. Mason précise que le droit international constitue une contrainte pertinente pour les décideurs en vertu de la LIPR. Le fait de ne pas tenir compte des obligations pertinentes du droit international dans le contexte de la LIPR entraînera généralement des décisions déraisonnables. La meilleure façon de penser au troisième aspect de l’analyse du caractère raisonnable dans l’arrêt Mason est peut-être que le législateur a pris un engagement textuellement explicite et particulièrement puissant à l’égard de la mise en œuvre des obligations du Canada en matière de droit international dans la LIPR, ce qui n’aura probablement pas la même force dans un autre contexte (sauf, peut-être, la citoyenneté).

Il est difficile d’imaginer de nombreuses autres situations dans lesquelles les parties et le décideur auront complètement ignoré une limite claire de l’autorité d’un décideur, mais l’arrêt Mason suggère que, lorsque tel est le cas, un tribunal doit respecter cette limite. L’arrêt Mason suggère également que, lorsque c’est le cas, il existe une voie de dérogation à la règle ordinaire selon laquelle un argument qui n’a pas été présenté à un décideur ne peut pas être soulevé dans le cadre d’un contrôle judiciaire[68]. Il faut dire quelque chose de semblable à propos de l’arrêt CSFTNO, c’est-à-dire que lorsque les éléments de preuve sont manifestement pertinents pour la tâche dont est saisi le décideur, ils doivent être justifiés de façon réceptive, peu importe si une partie les a mentionnés ou non. Toutefois, pour revenir à un point que j’ai soulevé dans l’introduction, il faut se garder de voir dans deux décisions ce qui n’y serait pas. L’une (Mason) aurait sûrement été écrite différemment par le tribunal si elle avait bénéficié de l’arrêt Vavilov et l’autre (CSFNTO) a été rendue dans le contexte hautement litigieux des droits des minorités linguistiques et a fait intervenir le concept âprement contesté des valeurs de la Charte.

Pour conclure, permettez-moi d’établir un lien entre la discussion sur la norme de contrôle et la fin de la discussion sur le contrôle de la raisonnabilité. Il y a déjà des tensions dans la jurisprudence suivant l’arrêt Vavilov de la Cour suprême. Il y a des tensions à l’intérieur même de l’arrêt Vavilov, dont certaines sont évidentes dans Mason. Pour s’assurer que les tensions à l’intérieur du cadre et de la jurisprudence de l’arrêt Vavilov ne causent pas de difficultés graves, la Cour suprême devra tracer une voie cohérente et s’y tenir.

CONTRÔLE DE LA RAISONNABILITÉ RÉCEPTIF

Dans cette section, je tiens à souligner deux décisions d’appel qui soulignent le message de l’arrêt Vavilov — répété dans les arrêts Mason et CSFTNO — au sujet de l’importance d’une prise de décisions réceptive. Un commentateur a fait remarquer que la proportion des décisions confirmées en vertu de l’arrêt Vavilov est probablement peu différente de la proportion confirmée en vertu de ses prédécesseurs[69]. Néanmoins, l’arrêt Vavilov a sans aucun doute relevé la barre pour ce qui est des motifs et, dans certaines régions, ses effets ont été ressentis de façon marquée.

Prenons d’abord une affaire de droit de l’énergie, Shell Canada Limited v Alberta (Energy)[70]. Il s’agissait du calcul des redevances à payer à la province pour un projet de sables bitumineux de Shell. Alberta Energy a vérifié le projet et a refusé certains coûts réclamés par Shell. Shell a interjeté appel en vertu des règlements applicables, mais le directeur des Services de règlement des différends a conclu que, dans le sens ordinaire et grammatical des règlements, les dépens avaient été refusés à juste titre. Shell a ensuite demandé la nomination d’un Comité de règlement des différends (CRD). Le ministre a refusé de convoquer un CRD, au motif que la position de Shell sur le point sous-jacent de l’interprétation était tout à fait sans fondement, pour les motifs suivants :

[Traduction]

La position du ministère à cet égard est que l’interprétation demandée par Shell relativement aux coûts « exclusivement réservés » est incompatible avec les règlements en l’état. Les règlements demeurent le cadre juridique dans lequel ces questions doivent être examinées[71].

C’était l’ensemble du raisonnement sur le point sous-jacent de l’interprétation. Sans surprise, la Cour d’appel a conclu que c’était déraisonnable. Une simple répétition de la position du ministère qui n’est pas accompagné d’une explication de l’analyse effectuée ou du critère appliqué, l’omission de divulguer le processus de raisonnement du ministère et l’omission de toute discussion portant sur le contexte et l’objet ne respectaient pas la norme de justification établie dans l’arrêt Vavilov[72]. Comme la position de Shell ne pouvait être qualifiée de manifestement non fondée, cela ne suffisait pas comme justification. Fait intéressant, comme le ministre avait mis beaucoup de temps — trois ans! — pour répondre à Shell, le juge de révision avait non seulement ordonné au ministre de convoquer un CRD, mais aussi formulé la question adressée à celui-ci. La Cour d’appel a jugé qu’il s’agissait de la mesure corrective appropriée dans les circonstances.

Traditionnellement, le pouvoir discrétionnaire du ministre a fait l’objet d’un examen déférent par les tribunaux, en partie en raison de la possibilité d’une responsabilité politique par l’entremise du législateur. Mais cette décision est la preuve que les ministres ne peuvent se soustraire à l’arrêt Vavilov; indépendamment de leur responsabilité politique, ils doivent faire preuve de réceptivité à la satisfaction des tribunaux.

Pour changer un peu de sujet, il est également clair que la perception du décideur selon laquelle les enjeux sont faibles ne justifiera pas les lacunes en matière de réceptivité. L’analyse présentée dans l’affaire Law Society of Newfoundland and Labrador v Buckingham[73] porte sur les décisions de « sélection » visant à déterminer s’il est approprié d’envoyer un professionnel règlementé à une audience disciplinaire officielle. Au moment de prendre de telles décisions, l’organisme disciplinaire pourrait très bien imposer des sanctions moindres visant à punir un comportement qui ne semble pas justifier des conséquences plus graves. Le client B est décédé en détention dans le système correctionnel provincial. Dans les commentaires des médias, B a laissé entendre que les agents correctionnels étaient responsables du décès. Un syndicat de fonctionnaires s’est plaint au Barreau et, après quelques échanges, l’affaire a été renvoyée au comité d’autorisation des plaintes. Le comité a conclu que B méritait une sanction (bien qu’il n’ait pas renvoyé l’affaire pour une audience officielle) et a émis une « lettre de l’avocat ». Le comité était d’avis qu’il n’était pas tenu de fournir des motifs et, par conséquent, en émettant la lettre, il a simplement déclaré qu’il le faisait en fonction des renseignements au dossier :

[Traduction]

Le comité fait remarquer qu’à l’époque où il [M. Buckingham] a fait ces deux déclarations publiques, les preuves à l’appui n’existaient pas. Le dossier a démontré que [M. Buckingham] avait fait ces déclarations le 8 novembre 2019 et que la cause du décès, un homicide, avait été déclarée en décembre 2019[74].

Le juge d’appel O’Brien a annulé la décision en invoquant le caractère déraisonnable, faisant remarquer que l’arrêt Vavilov avait affirmé [traduction] « la nécessité de développer et de renforcer une culture de la justification au sein du processus décisionnel administratif »[75]. Il a insisté sur le fait que, dans ce cas-ci, le comité prenait une décision finale et que, dans un tel contexte [traduction] « il faudra habituellement aller plus loin pour expliquer le résultat aux personnes touchées, car elles n’auront plus la possibilité de se faire entendre »[76]. De façon critique, la réponse de B aux allégations faisait partie de la matrice factuelle à laquelle le comité était tenu de répondre[77]. De plus, il y aurait d’importantes conséquences pour B à l’avenir s’il devait faire face à d’autres procédures disciplinaires ou demander une nomination à la magistrature. Compte tenu de ces contraintes, la décision était déraisonnable par manque de justification[78]. Par conséquent, même une simple décision de sélection — qui a abouti à un résultat plus favorable pour B qu’un renvoi à une audience disciplinaire formelle — déclenche les exigences de l’arrêt Vavilov et oblige les décideurs à être réceptifs.

L’arrêt Vavilov a réussi à rafraîchir les parties de l’état du droit administratif que les cadres précédents n’atteignaient pas — même le pouvoir discrétionnaire du ministre sur des questions délicates de politique ne fait pas exception. Bien entendu, il s’agit d’un projet en cours, alors il faut s’attendre à des erreurs et des omissions (et les établissements carcéraux[79] semblent être une exception notable jusqu’à présent). Néanmoins, les grandes lignes sont claires : un contexte institutionnel est pertinent pour évaluer le caractère raisonnable d’une décision, mais le contexte ne fournit pas à un décideur qui a rédigé des motifs déficients une carte de « sortie de prison sans frais ».

II. PORTÉE DES POUVOIRS DE RÈGLEMENTATION

En ce qui concerne la portée des pouvoirs de règlementation, deux affaires — l’une de la Cour d’appel fédérale et l’autre de la Cour d’appel de l’Alberta — ont réaffirmé les premiers principes et (dans l’affaire de l’Alberta) ont offert quelques réflexions sur l’interaction entre le cadre de Vavilov et des décisions antérieures. De toute évidence, les pouvoirs de règlementation de toute description sont assujettis aux exigences de réceptivité décrites précédemment dans le présent document. En outre, ceux qui exercent des pouvoirs de règlementation doivent tenir compte de la primauté des lois. La décision de la Cour d’appel fédérale dont il est question ci-après souligne la nécessité de déterminer les attributions positives de pouvoirs dans les lois, tandis que la décision de l’Alberta met l’accent sur la façon dont les sources législatives de pouvoir peuvent être plus importantes que les décisions antérieures des tribunaux lorsqu’il s’agit de déterminer la portée des pouvoirs de règlementation.

ENCHÂSSER LE POUVOIR DE RÈGLEMENTATION DANS LES TEXTES LÉGISLATIFS

La décision de la Cour d’appel fédérale (dans laquelle, comme nous le verrons, je n’étais pas seulement aux premières loges, mais j’ai fait mon chemin jusqu’au ring) concernait une cause fascinante, complexe et controversée au sujet de la règlementation de la radiodiffusion et de la liberté d’expression : Société Radio-Canada c Canada (Procureur général)[80]. Dans une décision majoritaire, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a conclu que Radio-Canada avait contrevenu aux objectifs de la Loi sur la radiodiffusion en permettant la diffusion du mot commençant par le « mot en n » (en français) à répétition dans le même segment sans avertir les téléspectateurs[81].

Le plaignant dans l’affaire était une personne racialisée qui était dans le studio au moment du segment. Il a déposé une plainte alléguant que Radio-Canada avait enfreint l’alinéa 3b) du Règlement de 1986 sur la radio,[82] et plusieurs objectifs de la Loi sur la radiodiffusion[83]. La majorité du CRTC n’a pas conclu que le Règlement avait été enfreint, mais a conclu que la diffusion contrevenait aux objectifs de la Loi, car elle « n’a pas respecté la norme de programmation de haute qualité et n’a pas contribué au renforcement du tissu culturel et social ainsi qu’au reflet du caractère multiculturel et multiracial de la société canadienne »[84].

La majorité du CRTC a situé sa compétence à l’al. 5(1) de la Loi, qui prévoit que le CRTC « réglementer et de surveiller tous les aspects du système canadien de radiodiffusion en vue de mettre en œuvre la politique canadienne de radiodiffusion » énoncée à l’al. 3(1)[85].

Les membres dissidents du CRTC ont contesté l’analyse de leurs collègues, en particulier le fait que les membres majoritaires n’ont pas fait référence à la protection de la liberté d’expression prévue par la Charte ou à la protection prévue par la loi à cette fin à l’al. 2(3) de la Loi.

Radio-Canada a exercé son droit d’appel devant la Cour d’appel fédérale sur une question de droit ou de compétence. Les motifs d’appel de Radio-Canada étaient les suivants : 1) que le CRTC n’a pas compétence pour punir un radiodiffuseur en se reportant uniquement à la politique de radiodiffusion énoncée dans la Loi; 2) que le CRTC n’avait pas abordé la question de la Charte; 3) que le CRTC n’avait pas tenu compte de la plainte en vertu du Règlement et des modalités de la licence de Radio-Canada. La Cour d’appel fédérale a accordé l’autorisation d’interjeter appel.

À ce moment-là, le dossier a pris une tournure inhabituelle. Tout d’abord, le procureur général du Canada, qui est l’intimé dans les appels du CRTC, a présenté une requête pour qu’il soit fait droit à l’appel sur consentement en vertu de la règle 349 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. Deuxièmement, le CRTC a demandé l’autorisation d’intervenir pour défendre sa décision, mais a essuyé un refus, au motif que son intervention ne serait pas conforme aux principes de participation au tribunal dans les procédures d’appel ou de révision énoncés dans Ontario (Commission de l’énergie) c Ontario Power Generation Inc[86].

