Éditorial

Le présent numéro de la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie débute par un aperçu de l’évolution des pipelines, qui représente le point de référence des marchés énergétiques canadiens. Le projet Line 3 d’Enbridge est maintenant terminé. Les autres projets vont toujours de l’avant, mais accusent des retards et comportent d’importants dépassements de coûts. Le gouvernement du Canada a annoncé qu’il ne fournira plus de financement public pour le projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain, car le coût de celui-ci a augmenté de 70 % pour atteindre 21,4 milliards de dollars. Au même moment, TC Energy Corporation a annoncé que le coût du gazoduc Coastal GasLink est passé de 6,6 à 11,2 milliards de dollars.

La deuxième section de notre publication porte sur les principales décisions réglementaires. Elle débute par la première décision canadienne sur les tarifs de recharge des véhicules électriques (VE). La British Columbia Utility Commission a rejeté les tarifs proposés par BC Hydro, car ces tarifs ne tenaient pas compte de tous les coûts pertinents et contribueraient probablement à une concurrence inégale[1].

On se penche ensuite sur la première décision d’un organisme de réglementation canadien de l’énergie déclenchée par la plainte d’un dénonciateur[2]. Dans cette affaire, l’Alberta Utilities Commission (AUC) a constaté qu’ATCO Electric avait facturé aux contribuables les coûts d’un contrat qu’elle avait conclu à 10 millions de dollars au-dessus de la juste valeur machande, au profit de la société affiliée non réglementée de l’entreprise de services publics. Pour aggraver les choses, cette entreprise de services publics a pris des mesures pour dissimuler les faits à l’AUC. Celle-ci a accusé l’entreprise d’avoir violé son obligation de divulguer toutes les informations pertinentes à l’organisme de réglementation. Il s’agit d’une autre première dans la réglementation canadienne de l’énergie. Après une longue enquête, l’entreprise a accepté de payer une amende de 31 millions de dollars, soit l’amende la plus élevée à ce jour imposée par un organisme de réglementation de l’énergie canadien.

La prochaine décision dont on traite correspond à une autre première. La Nova Scotia Commission (la Commission) a approuvé l’investissement d’une entreprise de services publics dans une nouvelle technologie appelée la génération marémotrice. Cet investissement s’est toutefois avéré infructueux. L’entreprise de services publics a alors demandé à la Commission de lui permettre d’amortir ses coûts, ce qui lui a été refusé parce qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves démontrant que l’investissement était encore utile[3]. Ce type d’investissement deviendra le prochain défi des organismes de réglementation canadiens de l’énergie. Nous avons constaté dans un certain nombre de décisions que les organismes de réglementation ont du mal à gérer les investissements dans les nouvelles technologies. Il s’agissait de la première décision qui portait sur l’amortissement des coûts technologiques. Ce ne sera pas la dernière.

Une autre décision importante et unique de l’Alberta est celle dans l’affaire Calgary District Heating[4] (CDH) qui a renforcé le concept de la réglementation fondée sur les plaintes. Dans ce cas-ci, la Commission de l’Alberta a décidé de ne pas réglementer les tarifs de CDH parce que les services énergétiques communautaires dans la ville de Calgary étaient concurrentiels. Dans le cadre d’une réglementation basée sur les plaintes, le service public a le droit de fixer les tarifs sans l’approbation de l’organisme de réglementation. Toutefois, en cas de plainte, l’organisme de réglementation peut examiner si les tarifs sont justes et raisonnables et fixer de nouveaux tarifs sur une base rétroactive, si nécessaire. À ce jour, cette forme de réglementation est rare, mais d’autres provinces et territoires pourraient suivre, en particulier pour les services énergétiques communautaires.

Vient ensuite la décision de l’AUC de modifier substantiellement ses règles de pratique[5]. Cela a commencé par la nomination de la part de la Commission d’un panel indépendant composé de Kem Yates, de David Mullan et de Rowland Harrison, qui ont tous une très grande expérience de la réglementation canadienne en matière d’énergie.

Ce groupe a publié un rapport contenant 30 recommandations, dont 29 ont été acceptées. L’AUC a récemment indiqué que ces recommandations ont considérablement permis d’améliorer le traitement des cas complexes en matière de tarifs.

L’AUC affiche maintenant un délai moyen de 7,4 mois entre la date de la demande et la date de la décision, soit une amélioration de 41 %. Les autres organismes canadiens de réglementation de l’énergie examineront sans doute ces règles de pratique modifiées avec une certaine attention.

La dernière section de notre publication porte sur les décisions réglementaires prises par les tribunaux. Elle commence par la décision de la Cour d’appel de l’Alberta concernant la constitutionnalité de la Loi sur l’évaluation d’impacts fédérale[6]. Cette décision a déjà fait l’objet d’un compte rendu dans ces pages et ne nécessite pas d’analyse supplémentaire, si ce n’est pour dire que la majorité a jugé la législation non constitutionnelle. Le gouvernement de l’Alberta l’a appelée la « Loi interdisant les pipelines » [traduction], et le gouvernement fédéral a promis d’en faire appel devant la Cour suprême du Canada.

