La Cour suprême du Canada entendra le recours en « dommages-intérêts découlant de la charte » contre l’organisme de réglementation de l’énergie de l’Alberta

Le 30 avril 2015 dernier, la Cour suprême du Canada a autorisé d’interjeter l’appel à Jessica Ernst dans sa réclamation contre la Commission chargée de l’économie des ressources énergétiques (anciennement de l’Alberta Energy Regulator) (la « Commission ») et d’autres concernant les présumés dommages causés à la propriété de Mme Ernst par un système de forage à faible profondeur de méthane de houille.

Madame Ernst a demandé l’autorisation de porter en appel à la Cour suprême du Canada la décision qui concerne sa réclamation en dommages-intérêts en vertu de l’article 24 (1) de la Charte canadienne des droits et libertés1 (la « Charte »). Son allégation est fondée sur la prémisse que la Commission a porté atteinte à son droit à la liberté d’expression garanti par la Charte en refusant d’accepter d’autres communications de sa part. En accordant l’autorisation d’interjeter l’appel (sans raisons), la Cour suprême du Canada a indiqué qu’elle examinera la question à savoir si et dans quelle mesure un article protégeant la Commission contre les actions et les recours civils est constitutionnelle si son objet a pour effet de limiter les recours de Mme Ernst en vertu de l’article 24 (1) pour le non-respect de droits garantis par la Charte. Cette décision aura d’importantes répercussions pour la Commission, l’Alberta Energy Regulator et tout autre tribunal de réglementation bénéficiant d’une protection législative contre les actions en responsabilité civile,les recours civils, ainsi que tout éventuel requérant qui envisagerait d’intenter des poursuites contre un organisme de réglementation bénéficiant d’une protection législative.

Contexte

Madame Ernst (« Ernst »), qui possédait des terres près de la ville de Rosebud en Alberta, a intenté une poursuite contre EnCana Corporation (« EnCana ») pour les dommages causés à son approvisionnement d’eau douce par la fracturation hydraulique et l’exercice d’autres activités connexes menées par EnCana dans la région. Ernst a également intenté une poursuite contre la Commission a) pour « négligence dans l’administration d’un régime de réglementation » relativement à ses réclamations contre EnCana (la « réclamation de négligence ») et b) pour atteinte à son droit à la liberté d’expression en vertu de l’article de 2(b) de la Charte (la « réclamation au titre de la Charte »). Sans être en lien avec l’appel en question, Ernst a également intenté une poursuite contre Sa Majesté la Reine, chef de l’Alberta, alléguant que le ministère de l’Environnement et du développement durable des ressources de l’Alberta (« EDDRA ») a failli à son obligation de protéger l’approvisionnement en eau et qu’il n’a pas répondu adéquatement à ses réclamations au termes des activités d’EnCana. Ernst réclamait des dommages-intérêts de la part d’EnCana, de la Commission et de l’EDDRA totalisant plus de 33 millions de dollars.

Décision de la Cour du Banc de la Reine2

À la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, la Commission est parvenue à faire rejeter certaines portions de la plaidoirie d’Ernst parce qu’elles ne présentaient aucune cause d’action fondée. Le juge en chef Wittman, responsable de la gestion de l’instance a entendu la demande de la Commission et conclu que la réclamation de négligence n’était pas fondée en droit, étant donné que la Commission n’avait aucune obligation de diligence en droit privé à l’égard d’Ernst. Par ailleurs, il a conclu que toute réclamation contre la Commission était exclue aux termes de l’article 43 de l’Energy Resources Conservation Act3, RSA 2000, ch. E-10 (l’« ERCA »), qui stipule, en partie, qu’« aucune action… ne peut être intentée contre la Commission… relativement à tout acte commis ou chose en application de cette Loi… ». L’article 43 a depuis été abrogé et remplacé par l’article 27 de la Responsible Energy Development Act, S 2012, ch. R-17.3 (la « REDA »)présentant un libellé similaire.