La Cour d’appel a ensuite exercé son pouvoir inhérent de gérer ses procédures pour nommer un amicus curiae. J’ai été nommé pour m’assurer que la cour avait une vue d’ensemble des arguments juridiques. On m’a demandé de présenter tous les arguments que le CRTC pourrait présenter pour défendre sa décision, étant donné l’immunité contre les dépens, et 20 jours après la conclusion d’une entente sur mes honoraires avec le procureur général du Canada, pour présenter des observations écrites (en français, la langue du dossier). Une bonne partie de mon mois de février a été consacrée à la recherche d’arguments en faveur de la décision du CRTC qui, à mon avis, méritaient l’attention réfléchie de la cour.

En fin de compte, la Cour d’appel a conclu que le CRTC avait agi illégalement, rendant une décision importante sur la portée des pouvoirs de règlementation applicables à tout contexte, y compris en droit de l’énergie. Les arrêts phares sont le Renvoi relatif à la Politique règlementaire de radiodiffusion CRTC 2010-167 et l’ordonnance de radiodiffusion CRTC 2010-168[87]. Ici, une majorité de juges de la Cour suprême a conclu que, lorsqu’il prend des règlements, le CRTC ne peut pas se fier directement aux objets de la Loi, car les énoncés de politique dans la loi ne confèrent pas de compétence[88]. Par la suite, la Cour d’appel fédérale a fait remarquer que « l’article 3 et l’article 5 de la Loi n’attribuent pas la compétence et ne sont pas suffisants en soi pour justifier la validité de… dispositions règlementaires »[89]. D’où la conclusion du procureur général du Canada selon laquelle une décision fondée sur les articles 3 et 5 de la Loi dépassait la compétence du CRTC et était donc indéfendable.

J’ai fait valoir que la décision rendue dans Cogeco (et TVA) ne portait que sur la fonction de règlementation du CRTC. En l’espèce, le CRTC s’est acquitté de sa fonction de surveillance en utilisant les pouvoirs procéduraux énoncés (en termes très larges) au paragraphe 18(3) de la Loi : « Les plaintes et les observations présentées au Conseil, de même que toute autre question relevant de sa compétence au titre de la présente loi, font l’objet de telles audiences, d’un rapport et d’une décision — notamment une approbation — si le Conseil l’estime dans l’intérêt public ». J’ai fait valoir que les termes larges du paragraphe 18(3) devraient être mis en contraste avec le libellé plus restrictif — mais plus percutant — des conséquences possibles de l’article 12. De plus, dans Capital Cities Comm. c C.R.T.C.[90], une décision qui n’a pas été citée, encore moins infirmée par la majorité dans Cogeco, la Cour suprême a conclu que l’article 5 de la Loi conférait effectivement compétence au CRTC.

La Cour d’appel n’était pas convaincue :

Capital Cities appuie plutôt la position du Procureur général selon laquelle le paragraphe 5(1) n’est pas plus attributif de compétence que le paragraphe 3(1), chacun ayant comme objet de guider l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au CRTC, l’un sous la forme d’une politique et l’autre sous la forme d’une mission.

En effet, le paragraphe 5(1), de par son libellé, confère au CRTC la mission d’élaborer un cadre règlementaire et de surveiller ce qui est dit en ondes afin de mettre en œuvre la politique canadienne de radiodiffusion. Il s’ensuit que la prétention de l’amicus voulant que le CRTC puisse avoir recours à cette politique comme si elle constituait en soi une règle de conduite faisant partie du cadre règlementaire régissant ce qui peut être dit sur les ondes doit échouer.

Contrairement à la politique canadienne de radiodiffusion qui a pour vocation de guider l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au CRTC, les règles de conduite sont érigées dans le but d’établir des balises en ce qui a trait à ce qui peut et ne peut être dit sur les ondes. Il s’ensuit qu’imposer des sanctions en fonction de cette seule politique comme si elle s’érigeait elle-même en règle de conduite va à l’encontre du rôle que le législateur lui a attribué[91].

Il s’agit d’une décision très importante sur la portée des pouvoirs de règlementation. Pour commencer, cette affaire sert à rappeler qu’une disposition sur les « objectifs » d’une loi, qui est habituellement rédigée en termes larges, ne confère pas à un organisme de règlementation le pouvoir d’exercer un pouvoir sur les entités règlementées. La proposition centrale, fondée sur une interprétation large de la décision majoritaire de Cogeco, est qu’un décideur ne peut pas utiliser des pouvoirs généraux pour imposer des sanctions lorsqu’il dispose de pouvoirs plus précis, même si ces pouvoirs généraux sont établis en termes généraux. Il s’agit d’un changement important en ce qui concerne le CRTC, puisqu’il sanctionne le discours en direct en fonction des objets de la Loi depuis de nombreuses années[92]. Cela peut entraîner des conséquences pour l’organisme de règlementation et dans d’autres domaines. De toute évidence, pour exercer sa compétence sur un sujet donné, le décideur doit être en mesure de signaler une délégation de pouvoir prévue par la loi — et une telle délégation de pouvoir aura probablement préséance sur une délégation de pouvoir générale.

La Cour d’appel a également conclu que le CRTC avait commis une erreur en omettant d’analyser les répercussions sur la liberté d’expression.

L’affaire a ensuite été renvoyée au CRTC pour décision pour des motifs autres que les objets de la Loi[93].

De façon plus générale, la nomination d’un amicus curiae par la Cour d’appel fédérale est une évolution intéressante. Le droit traitant de la qualité pour agir d’un tribunal est tel qu’il se peut fort bien qu’un tribunal ne puisse pas participer à la défense de sa décision dans le cadre d’un appel ou d’une procédure de révision judiciaire, ou même que le tribunal ne puisse pas participer pleinement par crainte de paraître partial à l’avenir. Il y a beaucoup de raisons de féliciter la Cour d’appel fédérale d’avoir utilisé sa compétence inhérente pour nommer une personne compétente pour présenter des points de vue qu’un tribunal pourrait ne pas être en mesure de présenter. L’objectif ultime, bien sûr, est de s’assurer que le tribunal a une vue aussi complète que possible des aspects juridiques et factuels de l’affaire afin de rendre une décision éclairée. Les circonstances de l’appel étaient inhabituelles, puisque le procureur général du Canada avait expressément refusé de défendre la décision. Cependant, les tribunaux devraient également envisager le recours à l’amicus curiae dans d’autres instances : quand la défense d’un tribunal de sa décision est susceptible de soulever des préoccupations quant à son impartialité à l’avenir, un amicus curiae pourrait utilement présenter des observations et faire en sorte que le tribunal puisse prendre une décision éclairée. En fin de compte, cela ne peut que contribuer au maintien de la primauté du droit dans les secteurs règlementés de l’économie.

POUVOIR DE RÈGLEMENTATION, LOIS ET PRÉCÉDENTS JUDICIAIRES

Dans l’affaire ATCO originale en 2006 (connue sous le nom de Stores Block)[94], la Cour suprême du Canada s’est penchée sur la question de la portée du pouvoir conféré à un organisme de règlementation par sa loi habilitante, en faisant une distinction entre les pouvoirs exprès et implicites. Comme je l’ai écrit, cette distinction n’a pas beaucoup de sens et il serait préférable de se concentrer simplement sur l’intention législative, en tenant compte du texte législatif, de l’objet et du contexte[95]. Récemment, la Cour d’appel de l’Alberta a examiné l’incidence de l’affaire ATCO originale (Stores Block) et a fait la lumière sur l’approche appropriée pour déterminer la portée du pouvoir de règlementation : ATCO Electric Ltd v Alberta Utilities Commission[96].

La question en l’espèce concernait la légalité d’une décision de la Commission refusant à ATCO la capacité de recouvrer les coûts engagés à la suite de l’incendie de Fort McMurray : de l’avis de la Commission, elle n’avait pas le pouvoir d’autoriser ATCO à inclure ces coûts dans les tarifs facturés aux consommateurs d’électricité; il s’agissait de retraits « extraordinaires » d’actifs pour lesquels les consommateurs ne devraient pas payer la note.

La Commission en est arrivée à cette conclusion parce qu’elle s’est fondée sur l’affaire Stores Block et la jurisprudence subséquente pour limiter sa souplesse dans le traitement des biens détruits[97]. À la suite de Stores Block, la Commission a étendu la logique de cette décision à tous les retraits extraordinaires d’actifs[98]. Dans une affaire antérieure, la Cour d’appel a jugé que cette décision, qui était une décision de politique générale qui ne tenait pas compte d’un mode disposition précis des biens ou d’une demande de tarif, était raisonnable : FortisAlberta Inc v Alberta (Utilities Commission)[99].

Mais comme la Cour d’appel l’a souligné, Stores Block concernait la vente d’un actif et le pouvoir d’un organisme de règlementation d’assortir la vente de conditions[100]. Il s’agit d’un pouvoir beaucoup plus restreint que le pouvoir d’établissement des tarifs en cause ici. En effet, le pouvoir d’établissement de tarifs fait référence à des concepts comme la « dépréciation » et la « prudence » sans les définir, laissant à l’organisme de règlementation le soin de les définir au cas par cas[101]. À cet égard, la Commission disposait d’un « vaste pouvoir discrétionnaire »[102] et rien dans la décision de 2006 de la Cour suprême n’a dicté l’issue d’une procédure d’établissement des tarifs[103].

En effet, la décision dans l’affaire Stores Block n’était tout simplement pas analogue à la question dont était saisie la Commission, car elle portait sur la distribution des bénéfices (entre actionnaires et clients) provenant de la cession d’un bien, alors qu’ici, la propriété avait été détruite et qu’il n’y avait pas de bénéfices à distribuer[104]. Par conséquent, l’affaire a été renvoyée à la Commission pour un nouvel examen[105].

Il s’agit d’un bel exemple de l’importance de tenir compte du texte législatif, de l’objet et du contexte dans la détermination de la portée du pouvoir de règlementation. La Commission avait établi une analogie avec une affaire antérieure plutôt que de s’en remettre à au pouvoir que lui confère sa loi habilitante. Il s’agissait d’une erreur qui a amené la Commission à ne pas tenir compte de l’étendue de ses pouvoirs. En effet, lorsque la Cour suprême du Canada a examiné la portée du pouvoir d’établir des tarifs justes et raisonnables, elle a adopté une vision beaucoup plus large du pouvoir de règlementation que dans la décision initiale rendue dans l’affaire ATCO[106]. L’élément important à souligner ici est que le libellé législatif général confère un vaste pouvoir de règlementation, tandis que le libellé législatif plus restreint confère un pouvoir relativement plus restreint. Dans tous les cas, les organismes de règlementation devraient examiner d’abord et avant tout les lois, la jurisprudence n’étant pertinente que dans la mesure où elle porte sur la même loi qui constitue le fondement d’une décision proposée.

Il peut donc sembler étrange que la Cour d’appel se penche également sur des questions relatives à la jurisprudence, mais elle a néanmoins traité d’un point important au sujet du maintien de la force de ses décisions antérieures. Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a apporté des changements radicaux au cadre du droit administratif canadien. Par exemple, dans le cas d’un appel prévu par la loi, la norme de la décision correcte s’applique dorénavant aux questions de droit. Auparavant, la norme de la décision raisonnable s’appliquait souvent, même dans le cas d’un appel prévu par la loi sur une question de droit. Une abondante jurisprudence d’appel (surtout dans le domaine de la règlementation économique) était fondée sur l’examen du caractère raisonnable des décisions administratives. Toutefois, étant donné que le contrôle de la raisonnabilité est devenu synonyme de multiples interprétations possibles, quelle est la force de précédent aujourd’hui d’une décision antérieure de la Cour d’appel selon laquelle l’interprétation du droit par un organisme de règlementation est raisonnable, étant donné que la norme de contrôle applicable maintenant est celle de la décision correcte?

La Cour d’appel a suggéré que de telles décisions devaient être considérées comme étant exécutoires par présomption :

[Traduction]

l’arrêt Vavilov ne devrait pas être interprété comme un déplacement automatique de toute la jurisprudence établie en vertu du régime de la norme de contrôle avant l’arrêt Vavilov. D’une part, même si une décision a fait l’objet d’un contrôle du « caractère raisonnable » et a été jugée raisonnable, cela ne signifie pas que la cour de révision n’était pas également d’accord pour dire que la décision était « correcte »… De plus, des décisions comme FortisAlberta étaient elles-mêmes fondées sur des décisions exécutoires comme Stores Block. Si la décision du tribunal dans l’affaire FortisAlberta n’avait pas respecté le précédent contraignant, elle n’aurait pas été raisonnable. L’importance de la stabilité du droit signifie qu’après l’arrêt Vavilov, les précédents contraignants de la Cour devraient être présumément considérés comme étant toujours exécutoires, nonobstant le changement apporté à l’analyse de la norme de contrôle […][107]

Comme Nigel Bankes l’a fait remarquer[108], l’arrêt Vavilov ne traite pas clairement de cette question. Les passages cités dans l’arrêt Vavilov traitent du stare decisis en général et de la pertinence des précédents de la Cour suprême pour le choix de la norme de contrôle et l’application de la norme de la décision raisonnable.

