Éditorial

Les récentes élections en Alberta et au fédéral ont conduit à un changement de parti politique aux deux paliers de gouvernement. Ils auront probablement d’importantes répercussions sur la politique et la réglementation en matière d’énergie au Canada. Les deux anciennes administrations du Canada et de l’Alberta avaient, au cours des trois dernières années, apporté d’importants changements de fonds et de procédures aux cadres réglementaires. L’avenir de ces changements pourrait être maintenant remis en cause, mais il semble à tout le moins inévitable que le débat concernant la politique et la réglementation en matière d’énergie, tant au niveau provincial que fédéral, continuera de s’intensifier.

Dans ce contexte, l’article-vedette de ce numéro de la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie (ERQ) porte sur « l’Alberta en perspective – évolution récente dans la politique provinciale et interprovinciale en matière d’énergie », par Alan L. Ross et Lorelle Binnion, est une contribution au dialogue en cours sur une question d’importance nationale. Nous nous attendons à ce que les développements réglementaires afférents fassent l’objet de plus amples discussions dans les numéros à venir de l’ERQ. Et bien que nous concentrions ici notre attention sur l’Alberta, nous tenons à souligner que cette question est tout aussi pertinente dans plusieurs autres provinces.

Entre-temps, les organismes et le barreau de la réglementation en matière d’énergie doivent continuer d’assumer leurs rôles dans le cadre de la réglementation existante, où de récentes modifications à la Loi sur l’Office national de l’énergie ont mené à d’importants changements procéduraux aux audiences de l’ONE. Plus précisément, puisque l’une des mesures avait pour but de permettre à l’Office de se conformer aux délais nouvellement prescrits par la Loi, l’Office a essentiellement éliminé les contre-interrogatoires oraux et imposé d’autres restrictions aux droits de participation de tierces parties. Il s’agissait là d’un changement radical à la pratique antérieure de l’Office, qui était habituellement de permettre les interrogatoires oraux à toutes les parties ayant la qualité d’intervenant. Il n’est pas surprenant que ce changement ait été contesté aux motifs qu’il constituait, entre autres, une atteinte à l’équité procédurale et une violation de la Charte canadienne des droits et libertés. Avec son récent rejet de l’autorisation d’interjeter appel dans une des contestations, la Cour suprême du Canada semble avoir clos le dossier. Dans leur commentaire d’arrêt, Kemm Yates, c.r., et Sarah Nykolaishen concluent que le rejet de l’autorisation d’interjeter appel de la Cour suprême a pour effet de maintenir les récentes décisions de l’Office visant à limiter les contre-interrogatoires; si contestation ultérieure, elle « devra se faire au devant le Parlement ». Cette dernière conclusion laisse entrevoir une possible révision du rôle de l’Office, compte tenu de certains des commentaires préélectoraux du nouveau Premier ministre critiquant les changements au rôle de l’ONE qui avaient été édictés au cours du mandat du gouvernement sortant.

Dans une autre décision, la Cour suprême du Canada a statué qu’elle entendrait un appel concernant une réparation en vertu de l’article 24 de la Charte. L’affaire soumis une prétendue violation du droit à la liberté d’expression de la plaignante protégé par la Charte lorsque l’Alberta Energy Regulator (l’organisme de réglementation établi durant le mandat du gouvernement provincial sortant et dont le rôle pourrait être révisé selon les dire du nouveau premier ministre) avait refusé d’entendre d’autres communications de sa part concernant un programme de forage à faible profondeur de méthane de houille. Dans leur commentaire d’arrêt, Michael Marion, Michael Massicotte et Alan L. Ross ont conclu que la décision de la Cour devrait susciter l’intérêt de bon nombre de tribunaux réglementaires et administratifs, concernant le cadre approprié pour traiter de l’action réciproque entre les dispositions d’immunité légale et réparation au titre de la Charte contre des représentants de l’État.

