Éditorial

L’année 2014 a été riche en rebondissements dans le secteur de l’énergie au Canada : croissance soutenue des énergies renouvelables à prix fort, effondrement des prix du pétrole et augmentation soudaine du nombre d’expéditions de pétrole brut par chemin de fer.

L’année a aussi été fort remplie pour bon nombre d’organismes de réglementation de l’énergie. Il y a eu ce que l’on pourrait qualifier d’annulation de la décision de l’Office national de l’énergie à propos du réseau principal, la poursuite de la bataille relativement à la construction de pipelines partout au Canada, et la conclusion d’une nouvelle alliance énergétique entre l’Ontario et le Québec.

Dans cet éditorial, à l’instar des années précédentes, nous approfondirons ces développements. Nous tenterons aussi de prévoir quels seront les développements importants en matière de réglementation en 2015.

Le plus grand enjeu auquel seront confrontés les organismes de réglementation canadiens en 2015 : la réglementation des tarifs d’électricité à une époque où les services publics doivent composer avec une demande à la baisse. Nous attendons aussi impatiemment, en avril, la décision de la Cour suprême du Canada relativement à deux appels, un de l’Alberta et un de l’Ontario, à propos de l’un des principes fondamentaux en matière de réglementation : la prudence dans la prise de décisions des services publics.

La construction de pipelines est paralysée

Nul doute que l’enjeu dominant en matière de réglementation des marchés énergétiques canadiens concerne les pipelines. L’équipe d’ERQ avait déjà passé en revue plusieurs de ces projets, qui en étaient à divers stades, dans des numéros antérieurs. Il est utile de savoir où ils en sont à la fin de 2014. Le produit qui tente de se frayer un chemin jusqu’au marché provient des sables bitumineux près de Fort McMurray en Alberta et de l’huile de schiste de Bakken au Dakota du Nord .

Le coût de l’exploitation du brut terrestre est réel. Jim Prentice, premier ministre de l’Alberta, a estimé que le manque de pipelines coûte 6 milliards de dollars par année aux gouvernements fédéral et de l’Alberta. Le pétrole brut de l’Ouest canadien se négocie à un escompte appréciable par rapport au prix du pétrole international car le pétrole brut canadien ne dispose pas d’un accès aisé aux marchés mondiaux.

Quatre projets dominent toujours la discussion, le pipeline Keystone XL de TransCanada, le pipeline Northern Gateway d’Enbridge, l’agrandissement du réseau de Trans Mountain de la société Kinder Morgan et, plus récemment, le projet Énergie Est de TransCanada. Ces quatre projets font l’objet d’une forte opposition des Premières Nations, des groupes environnementaux et des communautés locales.

Le pipeline Keystone XL de TransCanada

Le pipeline Keystone XL, un projet de 5 milliards de dollars, a d’abord été proposé par TransCanada en 2008 en vue de transporter du pétrole brut du Canada jusqu’au golf du Mexique en passant par le Midwest et le Texas. Le Département d’État américain examine le dossier du pipeline depuis près de sept ans. Le segment canadien du pipeline a été approuvé par l’Office national de l’énergie en 2010.

L’approbation américaine a été retardée en raison de l’opposition nationale de groupes environnementaux et de l’opposition locale au Nebraska. Cette dernière a donné lieu à des décisions par des tribunaux et, ultimement, à la prise de mesures par le gouverneur en faveur du pipeline, ce qui a eu pour effet de ramener le débat au niveau national et au Congrès américain. En novembre 2014, la Chambre des représentants a adopté un projet de loi approuvant pour la neuvième fois le pipeline Keystone XL. Plus tard, ce projet de loi a été défait par une voix au Sénat.

En novembre, lors des élections de mi-mandat, les Républicains sont redevenus majoritaires tant à la Chambre qu’au Sénat, et ce, pour la première fois en huit ans. En janvier, il y a eu un vote à la Chambre et au Sénat, vote qui n’a pas permis d’obtenir la majorité de 67 voix requise pour neutraliser un veto présidentiel. Le 24 février, le président Obama a exercé son veto. Voilà où nous sommes au moment d’aller sous presse .

Le pipeline Northern Gateway d’Enbridge

Le pipeline Northern Gateway d’Enbridge s’étalerait sur 1 178 km de Bruderheim, en Alberta, jusqu’à un terminal portuaire à Kitimat, en Colombie-Britannique. Le premier pipeline transporterait 525 000 barils par jour de pétrole de l’Alberta jusqu’aux voies maritimes. L’autre réacheminerait 93 000 barils par jour de condensat vers l’Alberta aux fins du traitement des sables bitumineux albertains.