La Cour d’appel a-t-elle raison? Il me semble qu’il y a ici deux préoccupations distinctes qui doivent être soigneusement démêlées.

Premièrement, dans certains cas, un tribunal appliquant la norme de la décision raisonnable aura indiqué qu’une décision était non seulement raisonnable, mais aussi correcte, ou encore qu’une décision était déraisonnable parce qu’il n’y avait qu’une seule issue acceptable et possible. À mon avis, la Cour d’appel a raison de dire que ces décisions devraient être considérées comme contraignantes, même si elles ont été rendues selon la norme de la décision raisonnable.

Deuxièmement, cependant, à d’autres occasions, une cour aura confirmé qu’une décision était raisonnable sans indiquer quelle aurait été la bonne décision. La conclusion de la cour aurait pu être fondée, en tout ou en partie, sur une décision antérieure qui, à son tour, aurait pu être raisonnable (mais pas nécessairement correcte). Je pense que la préoccupation sous-jacente ici, c’est qu’il pourrait y avoir une chaîne de décisions raisonnables qui, parce qu’elles sont trop éloignées du texte législatif, de l’objet ou du contexte, pourraient être incompatibles avec l’interprétation correcte de la loi par une cour. À juste titre, la Cour d’appel craint que l’application libérale de la norme de la décision correcte ne remette en question le pouvoir de nombreuses décisions règlementaires antérieures. Il convient de signaler que l’analyse stare decisis dans l’arrêt Vavilov portait sur la question plus abstraite du choix et de l’application de la norme de contrôle, tandis que la Cour d’appel est préoccupée par le problème concret de savoir si les décisions de fond antérieures sur les pouvoirs de règlementation continuent de s’appliquer. Il y a là un risque important de bouleversement. D’où l’insistance sur la présomption d’un caractère contraignant continu.

Le professeur Bankes soutient de façon convaincante que les juges ont « tort » d’insister sur la présomption d’un caractère contraignant continu, mais je suis plus optimiste. Une fois que les préoccupations de la Cour d’appel ont été dissipées, il est plus facile de comprendre pourquoi les juges ont jugé que la présomption était appropriée. Maintenant, il se peut que l’idée d’une présomption ne soit pas utile, car, comme le souligne le professeur Bankes, elle soulève des questions immédiates quant à savoir si et dans quelles circonstances la présomption pourrait être réfutée. Pour ma part, sans aborder la question de la présomption, je reformulerais l’avis de la Cour d’appel comme suit : lorsque la norme de la décision correcte s’applique, les cours ont le dernier mot sur ce que signifie une disposition législative, mais ce pouvoir est assorti de l’obligation de tenir compte des attentes établies et des pratiques découlant de la jurisprudence qui maintiennent le caractère raisonnable des décisions antérieures. Peu importe qu’on affirme qu’il s’agit d’une présomption, la Cour d’appel a tout à fait raison, à mon avis, d’insister pour que le changement à la norme de la décision correcte ne soit pas considéré comme un déplacement automatique de la jurisprudence antérieure appliquant le contrôle de la raisonnabilité. La stabilité dans des domaines importants de la règlementation économique incite à la prudence.

JUSTICE OUVERTE

Les organismes de règlementation économique traitent de questions complexes, souvent fondées sur de grandes quantités de preuves, dont certaines demeurent confidentielles pour des raisons commerciales valables. Dans quelle mesure sont-ils obligés de tenir leurs délibérations en public et de permettre un libre accès à leurs dossiers? La question pertinente ici est la portée du principe de l’« audience publique », qui prévoit de « garantir l’accès aux tribunaux nécessaire pour qu’elle [la presse] puisse recueillir cette information »[109]. On a dit que l’oxygène de la publicité était fondamental à la « légitimité » de l’État administratif[110]. Dans une décision importante et intéressante, la Cour d’appel fédérale s’est penchée récemment sur la portée du principe de l’« audience publique » dans la mesure où il s’applique aux tribunaux administratifs. Son analyse pourrait avoir de vastes ramifications pour tous les tribunaux, y compris les organismes de règlementation économique dans les secteurs de l’énergie.

Dans l’affaire Canadian Broadcasting Corporation v Canada (Parole Board)[111], la SRC a demandé un contrôle judiciaire du refus de la Commission de divulguer des copies des enregistrements audio des audiences de libération conditionnelle de trois délinquants, dont Paul Bernardo. En fin de compte, la décision de la Commission a été annulée parce que ses motifs [traduction] « étaient incohérents, s’appuyant sur des risques qui s’étaient déjà concrétisés et qui avaient une incidence sur des occasions qui étaient peu susceptibles de se présenter dans un avenir prévisible »[112]. Il s’agissait de la norme de contrôle de la raisonnabilité de l’arrêt Vavilov.

L’approche du juge d’appel Pelletier à l’égard de l’argument plus ambitieux de la SRC, à savoir qu’elle avait un droit constitutionnel sur les enregistrements parce que la Commission est assujettie au principe de l’« audience publique » sous-jacent au paragraphe 2b) de la Charte. Fait intéressant, la SRC a fait valoir cet argument même si la loi constitutive de la Commission contient une disposition obligeant la Commission à permettre à quiconque présente une demande d’assister à une audience à titre d’observateur, sauf dans des circonstances définies[113]. L’argument de la SRC est important parce que, si elle avait eu gain de cause, elle aurait aussi eu accès aux enregistrements audio. Et la logique de l’argument irait beaucoup plus loin, c’est-à-dire que toute information dans le dossier public d’un tribunal administratif (dépôt, preuve, etc.) devrait être mise à la disposition du public, sous réserve seulement de la possibilité qu’une ordonnance de confidentialité soit rendue à l’égard de renseignements de nature délicate, conformément au critère énoncé dans l’arrêt Sierra Club du Canada c Canada (Ministre des Finances) et dans des affaires subséquentes[114].

Rédigeant des motifs à la fois réfléchis et suscitant la réflexion, le juge d’appel Pelletier a conclu que le principe de l’audience publique ne s’applique pas à la Commission.

Auparavant, le critère pour l’application du principe de l’audience publique à une entité extrajudiciaire consistait à déterminer si celle-ci exerçait une fonction quasi judiciaire[115]. Cependant, le juge d’appel Pelletier a conclu que le concept d’une fonction « quasi judiciaire » a « dépassé son utilité » dans ce contexte, parce qu’il met l’accent sur les « processus et les caractéristiques officielles d’une cour plutôt que sur sa fonction », alors que « l’intérêt public dans les procédures judiciaires ne découle pas des caractéristiques procédurales d’une cour, mais du fait qu’elle tranche des questions de droits et de devoirs entre les citoyens et l’État »[116] [traduction]. Il s’agit d’une déclaration lucide et percutante sur la raison d’être du principe de l’audience publique et elle établit un lien approprié entre le caractère ouvert et le fond de la question à trancher plutôt que sur le concept formel d’une fonction quasi judiciaire.

Par quoi le concept de fonction quasi judiciaire devrait-il être remplacé? La Société Radio-Canada a fait valoir que le principe de l’audience publique, étayé par le paragraphe 2b), découle du droit du public d’exprimer des idées sur les institutions publiques et d’obtenir des renseignements sur leur fonctionnement[117]. Pour le juge d’appel Pelletier, cette interprétation ratisse trop large : [traduction] « Bien que le public ait intérêt à connaître le fonctionnement de tous les organismes publics, le principe de l’audience publique s’est jusqu’à présent limité aux organismes publics dont la ressemblance avec les cours favorise le même degré de surveillance publique que le principe de l’audience publique »[118].

Le juge d’appel Pelletier a plutôt conclu que la pierre de touche devrait être la question de savoir si le tribunal est de nature accusatoire, c’est-à-dire que [traduction] « le fait qu’un tribunal préside une procédure accusatoire en tant qu’organisme juridictionnel est un indicateur fiable que ce tribunal est assujetti au principe de l’audience publique »[119]. Le juge d’appel Pelletier n’a pas donné de détails, mais on peut présumer que l’idée en l’espèce est que lorsqu’un tribunal tranche une question entre un citoyen et l’État, ou entre un citoyen et un citoyen, il joue un rôle assimilable à celui d’une cour et est assujetti à toute la visibilité que procure la publicité. La difficulté évidente ici est que le fait de s’appuyer sur la notion de « ressemblance avec une cour », ce qui ressemble étrangement au concept d’une fonction quasi judiciaire sous une étiquette différente, met l’accent sur la forme plutôt que sur le fond. Un autre problème est que l’argument de fond en faveur du principe de l’audience publique est très faible en ce qui concerne certaines procédures accusatoires, où les détails de l’affaire présentent peu d’intérêt pour le public. Les différends entre les propriétaires et les locataires en seraient un bon exemple; ils sont indubitablement conflictuels, mais généralement sans importance pour le grand public et, par conséquent, de piètres candidats pour la forme la plus forte du principe de l’audience publique.

Il se peut que l’analyse en l’espèce ait été influencée par la nature du décideur en cause. Ici, on ne peut qualifier la nature du rôle de la Commission d’accusatoire. Elle s’acquitte de ses fonctions de façon inquisitoire, en effectuant une évaluation des risques fondée sur les renseignements reçus du Service correctionnel du Canada et les observations du délinquant et des victimes. Il n’y a pas de « représentant de l’État » de l’autre côté de la table devant le délinquant[120]. De plus, l’avocat du délinquant (le cas échéant) ne jouera qu’un rôle limité à l’audience. Sur le plan de la forme, la Commission ne s’assimile tout simplement pas à une cour. De plus, toutefois, sur le fond, la Commission n’est pas le candidat le plus évident pour l’application du principe de l’audience publique, étant donné la nature délicate de sa tâche et le risque que son travail soit faussé par une couverture médiatique sensationnaliste (par des médias autres que la SRC, bien sûr, qui, à tout le moins, peuvent difficilement être accusés de sensationnalisme). Peut-être alors que c’est la queue qui a commandé la tête, en ce sens qu’un résultat raisonnable — le principe de l’audience publique ne s’applique pas à la Commission — a influencé le choix du critère.

Pour bien mettre les choses au clair, il me semble que le principe de l’audience publique serait beaucoup plus solide en ce qui concerne un tribunal de règlementation chargé de fixer les conditions de permis ou les tarifs pour un secteur important de l’économie. De telles décisions vont droit au cœur de la capacité de la collectivité de comprendre les enjeux économiques d’une importance vitale et de s’exprimer sur l’orientation de la politique. De toute évidence, un tel tribunal ne serait pas considéré comme « accusatoire » et il invoquerait également les valeurs qui le sous-tendent le paragraphe 2b) de la Charte[121]. À mon avis, un critère axé sur ces valeurs — le tribunal aborde-t-il une question importante pour la collectivité qui mérite un débat public? — aurait préséance sur les concepts de fonctions quasi judiciaires et accusatoires. Il engloberait les tribunaux de règlementation du pays dans les domaines de l’énergie et d’autres domaines, ce que le critère de la « fonction accusatoire » ne fait pas. Les tribunaux de règlementation (selon mon expérience) sont fermement engagés à l’égard de la transparence, de sorte que l’effet pratique du choix du critère n’a pas beaucoup d’importance. En ce qui concerne le principe, cependant, un critère de justice ouverte qui exclut les organismes qui forment une partie importante du tissu économique et politique de la vie canadienne me semble insuffisant.

ÉQUITÉ PROCÉDURALE

Une décision d’appel définitive — une défaite rare pour un organisme de règlementation sur une question d’équité procédurale — mérite d’être mentionnée sous la rubrique générale de la portée des pouvoirs de règlementation : Alta Link Management Ltd v Alberta Utilities Commission[122]. Il s’agissait d’une série de décisions prises par la Commission concernant le recouvrement, au moyen des tarifs, des dépenses engagées dans le réseau de transport et de distribution d’électricité de l’Alberta.

