Dans sa préface du The Guide to Energy Arbitrations,1 William Rowley, c.r., fait remarquer que « s’il existe une industrie qui puisse réclamer la responsabilité parentale de l’universalité actuelle de l’arbitrage international, en tant que choix tout indiqué pour la résolution de litiges commerciaux et investisseurs-État, c’est bien le secteur énergétique. Il incarne le modèle idéal de la mondialisation arbitrale. » [Traduction] Comme Rowley et d’autres collaborateurs au guide font observer, l’arbitrage commercial est un rouage crucial du secteur de l’énergie. En effet, les projets énergétiques sont de portée internationale; il s’agit de projets à long terme complexes, à forte intensité de capital, rassemblant de nombreuses parties provenant de cultures et de nationalités différentes et de systèmes juridiques diversifiés. Ces facteurs, comme le fait remarquer l’auteur à juste titre, font du secteur de l’énergie « un incubateur naturel de conflits ». [Traduction] Pareillement, ils créent des incitatifs puissants pour contrer l’incertitude et le climat de méfiance engendrés par les systèmes judiciaires étrangers et assurer la nomination d’arbitres neutres qui possèdent le savoir-faire et l’expérience requis pour régler des litiges de manière compétente et efficace. Au même moment, comme le soulignait Andrew Clark, principal avocat chez ExxonMobil International, la préface du guide émet une réserve :
« Tandis que […] l’arbitrage international est devenu le mécanisme premier au moyen duquel les litiges de l’industrie gazière et pétrolière sont résolus […], le processus de résolution des conflits en tant que tel a malheureusement gagné en complexité et en incertitude, ce qui n’est pas sans mettre les bâtons dans les roues aux parties qui tentent de trouver des solutions à leurs litiges. Le temps et les coûts associés à l’arbitrage international se comparent dorénavant de façon défavorable aux instances (ce qui, dès le début, n’était d’ailleurs pas un point de repère efficace). » [Traduction]
C’est dans ce contexte que Rowley et ses collègues éditeurs, Gordon Kaiser et Doak Bishop, ont recueilli « les opinions et les expériences récentes de certains des principaux avocats dans le secteur ». [Traduction] Le Guide to Energy Arbitrations n’est pas un manuel scolaire. Les articles sous-entendent que le lecteur possède déjà des connaissances de base du secteur énergétique et de l’arbitrage, et il n’est pas exhaustif. Par exemple, aucune partie ne porte sur l’exécution des sentences arbitrales. Ceci dit, l’ouvrage couvre beaucoup de matière et les articles qu’il renferme devraient, en grande partie, être d’un abord facile pour tout conseiller juridique interne et externe ou tout étudiant qui possède une connaissance de base dans le domaine. Bishop et al. proposent un excellent survol, qui se veut fort utile, sur : i) les diverses phases et ententes qui composent un projet énergétique d’envergure internationale (et qui peuvent donner lieu à des litiges), ii) le rôle changeant des États hôtes dans les projets énergétiques, et iii) les instruments (conventions, traités et ententes) qui ont été élaborés pour résoudre les conflits. Ce survol constitue un bon point de départ, particulièrement pour les lecteurs qui détiennent peu de connaissance dans le domaine. Un bon nombre de chapitres représentent un mélange de conseils pratiques sur la manière d’envisager les enjeux sous un angle théorique quant aux tendances nouvelles et à la façon dont certaines des controverses et des tensions du domaine de l’arbitrage international se révèlent et s’affirment dans le contexte de l’arbitrage énergétique.
La Partie I du livre porte sur les « conflits entre les investisseurs et l’État » que de nombreux observateurs perçoivent comme étant au cœur des conflits internationaux. Cette partie, qui constitue environ la moitié de l’ouvrage, comprend un excellent chapitre de présentation de Mark Friedman et al. dans lesquels sont étudiés les thèmes de l’expropriation et de la nationalisation ayant souvent défrayé la manchette dans de nombreux dossiers publicisés. Comme Friedman le souligne avec intérêt, bien que l’on puisse dater l’expropriation et la nationalisation aux années 1970, « en période de hausse des prix, les ressources énergétiques représentent des occasions faciles de miser sur les tendances à la hausse pour les investisseurs et les gouvernements. » [Traduction] Friedman brosse un tableau utile des formes et des types d’expropriation, des solutions offertes et des considérations d’ordre pratique pour se prémunir contre l’expropriation.
Les autres chapitres de la Partie I du guide font une étude approfondit des conflits entre investisseurs et État. Ilsportent sur les principaux enjeux et détaille la jurisprudence pertinente. Steve Jagusch et al. dressent un résumé des litiges et de la jurisprudence qui s’y rapporte. Présentant un intérêt particulier pour les sociétés d’énergie et leurs avocats internes, Jagusch fait une distinction entre les types de mesures de réglementation de l’État qui n’appuient pas des demandes d’arbitrage fructueuses et qui, par conséquent, représentent des risques difficile à contrer. Jagusch met également en lumière les tensions inhérentes entre la souveraineté étatique et la liberté contractuelle qui sous-tend de nombreux litiges investisseurs-État.