La Commission d’examen conjoint de l’Office national de l’énergie a déposé, le 19 décembre 2013, son rapport auprès du Cabinet fédéral. Elle y recommandait l’approbation du projet sous réserve de 209 conditions. Le Cabinet fédéral a accepté les recommandations de la Commission et a intimé l’ordre à l’Office national de l’énergie de délivrer, sous réserve de la satisfaction des conditions, des certificats de commodité et de nécessité publiques.

L’une des conditions établies par la Commission d’examen conjoint était qu’Enbridge relance ses consultations avec les Premières Nations. Enbridge l’a fait et les consultations se poursuivent toujours.

Il y a présentement 18 appels et demandes de contrôle judiciaire devant la Cour d’appel fédérale. Cinq demandes de contrôle judiciaire concernent le Rapport de la Commission d’examen conjoint et neuf, le décret en conseil du Cabinet instruisant l’Office national de l’énergie de délivrer des certificats de commodité et de nécessité publiques. Et pour couronner le tout, il y a quatre appels à propos de certificats délivrés par l’Office national de l’énergie.

La plupart de ces appels sont le fait de groupes des Premières Nations qui contestent la pertinence des consultations. Les autres sont le fait de groupes environnementaux qui, eux, contestent la pertinence de l’évaluation environnementale. L’un des enjeux plus larges concerne le refus de la Commission d’examen conjoint de tenir compte des effets environnementaux en amont de la production de pétrole à partir de sables bitumineux, une question qu’a abordée la province de Québec dans l’affaire du projet Énergie Est.

L’agrandissement du réseau de Trans Mountain de la société Kinder Morgan

Le 16 décembre 2013, Kinder Morgan a déposé une demande d’approbation d’un projet d’agrandissement du réseau Trans Mountain d’une valeur de 5,4 milliards de dollars. En doublant le pipeline existant sur une distance de 1 150 km entre Edmonton, en Alberta, et Burnaby, en Colombie-Britannique, le projet permettrait d’accroître sa capacité de 300 000 barils à 890 000 barils par jour. Le terminal portuaire Westridge à Burnaby serait aussi agrandi afin d’accroître de 5 à 34 par mois le nombre de navires-citernes fréquentant Burrard Inlet.

L’audience publique initiale a été la plus imposante au pays – 1 650 participants enregistrés dont 400 ayant obtenu le statut d’intervenant. Initialement, le pipeline devait passer par les rues de Burnaby. Devant l’opposition publique généralisée, Trans Mountain en a modifié le trajet, le faisant passer par l’aire de conservation de Burnaby Mountain, ce qui a suscité encore davantage d’opposition. La ville de Burnaby a entrepris d’émettre divers avis d’infraction aux règlements municipaux, dont une ordonnance de cessation et d’abstention. En réaction, Trans Mountain a produit une requête d’ordonnance auprès de l’Office national de l’énergie afin d’obliger Burnaby à donner accès aux terrains à la société Kinder Morgan pour qu’elle puisse effectuer les études techniques nécessaires.

En octobre 2014, l’Office national de l’énergie a consenti à Trans Mountain l’autorisation d’accéder à Burnaby Mountain pour mener les études nécessaires, ce qui a encore une fois suscité des protestations.

En septembre 2014, Trans Mountain a déposé un Avis de question constitutionnelle auprès de l’Office national de l’énergie. L’Office, comme le prétendait Trans Mountain, a statué qu’il était habilité à déclarer certains règlements municipaux inopérants s’ils allaient à l’encontre de décisions de l’Office national de l’énergie en vertu de l’article 73 de la Loi sur l’Office national de l’énergie.

L’Office a aussi accepté les allégations de Trans Mountain selon lesquelles la doctrine de la prépondérance fédérale ou, subsidiairement, de l’exclusivité des compétences rendait les règlements municipaux de Burnaby inapplicables. Il s’agissait de la première fois où l’Office national de l’énergie émettait une ordonnance contre une municipalité relativement à un différend concernant l’accès à des terrains par une entreprise pipelinière. La Cour fédérale d’appel a rejeté la requête d’autorisation d’interjeter appel de la décision de l’Office de la ville de Burnaby, statuant que les entreprises pipelinières, qui relèvent de la compétence fédérale, sont autorisées à accéder à des terrains publics et privés aux fins d’effectuer des levés et examens en vertu de la Loi sur l’Office national de l’énergie. Vous trouverez, dans ce numéro, une excellente synthèse de Richard King de cette bataille constitutionnelle.