Pour être plus précis, la principale question portait sur le recouvrement des coûts à l’interface entre le transport et la distribution, c’est-à-dire les sous-stations et autres installations qui transforment l’électricité à haute tension en électricité à basse tension afin de faciliter la livraison aux consommateurs. En Alberta, les propriétaires d’installations de transport et de distribution interagissent avec l’Alberta Electric System Operator, une société établie en vertu de l’Electric Utilities Act[123] pour diriger l’exploitation sûre, fiable et économique du réseau électrique interconnecté, planifier la capacité du système de transport, organiser l’expansion et l’amélioration du réseau et fournir un service d’accès au système de transport.

La période qui a précédé cette affaire a donné lieu à un différend entre les exploitants d’installations de transport et de distribution au sujet de la politique de l’Alberta Electric System Operator. La politique concernée, en vigueur depuis environ 20 ans, permettait aux exploitants d’installations de distribution d’investir dans des installations de transport et d’en tirer un rendement. Le résultat des procédures longues et complexes qui ont abouti à la série de décisions était que ni les exploitants d’installations de transmission ni les exploitants d’installations de distribution ne seraient autorisés à obtenir un rendement sur les contributions acheminées par l’entremise de l’Alberta Electric System Operator. Une pratique établie depuis vingt ans a donc été éliminée. L’argument qui a été retenu en appel était que la Commission avait manqué à l’équité procédurale parce que les parties n’avaient pas été informées suffisamment longtemps à l’avance qu’elle envisageait un changement de politique fondamental.

Habituellement, les organismes de règlementation économique bénéficient d’un degré élevé de déférence à l’égard des questions de procédure[124]. Dans ce cas-ci, cependant, toute déférence a été tempérée par la reconnaissance des conséquences importantes pour les exploitants du marché, à savoir que la nature « à forte intensité de capital » de leurs investissements était reconnue comme importante, tout comme leur capacité à accéder à des capitaux sur les marchés des actions et des capitaux d’emprunt[125], et qu’ils avaient besoin d’une protection procédurale élevée. La question en l’espèce portait sur le caractère adéquat de l’avis fourni au sujet du changement de politique : [traduction] « la Commission était tenue de fournir un avis clair et transparent indiquant que l’une des questions à examiner consistait à déterminer si l’on devait interdire aux distributeurs et transporteurs d’obtenir un rendement sur leurs investissements pour couvrir ces coûts »[126]. La Cour d’appel n’était pas convaincue que l’avis était adéquat.

L’argument de la Commission était que l’avis indiquait [traduction] « qu’elle tiendrait compte du fondement juridique de l’actuelle… politique relative à la contribution des clients, en ce qui concerne la transmission et la distribution, pour déterminer le besoin d’une nouvelle politique et la date à laquelle toute nouvelle politique entrerait en vigueur, en précisant clairement que l’intérêt à la fois des exploitants d’installations de transport et des exploitants de distribution d’obtenir un rendement sur les contributions des clients avait été pris en compte dans l’instance »[127]. La Cour d’appel est restée impassible. Les intérêts des deux intervenants étaient peut-être en cause, mais la possibilité d’un changement de politique radical n’avait pas été contemplée :

[Traduction]

Le fait que le document d’avis de la Commission n’a pas clairement informé les appelants de la question de savoir s’ils [les exploitants d’installations de transport et de distribution] devraient se voir empêcher d’obtenir un rendement est illustré par l’absence d’observations et d’éléments de preuve sur cette question. La capacité des exploitants d’installations de transport et de distribution d’obtenir un rendement sur les contributions des clients était manifestement d’une grande importance pour les appelants. En fait, ces procédures ont vu le jour parce qu’AltaLink et Fortis ont cherché à inclure ces coûts dans leur base tarifaire et à obtenir le rendement correspondant[128].

Cette omission a eu une incidence importante sur les procédures. La préoccupation de la Commission portait sur la distorsion des prix, mais, comme l’a souligné la Cour d’appel, si cette préoccupation avait été bien communiquée aux parties, elles auraient pu présenter une preuve d’expert sur l’effet de la politique de l’exploitant sur les signaux de prix[129].

Par conséquent, la question a été renvoyée à la Commission (avec de nombreux commentaires incidents sur le cadre juridique, en particulier les notions de propriété et de rendement équitable). Cette décision est certainement un rappel utile du fait que les cours ont le dernier mot sur les questions d’équité procédurale, même si les organismes de règlementation économique ont généralement antécédents de succès au contrôle judiciaire. Il est quand même un peu surprenant que la Commission ait manqué à son devoir d’équité sur une question aussi technique. De toute évidence, la Cour d’appel était d’avis qu’elle était confrontée à une disparité flagrante entre ce qui a été décidé en fin de compte et la teneur de la décision aux yeux des parties. L’écart important entre les observations des parties et le résultat obtenu a certes préoccupé la Cour d’appel. La préoccupation compensatoire dans les affaires d’équité procédurale est que les cours pourraient engorger le travail de l’administration publique en imposant de trop nombreuses exigences par voie de procédures — cette préoccupation n’avait toutefois pas beaucoup de poids en l’espèce, car les procédures de la Commission se sont échelonnées sur plusieurs années. Compte tenu de la longueur et de la nature itérative des procédures, la Cour d’appel a certainement été surprise qu’un tel fossé se soit creusé entre ce que les parties et la Commission pensaient de la question. En fin de compte, les faits inhabituels de cette affaire signifient qu’il est peu probable qu’il y ait un changement radical dans la relation entre les cours et les organismes de règlementation sur les questions d’équité.

RÈGLEMENTATION EXTRATERRITORIALE

Un problème assez fréquent dans le droit canadien est l’application des lois règlementaires aux particuliers qui résident dans une autre province ou aux entreprises établies dans une autre province. Pensez à un ingénieur de la Colombie-Britannique qui fournit des conseils (mal avisés) sur un projet de construction de services publics au Québec, un Albertain fournissant de l’information privilégiée à un Manitobain au sujet de titres du secteur énergétique négociés en Ontario ou un portail en ligne situé en Nouvelle-Écosse qui reçoit des commandes pour la livraison de prises électriques défectueuses en Saskatchewan par un fabricant du Nouveau-Brunswick.

Fait surprenant, la Cour suprême du Canada n’avait pas, jusqu’à hier, établi avec autorité le critère à appliquer pour déterminer les circonstances dans lesquelles un organisme de règlementation provincial aura le pouvoir de sanctionner un aspect extraprovincial. Les cours d’appel s’étaient généralement appuyées sur l’arrêt Unifund Assurance Co. c Insurance Corp. of British Columbia[130], une décision relative à la portée du régime provincial d’assurance. Dans l’arrêt Sharp c Autorité des marchés financiers[131], la Cour suprême a confirmé que les critères de l’arrêt Unifund devaient être appliqués.

Dans cette affaire, des procédures règlementaires visant des résidents de la Colombie-Britannique ont été intentées au Québec. Ils étaient accusés d’avoir participé à un stratagème de type « pump and dump » et d’avoir manipulé les prix des actions dans La belle province et causé un préjudice financier à des investisseurs québécois. Les juges majoritaires de la Cour suprême (le juge en chef Wagner et le juge Jamal) ont appliqué l’arrêt Unifund et ont conclu que les procédures relevaient de la compétence de l’organisme de règlementation du Québec (Autorité des marchés financiers – AMF) pour intenter des poursuites devant le tribunal des valeurs mobilières de la province (Tribunal administratif des marchés financiers – TAMF). Une grande partie de leur analyse porte sur l’(in)applicabilité du Code civil provincial aux tribunaux administratifs. Cependant, ayant conclu que les dispositions pertinentes du code n’accordaient pas à l’organisme de règlementation le pouvoir nécessaire, les juges majoritaires ont conclu que les lois provinciales sur les valeurs mobilières conféraient un pouvoir suffisant, pourvu qu’il y ait un lien suffisant entre les personnes visées par l’instance.

Le pouvoir de statuer sur les infractions règlementaires découle des lois provinciales :

la compétence juridictionnelle du TAMF en l’espèce découle de la compétence législative normative de la province. Aux termes de l’art. 93 de la Loi sur l’Autorité des marchés financiers, le TAMF exerce la compétence prévue par la Loi sur les valeurs mobilières. Étant donné que, d’une part, la législature québécoise a décidé que le TAMF statue sur les allégations de violations de la Loi sur les valeurs mobilières et que, d’autre part, la conduite que l’on reproche aux appelants a un lien réel et substantiel avec le Québec, le TAMF a nécessairement compétence sur les appelants en ce qui concerne les contraventions qu’ils auraient commises. Les dispositions législatives particulières, dûment interprétées, prévoient donc la compétence juridictionnelle du TAMF[132].

En termes simples, si une personne pose un geste qui contrevient à une loi de règlementation provinciale, il pourrait être assujetti à l’application de la loi par l’organisme de règlementation provincial.

La question suivante est de savoir s’il y a un lien suffisant entre la province et la cible des mesures d’application de la loi. Un lien suffisant dépend de l’application des facteurs énoncés par le juge Binnie au para 56 de l’arrêt Unifund :

  1. La limitation territoriale de la portée du pouvoir de légiférer des provinces empêche les lois d’une province de s’appliquer aux affaires qui ne présentent pas de lien suffisant avec cette dernière.
  2. Le caractère « suffisant » du lien dépend du rapport qui existe entre le ressort ayant légiféré, l’objet du texte de loi et l’individu ou l’entité qu’on cherche à assujettir à celui-ci.
  3. L’applicabilité d’une loi provinciale par ailleurs valide à un défendeur de l’extérieur de la province concernée est fonction des exigences d’ordre et d’équité qui sous-tendent nos structures fédérales.
  4. Comme ils visent une finalité, les principes d’ordre et d’équité sont appliqués d’une manière souple, en fonction de l’objet de la loi[133].

Le juge en chef Wagner et le juge Jamal confirment que les facteurs d’Unifund doivent être appliqués pour déterminer à quel moment les lois règlementaires provinciales peuvent être appliquées avec un effet extraprovincial[134]. Il ne s’agit pas d’en décider de la validité de la législation provinciale (relevant habituellement de la compétence provinciale de légiférer en matière de propriété et de droits civils dans la province), mais plutôt de son applicabilité, c’est-à-dire de sa portée et non de sa légalité. Ces facteurs déterminent donc si des mesures d’application de la loi peuvent être prises dans la province contre des acteurs de l’extérieur de la province (ou lorsqu’il y a un autre aspect extraprovincial).

Les facteurs utilisés dans l’arrêt Unifund sont considérés comme un principe d’interprétation des lois[135], essentiellement comme un moyen de déterminer qu’un type particulier de transaction ou d’action qui serait règlementé dans la province par un résident provincial ne relève pas de l’autorité de l’organisme de règlementation provincial. En l’espèce, comme l’explique l’analyse des juges majoritaires, les facteurs n’ont pas pesé contre la règlementation provinciale.

L’analyse de Sharp elle-même est très utile. Le Québec a servi de « façade » pour le système de type « pump and dump »[136]. Il était donc juste d’appliquer le régime québécois aux activités des contrevenants : « Comme les appelants ont fait du Québec la façade de leur opération de manipulation de titres, leur accession au marché québécois n’était pas accidentelle ou sans importance, mais faisait plutôt partie intégrante du stratagème » [137]. Cette conclusion n’a pas été minée par la possibilité de poursuites dans d’autres provinces, car les chevauchements de compétence en matière de règlementation des valeurs mobilières sont une caractéristique nécessaire du droit canadien[138].(En pratique, ces chevauchements sont traités par la législation provinciale[139] ou la coopération en matière de droit souple[140].)

À noter également l’approbation explicite par la Cour de la nécessité d’une approche souple et téléologique pour déterminer la portée territoriale de la législation règlementaire : « Comme la manipulation de titres et la fraude contemporaines en valeurs mobilières sont souvent transnationales et dépassent les frontières provinciales et nationales, les cours de justice et les tribunaux administratifs doivent adopter une approche souple et téléologique lorsqu’ils appliquent les principes d’ordre et d’équité dans le contexte des valeurs mobilières. À notre avis, il est conforme aux principes d’ordre et d’équité que le TAMF ait compétence sur les appelants »[141]. Il s’agit d’un élément de l’approche relativement non interventionniste de la Cour suprême à l’égard de la conformité à la Charte des lois règlementaires conçues pour protéger le public (même si, bien sûr, la caractérisation de cette législation est controversée, car elle a souvent des effets anticoncurrentiels qui favorisent les exploitants actuels du marché).

La norme de contrôle a aussi été présentée, bien sûr. Les parties n’ont pas contesté le fait que l’applicabilité de la législation règlementaire à des acteurs de l’extérieur de la province devait être déterminée selon la norme de la décision correcte. Même si l’analyse tient compte du contexte et des faits, la Cour suprême a confirmé qu’il s’agit d’une question constitutionnelle qui exige un examen de la décision correcte pour garantir des réponses uniformes[142].

