Perspective Albertaine – Évolution récente des politiques énergétiques provinciales et interprovinciales

Introduction

En mai 2015, l’Alberta a élu – pour la première fois de son histoire – un gouvernement néo-démocrate majoritaire, le Nouveau Parti démocratique (NPD) mettait un terme au règne de 44 ans du Parti progressiste-conservateur. Ce changement s’est produit peu de temps après le recul marqué du prix du pétrole en 2014 menaçant la viabilité de nombreuses entreprises albertaines habituées à un prix avoisinant la centaine de dollars le baril. Des changements aux politiques énergétiques provinciales ont coïncidé avec la crise qui a secoué l’industrie préoccupée par l’étendue des réformes du gouvernement néo-démocrate1. Or, la province de l’Alberta ne sera pas la seule à élaborer de nouvelles politiques.

Peu après l’élection provinciale, le Conseil de la fédération (CDF) a diffusé la Stratégie canadienne de l’énergie à l’occasion de la réunion de 2015 du CDF. La Stratégie canadienne de l’énergie est le fruit de la collaboration des premiers ministres provinciaux et des territoires du Canada qui se sont employés à dégager des approches consensuelles au développement des ressources énergétiques du pays. Lancé en 2012, le projet a été co-présidé par les premiers ministres de l’Alberta, du Manitoba, de Terre-Neuve-et-Labrador, et du Nouveau-Brunswick. Dans la Stratégie canadienne de l’énergie, on énonce une vision de la manière dont les provinces et territoires du Canada « travailleront ensemble sur les questions relatives à l’énergie et feront croître l’économie, protégeront l’environnement, créeront de nouvelles possibilités pour les individus, les organismes et les entreprises et amélioreront la qualité de vie de tous les Canadiens.»2 On y trouve aussi dix axes de travail, chacun correspondant à un enjeu propre au développement énergétique au Canada, enjeu dont les provinces et les territoires peuvent examiner conjointement.

L’approche du première ministre de l’Alberta, Rachel Notley (« Notley ») en matière d’énergie et de changements climatiques se précise. Jusqu’à présent, il semble que l’Alberta pourrait aligner encore davantage ses politiques sur la Stratégie canadienne de l’énergie. On constate des chevauchements au titre de bon nombre d’axes de travail, par exemple, l’importance de la participation du public, du développement technologique, du contrôle des émissions et des changements climatiques, sans oublier la reconnaissance du besoin d’aménager et d’améliorer l’infrastructure de transmission et de transport de l’énergie et le bien-fondé de se doter d’entreprises de raffinage et de valorisation pour faciliter la diversification des marchés. Le gouvernement attend les recommandations de deux groupes d’experts, le Royalty Review Panel (Groupe sur les redevances) et le Climate Change Advisory Panel (Groupe sur les changements climatiques), constitués pour mener des études et recueillir l’opinion du public3. Ces deux groupes déposeront leurs recommandations plus tard au cours de cette année4 Cependant, le gouvernement de Notley ne sera nullement tenu de mettre en oeuvre l’ensemble voire même seulement quelques-unes des recommandations des groupes d’experts.

Dans la première partie de cet article, vous trouverez un résumé de l’état actuel des politiques énergétiques relevant de la compétence albertaine. Dans la deuxième partie, vous trouverez un survol de l’historique ainsi que l’état actuel de la Stratégie canadienne de l’énergie. Troisièmement, vous trouverez un examen de l’alignement des politiques provinciales et nationales et une analyse de la manière dont ces politiques pourraient influer à court et à long terme sur l’industrie du pétrole et du gaz.

I . Politique énergétique de l’Alberta

1. Introduction générale et survol

Il est manifeste que le gouvernement néo-démocrate de l’Alberta adoptera des mesures importantes dans les domaines de la responsabilité environnementale et des changements climatiques. Il s’agissait d’un des éléments majeurs de la campagne du NPD et il est peu probable que le gouvernement y renonce. Naturellement, de nombreux acteurs de l’industrie s’inquiètent de la possibilité que les choses changent au moment où les prix du pétrole sont bas. Il y a fort à parier que les conséquences financières à court terme de mettre en oeuvre de telles politiques seront néfastes pour une industrie qui éprouve déjà des difficultés.

En revanche, de nouvelles réformes réglementaires pourraient aussi améliorer considérablement l’opinion qu’a le public de l’industrie pétrolière, voire même faciliter l’acceptation sociale requise pour aménagemer une nouvelle infrastructure énergétique. La décision de la première ministre Notley d’aborder les changements climatiques, en dépit du climat économique difficile qui sévit en Alberta, pourrait au bout du compte améliorer la réputation de l’Alberta en matière de développement durable et de protection de l’environnement au Canada et dans le monde.

2. Éléments clés de l’évolution de la politique énergétique de l’Alberta

Voici les changements les plus importants que le nouveau gouvernement pourrait apporter aux politiques énergétiques :

  • examen des redevances et apport possible de modifications au système des redevances;
  • mise en oeuvre d’une politique en matière de changements climatiques afin de tenir compte des émissions et, probablement, d’imposer une taxe carbone;
  • soutien possible du gouvernement à l’augmentation de la construction d’usines de raffinerie en Alberta;
  • soutien à l’utilisation d’énergie renouvelable pour approvisionner l’Alberta en électricité.

L’examen et l’analyse de ces enjeux ont été confiés au Groupe sur les redevances ou bien au Groupe sur les changements climatiques. La Première ministre Notley attache beaucoup d’importance à la mobilisation du public et mise à cette fin pour communiquer l’information et d’avoir des discussions stratégiques ouvertes. Toutefois, il est difficile dans l’immédiat de savoir quelles seront les recommandations finales apportées par les groupes d’experts quant à la politique énergétique de l’Alberta. Dans cette partie, nous aborderons de façon générale les types de politiques qui pourraient être adoptées.

a. Redevances

La première ministre Notley a déclaré que sa principale préoccupation était que les Albertains ne tirent peut-être pas un retour équitable de leurs ressources5. C’est dans cette perspective qu’elle a lancé un examen des redevances en vue de s’assurer que la province tire un retour approprié de son industrie du pétrole et du gaz. Voilà pourquoi le gouvernement a constitué le Groupe sur les redevances6, présidé par David Mowat, président et chef de la direction d’ATB Financial. Les autres membres du groupe sont Peter Tertzakian, économiste de l’énergie de Calgary, Annette Trimbee, ancienne sous-ministre adjointe des Finances, et Leona Hanson, mairesse de Beaverlodge, une ville située à l’ouest de Grande Prairie. Le Groupe sur les redevances doit déposer un rapport préliminaire auprès de la ministre de l’Énergie, l’Honorable McCuaig-Boyd, d’ici la fin de 2015. Cependant, le gouvernement a promis qu’il n’y aura pas, avant 2017, de changements à la structure des redevances de la province7.