Le projet Énergie Est de TransCanada

Le 30 octobre 2014, TransCanada a déposé une demande auprès de l’Office national de l’énergie en vue de faire approuver le projet Énergie Est. Ce projet, d’une valeur de 12 milliards de dollars, prévoit la construction d’un pipeline de 4 600 km pour transporter 1,1 million de barils de pétrole brut par jour de l’Alberta et la Saskatchewan vers des raffineries à Montréal et à Saint John, au Nouveau-Brunswick. À cette fin, TransCanada propose de convertir 3 000 km de pipeline existant du transport de gaz naturel au pétrole entre la Saskatchewan et l’Ontario, et d’aménager un nouveau pipeline de 1 600 km dans diverses provinces en vue de le raccorder au pipeline converti.

Peu après avoir déposé sa demande, TransCanada a révisé ses plans d’aménager un terminal portuaire à Cacouna, au Québec, quand le gouvernement fédéral en est venu à la conclusion que ce port poserait une menace pour les bélugas. Au même moment, il était manifeste que le projet Énergie Est suscitait de l’opposition en Ontario et au Québec, motivée en partie par les distributeurs de gaz locaux (Enbridge et Union en Ontario, et Gaz Métro au Québec) qui craignait de perdre de la capacité de transport de gaz.

Par la suite, les provinces de l’Ontario et du Québec ont fait front commun et insisté pour que sept conditions soient satisfaites avant qu’elles n’approuvent le pipeline. L’une de ces conditions était que la capacité de transport de gaz naturel soit suffisante pour répondre aux besoins de chaque province. Une autre condition, peut être encore plus importante, était qu’il soit tenu compte de certaines évaluations environnementales pour ce qui est des gaz à effet de serre.

Le Québec semble vouloir obtenir une évaluation environnementale qui tienne compte des émissions de gaz à effet de serre en amont découlant de production à l’extérieur de la province. Il s’agit d’un point dont l’Office national de l’énergie a toujours refusé de tenir compte et qui fait l’objet de l’un des appels auprès de la Cour fédérale à propos du projet Northern Gateway.

Énergie Est est un processus de réglementation intéressant. Peu de gens douteraient du fait que le gouvernement fédéral et l’Office national de l’énergie jouissent d’une compétence exclusive sur les pipelines interprovinciaux. Mais il faut aussi, dans le cas des pipelines, obtenir des autorisations environnementales, dont bon nombre relèvent de la compétence des provinces.

Dans le passé, l’Ontario et le Québec ont demandé la tenue d’audiences devant leur propre organisme de réglementation de l’énergie afin d’y aborder leurs préoccupations à propos d’Énergie Est. On a instruit les deux organismes de réglementation de déposer des rapports auprès de leur ministère provincial de l’Énergie. La Régie a produit son rapport le 18 décembre 2014 et la Commission de l’énergie de l’Ontario devrait déposer le sien au printemps. Le but? Que ces rapports servent à éclairer les interventions des deux provinces lors de l’audience de l’Office national de l’énergie.

Entre-temps, bon nombre ont toujours espoir que l’Ontario, le Québec et l’Alberta conviendront d’un accord et que cet accord sera déposé devant l’Office national de l’énergie.

L’un des arguments qui demeurera au premier plan, c’est le souhait très clair du gouvernement fédéral et du gouvernement de l’Alberta d’acheminer le pétrole de l’Alberta jusqu’aux voies maritimes. Le projet Northern Gateway est embourbé dans l’opposition de groupes environnementaux autochtones et le projet d’agrandissement du pipeline Trans Mountain ne va pas mieux. À certains égards, Énergie Est est un projet plus prometteur, surtout s’il est possible de conclure un accord sur les questions environnementales avec l’Ontario et le Québec. Cela pourrait sembler un résultat étrange mais le projet Énergie Est pourrait engendrer le premier régime de tarification du carbone adopté par plusieurs provinces canadiennes.

L’Accord de règlement – Réseau principal

La décision de réglementation la plus importante de 2013 a été la décision rendue le 27 mars par l’Office national de l’énergie visant à restructurer les tarifs de TransCanada. Cette décision mettait de l’avant des concepts juridiques nouveaux et importants. La décision la plus importante de 2014 a été l’annulation de cette décision.