De plus, la question de la pertinence du Code civil par rapport à la compétence en matière de règlementation a été considérée comme étant d’une importance capitale pour le système juridique et nécessitant également un examen de la décision correcte. Il est juste de dire que celui-ci était aussi une question de droit, comme on peut l’imaginer.

En effet, les questions en l’espèce transcendaient la sphère des valeurs mobilières et étaient pertinentes pour tout régime de règlementation provincial. Par conséquent, la cohérence judiciaire imposée était requise pour garantir l’uniformité. Ce sont des exemples de paradigmes des catégories étroites de la décision correcte établies dans l’arrêt Vavilov, en ce qu’elles se rapportent à des situations où une dérogation à la norme par un seul organisme de règlementation minerait la cohérence du système juridique.

Somme toute, je pense que c’est une décision instructive. Les critères de l’arrêt Unifund sont utiles pour répondre aux questions difficiles concernant des acteurs de l’extérieur d’une province, comme les tribunaux inférieurs l’ont constaté dans les années précédentes, et ils fournissent un cadre permettant aux organismes de règlementation de coopérer en matière d’application de la loi.

III. DROITS D’APPEL LIMITÉS

Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a mentionné à deux reprises l’effet d’un droit d’appel circonscrit. Au paragraphe 45, les juges majoritaires considèrent qu’il est évident qu’un droit d’appel circonscrit à des questions de droit ou de compétence n’empêche pas le contrôle judiciaire. Il s’agit du point de vue exprimé par quatre juges dissidents dans l’affaire Edmonton East, avant l’arrêt Vavilov, selon lequel à savoir que le « législateur savait sans doute que toute question qui n’est pas assujettie à un droit d’appel limité peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire » [143]. Plus loin, au paragraphe 52, les juges majoritaires ont répété ce point, mais ont ajouté qu’un droit d’appel circonscrit n’empêche pas le contrôle judiciaire. La décision rendue par la Cour suprême dans les années 1980 dans l’arrêt Crevier, invalidant une disposition privative qui, si elle avait été appliquée, aurait empêché les cours de corriger les erreurs de « compétence », plane sur ces paragraphes. Cependant, le terme compétence n’est « plus tellement en vogue aujourd’hui »[144] et, en fait, la compétence n’a plus grand effet, sinon aucun, dans la common law du contrôle judiciaire[145]. Nous nous trouvons maintenant dans une situation où l’autorité principale — l’arrêt Crevier — parle de « compétence », un concept largement désuet. Il faut maintenant déterminer que faire ensuite.

Depuis 2019, les cours inférieures et les commentateurs ont fait couler beaucoup d’encre sur le sens à donner à ces déclarations aux paragraphes 45 et 52 de l’arrêt Vavilov. Ces cours et commentateurs peuvent être regroupés en trois camps : les intentionnalistes législatifs, les défenseurs du pouvoir discrétionnaire et les constitutionnalistes traditionalistes. Comme l’a fait remarquer le juge d’appel Stratas dans une analyse typiquement colorée, on peut dire qu’il s’agit d’une « question ouverte » à savoir lequel de ces camps a raison[146].

Je vais décrire ces camps à tour de rôle, mais je dois prévenir le lecteur que je suis un constitutionnaliste traditionaliste. À mon avis, le principe énoncé dans l’arrêt Crevier est que les cours supérieures doivent être en mesure de maintenir les décideurs administratifs dans les limites de leurs pouvoirs en appliquant les principes de common law du contrôle judiciaire[147]. En fait, j’ai été l’un des premiers à soulever la question. Cependant, tout ce que j’ai lu depuis n’a fait que renforcer ma conviction que le traditionalisme constitutionnaliste est conforme à l’arrêt Vavilov et aux principes fondamentaux de la tradition canadienne en matière de droit public. En revanche, la position des intentionnalistes législatifs est — avec tout le respect que je leur dois — impossible à concilier avec les principes fondamentaux du droit public canadien. En ce qui concerne les défenseurs du pouvoir discrétionnaire, leur insistance sur le pouvoir judiciaire discrétionnaire exigerait des modifications au droit du contrôle judiciaire des mesures administratives qui sont aussi nouvelles qu’elles posent problème et doivent être rejetées. La discrétion peut être utile dans certaines circonstances, mais elle ne peut fournir une réponse complète aux questions soulevées par ces paragraphes de l’arrêt Vavilov.

INTENTIONNALISME LÉGISLATIF

Les intentionnalistes législatifs ont une vision étroite de l’arrêt Crevier et une vision large de l’organisation institutionnelle. À leur avis, l’aspect judiciaire de l’intention législative exige que des restrictions partielles au contrôle judiciaire (comme les appels limités à des questions de droit ou de compétence) soient appliquées, dans la mesure où le décideur en cause n’est pas complètement à l’abri de la surveillance de la cour.

Les motifs minoritaires du juge d’appel Near dans l’affaire Canada (Attorney General) v Best Buy Canada Ltd.[148] sont donnés en exemple. La question était de savoir si le Canada pouvait contester une décision de classement tarifaire sensible aux faits rendue par le Tribunal canadien du commerce extérieur : il existe un droit d’appel sur les questions de droit seulement devant la Cour d’appel fédérale[149] et les décisions du Tribunal sont autrement protégées par une clause privative[150].

Le juge d’appel Near estimait que ces dispositions avaient pour effet d’empêcher le contrôle judiciaire. Il s’est fortement appuyé sur le fait que la Cour suprême s’est fondée sur la notion d’« organisation institutionnelle » dans l’arrêt Vavilov. Si l’intention législative doit être prise au sérieux, a-t-il expliqué, le choix réfléchi du législateur de restreindre la surveillance des appels devrait être respecté : « Si l’on veut respecter les choix d’organisation institutionnelle du législateur, les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit desquelles aucune question de droit ne peut être isolée ne doivent pas faire l’objet d’un contrôle par notre Cour »[151]. Le juge Near n’a vu aucun problème constitutionnel découlant de la limitation des appels interjetés par le Tribunal pour dégager des questions de droit, car l’arrêt Crevier ne fait que limiter « le pouvoir du législateur de soustraire entièrement le TCCE à tout contrôle par une cour supérieure »[152].

Résumant son point de vue sur l’intention législative et la portée du principe de l’arrêt Crevier, le juge d’appel Near a posé la question suivante pour la forme : « À quoi serviraient les dispositions expresses de la Loi sur les douanes et d’un grand nombre d’autres lois fédérales qui limitent le contrôle s’il était possible de s’adresser aux Cours fédérales pour toute question… »[153]. Par la suite, le juge d’appel Stratas a laissé entendre que des restrictions partielles au contrôle judiciaire (comme celles créées par un droit d’appel circonscrit) qui « poursuivent un objectif législatif valide et important » pourraient être constitutionnelles[154].

Plus récemment, le juge d’appel Slatter a formulé un raisonnement semblable dans Georgopoulos v Alberta (Appeals Commission for Alberta Workers’ Compensation)[155]. La Commission avait accordé à G une indemnisation inférieure à celle qu’il avait réclamée. G a interjeté appel d’une question de droit ou de compétence et a demandé un contrôle judiciaire de la décision de la Commission. En première instance, la Cour supérieure a rejeté l’appel parce qu’aucune erreur de droit ou violation de l’équité procédurale n’avait été commise et a également rejeté la demande de contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable. Pour les juges majoritaires de la Cour d’appel, le juge d’appel Feehan s’est contenté de rejeter l’appel au motif que G n’avait pu démontrer une erreur dans l’analyse de la Cour supérieure.

Cependant, le juge d’appel Slatter est allé plus loin dans ses motifs concordants. Notant que la législation contient une clause privative forte ainsi que le caractère circonscrit de l’appel sur des questions de droit ou de compétence[156], il a conclu que G n’était nullement fondé de demander un contrôle judiciaire, car cela serait « incompatible » avec l’intention du législateur de donner à la Commission [traduction] « le dernier mot sur les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit, y compris l’évaluation de la preuve médicale d’expert »[157]. Le juge d’appel Slatter en est arrivé à cette position après avoir réfléchi au [traduction] « mandat très vaste dont doit s’acquitter le législateur de définir la nature et la disponibilité du contrôle judiciaire »[158] et à la « règle générale » selon laquelle [traduction] « un droit d’appel prévu par la loi visant la décision d’un tribunal administratif a pour objet d’épuiser les recours dont dispose le requérant »[159].

En toute déférence, je ne crois pas que la position d’intentionnalisme législatif soit défendable.

Premièrement, il est vrai que la décision dans Crevier était étroite, mais le principe qui dictait le résultat était beaucoup plus large. Le juge en chef Laskin a conclu qu’une loi qui protège un décideur administratif du contrôle judiciaire de questions de compétence « doit être déclarée inconstitutionnelle parce qu’elle a comme conséquence de faire de ce tribunal une cour au sens de l’art. 96 »[160]. Cependant, il a fondé cette conclusion sur un principe plus large : « Il ne peut être accordé à un tribunal créé par une loi provin­ciale, à cause de l’art. 96, de définir les limites de sa propre compétence sans appel ni révision »[161]. Donc, oui, une loi qui prétend fournir une immunisation complète contre un contrôle judiciaire est inconstitutionnelle, mais seulement parce qu’elle permet à un décideur administratif de déterminer librement les limites de ses pouvoirs. Ces limites peuvent dépendre de conclusions de fait[162] ou de décisions fondées sur des faits[163]. En effet, dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a placé les contraintes juridiques et factuelles sur un pied d’égalité : pour être raisonnable, une décision doit être justifiée à la fois par la loi et par les faits. La décision rendue en 2023 dans l’affaire CSFTNO, qui mettait l’accent sur l’incapacité de s’attaquer adéquatement aux éléments de preuve pertinents, nous le rappelle cruellement.

Deuxièmement, par le passé, le contrôle judiciaire a toujours été possible — bien avant l’arrêt Crevier — pour veiller à ce que les décideurs administratifs agissent dans les limites de leurs pouvoirs[164]. Les dispositions qui pourraient restreindre l’accès aux cours ont été interprétées de façon étroite pendant des siècles[165].

Lorsque l’histoire est bien comprise, l’approche d’intentionnalisme législatif est difficile à appuyer. En ce qui concerne le vaste mandat du législateur, la pierre angulaire de l’analyse constitutionnelle du juge d’appel Slatter dans l’affaire Georgopoulos était sa proposition selon laquelle, historiquement, il n’y avait pas de contrôle judiciaire des erreurs factuelles : [traduction] « En common law, le certiorari se limitait à l’examen des erreurs de compétence et des erreurs de droit au vu du dossier; les erreurs de fait n’étaient pas en cause »[166].

Sauf votre respect, je ne crois pas que ce soit exact. Le certiorari est accessible depuis longtemps pour corriger des erreurs sur des questions de fait attributif de compétence[167]. L’accessibilité du certiorari pour des questions de compétence faisait partie intégrante du maintien des décideurs administratifs dans les limites de leur pouvoir légitime, une fonction essentielle de la cour supérieure[168].

En ce qui concerne la règle générale de l’épuisement des recours, cette règle n’a jamais été appliquée à des recours adéquats et efficaces[169]. Un appel qui se limite à des questions de droit ne peut, de toute évidence, constituer une réparation adéquate et efficace des erreurs de fait alléguées[170]. En effet, il existe une jurisprudence abondante, bien qu’elle soit depuis longtemps oubliée, selon laquelle l’existence d’un droit d’appel n’empêche pas le contrôle judiciaire : le certiorari était accessible pour corriger une erreur de compétence, même s’il y avait un droit d’appel[171]. En outre, même l’exercice du droit d’appel n’a pas empêché un requérant de demander un certiorari à l’égard d’un vice de compétence[172].

Bien entendu, les questions de « compétence » ont été retirées de la common law du contrôle judiciaire depuis l’arrêt Vavilov. Quoi qu’il en soit, la notion qui sous-tend le contrôle judiciaire depuis des siècles — à savoir que les cours supérieures doivent veiller à ce que les décideurs administratifs agissent dans les limites établies par la loi et la common law — demeure une partie intégrante de la tradition canadienne du droit public. L’arrêt Vavilov indique clairement que les cours ont le « devoir constitutionnel » de veiller à ce que les décideurs administratifs respectent les limites de leurs pouvoirs[173].

Troisièmement, la position avancée par les juges d’appel Near et Slatter s’appuie fortement sur une analyse contextuelle de l’intention législative. Mais comme la Cour suprême l’a réaffirmé dans l’arrêt Mason (une correction de cap après une déviation observée dans Entertainment Software Association), l’analyse contextuelle est maintenant formellement interdite dans le choix de la norme de contrôle. L’« organisation institutionnelle » invoquée dans l’arrêt Vavilov est un concept fragile qui met l’accent sur l’application des normes de contrôle d’appel lorsque la table à un « appel » a déjà été mise; le concept ne va pas plus loin. Il est donc difficile de comprendre pourquoi on devrait s’en servir pour empêcher l’accès au contrôle judiciaire.