Le Groupe sur les redevances a concentré ses efforts sur la simplification du système de redevances de l’Alberta qui s’avère complexe. Le régime de redevances albertain fonctionne selon une échelle mobile et tient compte de facteurs tels que les niveaux des prix et de la production.8 À l’heure actuelle, le programme des redevances de l’Alberta [traduction] « varie selon les prix des produits de base et tient compte d’un nombre impressionnant d’exonérations fiscales et de mesures incitatives adoptées au fil des ans pour atténuer les ‘conséquences non voulues’ du dernier examen – fort critiqué – des redevances en 2007 »9. Bien que le Groupe sur les redevances n’ait pas encore pris de décisions, M. Mowat a indiqué qu’il examine un système fondé sur les excédents de trésorerie, à savoir les revenus bruts moins les dépenses10. La première ministre Notley a clairement indiqué qu’elle « ne portera pas de jugement à l’avance » et qu’elle attendra les recommandations du groupe avant de prendre des décisions11.

b. Infrastructures liées à la production de pétrole et de gaz

Pipelines

La première ministre Notley a indiqué qu’elle ne s’oppose pas aux pipelines et elle reconnaît qu’il est essentiel que l’Alberta puisse accéder à de nouveaux marchés12. Elle a aussi indiqué qu’elle ne donnera pas son appui à des pipelines dont la construction est peu probable, mais qu’elle appuiera plutôt le projet d’Oléoduc Énergie Est qui transportera du pétrole de l’Alberta vers des raffineries des provinces de l’Atlantique et le pipeline TransMountain de Kinder Morgan qui doit se rendre jusque sur la côte Ouest13.

À l’instar du CDF, l’approche empruntée par le gouvernement de l’Alberta pour assurer le succès d’un pipeline interprovincial est de tenir compte des intérêts de chacune des provinces. L’accès aux marchés étrangers passe inévitablement par la Colombie-Britannique ou le Québec, les deux provinces s’opposant vivement tenant compte des impacts environnementaux engendrés par le secteur du pétrole et du gaz14. Par conséquent, améliorer les normes environnementales et emporter le soutien du public sont deux volets essentiels de la viabilité de ces projets.

La première ministre Notley a déjà rencontré Philippe Couillard, premier ministre du Québec, à propos d’Énergie Est. Les deux ont convenu que l’Alberta a l’obligation de « démontrer qu’elle prend des mesures concrètes au titre des changements climatiques et de la protection générale de l’environnement »15. Cette approche a semblé être bien accueillie par le Premier ministre du Québec. Il a d’ailleurs déclaré : « Nous semblons compter sur un nouvel allié en la personne de madame Notley ». Il a convenu qu’un pipeline serait la meilleure et la plus sécuritaire des solutions pour acheminer le pétrole vers l’est du Canada16.

Valorisation et raffinage

Durant sa campagne électorale, la première ministre Notley a soutenu la construction davantage de raffineries en Alberta plutôt que d’expédier le bitume et le pétrole brut aux États-Unis à des fins de raffineries17. Cela permettrait de composer avec l’enjeu de la « bulle de bitume » en Alberta, tout en diversifiant l’économie albertaine en vue de contrer les effets des fluctuations des prix du pétrole18. Or, de nombreuses grandes entreprises d’extraction ne sont pas favorables à l’accroissement des activités de raffinage en Alberta au détriment des États-Unis argumentant que ce n’est pas assez rentable19.

On dénombre cinq usines de valorisation et quatre usines de raffinage en exploitation en Alberta20.. À l’heure actuelle, environ la moitié du bitume de la province est traité en Alberta, par rapport à 70 % il y a 10 ans. Ce nombre chutera le ramenant ainsi à un tiers d’ici 202321. Il y a déjà un projet d’usine de raffinage près de Redwater, en Alberta22, qui a fait l’objet de nombreuses critiques en raison de sa dépendance envers le soutien gouvernemental. Reste maintenant à savoir si le raffinage local du pétrole reste avantageux pour la province, cette question sera soulevée par le Groupe sur les redevances23.

c. Émissions de carbone et gaz à effet de serre

La politique actuelle de réduction des émissions de carbone et de gaz à effet de serre de l’Alberta est énoncée dans le Specified Gas Emitters Regulation (règlement sur les émetteurs de gaz spécifiques de l’Alberta)24. Ce règlement s’applique aux grands émetteurs industriels comptant pour environ 45 % des émissions de l’Alberta25. En vertu du système actuel, les émetteurs doivent réduire l’intensité de leurs émissions de 12 % par rapport aux données de référence historiques, mais peuvent compenser l’État pour leurs émissions excédentaires à raison de 15 $ la tonne. Si un émetteur réduit ses émissions au-delà des données de référence historiques, cette part peut lui être créditée ou vendu. L’été dernier, le gouvernement provincial néo-démocrate a portée le seuil de 12 % à 15 % en 2016, et à 20 % en 2017. Le prix de la tonne d’émissions excédentaires sera porté à 30 $ en 2017.

La refonte des politiques albertaines en contrôle des émissions et des changements climatiques pesait lourd dans les promesses électorales de la première ministre Notley. À fin d’élaborer ces nouvelles politiques, elle a constitué le Groupe d’experts sur les changements climatiques et l’a chargé de lui prodiguer des conseils à propos des enjeux suivants :

  • fixation du prix du carbone;
  • croissance du secteur des énergies renouvelables;
  • promotion de l’efficacité énergétique auprès des individus et des entreprises;
  • réduction de la dépendance de la province sur la production d’électricité à partir de charbon26.

Le Groupe sur les changements climatiques doit déposer ses recommandations auprès de Shannon Phillips, ministre de l’Environnement et des Parcs en novembre 2015. Cet échéancier prévoit suffisamment de temps pour élaborer la politique avant la Conférence sur les changements climatiques de 2015 des Nations Unies à Paris, à laquelle participera la première ministre Notley. Elle a indiqué qu’elle avait l’intention d’assister à la conférence avec une politique sur les changements climatiques dont « l’Alberta peut être fière »27.

Le Groupe sur les changements climatique est présidé par Andrew Leach, économiste on énergie et en environnement, professeur agrégé et directeur universitaire des programmes d’énergie à l’Université de l’Alberta. Sont également membres du groupe Linda Coady, experte en développement durable des affaires ; Gordon Lambert, spécialiste en développement durable chez Suncor et cadre en résidence à la Ivey School of Business; Stephanie Cairns, de Sustainable Prosperity, un institut national de politiques et de recherche en économie verte; et Angela Adams, ancienne opératrice de machinerie lourde chez Suncor et membre de l’une des familles métisses fondatrices de Fort McMurray. Le Groupe sur les changements climatiques tiendra des réunions publiques et effectue un sondage en ligne. Le groupe est sur le point d’avoir des échanges avec les membres du public et les peuples autochtones pour bien examiner tous les facteurs environnementaux, sociaux et économiques avant de formuler ses recommandations.

