Fusion d’Union Enbridge

Le 30 août 2018, un comité de surveillance du marché (le « Comité ») de la Commission de l’énergie de l’Ontario (la « CEO ») a approuvé un projet de regroupement entre Enbridge Gas Distribution (« Enbridge ») et Union Gas Limited (« Union Gas ») (collectivement, les « requérants »), en vertu du paragraphe 43 (1) de la Loi de 1998 sur la Commission de l’énergie de l’Ontario 1 (la « Loi »)2. La Loi exige qu’une entreprise de services publics de gaz obtienne l’autorisation de la CEO avant de se regrouper avec une autre société. En plus d’entendre les observations des requérants, le Comité a entendu 23 intervenants.

La décision du Comité retient notre attention, car les requérants ont préparé leur demande en se fondant sur le Handbook to Electricity Distributor and Transmitter Consolidations (guide sur les regroupements de distributeurs et de transporteurs d’électricité) de la CEO. Par conséquent, le Comité clarifie la façon dont ce guide sur les fusions, acquisitions, regroupements et désinvestissements (le « Guide sur les FARD »)3 s’appliquera à un regroupement de distributeurs de gaz naturel. Dans une décision préliminaire connexe publiée plus tôt ce printemps, le Comité a déterminé que le Guide sur les FARD ne s’appliquait pas à l’ensemble des questions dont il était saisi, étant donné que ce document avait été conçu expressément pour l’industrie de l’électricité. Toutefois, le Comité s’est tout de même appuyé sur divers éléments du Guide sur les FARD pour en arriver à certaines de ses décisions dans l’instance principale, ce qui laisse entendre qu’il est disposé à intégrer les principes du secteur de l’électricité à celui du gaz naturel lorsqu’il le juge raisonnable.

La question du regroupement était cruciale. Si le regroupement était approuvé, il fallait tenir compte de diverses autres questions régissant la nouvelle entité regroupée, notamment la durée de sa « période de rebasement » (la période au cours de laquelle un service public est tenu d’examiner ses coûts et ses revenus afin de s’assurer que les tarifs approuvés par la CEO ne sont pas trop profitables au détriment des consommateurs), de même qu’un mécanisme de partage des revenus nets pour les profits réalisés par l’entité qui résulte de regroupement. La décision du Comité au sujet du rebasement et du partage des revenus nets nécessitait l’atteinte d’un équilibre délicat entre la protection des consommateurs et le rendement commercial. Le présent commentaire portera sur la façon dont le Comité a atteint cet équilibre dans l’approbation du regroupement en imposant une « période de rebasement » accélérée et en établissant un mécanisme prudent de partage des revenus nets.

Approbation du regroupement

Lorsqu’il s’est demandé s’il y avait lieu d’approuver le regroupement proposé, le Comité a appliqué le critère de « l’absence de préjudice », qui est couramment utilisé pour évaluer les fusions dans le secteur de l’électricité depuis 2005. Le critère de « l’absence de préjudice » consiste à déterminer si le regroupement proposé aura une incidence défavorable sur les six objectifs législatifs de la CEO, tels qu’ils sont définis à l’article 2 de la Loi4.

Dans cette affaire, les requérants, le personnel de la CEO et presque tous les intervenants ont convenu que le regroupement répondait au critère de « l’absence de préjudice » et qu’il devait donc être approuvé. Le Comité était d’accord, concluant que le regroupement n’aurait pas d’incidence négative sur la fiabilité ou la qualité du service de l’une ou l’autre entité; ne mettrait pas en question la viabilité financière de l’entité issue du regroupement; n’entraînerait pas des coûts du service supérieurs à ce qu’ils seraient si les deux entités poursuivaient leurs activités séparément. L’analyse du Comité n’a porté que sur les facteurs susmentionnés, qui, ensemble, ne correspondent qu’à deux des six objectifs législatifs de la CEO. En analysant l’incidence de la transaction sur deux des six objectifs législatifs établis, le Comité a confirmé qu’un arbitre pourrait choisir de se concentrer sur les objectifs législatifs qu’il estime être les plus directement rattachés aux incidences de la transaction proposée.

Après avoir approuvé en principe le regroupement, le Comité a ensuite examiné diverses questions qui régiraient la société issue du regroupement.

Période de rebasement

Les requérants ont demandé à ce que leur prochaine période de rebasement commence en 2029. Les requérants ont fait valoir que ce report de dix ans était nécessaire pour que les coûts et les économies liés au regroupement soient enregistrés avant l’établissement de nouveaux taux. Pour appuyer leur proposition, les requérants ont fait remarquer que le Guide des FARD permettait aux distributeurs d’électricité qui se regroupent de reporter de dix ans le rebasement sans avoir à fournir de preuves justificatives.