La décision de 2013 de l’Office, analysée dans un numéro précédent d’ERQ, stipulait que le coût des actifs délaissés ne devrait pas être réglé par le client mais par le service public. La justification est que, dans le passé, le service public a eu droit à une prime qui a accru son taux de rendement. Cette prime, payée par les contribuables, visait à couvrir ce risque. Maintenant que le risque ce concrétise, il appartient à TransCanada de le gérer.

À l’époque, cette conclusion a ébranlé le milieu de la réglementation, surtout le milieu des services publics. Ces derniers, se reportant à des principes de droit bien établis, estimaient que s’ils avaient fait des investissements prudents, ils avaient le droit de recouvrer le coût de ces investissements. L’Office a prévu un certain dédommagement – portant le taux de rendement des compagnies de 8,07 % à 11,5  % –, donnant à penser que l’avenir semblait peut être un peu plus risqué que le passé.

L’Office a ensuite doté TransCanada de ce qu’il estimait être l’outil nécessaire pour se sortir graduellement de cette situation. Essentiellement, l’Office a déréglementé les tarifs des services discrétionnaires. L’Office a consenti à TransCanada toute la latitude possible quant à l’établissement de la tarification des services à court terme et des services interruptibles. Cette décision découlait d’une certaine logique. Les services interruptibles sont toujours moins chers que les services fixes à long terme. Parce que tous les clients savaient que le Réseau principal disposait d’une capacité excédentaire, ils optaient pour des services moins chers à court terme sachant qu’il n’y aurait jamais d’interruptions. La réduction des revenus qui s’en est suivie n’a certes pas contribué à la rentabilité de TransCanada.

Il y a aussi une autre conclusion importante dans cette décision initiale qui a influé sur des événements subséquents. L’Office en était venu à la conclusion que TransCanada n’avait pas de devoir de servir car elle ne jouissait pas d’un territoire exclusif.

TransCanada a déposé une demande de révision et de modification auprès de l’Office. L’élément essentiel de cette demande concernait la hausse du prix pour le faire passer de 1,42 $/GJ, selon la décision, à 1,52 $/GJ. L’Office a rejeté la demande dans son intégralité.

TransCanada s’est ensuite tournée vers le marché. Comme l’Office avait statué que le service public n’avait pas le devoir de servir, TransCanada a renoncé à des engagements antérieurs d’aménager de la nouvelle capacité. Il s’en est suivi que Union Gas et Gaz Metro ont présenté une demande d’ordonnance à l’ONE en vue d’exiger de TransCanada qu’elle raccorde un nouveau segment de pipeline de Union et Gaz Metro reliant Maple et Vaughn.

Autre fait intéressant, TransCanada et Enbridge ont conclu un Protocole d’entente (PE) autorisant l’utilisation conjointe de certaines parties d’une nouvelle installation d’Enbridge allant de Parkway à Albion tout en en cédant l’exclusivité à TransCanada. Cette entente exclusive a été contestée par Union Gas et Gaz Metro dans le cadre d’une requête auprès de la Commission de l’énergie de l’Ontario. Enbridge a par la suite résilié le PE avec TransCanada. TransCanada a répliqué en intentant une poursuite d’une valeur de 4,5 milliards de dollars contre Enbridge devant la Cour supérieure de l’Ontario.

Le tout a mené à un accord de règlement entre les trois distributeurs de gaz et TransCanada élaboré durant la lutte devant l’ONE. L’accord de règlement prévoit l’ajout d’une nouvelle capacité par Union, Enbridge et TransCanada dans l’Est, engendrant un recul des revenus sur longues distances compensé par les expéditeurs sur courtes distances, dont, surtout, Union, Enbridge, et Gaz Metro. Le règlement a ensuite été déposé auprès de l’ONE à l’appui des projets de Union et d’Enbridge et, plus tard, produit devant l’Office national de l’énergie aux fins de l’approbation des nouveaux tarifs qui en ont résulté.

En vertu de l’accord de règlement, les tarifs étaient même plus élevés que ceux que TransCanada avait proposé dans sa Demande de révision et de modification que l’ONE avait rejetée. En outre, TransCanada a eu droit à une mesure additionnelle de protection des revenus, à savoir une « contribution de transition » versée par les expéditeurs au titre du manque à gagner.