En août 2015, le gouvernement de l’Alberta à publié son Climate Leadership Discussion Document [document de discussion sur les changements climatiques] (Document de discussion), une feuille de route sur l’élaboration de la politique des changements climatiques de la province28. Le Document de discussion souligne l’importance pour l’économie albertaine de demeurer compétitive dans un monde à faibles émissions de carbone29. L’un des principes clés énoncés dans le Document de discussion, qui sera sûrement intégré au rapport final du Groupe sur les changements climatiques, est que [traduction] « l’Alberta doit privilégier la croissance durable de son économie, et ce, d’une façon mieux adaptée à l’évolution des marchés mondiaux »30. Cependant, le Document de discussion fait l’objet d’une critique, toujours la même : on y aborde fort peu le rôle des sables bitumineux dans les sources d’approvisionnement énergétique de l’Alberta31.

L’une des voies que peut emprunter la province pour réaliser les objectifs du Document de discussion, est la mise en oeuvre d’un régime de taxe carbone. Le Groupe sur les changements climatiques est chargé de faire des recommandations sur la manière dont l’Alberta devrait mettre en oeuvre ce système. Quand le gouvernement a déposé le Specified Gas Emitters Regulation (Règlement sur les émetteurs de gaz spécifiques) de l›Alberta en 2007, il s’agissait d’une première politique de tarification des GES en Amérique du Nord. La première ministre Notley estime que le régime albertain concernant les changements climatiques doit être actualisé. Il existe un certain nombre de modèles existants desquels la province peut s’inspirer. La Colombie-Britannique impose une taxe par tonne d’émissions équivalentes de CO2 à l’achat ou à l’utilisation de combustibles32. Le Québec a lancé un système de plafonnement et d’échange de droits d’émission. L’Ontario s’est fixé un objectif à moyen terme de réduction des GES et se dirige vers l’adoption d’un système de plafonnement et d’échange de droits d’émission également. Les trois provinces, sans oublier le Manitoba et l’état de la Californie, souscrivent à la Western Climate Initiative qui vise à créer un programme régional plus vaste de plafonnement et d’échange de droits d’émission.

Aucun modèle ne tient compte de l’ensemble des coûts liés aux restrictions concernant les GES dans une province dépendante du pétrole et du gaz. Aucun n’est parfait en soi. Les méthodes de tarification du carbone et de plafonnement et d’échange de droits d’émission alourdissent toutes les deux le fardeau d’aménager de nouvelles installations et ajoutent des obstacles aux investissements ayant une valeur actualisée nette élevée33.

Le Groupe sur les changements climatiques fera aussi des recommandations sur la façon dont l’Alberta devrait définir les exigences propres aux technologies ou politiques visant à réduire les émissions et à accroître l’efficacité. En voici quelques exemples :

exiger que les centrales thermiques alimentées au charbon, à la fin de leur vie, cessent toute activité ou soient modernisées pour devenir équivalente à une intensité d’émissions plus ou moins semblable à celle d’une centrale au gaz naturel34;

  • adopter un règlement sur les émissions produites par les véhicules;
  • définir des exigences concernant un seuil minimal de production d’électricité au moyen
  • interdire ou limiter certains produits, par exemple, les ampoules incandescentes, les pesticides ou les chlorofluorocarbures (CFC);
  • élaborer des codes du bâtiment assortis de certaines normes d’efficacité.

d. Politique sur les énergies renouvelables

L’Alberta est la seule province canadienne qui ne dispose pas d’une loi sur les énergies renouvelables35. Elle est aussi dépendante de la production d’électricité à partir de charbon36. Le secteur de la production d’électricité au charbon produit presque autant d’émissions de carbone que les sables bitumineux37. Dans un rapport du Pembina Institute et de Clean Energy Canada, on prévoit qu’à mesure que l’Alberta développera des ressources énergétiques renouvelables, par exemple, l’énergie solaire, éolienne, géothermique, bioénergétique ou hydroélectrique, elle pourra de plus en plus cesser de miser sur le charbon38. Le gouvernement provincial néo-démocrate semble être d’accord.

Le Groupe sur les changements climatiques a été chargé de faire des recommandations sur la façon dont l’Alberta devrait procéder dans le cas des énergies renouvelables et de proposer un plan dans le cadre de son examen de la pertinence d’adopter une politique sur les changements climatiques. Parmi les pistes de solutions stratégiques pour réussir la transition vers des énergies renouvelables, amener les sources d’énergie renouvelable à devenir plus compétitives en tenant compte des coûts cachés de la pollution et des gaz à effet de serre de la production d’électricité d’origine fossile, et donner une assurance à long terme quant à la certitude des prix de l’électricité produite à même des énergies renouvelables39. Le Groupe sur les changements climatiques et la province ne sont pas les seuls à travailler sur l’élaboration d’une politique d’énergies renouvelables. Il y a aussi des initiatives à l’échelle nationale dans le cadre de la Stratégie canadienne de l’énergie.

II. Stratégie canadienne de l’énergie

1. Contexte – Stratégie canadienne de l’énergie

La Stratégie canadienne de l’énergie est le fruit d’efforts conjoints entre les provinces en vue de collaborer à façonner le développement énergétique du Canada. Elle a été élaborée par le CDF, un groupe rassemblant les Premiers ministres des 13 provinces et territoires du Canada qui se réunisse deux fois par année dans le but premier de coordonner l’élaboration de politiques interprovinciales. La Stratégie canadienne de l’énergie est en préparation depuis 2007, la même année où le CDF a diffusé le document Une vision partagée de l’énergie au Canada40.

Dans le document Une vision partagée de l’énergie au Canada de 2007 est présenté un plan d’action en sept volets « qui établit un équilibre entre la sécurité des approvisionnements en énergie et les responsabilités environnementales et sociales, tout en soutenant la croissance économique et la prospérité »41. Voici les sept volets :

  • améliorer l’efficacité énergétique;
  • développer de nouvelles technologies énergétiques novatrices;
  • développer des sources d’énergie renouvelable;
  • améliorer l’infrastructure de transmission et de transport de l’énergie;
  • améliorer la certitude et la rapidité du processus d’approbation réglementaire;
  • trouver des solutions aux pénuries de main d’oeuvre spécialisée;
  • officialiser le rôle des provinces et des territoires dans les discussions internationales portant sur l’énergie42.

Il a aussi été question d’une approche de collaboration interprovinciale en matière d’énergie à la Conférence de 2011 des ministres de l’Énergie et des Mines à Kananaskis, en Alberta; un Plan d’action a été établi par la suite43. Les ministres « ont convenu d’entamer un travail de collaboration » dans les domaines de la prospérité économique, d’approvisionnement énergétique responsable, d’utilisation efficace de l’énergie ainsi que du savoir et de l’innovation44.

Les premiers ministres des provinces et territoires, à l’exception de la Colombie-Britannique, ont convenu, à la réunion du CDF de 2012, de s’appuyer sur le document Une vision partagée de l’énergie au Canada [traduction] « pour faire progresser la réalisation de leurs objectifs communs en vue de faire en sorte que le Canada soit un leader reconnu de la production, de la conservation, de l’approvisionnement et du transport d’énergie sûre et durable »45. La Stratégie canadienne de l’énergie devait conjuguer l’intérêt de l’Alberta au titre de la collaboration interprovinciale quant à la construction de pipelines ainsi que l’intérêt de l’Ontario et du Québec au titre de l’élaboration d’un consensus national quant à une politique sur les changements climatiques46.