Un grand nombre des décisions figurant dans la revue annuelle portent sur des questions de secteur de compétence. Six décisions faisaient partie de cette catégorie cette année. Il y en a eu autant dans cette catégorie l’année précédente. L’affaire Waterloo Hotel[7] a soulevé une question rare mais importante : la Commission de l’énergie de l’Ontario avait-elle la compétence exclusive de la question qui lui était soumise? La Cour a conclu que oui. Toutes les provinces n’ont pas cette disposition dans leur loi, mais elle est certainement importante en Ontario.

La décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans l’affaire West Whitby Landowners[8] portait également sur le secteur de compétence. La Cour a alors statué que la Commission n’a pas besoin de tenir une audience chaque fois que quelqu’un le demande. La Commission de l’énergie de l’Ontario a également rendu une décision importante dans l’affaire Waterfront Toronto[9], dans le cadre de laquelle Enbridge a demandé à la Commission d’ordonner à Waterfront Toronto de payer 70 millions de dollars pour couvrir le coût d’un nouveau pipeline. Waterfront Toronto a affirmé que la Commission n’avait pas la compétence de lui ordonner de payer quoi que ce soit parce que l’entreprise n’était pas un client de services gazier. La Commission lui a donné raison.

L’année dernière, un certain nombre de décisions ont été rendues concernant les droits de propriété des Autochtones. Dans sa décision à l’issue de l’affaire Blueberry River First Nation[10] (BRFN), la Cour suprême de la Colombie-Britannique a conclu que les nouveaux projets de construction auraient dû être mis en attente lorsque la province a autorisé un certain nombre de développements industriels auxquels la BRFN s’était opposée pendant plusieurs décennies. Il s’agit de la première décision canadienne à examiner si les effets cumulatifs d’un développement antérieur peuvent constituer une atteinte injustifiée aux droits issus de traités.

La prochaine décision à noter est celle de la Cour d’appel de l’Alberta dans l’affaire AltaLink Management[11], où la Cour a souligné que pour déterminer si un projet est dans l’intérêt public, l’organisme de réglementation doit tenir compte des possibilités et des avantages que le projet offre aux Premières Nations.

La prochaine section de ce numéro de la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie consiste en un article de Monica Gattinger et de David Morton. M. Morton est le président et directeur général de la British Columbia Utilities Commission. Mme Gattinger est directrice de l’Institut pour la science, la société et la politique à l’École d’études politiques et titulaire de la chaire d’Énergie positive à l’Université d’Ottawa. Il s’agit d’un article important, car il expose les défis auxquels les organismes de réglementation de l’énergie au Canada seront confrontés au cours des cinq prochaines années. Les auteurs parlent d’un bouleversement majeur.

La question est de savoir comment les organismes de réglementation canadiens vont gérer les investissements massifs que nous sommes sur le point de voir, alors que les gouvernements tentent de décarboniser le réseau électrique au Canada. Les auteurs notent qu’ils seront confrontés à une grande incertitude. La question principale, pour dire les choses simplement, est de savoir qui va prendre les décisions. Les organismes de réglementation auront-ils un rôle passif et suivront-ils les instructions du gouvernement, ou bien mèneront-ils la charge? La réponse suggérée par les auteurs s’inspire un peu de ces deux possibilités.

Les auteurs expliquent que le défi provient de deux facteurs. Le premier est l’argent. Le second est la technologie. L’argent compte en raison des sommes en jeu. Des billions de dollars! Pour un organisme de réglementation, cela s’appelle l’expansion de la base tarifaire. Cela soulève une autre question qui trouble toujours les organismes de réglementation : qui paie? Dans le cas de la technologie, le problème est simple. La grande question qui préoccupe tout le monde est de savoir si la technologie portera fruit. Et comment l’amortir si elle échoue?

L’article s’empresse de souligner qu’il existe un autre nouvel objectif social important sur la scène réglementaire : le concept de réconciliation. Le présent numéro de la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie fait le point sur ces décisions. Les décisions récentes ont clairement élargi la portée des questions que les organismes de réglementation doivent désormais examiner. Il ne s’agit plus simplement de s’assurer qu’il y a eu une consultation adéquate. Le concept de réconciliation va bien au-delà, et les tribunaux ont été très clairs à ce sujet. Lorsqu’ils prennent des décisions concernant ce qui est dans l’intérêt du public, les organismes de réglementation doivent maintenant tenir compte de l’impact sur les parties autochtones. En fait, cette question se trouve maintenant au sommet de la liste.

Cet article ne propose pas de réponses faciles, mais décrit très bien les questions à examiner, ce qui est un bon point de départ.