Enfin, l’accord de règlement a fixé un nouveau taux de rendement des capitaux propres à hauteur de 10,1 %. Dans la décision du 27 mars 2013, le taux de rendement avait été fixé à 11,5 % pour tenir compte du risque accru auquel était exposée TransCanada. Auparavant, le taux de rendement était de 8,07 %.

Le 20 novembre 2014, l’ONE a approuvé le règlement concernant le réseau central. Les tarifs de 2015 à 2020 ont été relevés de façon appréciable. Les tarifs sur longues distances ont été majorés de 18 % par rapport à ceux approuvés dans la décision initiale. Les tarifs sur courtes distances ont été relevés de 52 %.

Dans la décision initiale de l’Office national de l’énergie concernant la restructuration du réseau central de mars 2013, le tarif entre Empress et Dawn avait été fixé à 1,42 $. En vertu du règlement, ce taux a été majoré à 1,68 $. En fait, il a résulté du litige entre les parties devant l’Office national de l’énergie, la Commission de l’énergie de l’Ontario et la Cour supérieure de l’Ontario que la décision initiale relative au réseau principal a été, à toutes fins utiles, renversée.

La décision concernant le règlement laisse assurément planer des doutes quant au principe mis de l’avant par l’Office dans sa décision initiale, à savoir qu’il appartenait au service public plutôt qu’aux clients de prendre à sa charge le risque lié aux coûts des actifs délaissés. Les clients n’avaient aucun choix. TransCanada a utilisé l’outil que l’Office lui a donné quand il a déclaré que TransCanada n’avait aucun devoir de servir. En se reportant à ce principe, TransCanada s’est retirée de projets prévus d’élargissement d’installations. Durant une brève période, les clients ont envisagé d’aménager eux-mêmes cette nouvelle capacité. Il était évident qu’il en résulterait des litiges à la fois très longs et très dispendieux. Union, Enbridge et Gaz Metro ont décidé de s’entendre.

La nouvelle alliance Ontario-Québec

Le Québec et l’Ontario sont à élaborer d’importants accords en matière d’échange d’électricité et de politique énergétique. À l’heure actuelle, les deux gouvernements et leurs organismes de réglementation de l’énergie sont à finaliser l’accord sur l’échange d’électricité. L’idée de base c’est que l’Ontario pourra emprunter 500 MW d’électricité au Québec l’hiver et, en revanche, le Québec pourra faire de même auprès de l’Ontario l’été. L’Ontario ne pourra emprunter davantage au Québec que ce que le Québec a emprunté de l’Ontario. Il n’y aura aucun échange d’argent.

Depuis fort longtemps, les sociétés d’État qui contrôlent le gros de la production d’électricité au Canada ont centré leurs efforts sur le commerce avec des partenaires américains au sud de la frontière. Or, le 22 juillet 2013, s’est opéré un sérieux virage quand la Commission des services publics et d’examen de la Nouvelle-Écosse a approuvé le projet de transport d’énergie Maritime Link qui acheminera de l’électricité du projet hydroélectrique de Muskrat Falls au Labrador jusqu’en Nouvelle-Écosse et par le biais du Nouveau-Brunswick jusqu’aux marchés du Nord-Est et de l’Est des États-Unis. L’accord d’échange d’électricité entre le Québec et l’Ontario est un autre pas important dans le développement d’une collaboration Est-Ouest entre des provinces canadiennes.

L’autre volet de l’alliance énergétique entre le Québec et l’Ontario, alliance qui prend de plus en plus d’ampleur, c’est la collaboration des deux provinces dans le processus de négociation du projet Énergie Est abordé plus haut.

Il est manifeste que l’une des conditions que devraient réclamer les deux provinces est un engagement du gouvernement fédéral en matière de tarification du carbone. Certains médias estiment que le gouvernement de l’Alberta participera, d’une façon ou d’une autre, à la conversation entre l’Ontario et le Québec.

Tout comme dans le cas du règlement concernant le réseau central, les trois distributeurs de gaz – Union, Enbridge et Gaz Metro – sont des acteurs clés à l’oeuvre dans les coulisses du projet Énergie Est. Or, à la lecture du rapport du Québec, il semble bien que l’on pourra tenir compte de ces intérêts. Il y a fort à parier que cet enjeu sera aussi abordé dans le rapport de l’Ontario.