La première ministre de l’Alberta, Alison Redford, la première ministre de Terre-Neuve-et-Labrador, Kathy Dunderdale ainsi que le premier ministre du Manitoba, Greg Selinger, ont dirigé un groupe de travail sur l’énergie. Ce groupe a produit, en janvier 2013, Canadian Energy Strategy: Progress Report to the Council of the Federation [Conseil de la Fédération sur la Stratégie canadienne de l’énergie – rapport par étape]47. Dans ce rapport figuraient des activités identifiées par les provinces et territoires en concordance avec le rapport Une vision partagée de l’énergie au Canada de 200748, ainsi que les domaines présentant des défis et des opportunités. Ces domaines visent les infrastructures, leur capacité de transmission entre deux provinces ou territoires, les incitatifs économiques d’innovation, les besoins en main d’oeuvre et en ressources humaines, l’accès aux marchés autres que celui des États-Unis, la sensibilisation et l’information du public, la réduction des émissions et l’amélioration de l’efficacité49.

Le Rapport d’étape a été présenté au CDF en juillet 2013. La Stratégie canadienne de l’énergie a été examinée de nouveau en 2014 à Charlottetown (Î-P-É) et approuvée officiellement en juillet 2015 à la réunion du CDF à St. John’s,Terre-Neuve-et-Labrador50.

2. La situation actuelle

Tel que l’ont exprimé les premiers ministres dans la Stratégie canadienne de l’énergie, le but visé par l’élaboration de la stratégie est « de travailler conjointement sur les questions relatives à l’énergie et faire croître l’économie, protéger l’environnement, créer de nouvelles possibilités pour les individus, les organismes et les entreprises et améliorer la qualité de vie de tous les Canadiens »51. Le CDF reconnaît que le canadien de l’énergie est l’un des principaux moteurs de l’économie canadienne, mais il s’attend aussi à ce que le secteur se développe « de manière responsable, avec comme souci prépondérant face à la protection de l’environnement et à la lutte aux changements climatiques »52.

La Stratégie canadienne de l’énergie est axée sur trois thèmes : viabilité et conservation, technologie et innovation, et acheminement de l’énergie aux citoyens. Ces thèmes ont été subdivisés en dix axes de travail, comptant chacun son propre groupe de travail composé de représentants des provinces et des territoires53. Il y a également eu un atelier de mobilisation réunissant les parties intéressées à Edmonton en juin 2013. On y a rassemblé des représentants d’associations de l’industrie, d’organismes non gouvernementaux environnementaux, des universitaires, des membres d’instituts politiques et de groupes de réflexion, d’organismes de recherche et des gouvernements provinciaux et territoriaux54. Il en est résulté une stratégie assortie de mesures et d’objectifs communs qui permettront de faire progresser considérablement chacun des axes de travail; on y propose aussi diverses initiatives en matière d’énergie aux fins de collaboration entre les provinces et les territoires55.

a. Émissions de carbone et gaz à effet de serre

Quatre des dix axes de travail concernent la réduction des émissions de carbone et des gaz à effet de serre. Ils promeuvent l’efficacité énergétique et la conservation de l’énergie, assurent la transition vers une économie plus faible en émission de carbone, développent la recherche et les technologies en énergie et améliorent l’information sur l’énergie et la sensibilisation à cet égard.

Promouvoir l’efficacité énergétique et la conservation de l’énergie

Cet axe de travail fait partie intégrante de la Stratégie canadienne de l’énergie depuis Une vision partagée en 2007. Améliorer l’efficacité énergétique et la conservation de l’énergie, voilà des mesures importantes pour combler les besoins énergétiques du pays. Par ailleurs, le fait d’accroître l’efficacité « diminue les émissions de gaz à effet de serre et les polluants, atténue la vulnérabilité du consommateur à la hausse de prix et aux interruptions de l’approvisionnement et crée des emplois »56. Dans la Stratégie canadienne de l’énergie, on souligne que la consommation énergétique totale du Canada continue toutefois de croître, et que des changements minimes peuvent donner lieu à des réductions considérables des gaz à effet de serre significatives. La stratégie vise à encourager les consommateurs à faire des choix écoénergétiques, accélérer l’adoption de produits et de technologies qui améliorent l’efficacité et la conservation de l’énergie57.

Assurer la transition vers une économie moins élevé en carbone

Par l’entremise du CDF, les provinces ont cerné par le biais du rapport Une vision partagée de 2007, un besoin de développer davantage de sources d’énergie renouvelable. Ce besoin a été rapporté dans la Stratégie canadienne de l’énergie, qui vise à assurer, moyennant trois volets, la transition vers une baisse de l’économie de carbone58. Le premier volet concerne la création de mécanismes complémentaires de contrôle du carbone dans tout le Canada, par exemple, en vue de mesurer et de réduire les émissions. Ces mécanismes de contrôle varieront sûrement en fonction des besoins particuliers d’une juridiction, à l’autre cela peut aller de nouvelles technologies pour capter et stocker le carbone jusqu’à l’examen des exigences de déclaration des émissions de carbone59. Le deuxième concerne l’élaboration et l’examen de politiques visant à encourager la réduction ou l’élimination d’émissions de carbone en vue d’accroître l’efficacité et l’efficience de ces programmes, par exemple un système de taxe carbone, de plafonnement et d’échange de droits d’émission60. Le troisième concerne la collaboration à l’élaboration d’une approche pancanadienne intégrée de réduction des gaz à effet de serre « assortie de cibles appuyées par des principes scientifiques solides »61.

Le rôle du gouvernement fédéral demeure cruciale, même si, à ce jour, il a été fort limité. Le « plan 40/40 » de 2013 à savoir une – réduction de 40 % des émissions générés par chaque baril de pétrole et une pénalité de 40 $ la tonne aux compagnies excédant la limite d’émissions – n’a pas fait long feu. Le 15 mai 2015, la ministre de l’Environnement Leona Aglukkaq a annoncé une réduction des émissions des GES de 70 % des niveaux enregistrés à l’échelle du pays en 2005 d’ici 2030 – sans réglementer davantage les sables bitumineux. Au moment de la rédaction de cet article, impossible de prédire les résultats de l’élection fédérale de 2015 et les approches privilégiées par chacun des partis en matière de changements climatiques.

Développer la recherche et la technologie en matière énergie

Le souhait de promouvoir le développement technologique dans le secteur de l’énergie est un élément important pour les provinces depuis le rapport d’Une vision partagée en 2007. Compte tenu du faible prix du pétrole, les avancées technologiques sont cruciales pour améliorer l’efficacité des techniques d’extraction et assurer la viabilité économique des projets. Les avancées technologiques importent aussi sur plan de la commercialisation de nouvelles ressources énergétiques, de la réduction de l’impact environnemental des ressources conventionnelles et de l’élargissement de l’utilisation de sources d’énergie plus propre62.