DISCRÉTION

Ceux qui sont dans le camp du pouvoir discrétionnaire ne prennent pas parti, contrairement aux intentionnalistes législatifs et aux constitutionnalistes traditionalistes. Ils utiliseraient plutôt le pouvoir discrétionnaire des cours supérieures pour refuser d’accorder une réparation pour une erreur de fait dans la plupart des cas. Dans cette optique, on peut respecter l’intention de la loi en limitant l’accès aux recours en contrôle judiciaire, sans pour autant le rendre indisponible à proprement parler. Il ne fait aucun doute que le pouvoir discrétionnaire de réparation est depuis longtemps une caractéristique du droit du contrôle judiciaire des mesures administratives, mais les défenseurs du pouvoir discrétionnaire préconisent un nouveau départ, afin d’établir une position entre les intentionnalistes législatifs et les constitutionnalistes traditionalistes.

La décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Yatar est la principale cause dans laquelle les juges ont exercé leur pouvoir discrétionnaire. Cette décision est actuellement en délibéré à la Cour suprême du Canada. (J’ai comparu pour l’intervenant Association canadienne des télécommunications.)

Dans l’affaire Yatar v TD Insurance Meloche Monnex[174], la Cour divisionnaire a refusé d’entendre un appel et une demande de contrôle judiciaire simultanés d’une décision du Tribunal d’appel en matière de permis rejetant une demande d’indemnités d’accident légales. Pour la juge Kristjanson, l’appel n’a pas pu être accueilli, car il soulevait des questions mixtes de fait et de droit dépassant la portée de l’appel sur des questions de droit seulement. Et la demande de contrôle judiciaire ne devrait pas être prise en considération : le contrôle judiciaire est discrétionnaire et, lorsqu’il y a un droit d’appel, il ne devrait être pris en considération que dans des circonstances exceptionnelles. Elle a donné quatre motifs justifiant le refus d’entendre la demande de contrôle judiciaire.

Premièrement, le législateur avait clairement l’intention de limiter la surveillance des questions de fait dans le domaine des indemnités d’accident légales, en mettant en œuvre une série de réformes [traduction] « conçues pour fournir une réponse simplifiée, en priorisant l’accès à la justice d’une manière plus rapide et plus efficace »[175]. Deuxièmement, il existe un pouvoir de réexamen interne, qui peut être exercé « de la même façon » que la norme de la décision correcte[176]. Troisièmement, la nature des erreurs alléguées — sur des questions de fait ou des questions mixtes de droit et de fait concernant l’évaluation de la preuve — était telle que tout contrôle judiciaire serait effectué selon une [traduction] « norme élevée de déférence »[177]. Quatrièmement, les appels et les contrôles judiciaires simultanés créent des « difficultés systémiques »[178]. Par conséquent, le contrôle judiciaire ne serait possible que dans des [traduction] « circonstances exceptionnelles » qui n’étaient pas présentes en l’espèce[179].

La Cour d’appel de l’Ontario a affirmé, pour des motifs légèrement différents : Yatar v TD Insurance Meloche Monnex[180]. Le juge d’appel Nordheimer a conclu que le contrôle judiciaire d’une révision de décision ne serait possible que dans de « rares cas », car les cours pourraient exercer leur pouvoir discrétionnaire résiduel de ne pas entendre la demande de contrôle judiciaire[181]. Il en était ainsi parce que le législateur avait l’intention de régler rapidement et efficacement les différends relatifs aux indemnités[182].

À mon avis et en tout respect (et étant donné que mon client dans l’appel Yatar a tenté de mettre en doute l’analyse du juge d’appel Nordheimer), cette décision ne devrait pas être suivie. Prenons d’abord l’intention du législateur. Il convient de souligner que le pouvoir de révision en l’espèce ne figurait pas dans la loi existante pertinente. Il prend plutôt source dans les propres règles du Tribunal. La Loi sur l’exercice des compétences légales renferme une disposition générale qui autorise les tribunaux à prendre des règles relatives à la révision interne des décisions[183]. Mais cette disposition générale peut difficilement indiquer une intention législative précise à l’égard du régime de règlement des différends relatifs aux indemnités. Dans ce cas-ci du moins, l’argument de l’intention législative repose sur des bases chancelantes.

Outre cela, pour peu qu’un contrôle judiciaire ait été effectué, les cours peuvent procéder à un contrôle judiciaire de toute décision administrative définitive, qu’il y ait eu ou non un processus interne élaboré menant à cette décision. Le fait de donner aux cours le pouvoir discrétionnaire de ne pas entendre les demandes de contrôle judiciaire en raison de leur perception de la qualité et de la quantité des révisions internes reviendrait à leur donner le pouvoir discrétionnaire d’outrepasser le principe constitutionnel. La qualité et la quantité des révisions internes peuvent avoir une incidence sur le degré de déférence dû au décideur, mais cela ne devrait pas avoir d’incidence sur la question de savoir si la personne qui conteste une décision a droit à sa comparution devant la cour. Il existe des motifs fondés sur des principes pour refuser un recours — prématurité, caractère théorique, absence de qualité pour agir, défaut d’épuiser les autres recours — mais celui mentionné dans Yatar n’en fait pas partie. Malgré l’approche créative de la juge Kristjanson et du juge d’appel Nordheimer (et encore une fois avec la mise en garde que mon client dans l’appel Yatar a un intérêt), je ne suis pas convaincu.

Le pouvoir discrétionnaire est présenté d’une façon légèrement différente dans Canada (Attorney General) v Pier 1 Imports (U.S.), Inc.[184]. Dans cette affaire, le juge d’appel Boivin a suggéré, après avoir examiné la controverse actuelle, que : [traduction] « dans la pratique et dans la grande majorité des cas, l’appel prévu par la loi sera suffisant pour régler la question à l’étude, et le contrôle judiciaire, bien qu’il soit disponible, deviendra superflu »[185]. Pour le juge d’appel Boivin, un appel peut constituer un recours adéquat et efficace (et, en fait, il peut souvent l’être), mais on ne peut pas se prononcer de façon catégorique à ce sujet. À mon avis, le pouvoir discrétionnaire relatif aux recours ne peut être poussé plus loin que cela dans le règlement du litige jurisprudentiel sur l’effet des droits d’appel limités. En particulier, si un appel se limite à des questions de droit, mais que le demandeur d’un contrôle judiciaire cherche à attaquer une conclusion de fait, il est difficile de voir comment l’appel peut constituer un recours adéquat et efficace.

CONSTITUTIONNALISME TRADITIONALISTE

Les constitutionnalistes traditionalistes ont une vision large de l’arrêt Crevier et une vision étroite de l’intention législative. Pour les membres de ce camp, le contrôle judiciaire du caractère raisonnable du fond et de l’équité procédurale doit toujours être possible, tant pour les questions de droit que pour les questions de fait. La seule situation excluant le contrôle judiciaire se présenterait lorsque le législateur a prévu un mécanisme de contrôle de type appel ou équivalent dans les attributions d’un organisme indépendant. Les constitutionnalistes traditionalistes pourraient également être portés à croire qu’un droit d’appel prévu par la loi, parce qu’il est rédigé dans le contexte bien accepté que le contrôle judiciaire est toujours possible, doit être interprété de façon à donner à l’appelant éventuel quelque chose de plus que ce qui peut être obtenu au moyen d’un contrôle judiciaire.

Comme le montrera clairement ma critique de l’intentionnalisme législatif, je crois que l’histoire appuie fermement la position du constitutionnaliste traditionaliste. Le contrôle judiciaire a changé de bien des façons au fil des siècles, les brefs de prérogative ayant été déplacés récemment par un droit fondé sur principes généraux encadrant la mesure administrative. Cependant, des notions fondamentales subsistent. Le contrôle judiciaire est distinct d’un appel sur le fond. Les dispositions qui entravent la capacité de demander un contrôle judiciaire sont interprétées de façon étroite. Et la fonction des cours supérieures, telle que constitutionnalisée par l’arrêt Crevier, est de garder les décideurs administratifs dans les limites de la légalité. De nos jours, comme la Cour suprême l’a indiqué dans l’arrêt Vavilov, les tribunaux doivent appliquer la norme de la décision raisonnable pour « veiller à ce que les organismes administratifs agissent dans les limites des pouvoirs qui leur sont conférés »[186]. De même, lorsqu’ils surveillent le respect de l’équité procédurale, les cours peuvent prévoir des protections supplémentaires dans les régimes législatifs afin d’assurer la prise de décisions dans les limites de la légalité[187].

Le principal membre des constitutionnalistes traditionalistes est la juge d’appel Gleason, qui a rédigé les motifs majoritaires de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Best Buy. Pour elle, au moins certaines erreurs de fait doivent pouvoir être examinées, peu importe les choix du législateur en matière d’organisation institutionnelle. Se fondant sur un examen magistral de l’élaboration de l’« analyse de la norme de contrôle » en droit canadien, qui a culminé dans l’arrêt Vavilov, elle a cerné trois propositions fondamentales. Premièrement, la Cour suprême a statué dans l’arrêt Vavilov qu’« en principe, l’existence d’un mécanisme d’appel limité n’interdit pas le recours au contrôle judiciaire »[188]. Deuxièmement, rien dans l’arrêt Vavilov n’indique que des clauses privatives comme au paragraphe 67(3) de la Loi sur les douanes interdisent l’accès au contrôle judiciaire ou à la surveillance judiciaire de tout type d’erreur :

Une interdiction complète de recourir au contrôle judiciaire pour tout type de question irait à l’encontre de la primauté du droit, comme l’a souligné la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir, une décision qui a été expressément entérinée dans l’arrêt Vavilov, au para 24. De plus, dans les arrêts Dunsmuir et Vavilov, la Cour n’a pas infirmé la jurisprudence datant de plusieurs décennies selon laquelle ce qui était auparavant considéré comme des erreurs de fait manifestement déraisonnables, auparavant appelé erreurs juridictionnelles, demeure susceptible de contrôle, bien qu’il s’agisse maintenant de la norme de la décision raisonnable[189].

Troisièmement, l’arrêt Vavilov affirme expressément que « les questions de fait peuvent donner lieu à une conclusion de décision déraisonnable »[190]. Par conséquent, une disposition privative ne peut être interprétée comme « interdisant le contrôle judiciaire à l’égard de toutes les questions de fait » [191]. Les considérations relatives à l’organisation institutionnelle « font plutôt partie du cadre législatif pertinent — un facteur contextuel important pour déterminer les paramètres d’une décision raisonnable selon l’arrêt Vavilov et la jurisprudence de notre Cour »[192].

La juge d’appel Gleason a également cité avec approbation le commentaire universitaire suivant :

[Traduction]

Premièrement, dans le même paragraphe [de l’arrêt Vavilov] qui a éliminé l’erreur de compétence comme catégorie de contrôle de la décision correcte, on trouve l’affirmation suivante : « En l’appliquant adéquatement [la norme], les cours de justice sont en mesure d’accomplir leur devoir constitutionnel de veiller à ce que les organismes administratifs agissent dans les limites des pouvoirs qui leur sont conférés. » Le langage du devoir constitutionnel est celui des arrêts Crevier et Dunsmuir. Cela laisse entendre que le contrôle de la raisonnabilité ne peut en fait être écarté, car son élimination pourrait empêcher les cours de s’acquitter de leur devoir constitutionnel.

Deuxièmement, bien que ce point ne soit pas exprimé en termes constitutionnels, la majorité a indiqué très clairement qu’elle enjoignait désormais aux décideurs administratifs d’« adhérer à une culture de la justification et démontrer que l’exercice du pouvoir public qui leur est délégué peut être « justifié aux yeux des citoyens et citoyennes sur les plans de la rationalité et de l’équité ». Si le contrôle de la raisonnabilité a été éliminé, les décideurs administratifs ne sont jamais tenus de démontrer que leur exercice du pouvoir public peut être justifié par la rationalité et l’équité. Cela fracturerait le socle d’un pilier central de l’architecture de l’arrêt Vavilov.

Le résultat, à mon avis, est que l’arrêt Vavilov établit l’essence constitutionnelle minimale du contrôle de la raisonnabilité[193].

Cette position a également été adoptée au Manitoba[194].

Il reste à savoir quand exactement le contrôle judiciaire peut être interdit. Rappelons qu’au paragraphe 52 de l’arrêt Vavilov, la proposition est qu’un droit d’appel circonscrit ne peut « à lui seul » empêcher une cour supérieure d’exercer sa fonction de révision. Qu’est-ce que cela signifie?