Regard vers l’avenir

La Cour suprême du Canada et le test de la prudence

Tel que mentionné précédemment, l’Office national de l’énergie a rejeté le test de prudence invoqué par TransCanada dans l’affaire du réseau central, en dépit de la confirmation de ce test devant les cours suprêmes du Canada et des États-Unis. TransCanada n’a pas interjeté appel de la décision. Or, dans deux instances, l’affaire des travailleurs du secteur énergétique et l’affaire Atco Gas en Alberta, ce même principe de la prudence a été soulevé. Dans les deux instances, il y a eu appel devant la Cour suprême du Canada. Les deux ont été entendues en même temps le 3 décembre. Une décision est attendue en avril.

Il s’agit de décisions importantes qui pourraient aisément transformer le paysage de la réglementation au Canada. Il n’y a rien qui importe davantage à un service public que la possibilité de recouvrer, à même ses tarifs, ses dépenses importantes d’immobilisations et de fonctionnement.

Dans l’affaire des travailleurs du secteur énergétique, la Commission de l’énergie de l’Ontario a rejeté la demande de la Ontario Power Corporation (OPG) de recouvrer 145 millions de dollars en coûts de main-d’oeuvre. Ces coûts résultaient d’une convention collective conclue par le service public avec le syndicat deux ans plus tôt. Afin de conclure cette convention, les deux parties avaient fait appel à un arbitre indépendant.

Tant le syndicat que le service public ont fait valoir que l’Office devait présumer que les coûts de rémunération étaient prudents. L’Office n’était pas d’accord et était d’avis qu’il pouvait s’en remettre à des études comparatives où les coûts de main-d’oeuvre de la OPG étaient comparés à ceux d’autres services publics. Ces études comparatives avaient été commandées par l’Office dans le cadre d’une instance antérieure concernant une affaire de tarification. À la lumière de cette analyse, l’Office a rejeté le montant de 145 millions de dollars en coûts de main-d’oeuvre.

L’Office a tenu compte des contraintes subies par la OPG mais il a néanmoins soutenu que les contribuables ne devaient prendre à leur charge que des coûts raisonnables. Lors d’un appel auprès de la Cour divisionnaire de l’Ontario, la réduction de 145 millions de dollars a été maintenue au motif que l’Office devait avoir la latitude de réexaminer les arrangements de rémunération en vigueur afin de protéger l’intérêt public. Cette décision a été infirmée par la Cour d’appel de l’Ontario qui a soutenu que les coûts étaient des coûts engagés prévus dans des conventions collectives et que l’Office n’avait pas respecté l’un des principes fondamentaux du test de prudence, à savoir qu’afin de déterminer si une décision concernant un investissement ou dépense était prudente, il fallait se fonder sur les faits connus au moment de la prise de la décision. L’Office ne peut pas faire preuve de sagesse rétrospective.

L’affaire ATCO en Alberta est similaire à celle des travailleurs du secteur énergétique. En Alberta, le service public avait demandé à la Alberta Utilities Commission (la Commission) d’approuver l’imposition de frais spéciaux aux contribuables pour éponger un déficit actuariel de 157 millions de dollars des régimes de retraite. Ces coûts englobaient une prestation au titre de l’ajustement au coût de la vie établie au préalable chaque année par un administrateur indépendant. La prestation correspondait à la totalité de l’augmentation du coût de la vie selon l’Indice des prix à la consommation.

Comme dans le cas des travailleurs du secteur énergétique, le service public albertain a fait valoir qu’il s’agissait de coûts engagés établis par une autorité indépendante et qu’il s’agissait, par conséquent, d’une dépense prudente faite par le service public. La Commission n’était pas d’accord et a réduit la prestation d’ajustement au coût de la vie à la moitié de l’augmentation du coût de la vie selon l’Indice des prix à la consommation.

En n’autorisant pas cette dépense, la Commission s’est fondée sur la démonstration que, selon les normes de l’industrie, une clause d’indexation prévoyant un rajustement égal à 100 % de l’IPC était très généreuse. Le service public a interjeté l’appel auprès de la Cour d’appel de l’Alberta qui a maintenu la décision de la Commission.

Le droit des services publics ne compte que quelques principes fondamentaux. La doctrine de la prudence en fait partie. Les services publics sont préoccupés que ne soient pas autorisées des dépenses d’immobilisations ou de fonctionnement plusieurs années après que les décisions à cet effet aient été prises. Mais les organismes de réglementation des deux provinces avaient en commun un autre principe : les services publics ne peuvent s’en remettre impunément à une tierce partie, qu’il s’agisse d’un arbitre en relations de travail ou d’un administrateur de régimes de retraite. L’organisme de réglementation a la responsabilité (les services publics aussi) de déterminer si des coûts sont raisonnables aux fins de la tarification. Dans l’avenir, il se pourrait que les services publics doivent composer avec un fardeau plus lourd au titre de la diligence raisonnable. La décision de la Cour suprême du Canada aura une grande incidence sur la tarification au Canada.