Favoriser davantage l’innovation et le développement technologique importe en vue d’améliorer le rendement environnemental du secteur de l’énergie et la compétitivité économique du Canada à l’échelle mondiale. Dans la Stratégie canadienne de l’énergie, on propose de cibler les technologies qui favorisent une production, une conversion, un stockage, une transmission, une distribution et une consommation sûrs et durables de l’énergie, ainsi que résistant aux changements climatiques63. Il faudrait aussi mettre l’accent sur la collaboration entre les provinces en vue de partager les meilleures pratiques démontrant et mettant en oeuvre les technologies.

Améliorer la diffusion de l’information sur l’énergie et la sensibilisation à cet égard

Améliorer l’accès à l’information, sensibiliser et éduquer les Canadiens en matière d’énergie figuraient au nombre des priorités du Rapport d’étape de 2013 au CDF64. L’avantage de promouvoir l’éducation en matière d’énergie, c’est de permettre aux individus et à l’industrie de faire des choix énergétiques plus éclairés en vue d’optimiser les économies et la conservation d’énergie chez les consommateurs65, améliorer l’acceptabilité sociale du secteur de l’énergie au Canada.

b. Infrastructure énergétique

Les axes de travail concernant le développement de l’infrastructure énergétique sont les suivants : répondre aux besoins en ressources humaines du secteur de l’énergie, créer et améliorer l’ensemble du réseau moderne de la transmission et du transport de l’énergie au Canada, améliorer et coordonner les systèmes de réglementation provinciaux, surtout lors des projets interprovinciaux et promouvoir la diversification des marchés en favorisant d’autres marchés que celui des États-Unis.

Élaborer et mettre en oeuvre des stratégies pour répondre aux besoins en ressources humaines du secteur de l’énergie

Répondre aux besoins de la main d’oeuvre qualifiée et disponible est un axe de travail d’Une vision partagée depuis 2007. Pour progresser, l’industrie canadienne de l’énergie doit pouvoir compter sur un éventail de professionnels et de travailleurs spécialisés compétents. Les pénuries de travailleurs qualifiés et les questions de ressources humaines ont posé problème dans de nombreux secteurs66. Dans le rapport de la Stratégie canadienne de l’énergie , on confirme l’importance d’élaborer des stratégies en vue d’augmenter les possibilités de développement des compétences et de formation à l’emploi, ainsi que les programmes d’apprentis67. Ce facteur est lié à d’autres enjeux stratégiques, par exemple, l’Alberta devrait-elle accroître ses activités de raffinage dans la province? Évidemment, vu la conjoncture économique, si les prix du pétrole ne se rétablissent pas, les problèmes de disponibilité de main d’oeuvre qualifiée s’estomperont.

Créer et améliorer un ensemble de réseaux modernes, fiables, efficaces et sans danger pour l’environnement pour la transmission et le transport de l’énergie

Dans la Stratégie canadienne de l’énergie, on a fait valoir l’importance pour les provinces et les territoires de collaborer en vue de faciliter l’acheminement efficace et sûr des produits énergétiques entre les provinces et les territoires68. Ce volet était bien en évidence dans Une vision partagée de 2007 ainsi que dans le Rapport d’étape de 2013. Comme le démontrent les projets Northern Gateway, de la Line 9 et bien d’autres, il s’agit d’un volet important car l’infrastructure de transmission et de transport franchit souvent plusieurs frontières, ce qui exige obligatoirement la collaboration des provinces. Les principaux domaines sujets à amélioration sont la possibilité de transmettre de l’électricité entre des provinces et territoires, ainsi que la construction de pipelines pétroliers selon l’axe Ouest-Est69. Le but est de maintenir et d’améliorer l’infrastructure de transmission et de transport de ressources énergétiques. Il s’agit non seulement de construire de nouvelles infrastructures, mais aussi d’investir pour que les infrastructures existantes demeurent fiables et sécuritaires70.

Améliorer la rapidité et la prévisibilité des processus décisionnels d’approbation réglementaire

Une des conséquences inévitables, en matière de ressources naturelles, en raison de la compétence provinciale, est l’établissement par chaque province et territoire d’un système de réglementation qui lui est propre. La réglementation assure la protection de l’environnement et l’intérêt public, mais peut aussi engendrer des retards et de l’inefficacité dans le contexte de projets intergouvernementaux où il faut obtenir l’approbation de plusieurs organismes de réglementation.

Des problèmes de dédoublement et de chevauchement des fonctions de réglementation avaient été abordés dans Une vision partagée de 2007; ce point figure aussi dans la Stratégie canadienne de l’énergie71. La simplification de la réglementation pourrait faciliter le développement d’une infrastructure énergétique en accélérant le processus et, de ce fait, réduire les coûts. Au niveau fédéral, le besoin de simplifier les processus réglementaires régissant les projets énergétiques a été abordé dans le Plan de développement responsable des ressources d’Ottawa, annoncé dans le cadre du Plan d’action économique de 2012. Ce plan d’action a servi de fondement aux récentes réformes fédérales de la réglementation du secteur de l’énergie. Ces réformes ont été entamées en 2012 lors des modifications apportées à la Loi sur l’Office national de l’énergie72. Ces modifications pourraient être revues au terme de l’élection fédérale de 2015, le NPD, par exemple, s’étant engagé à les abolir.

Promouvoir la diversification des marchés

Dans la Stratégie canadienne de l’énergie, on reconnaît que le Canada doit favoriser la diversification des marchés. Cet axe de travail ne figurait pas dans Une vision partagée de 2007, mais figurait bien en évidence dans le Rapport d’étape de 2013. Dans ce dernier, on reconnaissait que les États-Unis étaient un marché d’exportation important. On soulignait aussi que le Canada perçait des nouveaux marchés émergents à l’échelle planétaire, et ce, pour tous les produits énergétiques, y compris le gaz naturel liquéfié, les technologies de l’énergie propre et l’atténuation des émissions, les technologies améliorant le rendement environnemental et les services énergétiques73.

Afin de diversifier les marchés, il faudra se doter d’une « infrastructure interconnectée pour la transmission et le transport de l’énergie » en vue d’acheminer les produits énergétiques. Par ailleurs, « diversifier les produits énergétiques provinciaux et territoriaux exigera qu’ils [les provinces et territoires] fassent preuve d’une innovation continue, soutiennent la transformation à valeur ajoutée et développent une plus grande confiance du public envers le développement énergétique »74. Cela porte à croire que les provinces – à tout le moins dans le contexte de la Stratégie canadienne de l’énergie – conviennent qu’il faut accroître la part des opérations de raffinage et de valorisation menées au Canada au détriment des États-Unis.

c. Politique sur les énergies renouvelables

Faciliter l’exploitation de sources d’énergie renouvelable, verte et/ou plus propre afin de répondre aux futurs demandes ainsi que contribuer aux objectifs et priorités sur le plan environnemental

Dans la Stratégie canadienne de l’énergie, on reconnaît spécialement que la promotion et le développement d’énergies renouvelables doit être une priorité pour le Canada. Réorienter la production et la consommation vers des sources d’énergie renouvelable, plus verte est une priorité qui figurait dans Une vision partagée de 2007. Cela découlait initialement de la hausse du prix des combustibles fossiles, et de la préoccupation – au contexte économique de l’époque en 2007 plutôt que celui d’aujourd’hui et qu’ultimement les prix du pétrole et du gaz seraient trop dispendieux pour être une source utilisée par les consommateurs75.