La réponse que je donne (et qui est présentée à la Cour suprême dans l’arrêt Yatar) est que cela est permis lorsque le caractère raisonnable (et, d’ailleurs, l’équité procédurale) de tous les aspects d’une décision peut être évalué par un organisme indépendant dans le cadre d’un contrôle de type appel : [traduction] « Lorsque la compétence en matière de contrôle judiciaire des tribunaux a été écartée avec succès par une loi, on constate qu’il y a plus qu’une simple disposition dont le libellé est privatif, c’est-à-dire que le législateur a fourni un moyen particulier de surveillance de la légalité, de la rationalité et de l’équité procédurale des mesures administratives »[195]. L’un des premiers arrêts de la Cour suprême du Canada en est un bon exemple. Dans l’affaire Kelly v Sulivan[196], une propriétaire demandait le contrôle judiciaire (par l’entremise d’une demande de certiorari) d’une décision de la cour du commissaire, un tribunal administratif établi en vertu de la Prince Edward Island Land Purchase Act, 1875, qui avait pour effet d’acquérir toutes les terres de son canton à l’Île-du-Prince-Édouard. La Cour a conclu qu’une demande de certiorari n’était pas disponible, mais seulement parce que la loi interdisant l’accès au certiorari prévoyait également qu’une demande puisse être présentée à la Cour supérieure, dans les 30 jours, pour corriger toute erreur, absence de formalisme ou omission dans l’adjudication[197]. Ce recours couvrait le même motif que le certiorari et pouvait donc écarter la compétence de la Cour supérieure. Mais seulement parce qu’il couvrait le même motif que le certiorari[198].

Il peut aussi l’être lorsqu’il existe un droit d’appel circonscrit devant les tribunaux (peut-être sur des questions de droit) et une disposition prévoyant un contrôle de type appel des aspects restants de la décision. La signification du contrôle de type appel, et en particulier la question de savoir si un appel devant le cabinet fédéral ou provincial répond à la norme, a déjà été débattue devant les tribunaux[199] et pourrait devenir de nouveau pertinente dans un proche avenir.

Il reste à voir si la Cour suprême nous dira, dans Yatar, lequel de ces camps a raison. La loi en cause prévoit expressément que le droit de demander un contrôle judiciaire n’est pas exclu[200]. La signification juridique de ce fait n’est toutefois pas claire. Que la loi le dise ou non, le contrôle judiciaire serait possible en vertu de la common law[201]. Ensuite, la question est de savoir si un droit d’appel circonscrit peut constituer une limitation de la portée du contrôle judiciaire, soit par pouvoir discrétionnaire (comme les tribunaux ci-après l’ont soutenu dans Yatar) soit d’une autre façon. Personnellement, j’ai du mal à voir une distinction de principe entre l’exclusion du contrôle judiciaire découlant du pouvoir discrétionnaire et l’exclusion du contrôle judiciaire découlant d’une loi; dans les deux cas, il est nécessaire de clarifier la mesure dans laquelle le contrôle judiciaire est inscrit dans la Constitution (surtout sur les questions de fait) afin d’expliquer pourquoi il ne peut être exclu. À moins que la Cour suprême adopte la position de la défense du pouvoir discrétionnaire, sa décision dans Yatar sera révélatrice.

IV. CONCLUSION

J’ai abordé un certain nombre de questions dans ce document de type « Rétrospective annuelle ». Il y a quelque chose de soulageant à pouvoir commenter un paysage relativement aménagé. Les premières années qui ont suivi l’arrêt Vavilov se sont avérées beaucoup plus stables et satisfaisantes que celles qui ont précédé cet arrêt déterminant de 2019. Au cours des prochains mois, la Cour suprême sera saisie d’une multitude de questions qui mettront à l’épreuve le cadre de l’arrêt Vavilov, mais tant que la simplicité et la clarté demeureront les pierres de touche, il y a lieu d’être optimiste quant à l’avenir à moyen terme du droit administratif canadien. Que la stabilité se maintienne encore longtemps!

 

* Le professeur Paul Daly est titulaire de la Chaire de recherche de l’Université en droit administratif et gouvernance à l’Université d’Ottawa. Ses nombreuses publications dans le vaste domaine du droit public sont souvent citées. Il comparaît régulièrement devant les tribunaux canadiens sur des questions de droit public et est membre à temps partiel du Tribunal de la protection de l’environnement du Canada.