Production indépendante d’électricité

Au début de cet éditorial, nous avons mentionné que le secteur de la production devait composer avec des circonstances fortes différentes en raison du recul soudain, à hauteur de 50 %, du prix du pétrole brut. Un autre acteur de l’industrie est aussi aux prises avec un changement dramatique : le distributeur d’électricité.

Cette fois, l’agent de changement n’est pas le pétrole brut mais plutôt la production indépendante d’électricité. Nous sommes en pleine vague de développement technologique et, bientôt, bon nombre de clients pourront produire leur propre électricité.

À l’échelle de l’Amérique du Nord, les ventes d’électricité ont atteint leur sommet il y a déjà presque six ans. La consommation par habitant stagne depuis plus d’une décennie. Cela tient en partie à des prix plus élevés. Cela découle aussi de programmes très répandus d’économie d’énergie et d’efficience énergétique. Mais, plus récemment, cela tient également à de nouvelles options auxquelles peuvent recourir les clients pour produire leur propre électricité à des prix moins élevés que ceux exigés par les réseaux d’électricité.

Les distributeurs d’électricité deviennent particulièrement vulnérables à mesure que de nouvelles technologies d’autoproduction font leur entrée sur le marché à des prix de plus en plus bas. Le rôle du distributeur consiste à distribuer de l’électricité à partir de sources centrales de production (p. ex., grandes centrales au gaz naturel, parcs éoliens, centrales hydroélectriques, etc.) jusque chez le client. Si un client peut produire de l’énergie en vue de combler une partie de ses besoins en électricité, il réduit d’autant sa dépendance envers son distributeur d’électricité.

La production indépendante d’électricité s’est d’abord manifestée sous la forme d’énergie solaire, dont le prix des panneaux solaires a chuté de façon appréciable – 20 % par année entre 2009 et 2013. Durant cette période, aux États-Unis, la production est passée de 1 000 MW à 12 000 MW. Et toujours durant la même période, la part de l’énergie solaire en termes de la capacité des nouvelles centrales électriques construites aux États-Unis est passée de 6 % à 31 %.

L’énergie solaire pose un problème plus sérieux aux services publics dans le Sud des États-Unis. En 2014, à la San Diego Gas and Electric, on dénombrait 39 000 installations solaires de toit comptant pour une capacité de production de 270 MW, l’équivalent de 6 % de la charge de pointe de la compagnie. Le service estime qu’en 2015 les installations solaires de toit produiront 540 MW, à savoir 12 % de la charge de pointe.

Au Canada, en matière de production indépendante d’électricité, la vraie menace pour les distributeurs d’électricité et les organismes de réglementation de l’énergie ne vient pas de l’énergie solaire. Elle aura un impact mais pas autant que dans le Sud des États-Unis.

Au Canada, l’innovation technologique émergente est la microcogénération de chaleur et d’électricité (MCE). Comme le laisse entendre son nom, la technologie revêt la forme d’une unité produisant à la fois chaleur et électricité. Il ne s’agit pas d’une nouvelle technologie – on utile depuis des dizaines d’années la MCE dans des applications industrielles et un certain nombre de services publics de gaz naturel ont fait l’essai d’unités de MCE résidentielles au fils des ans1. À l’époque, ce sont les coûts qui posaient problème, les coûts d’une unité installée étant de l’ordre de 20 000 $. La nouveauté, sur le marché nord-américain, c’est la possibilité de concevoir une application de suffisamment petite taille pour installation résidentielle. Les Japonais sont des chefs de file mondiaux en développement technologique et ils ont réussi à réduire à entre 7 000 $ et 10 000 $ le coût d’une unité résidentielle. Des efforts sont déployés pour réduire le prix à moins de 5 000 $ d’ici 2017.

Il s’agira d’un marché concurrentiel agressif, l’équipement et les services étant fournis par des multinationales bien connues. Cette situation ouvre la porte à une discussion à propos de la possibilité de faire l’intégration des systèmes d’alimentation en électricité et en gaz naturel (les systèmes résidentiels de MCE sont alimentés au gaz naturel) d’une façon totalement nouvelle.