L’incitation à privilégier des sources d’énergie propre demeure constante même si les prix du pétrole sont bas car l’impact environnemental de l’industrie des combustibles fossiles préoccupe toujours. Dans la Stratégie canadienne de l’énergie, il est indiqué qu’il faut soutenir le déploiement efficient de sources d’énergie propre et renouvelable dans tout le Canada, surtout dans les régions hors réseau qui dépendent présentement du diésel. Le but visé est de réduire les effets environnementaux et diversifier les sources d’énergie du Canada pour assurer la sécurité constante de l’approvisionnement en énergie76.

III. Analyse

1. Alignement national/provincial

On constate des similitudes importantes entre la Stratégie canadienne de l’énergie et les réformes de la politique énergétique de l’Alberta. Avant l’élection de la première ministre Notley, la position du CDF revêtait, pour l’essentiel, la forme d’un compromis entre, d’une part, le souhait de l’Alberta de faciliter la construction de pipelines interprovinciaux et, d’autre part, le souhait de l’Ontario et du Québec d’élaborer une politique nationale sur les changements climatiques77. Les politiques de l’Alberta sont dorénavant davantage alignées sur les priorités d’intérêt national et interprovincial énoncées dans la Stratégie canadienne de l’énergie, entre autres, la technologie et l’innovation, l’efficacité énergétique, les changements climatiques et l’environnement.

2. L’opinion publique et la viabilité de l’industrie énergétique

La convergence de la politique pancanadienne en matière d’énergie et la politique albertaine pourrait, au bout du compte, se révéler positive pour le secteur pétrolier et gazier albertain. Pendant plusieurs années, l’industrie du pétrole et du gaz de l’Alberta avait une image peu reluisante, l’opinion publique lui été défavorable dans le reste du Canada. Par exemple, un sondage national en matière d’énergie publié dans le magazine Alberta Oil révélait que pour 57,3 % des Canadiens, qu’à la mention du secteur du pétrole et du gaz cela les incitait à penser à des termes tels que « gaspillage » et « désastre environnemental »78. Les résultats étaient à peu près les mêmes en Colombie-Britannique (57,5 %), et bien pires au Québec (98,8 %). Ils étaient un peu meilleurs en Alberta, à 39 %79. Les conséquences de la piètre opinion du public de l’industrie sont appréciables et se traduisent par des poursuites des collectivités touchées par des projets individuels d’extraction80 à l’obstruction aux projets de pipeline essentiels, par exemple, le pipeline Northern Gateway81, voire même le moratoire provincial sur l’extraction de pétrole et de gaz au Québec82.

Les prix du pétrole ayant atteint des creux records, il est peu probable que l’industrie pétrolière et gazière dispose de ressources suffisantes pour continuer à changer l’opinion publique, soit en maintenant ses diverses campagnes d’annonces publicitaires83, soit en s’accommodant des délais dispendieux attribuables à l’opposition à ses projets. Or, la première ministre pourrait amener les Canadiens à percevoir autrement l’industrie du pétrole et du gaz. Le problème qui se pose est le suivant : en s’employant à gagner la confiance des individus et des organisations qui s’opposent à l’industrie du pétrole et du gaz, la première ministre Notley risque de perdre (ou de ne jamais gagner) la confiance de l’industrie. Cela est fort compréhensible. De nombreuses sociétés pétrolières et gazières sont en faillite ou au bord de la faillite84; elles ne s’en remettront probablement jamais si les prix ne se rétablissent pas très prochainement.

Le gouvernement néo-démocrate de l’Alberta se trouve donc dans une position difficile. Son élection tient, entre autres, à son programme favorable à l’environnement. Si elle n’agit pas rapidement, cela minera sa crédibilité et sa capacité à gagner la confiance du public à l’égard de l’industrie du pétrole et du gaz. Or, chacune des mesures qu’elle prendra susceptible d’engendrer l’incertitude ou des obligations de paiement plus lourdes pour l’industrie sera perçue, au pire, comme une mesure de sabotage de l’industrie du pétrole et du gaz et, au mieux, comme « la goutte d’eau qui fait déborder le vase ».

3. Impacts concrets pour l’industrie

À l’heure actuelle, l’industrie albertaine du pétrole et du gaz est fragile. Certains sont d’avis que les faibles prix du pétrole vont perdurer, tant en raison de nouvelles technologies qui réduisent les coûts d’extraction, ce qui agit à la hausse sur les approvisionnements85, de même quant aux effets potentiels de la levée des sanctions économiques imposées à l’Iran86. Par ailleurs, la demande mondiale pour une énergie plus propre, surtout chez les pays développés, et les politiques telles que la « Norme de carburant » à faible teneur en carbone de la Californie, pénalisent de plus en plus les sources d’énergie à fortes émissions87.

L’industrie doit aussi composer avec les obstacles qui découle – d’une opinion défavorable du public envers l’industrie du pétrole et du gaz88. Cela est particulièrement néfaste pour une économie dépendante des exportations de pétrole et de gaz. Présentement, du pétrole canadien est exporté à des prix subventionnés sur le marché déjà saturé des États-Unis, créant ce que d’aucuns qualifient de « bulle de bitume »89. L’Alberta doit brancher son réseau pétrolier et gazier sur de nouveaux marchés, ce qui exige qu’elle jouisse d’une réputation tant nationale qu’internationale de producteur responsable et écologique de ressources énergétiques.

Au moment de la rédaction de cet article, le prochain gouvernement fédéral n’était pas connue. Peu importe quel parti prendra le pouvoir à l’échelle nationale, les provinces, aux fins de la coordination des enjeux énergétiques, de façon générale, et du dossier des changements climatiques, en particulier, devront tenir compte du rôle d’Ottawa. Conformément aux dispositions régissant la répartition des pouvoirs de la Loi constitutionnelle de 186790, il s’agit d’une initiative qui relève, à tout le moins en partie, de la compétence du gouvernement fédéral.

L’article 92A de la Loi constitutionnelle de 1867 stipule que le Parlement dispose du pouvoir d’adopter des lois qui l’emportent sur des lois provinciales incompatibles dans le champs de compétence de l’exportation de la production primaire tirée des ressources naturelles non renouvelables d’une province91. Par ailleurs, le Parlement a compétence à l’égard des chemins de fer, des canaux et des autres travaux et entreprises, ce qui englobe les pipelines, ainsi que des travaux qui sont à l’avantage général du Canada ou à l’avantage de deux ou d’un plus grand nombre des provinces92. L’un des points faibles de la Stratégie canadienne de l’énergie, pierre angulaire de l’engagement interprovincial antérieur concernant les GES et la politique sur les pipelines, c’est que dans une très large mesure, on n’y tient pas compte du gouvernement fédéral.