Le présent numéro de la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie contient également une critique d’un livre récent de Scott Hempling. M. Hempling a écrit un certain nombre d’articles pour notre publication, et nous avons plus d’une fois fait la critique d’un de ses livres. Ce dernier ouvrage représente une contribution importante à la littérature sur la réglementation de l’énergie. Il s’agit d’une étude détaillée des fusions et acquisitions aux États-Unis. M. Hempling est très critique à l’égard de la politique menée par la Federal Energy Regulatory Commission depuis de nombreuses années en ce qui concerne l’approbation des fusions et acquisitions au sein de l’industrie des services publics d’électricité aux ÉtatsUnis. Il est d’avis que la Commission a été plus que généreuse. Il affirme qu’elle n’aurait pas dû s’appuyer sur un étrange critère d’inversion du fardeau de la preuve appelé le critère de l’absence de préjudice.

Ce critère de référence faisait en sorte que les fusions devaient être approuvées si le demandeur réussissait à démontrer qu’elles n’entraîneront aucun préjudice. Ce critère d’absence de préjudice a été adopté au Canada et y est utilisé depuis de nombreuses années. Pour cette raison, les avocats et les organismes de réglementation canadiens auront plus qu’un intérêt passager pour ce livre. Nous vous le recommandons fortement.

De temps à autre, les rédacteurs en chef de la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie republient des rapports qui portent sur l’analyse de domaines importants de la pratique réglementaire. En général, on propose une introduction de la part de l’auteur. Nous incluons deux rapports de ce type dans le présent numéro. Le premier a été préparé par l’entreprise d’experts-conseils Guidehouse, qui a été retenue par l’American Gas Association et l’Association canadienne du gaz.

Le rapport aborde une question très importante à laquelle sont confrontés les services publics du gaz en Amérique du Nord aujourd’hui. Cette question est tout simplement la suivante : Quel est l’avenir des services publics de gaz naturel du point de vue des investisseurs, compte tenu des investissements très importants qui ont lieu au Canada et aux États-Unis pour réduire les émissions de carbone? Ce rapport représente un bon travail d’enquête auprès de la communauté des investisseurs, en particulier aux États-Unis. Il n’est pas surprenant que l’une des principales conclusions soit que les entreprises de gaz doivent prêter attention aux moyens de décarboniser leur produit. Au moins au Canada, il existe des preuves solides que les entreprises s’y appliquent. Les récentes initiatives d’Enbridge en Ontario et de Fortis en Colombie-Britannique en sont d’ailleurs la preuve. Le rapport vaut la peine d’être lu.

Un rapport final apparaît dans le présent numéro de la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie. Il s’agit d’un rapport de Michael Cleland et de Monica Gattinger intitulé Net Zero : An International Review of Energy Delivery System Policy and Regulation for Canadian Energy Decision Makers.

 

  1. Re British Columbia Hydro and Power Authority Public Electric Vehicle (EV) Fast Charging Rate Application Decision and Final Order (26 janvier 2022), G-18-2022, en linge : British Columbia Utilities Commission <www.ordersdecisions.bcuc.com/bcuc/decisions/en/item/520273/index.do>.
  2. Re Allegations against ATCO Electric Ltd. (29 juin 2022), 27013-D01-2022, en linge : Alberta Utilities Commission <efiling-webapi.auc.ab.ca/Document/Get/719764>.
  3. Nova Scotia Power Incorporated (Re), 2022 NSUARB 2, en linge : Nova Scotia Utility and Review Board <www.canlii.org/en/ns/nsuarb/doc/2022/2022nsuarb2/2022nsuarb2.html?autocompleteStr=2022%20NSUARB%202&autocompletePos=1>.
  4. Re Calgary District Heating Inc. (2 mars 2022), 26717-D01-2022, en linge : Alberta Utilities Commission <efiling-webapi.auc.ab.ca/Document/Get/713215>.
  5. C. Kemm Yates, David J. Mullan et Rowland J. Harrison, « Report of the AUC Procedures and Processes Review Committee » (14 août 2020), en ligne (pdf) : <media.www.auc.ab.ca/prd-wp-uploads/2021/12/2020-10-22-AUCReviewCommitteeReport-1.pdf>.
  6. LC 2019 c 28, art 1.
  7. Vista Waterloo Hotel Inc. v 1426398 Ontario Inc., & Ontario Energy Board, 2021 ONSC 2724.
  8. Wst Whitby Landowners v Elixicon Energy, 2022 ONSC 1035.
  9. Re Enbridge Gas Inc. (7 juillet 2022), EB-2022-0003, en linge : Commission de l’énergie de l’Ontario <www.rds.oeb.ca/CMWebDrawer/Record/750562/File/document>.
  10. Yahey v British Columbia, 2021 BCSC 1287.
  11. AltaLink Management Ltd v Alberta (Utilities Commission), 2021 ABCA 342.

 

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