PIPE DREAMS: The Fight for Canada’s Energy Future

Au moment de mettre sous presse ce numéro de la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie, le cadre politique et règlementaire régissant les pipelines fédéraux est en ébullition, en raison de la décision rendue à la fin août par la Cour d’appel fédérale d’annuler l’approbation de l’agrandissement proposé du Trans Mountain Pipeline (TMX). La construction de la centrale TMX avait commencé et a été immédiatement interrompue sur ordre de l’Office national de l’énergie (ONÉ). Le projet est confronté à un retard grave, voire fatal.

TMX n’est qu’un projet de pipeline fédéral parmi d’autres qui, depuis 2012, fait l’objet d’une controverse profonde et conflictuelle sur les plans règlementaire, politique et judiciaire. La Cour d’appel fédérale a par la suite annulé l’approbation du projet Northern Gateway d’Enbridge et le gouvernement fédéral a ensuite abandonné le projet. Le projet Keystone XL de TransCanada a été refusé par le président Obama, mais plus tard approuvé par le président Trump. La demande d’approbation du projet Énergie Est de TransCanada a été retirée en raison d’un changement de circonstances, notamment un élargissement imprévu des questions que l’Office national de l’énergie a proposé de prendre en considération dans son examen.

PIPE DREAMS de Jacques Poitras est un récit complet de la montée et de la chute d’Énergie Est. Mais c’est bien plus que l’histoire d’un seul de ces pipelines en proie aux attaques. Tout en se concentrant sur Énergie Est, PIPE DREAMS présente un examen exhaustif des enjeux et offre un aperçu précieux de la dynamique sous-jacente qui a rendu ces projets si controversés. La portée et la valeur réelles de PIPE DREAMS sont saisies dans son sous-titre : The Fight for Canada’s Energy Future (la lutte pour l’avenir énergétique du Canada).

L’approche de M. Poitras à l’égard de son sujet est novatrice ; il a personnellement parcouru la longueur du projet Énergie Est en voiture de Hardisty, en Alberta, à Saint John, au Nouveau-Brunswick. En cours de route, il s’est engagé – dans les tranchées, pour ainsi dire – avec de nombreux individus et groupes, allant de propriétaires fonciers individuels (dont certains avaient une longue histoire avec la ligne principale de TransCanada sur leurs propriétés), à des politiciens municipaux, aux peuples autochtones (dont certains, plus particulièrement la Première Nation de Carry The Kettle en Saskatchewan, ont appuyé le projet1), ainsi que d’autres. Il a entendu une myriade de points de vue, allant des préoccupations au sujet d’impacts éventuels particuliers au rôle du projet comme version du XXIe siècle du chemin de fer national.

PIPE DREAMS est cependant plus que le récit de voyage de Poitras à travers le pays centré sur des questions propres à Énergie Est. L’auteur y décrit également des questions sociétales plus vastes qui sont au cœur d’une grande partie de la controverse – les changements climatiques, les droits des Autochtones, les aspirations et les tensions régionales, etc. Il nous explique pourquoi de nombreux manifestants se concentrent sur des projets de gazoducs alors que leurs préoccupations réelles sont beaucoup plus larges : « Arrêter un pipeline n’allait pas arrêter le changement climatique, bien sûr, mais ça pourrait changer le débat2. »

Avant que TransCanada ne retire sa demande à l’Office national de l’énergie, le processus d’examen du projet Énergie Est de l’Office avait été confronté à plusieurs défis, notamment les récusations d’un certain nombre de membres de l’Office (dont le président et le vice-président) qui ont nécessité la constitution d’une nouvelle commission pour examiner la demande. Poitras offre un récit précieux des événements qui ont mené aux récusations3.

Les récusations ont nécessité la nomination d’une nouvelle commission de l’ONÉ pour le projet Énergie Est, composée de membres qui n’avaient été nommés que récemment à l’Office. Ce nouveau groupe d’experts a publié un projet de liste de points à traiter révisée qui tient compte des émissions en aval – une décision qui, selon M. Poitras, a « choqué le monde des pipelines4 ». Après que l’Office eut confirmé par la suite qu’il tiendrait effectivement compte des émissions en aval, TransCanada a immédiatement suspendu sa demande et, le 5 octobre 2017, a annoncé que la demande avait été officiellement retirée.