Et ce marché ne se limitera pas aux systèmes de MCE. Panasonic, Toshiba et Tokyo Gas sont à développer des unités à pile à hydrogène devant servir aux mêmes fins.

Le premier enjeu en matière de réglementation concerne le changement des structures de tarification. Partout en Amérique du Nord, les organismes de réglementation en électricité instaurent des charges fixes pour protéger leurs services publics. Les charges fixes sont source de controverses et auraient un impact appréciable sur l’économie de la MCE – dans l’éventualité où les frais fixes étaient proportionnels à la diminution de la consommation résidentielle d’électricité attribuable à l’autoproduction.

D’aucuns soutiennent que les charges fixes déplacent les coûts des plus grands et plus riches utilisateurs vers les utilisateurs moins riches et moins énergivores. Les écologistes estiment que les charges fixes dissuaderont les gens d’économiser l’énergie. Les économistes affirment qu’elles ne feront qu’augmenter les coûts, les consommateurs devant payer pour de l’électricité qu’ils n’utilisent pas. Dans la mesure où les prix augmenteront, les clients se débrancheront des réseaux d’électricité encore plus rapidement. Certains feront valoir que les charges fixes sont tout simplement des frais liés aux actifs délaissés. Ils soutiendront, comme l’a fait l’ONE dans l’affaire Réseau principal, que les coûts liés aux actifs délaissés sont imputables aux services publics et non aux consommateurs. Enfin, d’autres font valoir que les charges fixes vont à l’encontre des principes de tarification incitative.

Ce qu’il adviendra des charges fixes, difficile de le prévoir. La Commission de l’énergie de l’Ontario (CEO) ouvre la voie au Canada. En avril 2013, la CEO a lancé des consultations et elle a reçu plus d’une trentaine de documents. La Commission déposera son rapport en mars (2015).

Bon nombre soutiennent que, dans tous les cas, les charges fixes ne constituent pas une solution à long terme. Mais quelle est la solution à long terme?

Cette technologie prendra sa place que les organismes de réglementation ou les services publics le veulent ou non. Les clients opteront pour la production d’énergie à moindre coûts. Et les politiciens n’interviendront pas.

Notre climat a peut-être atténué l’impact de l’énergie solaire sur les distributeurs d’électricité canadiens. Mais dans le cas de la MCE et des piles à hydrogène, l’affaire est différente. Elles ne sont pas dépendantes du soleil. N’oublions pas que seulement 11 % de l’énergie éolienne et solaire est produite de façon indépendante. Dans le cas de la MCE et des piles à combustible, ce pourcentage pourrait être beaucoup plus élevé.

La seule véritable solution à long terme pourrait bien être de laisser les services publics jouer un rôle direct dans la distribution d’équipement de production décentralisée à leurs clients. Après tout, les services de distribution disposent des éléments nécessaires : capital, reconnaissance de la marque et solides relations avec les clients. Les services publics de distribution peuvent aisément concurrencer les plus grandes multinationales. Il est fort peu probable que les clients insisteront pour acheter et entretenir ces systèmes. Mais ils voudront bénéficier des plus faibles coûts que procure la production indépendante d’électricité.

La Commission de l’énergie de l’Ontario a fait preuve de leadership et franchi un premier pas en ce sens. Sous la direction du ministre de l’Énergie, la Commission a aplani certains des obstacles usuels qui empêchaient les services publics d’électricité d’exploiter, tout en en étant le propriétaire, des technologies de MCE et d’efficacité énergétique. Dorénavant, les services publics peuvent en être les propriétaires et les financer. Cependant, on ne peut tenir compte de ces actifs dans la tarification et il faut se conformer aux normes comptables pour éviter qu’il n’y ait pas d’interfinancement.

Dans cinq ans, les seuls distributeurs d’électricité qui prospéreront seront peut être des organisations hybrides offrant à la fois des services monopolistiques et concurrentiels. Nul doute que la transition sera parsemée de défis. Davantage encore, peut-être, pour les organismes de réglementation qui devront concilier les besoins des services publics et l’évolution des exigences et des préférences des consommateurs au titre de la production indépendante d’électricité.

  1. Pour en savoir plus sur les études de systèmes résidentiels de MCE au Canada, visitez le Centre canadien des technologies résidentielles, Cogénération et Évaluation de la cogénération (Cogénération- Stirling), en ligne : Gouvernement du Canada <http://www.ccht-cctr.gc.ca/fra/projets/cogneration_stirling.html>.

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