Constantine Partasides et al. et Nigel Blackaby et al. explorent des thèmes semblables dans les chapitres suivants. L’auteur Partasides traite des clauses de stabilisation en tant qu’outil fondamental de protection contre l’instabilité politique et l’intervention gouvernementale par des changements aux politiques fiscales. Il analyse les types de demandes de stabilisation, comment les tribunaux d’arbitrages y ont donné suite et comment l’étude de ces cas pourrait évoluer. Blackaby examine pour sa part la gestion du risque contractuel à long terme par l’entremise de clauses de stabilisation dans le contexte des services publics. Il dresse le parcours des changements qui se sont produits dans le secteur des services publics et qui ont mené vers la privatisation et les investissements étrangers, les intérêts publics uniques et sensibles que comportent les investissements dans le domaine des services publics, et les risques accrus sur les plans politique et de la réglementation qui s’ensuivent et auxquels les investisseurs doivent faire face. Comme il le fait remarquer, c’est la dimension unique axée sur l’intérêt public se rapportant aux services publics qui rend les procédures d’arbitrage imprévisibles et controversées, y compris l’arbitrage découlant de traités d’investissement.
Les parties II, III et IV traitent des litiges entourant la construction de grands projets d’immobilisations, des entreprises communes et des cas d’arbitrage liés à l’approvisionnement en gaz et au gaz naturel liquéfié (GNL). Ces parties du guide comprennent un chapitre rédigé par Doug Jones sur la raison pour laquelle les conflits dans le domaine de la construction favorisent plus particulièrement l’arbitrage au détriment des procédures judiciaires nationales. Un article plus substantiel de Fred Bennett sur les demandes en responsabilité civile délictuelle pour d’énormes dépassements de coûts s’y trouve également. Bennett décrit les enjeux complexes en termes de procédures et de droit matériel qui surviennent lorsque les dépassements de coûts d’un projet sont si importants qu’ils excèdent la portée des clauses contractuelles pour l’attribution de demandes de dépassement. Compte tenu de l’enjeu monétaire et de la probabilité que des mégaprojets dépassent les coûts initiaux, il s’agit d’un article instructif pour les entreprises et les avocats. Ces parties du guide comprennent également une étude intéressante de Mark Levy sur les mécanismes d’ajustement des prix du gaz dans le cadre d’ententes d’approvisionnement à long terme. Soulignant l’augmentation récente des cas d’arbitrage sur l’examen du prix de l’essence (générée par la volatilité des prix découlant de changements dans les conditions mondiales d’approvisionnement, de la concurrence provenant de nouvelles sources d’énergie et d’autres facteurs), Levy se demande si (et comment) l’imprévisibilité et les risques que représente le processus mèneront à des changements dans l’industrie sur la façon dont ces cas d’arbitrage sont traités.
Les deux dernières parties du livre traitent des litiges mettant en cause des services publics réglementés et des questions procédurales. Le chapitre de Gordon Kaiser sur les services publics réglementés semble de prime abord hors de propos dans un guide axé sur les conflits d’arbitrage découlant de projets gaziers et pétroliers d’envergure internationale. Toutefois, comme Kaiser le constate, pour chaque grand dossier investisseur-État, « il existe dix importants dossiers d’arbitrage commercial dans le secteur énergétique en aval » pour lesquels « le centre de gravité n’est pas Londres, ni Stockholm ou Paris, mais plutôt Houston ou Calgary ». [Traduction] Il poursuit en faisant observer que la distinction entre les cas d’arbitrage et les dossiers investisseurs-État, provient des tarifs règlementés des entreprises. L’auteur, qui a longtemps occupé le poste de vice-président de la Commission de l’énergie de l’Ontario et qui agit aujourd’hui principalement en qualité d’arbitre dans des conflits du secteur de l’énergie, examine les facteurs qui régissent les conflits entre les services publics réglementés, soit la baisse des prix du pétrole, le moratoire sur la construction de pipelines, l’augmentation des prix du gaz de schiste, l’augmentation de l’approvisionnement en pétrole par rail, la croissance de la production décentralisée et la hausse de l’utilisation d’énergies renouvelables. Kaiser fait ensuite une analyse approfondie et qui porte à réflexion sur la manière dont les tribunaux américains et canadiens établissent des frontières juridictionnelles entre l’autorité des organismes de réglementation et des arbitres en cas de litiges dans le domaine des services publics. Cette partie renferme également une excellente analyse de David Haigh et al. sur les contrats multiples et l’arbitrage multipartite. Haigh offre des conseils pratiques sur l’ébauche de clauses d’arbitrage pour tenir compte de l’arbitrage multipartite et à pluralité de contrats ainsi que sur les considérations et options procédurales possibles pour rédiger des ententes de manière plus restrictive.
The Guide to Energy Arbitration est une contribution très utile à la littérature spécialisée dans le domaine. Bien que, comme nous l’avons fait remarquer, il ne s’agisse pas d’un ouvrage exhaustif, il rassemble néanmoins les points de vue et opinions d’un avocat spécialisé en la matière et d’arbitres sur de nombreux enjeux et tendances clés du monde de l’arbitrage du secteur de l’énergie. Il devrait également servir de précieux guide pour les entreprises énergétiques et leurs conseillers juridiques internes et externes, en plus de présenter un intérêt général pour les avocats en droit commercial et en litige commercial.
* Glenn Zacher est un associé des groupes de l’énergie et du litige du bureau de Stikeman Elliott LLP à Toronto. Il représente des sociétés d’énergie et des organismes publics dans des instances judiciaires et devant des tribunaux administratifs. Il est le coauteur de la réglementation de l’énergie en Ontario.
- J William Rowley, Doak Bishop et Gordon Kaiser, dir, The Guide to Energy Arbitrations, Londres, Law Business Research Ltd, 2015.