Toutefois, les sujets d’intérêt pour les organismes et le barreau de la réglementation en matière d’énergie ne se limitent pas à ceux qui découlent de modifications législatives récentes ou éventuelles. L’article de Gordon Kaiser sur « L’Arbitrage concernant les services publics réglementés » dresse un bilan complet de l’arbitrage dans les différends en matière d’énergie, plus précisément son utilisation répandue dans les litiges commerciaux comparativement à son utilisation plus connue dans les différends opposant des investisseurs et l’État. L’article aborde la question du rapport entre l’arbitrage et les régimes de réglementation auxquels les parties peuvent être assujetties et qui peuvent donner lieu à des procédures parallèles. On examine la jurisprudence nord-américaine à ce sujet.

Moin Yahya a rédigé un commentaire intéressant sur deux décisions récentes et très attendues de la Cour suprême du Canada concernant la prudence et le caractère raisonnable qui sont au cœur de la réglementation traditionnelle des services publics. Yahya conclut que les décisions (un appel de l’Ontario et de l’Alberta) clarifient la position de la Cour à l’effet que la norme de révision judiciaire des décisions réglementaires portant sur des coûts de fonctionnement est la norme du caractère raisonnable et que la loi ne prescrit aucun essai précis à faire appliquer par les organismes de réglementation dans le cadre de leur évaluation pour déterminer si les coûts d’un service public pourraient être recouvrés dans les besoins en revenus. Dans le commentaire de Yahya : « Les avocats en matière de réglementation ne devraient pas s’en remettre à des essais mécaniques et des caractérisations des divers coûts, mais devraient plutôt se concentrer sur des enjeux plus généraux, notamment sur la façon d’atteindre des tarifs justes et raisonnables pour tous. »

Il a été noté dans des numéros antérieurs de l’ERQ que les développements technologiques jouent un rôle essentiel dans l’évolution des marchés de l’énergie – et dans la remise en question des organismes de réglementation et des responsables de l’élaboration des politiques en matière d’énergie. L’émergence de la technologie de la production combinée de chaleur et d’électricité (PCCE) en est un exemple concret. Gordon Kaiser a commenté la récente approbation par la California Public Service Commission (commission des services publics de la Californie) du tout premier tarif de services de ressources énergétiques décentralisées. Kaiser conclut que la décision « est le type de réglementation souple et efficace dont ont besoin les marchés concurrentiels ».

Erica Miller a écrit un commentaire sur la décision de l’Environmental Appeal Board (Commission d’appel de l’environnement) de la Colombie-Britannique qui établit un précédent en accueillant un appel renversant la décision de délivrer un permis d’utilisation commerciale des eaux à Nexen Inc. pour ses opérations de fracturation dans le Nord-Est de la CB. L’appel est fait au nom des membres d’une Première Nation de la région, la Commission a annulé le permis aux motifs que les modalités et conditions étaient « fondamentalement viciées » et que la Couronne avait omis de consulter de bonne foi la Première Nation.

Il s’agit d’une question phare pour les commentaires sur les décisions de la Cour suprême du Canada – le numéro conclut sur un commentaire de l’arrêt Chevron c Yaiguaje écrit par David A. Crerar et Kalie McCrystal. On n’y traite pas directement de la réglementation en matière d’énergie. Toutefois, la décision devrait susciter l’intérêt de tout avocat à l’emploi de sociétés multinationales qui mènent des activités et qui disposent d’actifs au Canada (soit une très grande partie du barreau de l’énergie). Le commentaire décrit la décision en soulignant qu’elle confirme que les tribunaux canadiens devraient adopter une approche généreuse et libérale dans la reconnaissance et l’exécution des jugements étrangers, et qu’un demandeur qui souhaite faire appliquer un jugement étranger au Canada n’est pas tenu de prouver qu’il y a un lien réel et substantif entre la province où le jugement étranger demandé est enregistré et le litige sous-jacent initial ayant mené au jugement étranger ou entre la province et le débiteur judiciaire.

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