«Défis » est probablement le mot qui représente le mieux la situation actuelle de la réglementation de l’énergie au Canada. Les problèmes auxquels se heurtent les décideurs et les organismes de réglementation de l’énergie sont importants et même qualifiés par beaucoup comme étant « existentiels ». Toutefois, les défis vont bien au-delà de la simple résolution de problèmes politiques et réglementaires. Ils portent notamment sur la redéfinition du rôle même de la réglementation de l’énergie (et des organismes de réglementation en particulier), tel qu’il a été compris jusqu’à présent.
D’ici la publication du présent numéro de la Publication trimestrielle sur la réglementation de l’énergie, l’Office national de l’énergie (créé par le Parlement il y a 60 ans, en 1959, en vue d’être un décideur véritablement indépendant1) aura été aboli et remplacé par la Régie canadienne de l’énergie (RCE). Le projet de loi C692, soit la loi promulguant cette modification, est au cœur d’un débat public. Ces discussions portent sur la mise en œuvre d’une profonde restructuration du processus d’évaluation visant l’infrastructure énergétique et d’autres projets relevant du gouvernement fédéral. Cependant, peu d’attention est accordée au fait que la structure et l’organisation de la RCE sont fondées sur un modèle qui diffère radicalement des modèles antérieurs des tribunaux de réglementation de l’énergie au Canada. Ce nouveau modèle a été adopté en Alberta au moment de la création de l’Alberta Energy Regulator en 2012 et est actuellement mis en œuvre en Ontario pour « réformer » la Commission de l’énergie de l’Ontario.
Essentiellement, le modèle se compose de trois rôles distincts : le rôle de prise de décisions réglementaires (dévolu dans le cas de la RCE à une commission, composée d’un maximum de sept « commissaires » à temps plein et d’un nombre indéterminé de commissaires à temps partiel); le rôle de gestion exécutive (dévolu au directeur général, qui n’est ni un commissaire ni un membre du conseil d’administration); le rôle de « gouvernance » (confié à un conseil d’administration à temps partiel, sous la direction d’un président à temps partiel). Le modèle pourrait être décrit comme étant un changement « sismique » qui a des répercussions claires sur l’ « indépendance » si l’on se fie à ce que signifiait auparavant ce principe, dans le contexte de la réglementation énergétique.
Le Cambridge English Dictionary définit le terme seismic (sismique) ainsi : « having very great and usually damaging effects »3 (ayant des effets très importants et généralement dommageables). Dans les prochains numéros de la Publication trimestrielle sur la réglementation de l’énergie, nous examinerons les répercussions de ce changement sur le rôle des tribunaux et des organismes de réglementation de l’énergie.
Dans le présent numéro, David Stevens dresse un portrait du projet de restructuration de la Commission de l’énergie de l’Ontario dans son article « Le gouvernement de l’Ontario prend des mesures pour réformer la Commission de l’énergie de l’Ontario », tandis que Bob Heggie aborde certaines questions de gouvernance et de gestion soulevées par le nouveau modèle dans son article « La gouvernance des organismes administratifs : la queue remue-t-elle le chien? ».
L’un des rôles importants de notre publication trimestrielle demeure la présentation d’une analyse et d’un contexte qui vont au-delà des manchettes quotidiennes. Dans l’article principal du présent numéro « L’avenir énergétique du Canada à l’ère des changements climatiques : confiance du public et fondements institutionnels du changement »4, Michael Cleland et Monica Gattinger font valoir de façon convaincante que « la politique climatique canadienne depuis le début des années 1990 est bien plus facile à comprendre si l’on émet l’hypothèse que l’on a simplement dissocié les impératifs climatiques des impératifs énergétiques ». Le pays n’a guère réussi à réduire ses émissions de gaz à effet de serre, affirment-ils, alors que la viabilité de la plus grande industrie d’exportation du pays est compromise. Selon les auteurs, pour trouver des solutions, il faudra notamment résoudre des questions relatives aux rôles et responsabilités des institutions décisionnelles et à leur structure essentielle.
L’article de Jeffrey Simpson portant sur le « Défi des changements climatiques au Canada » traite également de la nécessité de trouver un équilibre dans le débat opposant le développement énergétique au changement climatique. À son avis, bien que nous puissions observer une prise de conscience grandissante à l’égard des changements climatiques en tant que problème, « il y a aussi, heureusement, un appui pour les approches équilibrées et sensées qui rejettent les discours apocalyptiques et les solutions déraisonnables, et de légères préoccupations exprimées envers les personnes qui travaillent dans des régions tributaires des ressources naturelles où il n’y a que peu, voire aucune autre solution, à leur développement. »
Le présent numéro de la Publication trimestrielle sur la réglementation de l’énergie comprend également la chronique de Robert S. Fleishman, intitulée « La position de Washington », qui traite des principaux développements en matière de réglementation et de litiges aux États-Unis observés entre 2018 et la mi-2019, tant au niveau fédéral qu’étatique, qui touchent l’énergie et l’environnement.
La Publication trimestrielle sur la réglementation de l’énergie collabore aussi à la réalisation d’une série d’entrevues avec les présidents des tribunaux des services publics du Canada. À cet effet, les propos recueillis auprès de Mark Kolesar, président de l’Alberta Utilities Commission, ont fait l’objet des premiers paragraphes de notre éditorial.
Scott Hempling donne son point de vue dans son article intitulé « Ententes de réglementation : quand est-ce que les ententes privées servent l’intérêt public? ». Il rappelle entre autres que les ententes sont des armes à double tranchant : « elles ont une valeur positive si elles permettent de régler des enjeux d’intérêt public, et une valeur négative si elles écartent la commission de son rôle réglementaire. »
Dans le monde actuel des politiques publiques, l’énergie et les changements climatiques sont inextricablement liés, ce qui mène le débat à porter de plus en plus sur les mécanismes de tarification du carbone. À présent, ce débat s’est déplacé devant les tribunaux, où quatre provinces ont contesté la constitutionnalité de la loi fédérale, laquelle impose un régime de tarification du carbone aux provinces qui ne respectent pas une norme minimale. Dans « La crise existentielle du Canada au sujet de la réglementation sur les changements climatiques : s’agit-il d’une tempête dans un verre d’eau? », Lisa DeMarco et Jonathan McGillivray passent en revue le litige en cours qui sera porté devant la Cour suprême du Canada. Les auteurs soulignent que, nonobstant ce qui pourrait sembler être une autre « crise existentielle » (comme l’indique leur titre), « un examen plus attentif des éléments de preuve dans tous les débats révèle une toute autre histoire, soit l’émergence d’un consensus national sur l’urgence de lutter contre les changements climatiques et sur la nécessité de s’attaquer à ce problème, en partie au moyen de la tarification du carbone ».
- Rowland J. Harrison, « The Elusive Goal of Regulatory Independence and the National Energy Board: Is Regulatory Independence Achievable? What Does Regulatory ‘Independence’ Mean? Should We Pursue It? » (2013) 50:4 Alta L Rev 757.
- PL C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, 1re sess, 42e parl, 2019, (sanctionné par la Chambre des communes le 21 juin 2019), LC 2019, c 28.
- Cathy Armor, dir, The Cambridge English Dictionary, Cambridge United Kingdom, 2019, sub verbo « seismic », en ligne: <https://dictionary.cambridge.org/dictionary/english/seismic> (soulignement et caractères gras ajoutés).
- Cet article représente la plus récente contribution de la recherche en cours dans le cadre du projet Énergie positive de l’Université d’Ottawa à la Publication trimestrielle sur la réglementation de l’énergie.