Un certain nombre d’intervenants ont répondu que les coûts et revenus d’Enbridge et d’Union Gas avaient été examinés pour la dernière fois il y a environ cinq ans et qu’une période de rebasement reportée de dix ans découplerait effectivement les revenus des requérants de leurs coûts pendant quinze ans. De plus, les intervenants ont fait valoir que la provision prévue dans le Guide du FARD ne s’appliquait pas, car elle visait à encourager le regroupement dans le secteur de l’électricité, et que ce regroupement n’était pas nécessaire dans un secteur du gaz naturel qui ne compte que trois services publics.

Le Comité a convenu que l’allocation d’une période de rebasement de dix ans prévue dans le Guide des FARD ne s’appliquait pas, car cette période a été adoptée expressément pour inciter les distributeurs d’électricité à regrouper leurs activités. Le Comité a en outre conclu que la période de dix ans était « trop longue pour qu’on puisse procéder à un examen complet » des coûts et du rendement des requérants, surtout si l’on tient compte de l’absence de repères historiques permettant d’évaluer les résultats dans le secteur du gaz naturel. En fin de compte, le Comité a approuvé un report de cinq ans de la période de rebasement, concluant qu’un tel report donnerait aux requérants une occasion raisonnable de comptabiliser les effets financiers du regroupement, tout en maintenant une période de rebasement qui était conforme aux demandes antérieures.

La décision du Comité donne à penser que, pour en arriver à la durée d’une période de rebasement différée pour une entité nouvellement regroupée, les futurs comités de la CEO pourraient faire la distinction entre le secteur de l’électricité, avec ses repères et ses incitatifs de regroupement éprouvés, et celui du gaz naturel, qui compte peu de repères historiques et aucun incitatif de regroupement. Par conséquent, les entités nouvellement regroupées dans le secteur du gaz naturel ne devraient pas s’attendre à se voir accorder la même latitude dans le choix d’une période de rebasement différée que leurs cousins du secteur de l’électricité.

Partage des profits

Les requérants avaient proposé qu’à compter de 2024, tous les profits supérieurs de 3,00 % au rendement des capitaux propres (« RCP ») soient partagés également entre l’entité et les contribuables. Cette proposition a été rédigée de manière à être conforme au Guide sur les FARD, mais les intervenants (et le personnel de la CEO) s’y sont opposés parce que la partage des profits avec les contribuables est insuffisant. Le Comité a de nouveau donné raison aux intervenants et a approuvé un mécanisme qui répartirait également et immédiatement entre les requérants et les contribuables tous les profits supérieurs de 1,50 % au RCP approuvé par la CEO. Le Comité a conclu que le fractionnement des profits supérieurs de 1,50 % au RCP constituait un mécanisme raisonnable qui fonctionnait comme une moyenne approximative des mécanismes de partage des profits existants utilisés par Union Gas et Enbridge.

Conclusion

En supposant qu’Enbridge et Union Gas procèdent au regroupement, la décision du Comité accorde l’approbation règlementaire à un quasi-monopole dans le secteur des services publics de gaz naturel. La décision affirme que le critère de « l’absence de préjudice », traditionnellement appliqué dans le secteur de l’électricité, peut être utilisé pour évaluer un regroupement dans le secteur du gaz naturel et que, lorsque l’arbitre le juge raisonnable, les principes des directives de la CEO dans le secteur de l’électricité peuvent être appliqués aux demandes dans le secteur du gaz naturel. Le Comité suggère en outre qu’en appliquant le critère de « l’absence de préjudice », l’arbitre peut se concentrer sur les objectifs législatifs de la Loi qui, à son avis, seront les plus touchés par la transaction proposée. De façon plus générale, la décision du Comité indique que la CEO est disposée à permettre la monopolisation de l’industrie du gaz naturel en Ontario. Toutefois, bien que la CEO semble ouverte à cette monopolisation, la période prudente de rebasement et le mécanisme de partage des profits adoptés par le Comité impliquent que la règlementation mette davantage l’accent sur la protection des consommateurs dans le contexte d’une monopolisation.

* Patrick Duffy est associé et coresponsable du groupe de développement et de financement de projets chez Stikeman Elliott, s.r.l. Sa pratique est axée sur le développement de projets et la règlementation de l’énergie. M. Duffy comparaît devant la Commission de l’énergie de l’Ontario et l’a représentée dans le cadre d’appels, notamment devant la Cour suprême du Canada.

  1.  Loi de 1998 sur la Commission de l’énergie de l’Ontario, LO 1998, c 15, annexe B, art 43 (1).
  2.  Enbridge Gas Distribution Inc. and Union Gas Limited Application for Amalgamation and Rate-Setting Mechanism, EB-2017-0306 & EB-2017-0307 (CEO).
  3.  Commission de l’énergie de l’Ontario, Handbook to Electricity Distributor and Transmitter Consolidations, Ontario, CEO, 19 janvier 2016.
  4.  Supra note 1, art 2.

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