Des redevances aux raffineries, le gouvernement Notley s’apprête à intervenir de façon marquée sur politiques énergétiques et environnementales de l’Alberta, les conséquences pouvant débordées de ses frontières. Un engagement national renouvelé à propos des changements climatiques, peut-être par l’entremise de la Stratégie canadienne de l’énergie, et l’attribution d’un rôle important, mais non dominant, au gouvernement fédéral, ne posera pas nécessairement une menace pour l’économie de l’Alberta. Un cadre stable de contrôle des émissions de GES – réclamé aussi par de nombreux membres de l’industrie du pétrole et du gaz – pourrait éclairer suffisamment les intéressés et favoriser les investissements et la croissance. Cela pourrait aussi faciliter quelque chose d’encore plus flou, l’acceptation sociale requise pour développer l’infrastructure énergétique dont le Canada a besoin pour demeurer un leader économique international, plutôt que d’être seulement une superpuissance énergétique en attente.

 

* Alan L. Ross, est ancien représentant provincial de l’Alberta à Ottawa, également associé chez Borden Ladner Gervais LLP.

** Lorelle Binnion, est étudiante en droit, chez Borden Ladner Gervais, LLP.

  1. Kyle Bakx, « Alberta oil industry wary of NDP government » CBC News (30 mai 2015), en ligne : CBC News <http://www.cbc.ca>; Claudia Cattaneo, « Alberta Premier Rachel Notley didn’t start the oil shockcrisis, but she’s making it worse », Financial Post (16 juin 2015), en ligne : Financial Post <http://www.financialpost.com>.
  2. Le Conseil de la fédération, Stratégie canadienne de l’énergie, juillet 2015, à la p. 11 [Stratégie canadienne de l’énergie].
  3. « Advisory panel: Climate leadership discussions » Alberta Government, en ligne : <http://alberta.ca>; « Alberta’s Royalty Review Panel 2015», Alberta Government, en ligne : <http://www.albertaroyaltyreview.ca>.
  4. Jodie Sinnema, « Confused about Alberta’s two new review panels for climate change and royalties? Here are some facts » (18 septembre 2015), en ligne : Edmonton Journal <http://edmontonjournal.com>.
  5. « Notley promotes value-added, fair resource royalties », Alberta’s NDP, en ligne : Alberta NDP <http://www.albertandp.ca>.
  6. New Review Panels for Climate Change and Royalties, supra note 4.
  7. Ibid
  8. Par exemple, « Alberta Royalty Framework Oil Calculator », en ligne: Alberta Energy <http://www.energy.alberta.ca/Oil/2344.asp> .en ligne : http://www.energy.alberta.ca/Oil/2344.asp
  9. Dan Healing, « Royalty review chair vows to consider C.D. Howe’s simplification plan »,(23 septembre 2015), en ligne : Calgary Herald <http://calgaryherald.com>.
  10. Ibid.
  11. Matt Dykstra, « Folks need to settle down’: Alberta Premier Notley » , (20 septembre 2015), en ligne: Edmonton Sun <http://www.edmontonsun.com>.
  12. « Rachel Notley wants to see at least 1 ‘drama-free’ pipeline project » (24 septembre 2015), en ligne : CBC news <http://www.cbc.ca>.
  13. «Reality Check: Rachel Notley and Pipelins» (25 avril 2015), en ligne : Alberta NDP <http://www.albertandp.ca>; Brent Patterson, «Notley government backs Energy East and Trans Mountain pipelines»,(29 juin 2015), en ligne : National Observer <http://www.nationalobserver.com>.
  14. Emma Gilchrist, « Five Public Opinion Headaches For Alberta Oil Execs » (7 février 2015) en ligne : The Tyee <http://thetyee.ca>.
  15. Jodie Sinnema, « Rachel Notley confident Quebec premier will support Energy East pipeline » (13 juillet 2015) en ligne : Edmonton Journal <http://www.edmontonjournal.com>.
  16. Jodie Sinnema, « Rachel Notley confident Quebec Premier will support Energy East pipeline »,(13 juillet 2015) en ligne : Edmonton Journal <http://www.edmontonjournal.com>.
  17. « Rachel Notley makes upgrading and refining jobs a top priority for NDP »,(10 avril 2015) en ligne : Alberta NDP <http://www.albertandp.ca>.
  18. «Alberta’s Refining Plans Panned as ‘Dream’ by Oil Executives », (1er juin 2015), en ligne : Bloomberg <http://www.bloomberg.com>.
  19. Brent Jang, « Alberta’s oil patch faces a refining moment – and B.C. wants in too »(14 août 2015), en ligne : The Globe and Mail <http://www.theglobeandmail.com/news/alberta/oil-patch-faces-a-refining-moment/article25965077/ >.
  20. « Upgraders and Refineries: Facts and Stats » (Septembre 2015), en ligne: Alberta Government < http://www.energy.gov.ab.ca/Oil/pdfs/FSRefiningUpgrading.pdf >.
  21. Konrad Yakbuski, « Will Notley refine Alberta’s oil royalty regime or her election promises? » (8 mai 2015), en ligne: The Globe and Mail < http://www.theglobeandmail.com/report-on-business/rob-commentary/will-rachel-notley-refine-albertas-oil-royalty-regime-or-her-election-promises/article24318228/>
  22. Brent Jang, « Alberta’s oil patch faces a refining moment – and B.C. wants in too »,(14 août 2015), en ligne : The Globe and Mail <http://www.theglobeandmail.com>.
  23. New Review Panels for Climate Change and Royalties, supra note 4.
  24. Specified Gas Emitters Regulation Alta Reg 139/2007.
  25. Alberta: An Emissions Trading Case Study”, Environmental Defense Fund & International Emissions Trading Association (Ma 2015) à la page 4, en ligne https://ieta.memberclicks.net/assets/CaseStudy2015/alberta_case_study-may2015.pdf.>
  26. Review Panels for Climate Change and Royalties, supra note 4.
  27. Graham Thomson, « Thomson: Rachel Notley hopes to turn Alberta into an environmental good guy »,(5 juillet 2015), en ligne: Edmonton Journal http://www.edmontonjournal.com; voir également Nigel Bankes, « Province of Alberta Announces a Two-step Process for Developing a New Climate Change Policy » 26 juin 2015), en ligne : ABlawg <http://ablawg.ca>.
  28. Alberta, Minister of Environment and Parks Climate leadership Discussion Document (Edmonton, Minister of Environment and Parks, August 2015) [Discussion Document].
  29. Ibid, à la p 8.
  30. Ibid à la p 9.
  31. See e.g. Kenneth P Green, « How the Alberta government is trying to downgrade the oilsands », (18 août 2015), en ligne : Financial Post < http://business.financialpost.com/fp-comment/how-the-alberta-government-is-trying-to-downgrade-the-oil-sands >