Poitras procède à un examen objectif de la question à savoir si la modification de la portée des critères de l’Office a été le seul facteur qui a mené à la décision de TransCanada. D’autres facteurs ont pu comprendre les approbations intermédiaires de TMX au Canada et de KXL aux États-Unis, ce qui a sans doute miné l’utilité d’Énergie Est. Il ne fait toutefois aucun doute que la décision de l’Office de prendre en considération les émissions en aval a été le déclencheur immédiat de la décision. Comme le fait remarquer M. Poitras, sans les récusations qui ont mené à la nomination d’un nouveau groupe spécial de l’ONÉ, le traitement de la demande de TransCanada se serait poursuivi en fonction des critères établis par le groupe spécial précédent plutôt qu’en fonction des critères plus généraux adoptés par le groupe nouvellement nommé.

Il y a une autre dimension à cette saga qui intéressera les juristes de la règlementation de l’énergie : que pourrait-on apprendre sur le rôle de l’évolution de la politique gouvernementale au cours de l’examen indépendant par un tribunal de demandes particulières? De l’avis de Poitras, la nomination d’un nouveau comité de l’ONÉ à la suite de la récusation du comité initial a donné à l’Office « une deuxième chance… de s’adapter à un contexte politique changeant ». En effet, la commission a directement attribué ses nouveaux critères, entre autres, à « l’intérêt déclaré du gouvernement fédéral à évaluer les émissions de GES en amont associées aux grands pipelines5 ».

Poitras écrit :

…Le fait que TransCanada ait mis fin à sa demande reflétait le fait que toute une industrie se demandait ce que l’avenir lui réservait. Une nouvelle infrastructure pour les combustibles fossiles était-elle possible dans la collision brutale des opinions inhérente à une démocratie, et était-elle même viable dans un monde aux prises avec les changements climatiques et une possible pointe de la demande en pétrole?6.

La question est une variante de celle posée par Dennis McConaghy dans son récit du déni de KXL par le président Obama, DYSFUNCTION: Canada after Keystone XL :

Le Canada partage-t-il vraiment la conviction fondamentale que la mise en valeur de ses ressources en hydrocarbures est dans l’intérêt du public? Depuis la disparition de KXL, le Canada s’est montré profondément équivoque à cette proposition7.

En fait, la question est au cœur même du débat controversé entourant ces projets et les futurs projets d’infrastructure énergétique au Canada.

PIPE DREAMS est un compte rendu très instructif de la saga Énergie Est qui apporte une contribution précieuse à la compréhension du débat existentiel actuel du Canada sur l’avenir de son industrie pétrolière et gazière. Il s’agit également d’une « bonne lecture », parsemée de renseignements historiques et de comptes rendus intéressants de certaines des dynamiques d’arrière-plan qui ont été en jeu, comme les tensions entre TransCanada et les intérêts d’Irving au Nouveau-Brunswick, qui se sont produites en cours de route.

  1. Poitras offre un récit fascinant de l’histoire de cette Première nation et de son territoire ancestral dans les collines Cypress, y compris le massacre de 1873 raconté dans le roman et le film The Englishman’s Boy.
  2.  Jacques Poitras, Pipe Dreams: The Fight For Canada’s Energy Future, Toronto, Penguin Canada, 2018 à la p 125.
  3.  Voir aussi Ron Wallace, « The Tortuous Path to NEB ‘Modernization’ » (2018) 6:2 Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie 23, en ligne : <https://www.energyregulationquarterly.ca/articles/the-tortuous-path-to-neb-modernization#sthash.uJryw0EW.dpbs>.
  4.  Supra note 2, à la p 227.
  5.  Lettre de l’Office national de l’énergie aux parties intéressées (23 août 2017), en ligne : <https://apps.neb-one.gc.ca/REGDOCS/File/Download/3320560>.
  6.  Supra note 2, à la p 6.
  7.  Dennis McConaghy, Dysfunction: Canada after Keystone XL, Toronto, Dundurn, 2017 à la p 137; voir le commentaire de Rowland J. Harrison, « Q.C., DYSFUNCTION: Canada after Keystone XL, Dennis McConaghy, Dundurn Toronto, 2017 » (2017) 5:2 Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie 43, en ligne : <https://www.energyregulationquarterly.ca/book-reviews/dysfunction-canada-after-keystone-xl-dennis-mcconaghy-dundurn-toronto-2017#sthash.wx8ERJ4U.dpbs>.

Laisser un commentaire