  1. Nicholson c Haldimand-Norfolk Regional Police Commissioners, [1979] 1 RCS 311.
  2. S.C.F.P. c Société des Alcools du N.-B., [1979] 2 RCS 227.
  3. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653 [Vavilov].
  4. Bell Canada c Canada (Procureur général), 2019 CSC 66, [2019] 4 RCS 845.
  5. Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, [2019] 4 RCS 900.
  6. Office régional de la santé du Nord c Horrocks, 2021 CSC 42.
  7. Paul Daly, “Life After Vavilov? The Supreme Court of Canada and Administrative Law in 2021”, CLEBC Administrative Law Conference (18 novembre 2021), à la p 1, en ligne : <www.canlii.org/en/commentary/doc/2021CanLIIDocs13538>.
  8. Law Society of Saskatchewan c Abrametz, 2022 CSC 29.
  9. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c Entertainment Software Association, 2022 CSC 30.
  10. Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest c Territoires du Nord-Ouest (Éducation, Culture et Emploi), 2023 CSC 31 [CSFTNO].
  11. Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 [Mason].
  12. Yatar v TD Insurance Meloche Monnex, 2022 ONCA 446, SCC File #40348; Elementary Teachers Federation of Ontario v York Region District School Board, 2022 ONCA 476, SCC File #40360; Association des cadres de la société des casinos du Québec c Société des casinos du Québec, 2022 QCCA 180, dossier no 40123 de la CSC.
  13. Ontario (Attorney General) v Ontario (Information and Privacy Commissioner), 2022 ONCA 74, SCC File #40078.
  14. Paul Daly, « The Signal and the Noise in Administrative Law » (2017) 68 University of New Brunswick Law Journal, en ligne : <journals.lib.unb.ca/index.php/unblj/article/view/29056/1882524241>.
  15. Paul Daly, « Future Directions in Standard of Review in Canadian Administrative Law: Substantive Review and Procedural Fairness » (2023) 36:69 Canadian Journal of Administrative Law & Practice.
  16. Roseau River First Nation v Canada (Attorney General), 2023 FCA 163.
  17. Canada Christian College and School of Graduate Theological Studies v Post-Secondary Education Quality Assessment Board, 2023 ONCA 544.
  18. McAnsh v Ontario, 2023 ONSC 3537.
  19. Haghshenas v Canada (Citizenship and Immigration), 2023 FC 464; Safarian v Canada (Citizenship and Immigration), 2023 FC 775.
  20. British Columbia (Attorney General) v 992704 Ontario Limited, 2023 BCCA 346.
  21. British Columbia (Lieutenant Governor in Council) v Canada Mink Breeders Association, 2023 BCCA 310.
  22. Viaguard Accu-Metrics Laboratory v Standards Council of Canada, 2023 FCA 63.
  23. Mason, supra note 11.
  24. Yatar v TD Insurance Meloche Monnex, 2022 ONCA 446, SCC File #40348. Voir aussi Démocratie en surveillance c Canada (Procureur général), 2023 CAF 39; Georgopoulos v Alberta (Appeals Commission for Alberta Workers’ Compensation), 2023 ABCA 285; Canada (Attorney General) v Pier 1 Imports (U.S.), Inc., 2023 FCA 209.
  25. Auer v Auer, 2022 ABCA 375, SCC File #40582; TransAlta Generation Partnership v Alberta (Minister of Municipal Affairs), 2022 ABCA 381, SCC File #40570. Voir aussi Sul v The Rural Municipality of St Andrews, Manitoba et al, 2023 MBCA 25; British Columbia (Attorney General) v Le, 2023 BCCA 200.
  26. Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].
  27. Pushpanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 RCS 982, au para 43.
  28. Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 RCS 909.
  29. Paul Daly, « Can This Be Correct? Kanthasamy v. Canada (Citizenship and Immigration), 2015 SCC 61 » (11 décembre 2015), en ligne : Administrative Law Matters <www.administrativelawmatters.com/blog/2015/12/11/can-this-be-correct-kanthasamy-v-canada-citizenship-and-immigration-2015-scc-61>; Paul Daly, « Certified Questions, References and Reasonableness: Canada (Citizenship and Immigration) v. Galindo Camayo, 2022 FCA 50 » (8 avril 2022), en ligne : Administrative Law Matters <www.administrativelawmatters.com/blog/2022/04/08/certified-questions-references-and-reasonableness-canada-citizenship-and-immigration-v-galindo-camayo-2022-fca-50>.
  30. Paul Daly, « The Return of Context? Society of Composers, Authors and Music Publishers of Canada v. Entertainment Software Association, 2022 SCC 30 » (9 septembre 2022), en ligne : Administrative Law Matters <www.administrativelawmatters.com/blog/2022/09/09/the-return-of-context-society-of-composers-authors-and-music-publishers-of-canada-v-entertainment-software-association-2022-scc-30>.
  31. Mason, supra note 11 au para 53.
  32. Voir les motifs concordants de la juge Côté. Ibid au para 163.
  33. Ibid au para 47.
  34. Mason, supra note 11 au para 83.
  35. Ibid au para 81.
  36. Ibid au para 84.
  37. Ibid au para 91.
  38. Ibid au para 95.
  39. Ibid au para 99.
  40. Ibid au para 102.
  41. Ibid au para 103.
  42. Ibid au para 109.
  43. Ibid au para 117.
  44. Ibid
  45. Ibid au para 121.
  46. Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156, au para 19.
  47. CSFTNO, supra note 10.
  48. Ibid au para 78.
  49. Ibid aux para 80–82.
  50. Mason, supra note 11 au para 97.
  51. Paul Daly, « Administrative Tribunals in Canada: Constitutional Subordinates or Equal Partners? » (9 septembre 2023), en ligne : Social Science Research Network <papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4565804>. À paraître dans Groves, Thomson and Weeks, éd., Administrative Tribunals in the Common Law World, (Oxford : Hart, 2024).
  52. CSFTNO, supra note 10 au para 98.
  53. Ibid au para 99.
  54. Ibid au para 102.
  55. Ibid.
  56. Ibid.
  57. Mason, supra note 11 aux para 96, 101.
  58. Vavilov, supra note 3 aux para 94, 96.
  59. Paul Daly, A Culture of Justification: Vavilov and the Future of Administrative Law (Vancouver : UBC Press, 2023).
  60. Zeifmans LLP c Canada, 2022 CAF 160, au para 10, selon le juge d’appel Stratas.
  61. Supra note 46 au para 17.
  62. Mason, supra note 11 au para 79.
  63. Paul Daly, « Unreasonable Interpretations of Law Redux: Mason v. Canada (Citizenship and Immigration), 2019 FC 1251 » (23 octobre 2019), en ligne : Administrative Law Matters <www.administrativelawmatters.com/blog/2019/10/23/unreasonable-interpretations-of-law-redux-mason-v-canada-citizenship-and-immigration-2019-fc-1251>.
  64. Vavilov, supra note 3 au para 68.
  65. Ibid au para 109.
  66. Greenwood v Buster (1902), 1 O.W.R. 225 (H.C.J.).
  67. Vavilov, supra note 3 au para 119.
  68. Canada (Attorney General) v Ibrahim, 2023 FCA 204.
  69. Andrew Green, « How Important are Ground-Breaking Cases in Administrative Law? » (2023) 73:4 University of Toronto Law Journal, à la p 426.
  70. Shell Canada Limited v Alberta (Energy), 2023 ABCA 230.
  71. Ibid au para 4.
  72. Vavilov, supra note 3 au para 23.
  73. Law Society of Newfoundland and Labrador v Buckingham, 2023 NLCA 17.
  74. Ibid au para 42.
  75. Ibid au para 44.
  76. Ibid au para 53.
  77. Ibid au para 55.
  78. Ibid au para 86.
  79. Mark Mancini, « The Promise of Habeas Corpus Post-Vavilov: The Principle of Legality » (17 mars 2022), en ligne : Social Science Research Network <papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4059757>. À paraître (2022) dans la Revue du Barreau canadien.
  80. Société Radio-Canada c Canada (Procureur général), 2023 CAF 131.
  81. Décision de radiodiffusion du CRTC, 2022-175.
  82. Règlement de 1986 sur la radio, DORS/86-982, au para 3(b).
  83. Loi sur la radiodiffusion, LC 1991, c 11.
  84. Supra note 81 au para 22.
  85. Supra note 83 au para 5(1).
  86. Ontario (Commission de l’énergie) c Ontario Power Generation Inc., 2015 CSC 44, [2015] 3 RCS 147.
  87. Renvoi relatif à la Politique règlementaire de radiodiffusion CRTC 2010-167 et l’ordonnance de radiodiffusion CRTC 2010-168, 2012 CSC 68, [2012] 3 RCS 489 [Cogeco].
  88. Ibid aux para 22–23.
  89. Groupe TVA Inc. c Bell Canada, 2021 CAF 153, au para 35.
  90. Capital Cities Comm. c C.R.T.C., [1978] 2 RCS 141.
  91. Supra note 80 aux para 51–53.
  92. Ibid au para 34.
  93. Ibid au para 62
  94. ATCO Gas & Pipelines Ltd. c Alberta (Energy & Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 RCS 140 [Stores Block].
  95. Paul Daly, « Against ATCO » (24 novembre 2023), en ligne : Administrative Law Matters <www.administrativelawmatters.com/blog/2023/11/24/against-Atco-text-purpose-context-not-implied-and-express-powers>. À paraître (2024) dans Advocates’ Quarterly.
  96. ATCO Electric Ltd v Alberta Utilities Commission, 2023 ABCA 129 [ATCO Electric].
  97. Ibid aux para 13, 19.
  98. Ibid au para 30.
  99. FortisAlberta Inc v Alberta (Utilities Commission), 2015 ABCA 295.
  100. ATCO Electric, supra note 96 au para 44.
  101. Ibid au para 43.
  102. Ibid au para 44.
  103. Ibid au para 46. Voir aussi Alta Link Management Ltd v Alberta Utilities Commission, 2023 ABCA 325, au para 3, où il est indiqué que [traduction] « le cadre législatif dans lequel elle [la Commission] exerce ses activités est complexe et est imprégné de termes d’art juridique exigeant une définition unique » [emphase ajoutée].
  104. ATCO Electric, supra note 96 aux para 52–53.
  105. Ibid aux para 61–62.
  106. Voir en particulier Bell Canada c Bell Aliant Communications régionales, 2009 CSC 40.
  107. ATCO Electric, supra note 96 au para 18.
  108. Nigel Bankes, « Stores Block Meets Vavilov: The Status of Pre-Vavilov ABCA Decisions » (1 mai 2023), en ligne : ABlawg <ablawg.ca/2023/05/01/stores-block-meets-vavilov-the-status-of-pre-vavilov-abca-decisions>.
  109. Société Radio-Canada c Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1996] 3 RCS 480, au para 26.
  110. Southam Inc. c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1987] 3 CF 329, au para 9.
  111. Canadian Broadcasting Corporation v Canada (Parole Board), 2023 FCA 166 [Parole Board].
  112. Ibid au para 85.
  113. Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20, art 140(4).
  114. Sierra Club du Canada c Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41, [2002] 2 RCS 522.
  115. Voir par ex supra note 110 au para 336.
  116. Parole Board, supra note 111 au para 48.
  117. Ibid au para 55.
  118. Ibid
  119. Ibid au para 53.
  120. Ibid au para 54.
  121. Voir les commentaires de la Cour d’appel de l’Alberta dans l’arrêt Alta Link Management Ltd v Alberta Utilities Commission, 2023 ABCA 325, au para 48 : [traduction] « son processus décisionnel est polycentrique; elle remplit un rôle de nature hautement politique qui comprend un mandat d’intérêt public solide ».
  122. Supra note 103.
  123. Electric Utilities Act, SA 2003, c E-5.1.
  124. Voir par ex Rogers Communications Canada Inc. v Ontario Energy Board, 2020 ONSC 6549.
  125. Supra note 103 aux para 51–55.
  126. Ibid au para 57.
  127. Ibid au para 60.
  128. Ibid au para 63.
  129. Ibid au para 64.
  130. Unifund Assurance Co. c Insurance Corp. of British Columbia, 2003 SCC 40, [2003] 2 RCS 63.
  131. Sharp c Autorité des marchés financiers, 2023 SCC 29 [Sharp].
  132. Ibid au para 136.
  133. Supra note 130 au para 56 [souligné dans l’original].
  134. Sharp, supra note 131 au para 102.
  135. Ibid aux para 113–114.
  136. Ibid au para 129.
  137. Ibid au para 133.
  138. Ibid au para 134.
  139. Voir par ex McLean c Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 RCS 895.
  140. Voir par ex les Autorités canadiennes en valeurs mobilières et, en particulier, son Comité permanent de l’Application de la loi.
  141. Sharp, supra note 131 au para 135.
  142. Voir aussi Office régional de la santé du Nord c Horrocks, 2021 CSC 42.
  143. Edmonton (Ville) c Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, au para 78 [Edmonton East], citant Habtenkiel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 180, [2015] 3 RCF 327, au para 35.
  144. Démocratie en surveillance c Canada (Procureur général), 2022 CAF 208, au para 39.
  145. Vavilov, supra note 3 aux para 65–68.
  146. Démocratie en surveillance c Canada (Procureur général), 2022 CAF 208, au para 45.
  147. Immeubles Port Louis ltée c Lafontaine (Village), [1991] 1 RCS 326, à la p 360.
  148. Canada (Procureur général) v Best Buy Canada Ltd., 2021 FCA 161.
  149. Loi sur les douanes, LRC [1985], c 1 [2e suppl.], art 68(1).
  150. Ibid, art 67(3).
  151. Supra note 148 au para 46.
  152. Ibid au para 59. Voir aussi Canada (Citoyenneté et Immigration) c Conseil canadien pour les réfugiés, 2021 CAF 72, [2021] 3 RCF 294, au para 102; Démocratie en surveillance c Canada (Procureur général), 2022 CAF 208, aux para 42–44.
  153. Supra note 148 au para 60.
  154. Démocratie en surveillance c Canada (Procureur général), 2022 CAF 208, au para 45.
  155. Georgopoulos v Alberta (Appeals Commission for Alberta Workers’ Compensation), 2023 ABCA 285.
  156. Ibid au para 22.
  157. Ibid au para 24.
  158. Ibid au para 16.
  159. Ibid au para 13.
  160. Crevier c P.G. (Québec) et autres, 1981 CSC, [1981] 2 RCS 220, à la p 234.
  161. Ibid à la p 238 [emphase ajoutée].
  162. Voir par ex Blanchard c Control Data Canada Ltée, 1984 CSC, [1984] 2 RCS 476. Voir Paul Daly, « Facticity: Judicial Review of Factual Error in Comparative Perspective » dans Peter Cane et al eds., Oxford Handbook of Comparative Administrative Law (OUP, 2021), 901 aux pp 905–907.
  163. Voir par ex Office régional de la santé du Nord c Horrocks, 2021 CSC 42, aux para 7–9.
  164. Voir par ex Boston v Lelievre, 1864 CarswellQue 4, au para 15.
  165. Voir par ex R. v York Justices 1835, 1 NBR 108; Ex Parte McNeil, 1857, 8 NBR. 493.
  166. Supra note 155 au para 17.
  167. Bunbury v Fuller, 1853, 9 Ex. 109; R. v Licence Commissioners of Point Grey, 1913, 14 DLR 721; R. v Nat Bell Liquors Limited, 1922, 65 DLR 1; voir aussi Green v Alberta Teachers’ Association, 2016 ABCA 237.
  168. Le problème avec la position avancée par Mark Mancini dans un récent document intitulé « Foxes, Henhouses and the Constitutional Guarantee of Judicial Review » (2024) Revue du Barreau canadien (à venir), c’est qu’il confond « autorité légitime » et « questions de droit ». En toute déférence, il n’y a pas de fondement à cet amalgame, notamment parce qu’à divers moments de l’histoire, il a été reconnu que certaines « erreurs de droit » échapperaient au contrôle judiciaire si elles étaient commises « dans le champ de compétence ». Il serait donc tout à fait étrange, sur le plan historique, qu’il y ait une garantie constitutionnelle de contrôle judiciaire sur des questions de droit. Il n’est pas surprenant qu’il n’existe pas de pouvoir de ce genre. M. Mancini cite l’arrêt Procureur général (Québec) et autre c Farrah, 1978, 195 CSC, [1978] 2 RCS 638, mais, en tout respect, le principe de cette affaire est qu’un législateur ne peut utiliser une disposition privative et d’autres moyens pour transférer une partie de la compétence de surveillance des cours à un organisme créé par une loi (ce qui était l’effet du régime législatif). Cela ne tient pas compte de la proposition selon laquelle l’essence constitutionnelle minimale du contrôle judiciaire ne concerne que des « questions de droit ». En fait, cela correspond à la proposition selon laquelle les « questions de droit » font au moins partie de l’essence constitutionnelle minimale.
  169. Fooks v Alberta Association of Architects, 1982, 139 DLR (3d) 445.
  170. Legal Profession Act (Re), 1967, 64 DLR (2d) 140, à la p 146 (Alta SC App Div).
  171. Harris v The Law Society of Alberta, [1936] SCR 88, aux pp 92, 102–103; voir aussi Dierks v Altermatt, [1918] 1 WWR 719, à la p 724 (Alta SC App Div).
  172. Hespeler v Shaw (1858), 16 U.C.Q.B. 104, au para 6.
  173. Vavilov, supra note 3 au para 68.
  174. Yatar v TD Insurance Meloche Monnex, 2021 ONSC 2507.
  175. Ibid au para 41.
  176. Ibid au para 43.
  177. Ibid au para 44.
  178. Ibid au para 45.
  179. Ibid au para 46.
  180. Yatar v TD Insurance Meloche Monnex, 2022 ONCA 446.
  181. Ibid au para 47.
  182. Ibid au para 38.
  183. Loi sur l’exercice des compétences légales, LRO 1990, c S.22, art 21.2(1).
  184. Canada (Attorney General) v Pier 1 Imports (U.S.), Inc., 2023 FCA 209.
  185. Ibid au para 52.
  186. Vavilov, supra note 3 au para 67.
  187. Innisfil Township c Vespra Township, 1981, 59 CSC, [1981] 2 RCS 145, à la p 169, citant Cooper v Wandsworth Board of Works, 1863, 14 C.B. (N.S.) 180.
  188. Supra note 148 au para 111.
  189. Ibid au para 112. Voir aussi aux para 82–87, la discussion traitant de « la possibilité que les conclusions de fait gravement erronées constituent des erreurs manifestement déraisonnables », et au para 116.
  190. Ibid au para 113.
  191. Ibid au para 116.
  192. Ibid au para 117. Voir aussi Koebisch v Rocky View (County), 2021 ABCA 265, au para 24.
  193. Paul Daly, « Unresolved Issues after Vavilov IV: The Constitutional Foundations of Judicial Review » (17 novembre 2020), en ligne : Administrative Law Matters <www.administrativelawmatters.com/blog/2020/11/17/unresolved-issues-after-vavilov-iv-the-constitutional-foundations-of-judicial-review>.
  194. Smith v The Appeal Commission, 2023 MBCA 23, aux para 43–44.
  195. Paul Daly, « Understanding Administrative Law in the Common Law World » (Oxford University Press, Oxford, 2021), à la p 188 [emphase dans l’original].
  196. Kelly v Sulivan, 1877 1 SCR 3 [Kelly].
  197. Même dans ce cas, on a laissé entendre que le certiorari demeurait disponible pour corriger les erreurs de compétence : [traduction] « Je suis d’avis que le mode indiqué par la loi est celui qui aurait dû être poursuivi par le propriétaire en l’espèce en cas d’erreur, d’absence de formalisme ou d’omission dans l’adjudication et que la Cour n’avait pas d’autre pouvoir d’enquêter sur les procédures des commissaires, si ce n’est que pour voir si la question dont ils étaient saisis était recevable et, peut-être, pour voir s’ils avaient été coupables de fraude dans leurs procédures », ibid à la p  37 [emphase ajoutée]. Le soulignement est le mien et saisit l’ancienne idée voulant qu’un décideur doive avoir « compétence pour participer à l’enquête ».
  198. Voir parallèlement, Loi sur les cours fédérales, LRC 1985, c F-7, art 18.5. Mark Mancini cite l’arrêt Kelly dans « Foxes, Henhouses and the Constitutional Guarantee of Judicial Review » (2024) Revue du Barreau canadien (à paraître) comme un exemple de la recevabilité d’une loi interdisant le contrôle judiciaire. Toutefois, la portée de l’arrêt Kelly est manifestement très limitée, car les commentaires sur l’exclusion du contrôle judiciaire ont été formulés dans un contexte où — en fait — le contrôle judiciaire n’a pas été exclu du tout de l’interprétation du régime législatif par la Cour suprême. L’arrêt Kelly ne défend pas la simple proposition selon laquelle le contrôle judiciaire peut être interdit par la loi.
  199. Voir par ex Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c Scott, 2018 CAF 148.
  200. Loi sur les assurances, LRO 1990, c I.8, art 280(3).
  201. Edmonton East, supra note 143 au para 78.

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