  32. « How the Carbon Tax Works », site Web du Ministère de la Colombie-Britannique, en ligne : <http://www.fin.gov.bc.ca/>. (en anglais seulement)
  33. Alan L Ross, « Alberta NDP’s Energy Initiatives Carry Risk and Opportunity »,(13 juillet 2015), en ligne : The Globe and Mail < http://www.theglobeandmail.com/report-on-business/rob-commentary/ndps-energy-initiatives-carry-risk-and-opportunity/article25484770/>.
  34. En outre, exception faite de l’adoption de nouvelles politiques, la fin en 2020 de certains contrats d’achat d’électricité de l’Alberta auprès de centrales au charbon pourrait se traduire par une réduction appréciable des émissions provinciales de carbone
  35. Graham Thomson, « Graham Thomson: Just who is the “Embarrassing Cousin », (17 septembre 2015), en ligne : Edmonton Journal,< http://edmontonjournal.com/news/politics/graham-thomson-just-who-is-the-embarrassing-cousin >.
  36. Tracy Johnson, « Is it the end of coal? » (17 septembre 2015), en ligne : CBC News < http://www.cbc.ca/news/business/is-it-the-end-of-coal-1.3230685 >.
  37. James Glave & Ben Thibault, « Power to Change: How Alberta can green its grid and embrace clean energy », Pembina Institute, Clean Energy Canada, mai 2014, à la p 4 [Power to Change]
  38. Ibid à la p 16.
  39. Ibid à la p 9.
  40. Le Conseil de la fédération, Une vision partagée de l’énergie au Canada, août 2007 [Une vision partagée de l’énergie au Canada].
  41. Ibid à la p 2.
  42. Ibid.
  43. Secrétariat des conférences intergouvernementales canadiennes, Plan d’action – Approche collaborative en matière d’énergie », Kanaskis (Alberta), 2011, en ligne : <http://www.scics.gc.ca/english/conferences.asp?a=viewdocument&id=1619 > [Plan d’action 2011].
  44. Ibid
  45. Conseil de la fédération – Groupe de travail sur la Stratégie canadienne de l’énergie, Canadian Energy Strategy: Progress Report to the Council of the Federation, juillet 2013, p. 3-4 [Progress Report 2013].
  46. Adrian Morrow, «What you need to know about the Canadian Energy Strategy », (16 juillet 2015), en ligne : The Globe and Mail,< http://www.theglobeandmail.m/news/national/what-you-need-to-know-about-the-canadian-energy-strategy/article25522964/> [What you need to know about the Canadian Energy Strategy].
  47. Progress Report 2013 à la p 7.
  48. Ibid aux p 8-13.
  49. Ibid aux p 14-17.
  50. Le Conseil de la fédération, Stratégie canadienne de l’énergie, juillet 2015, à la p 10 [Stratégie canadienne de l’énergie].
  51. Ibid à la p 11.
  52. Ibid à la p 3.
  53. Ibid à la p 10.
  54. Ibid à la p 10.
  55. Ibid à la p 13.
  56. Une vision partagée de l’énergie au Canada, supra note 40 à la p 4.
  57. Stratégie canadienne de l’énergie, supra note 50 à la p 14.
  58. Ibid à la p 17.
  59. Ibid à la p 16-17.
  60. Ibid à la p 16.
  61. Ibid, à la p 17.
  62. Une vision partagée de l’énergie au Canada, supra note 40 à la p 5.
  63. Stratégie canadienne de l’énergie, supra note 50 à la p 21.
  64. Progress Report 2013, supra note 45 à la p 17.
  65. Stratégie canadienne de l’énergie, supra note 50 à la p 18.
  66. Une vision partagée de l’énergie au Canada, supra note 40 à la p 7.
  67. Stratégie canadienne de l’énergie, supra note 50 à la p 22.
  68. Ibid à la p, 26-27.
  69. Progress Report 2013, supra note 45 à la p 14.
  70. Stratégie canadienne de l’énergie,supra note 50 à la p 26.
  71. Ibid à la, p 29.
  72. Loi sur l’Office national de l’énergie LR C 1985, c N-7, tel qu’amendée en date du 6 juillet 2012.
  73. Progress Report 2013, supra note 45 à la p 15.
  74. Stratégie canadienne de l’énergie, supra note 50 à la p 30.
  75. Une vision partagée de l’énergie au Canada, supra note 40 à la p 5.
  76. Stratégie canadienne de l’énergie, supra note 50 à la p 25.
  77. What you need to know about the Canadian Energy Strategy, supra note 46.
  78. Public Opinion Headaches For Alberta Oil Execs supra note 14
  79. Ibid
  80. Michael Toledano, “Indigenous Lawsuits Could Paralyze the Tar Sands”, Vice (5 mai 2014). En ligne : Vice <http://www.vice.com>.
  81. Tracy Johnson, « Is Northern Gateway quietly being shelved? » (20 février 2015), en ligne CBC News < http://www.cbc.ca/news/business/is-northern-gateway-quietly-being-shelved-1.2965355 >.
  82. « Quebec Premier Philippe Couillard says no to shale gas » (16 décembre 2014), en ligne : CBC News < http://www.cbc.ca/news/canada/montreal/quebec-premier-philippe-couillard-says-no-to-shale-gas-1.2874976 >.
  83. Susan Krashinsky, « Oil companies seek to rebrand with friendly campaigns » (17 juillet 2015), en ligne : The Globe and Mail < http://www.theglobeandmail.com/report-on-business/industry-news/marketing/oil-companies-seek-to-rebrand-with-friendly-campaigns/article25541810/>.
  84. Rakteem Katakey & Luca Casiraghi, « Energy industry bankruptcies could rise as $500B of oilpatch debt comes due » Calgary Herald (27 août 2015), en ligne : < http://calgaryherald.com/business/energy/energy-industry-bankruptcies-could-rise-as-550b-of-oilpatch-debt-comes-due >.
  85. Chris Sorensen, « Awash in oil: Why the glut isn’t going anywhere » , Maclean’s (2 septembre 2015) en ligne : < http://www.macleans.ca/economy/economicanalysis/awash-in-oil-why-the-glut-isnt-going-anywhere/ >.
  86. Ajrun Kharpal, « Iran nuclear deal: This is what it means for oil », CNBC (14 juillet 2015) en ligne : CNBC <http://www.cnbc.com>.
  87. Climate Change Advisory Panel, Climate Leadership Discussion Document, en ligne : <http://alberta.ca/climate-leadership.cfm at 13 [Climate Leadership Discussion Document].
  88. Gillian Steward, « Climate concerns present growing obstacle to oilsands development », The Star, (4 septembre 2015)en ligne : <http://www.thestar.com>.
  89. Kyle Bakx, « Oilpatch could lose $100B without new pipelines, researchers warn », CBC News (22 juin 2015) en ligne : CBC News <http://www.cbc.ca>.
  90. Loi constitutionnelle de 1867 (R-U), 30-31 Vict, c 3 reproduite dans LRC 1985, ann II, no 5
  91. Ibid art. 92 A
  92. Ibid art. 92

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