Bien que le juge en chef ait été d’avis que la réclamation en vertu de la Charte n’était pas soutenable au point de mériter d’être radiée aussi sommairement, il a conclu que cette réclamation devait également être rejetée aux fins de l’article 43 de l’ERCA. C’est sur cette conclusion que la décision de la Cour suprême du Canada d’entendre l’appel est fondée.

Décision de la Cour d’appel4

La cour d’appel a rejeté l’appel d’Ernst.

La réclamation de négligence

En ce qui concerne la réclamation de négligence, en concluant que le juge en chef a pris la bonne décision, à savoir que la Commission n’avait pas d’obligation de diligence de droit privé envers Ernst, la Cour d’appel a déclaré que les obligations réglementaires de la Commission étaient destinées à l’intérêt public, et non pas à un individu unique, (au paragraphe 16) qu’il y avait de « fortes considérations de principe contre le fait de désigner les organismes de réglementation comme des assureurs de dernier recours pour tout ce qui se produit dans une industrie réglementée ».

La Commission avait fait valoir, d’un autre part, que même s’il subsiste une obligation de diligence de droit privé, toute action était proscrite par l’article 43 de l’ERCA. Étonnement, Ernst a soutenu que l’article 43 devait protégé la Commission uniquement contre les requêtes résultant de « tout acte commis ou toute chose faite » et non d’« omission », ce qui est maintenant précisé à l’article 27 de la REDA. Se prononçant en accord avec la Commission, la Cour d’appel a conclu (au paragraphe 21) que le juge en chef a pris la bonne décision, à savoir qu’« une interprétation étroite de l’article ne concorde pas avec l’objectif plus général de la législation » et que « la distinction entre les actes et les omissions est, à tous égards, illusoire ». La Cour d’appel a soutenu (au paragraphe 22) que l’inclusion des « omissions » dans la REDA devrait être perçue comme un effort visant à donner un caractère de certitude à cette question, et ne constitue pas une déclaration sur l’état antérieur du droit : Interpretation Act, RSA 2000, ch. I-8, art. 37.

La réclamation en vertu de la Charte

En ce qui concerne la réclamation en vertu de la Charte, le juge en chef a refusé de supprimer les portions afférentes de la réclamation, soulignant que ce champ de la loi était assez nouveau et peu développé. Toutefois, il a conclu que même si une telle réclamation était possible , celle-ci était également exclu par l’article 43 de l’ERCA.

Dans le cadre de l’appel, Ernst a fait valoir que l’article 43 ne pouvait pas interdire un recours en vertu de la Charte. En rejetant cet argument, la Cour d’appel a conclu qu’en déterminant si un recours fondé sur la Charte était « convenable et juste » en conformité avec l’article 24 de la Charte, elle tiendra compte des limites des recours traditionnels, y compris des délais de prescription, des exigences pour interjeter appel ou pour demander une révision judiciaire. La Cour a également soutenu (au paragraphe 28) que les législatures ont un rôle légitime à jouer dans la spécification des paramètres généraux et des recours possibles, selon ce qui suit :

Les règles bien établies en vertu de lois quant à la disponibilité des recours sont bien plus souhaitables que de laisser la discrétion aux juges. Tout régime ad hoc de la sorte serait constitutionnellement indésirable en raison de son imprévisibilité flagrante. Si la disponibilité d’un recours n’était connue qu’à la conclusion d’un procès, cela irait à l’encontre de la protection même des tribunaux administratifs contre la distraction des litiges concernant leur actions, et de l’immunité testimoniale conséquente [Traduction].

La Cour a renvoyé (au paragraphe 29) à Vancouver (Ville) c Ward, 2010 CSC 27 au para 20, [2010] 2 RCS 28 :

…l’État doit bénéficier d’une certaine immunité contre les poursuites en dommages-intérêts résultant de l’exercice de certaines fonctions que seul l’État peut remplir. Les fonctions législatives et d’élaboration de politiques sont l’un de ces champs d’activité d’État. L’immunité est justifiée parce que la loi ne souhaite pas tiédir l’exercice de la discrétion en matière d’élaboration de politiques [Traduction].

La Cour a par ailleurs soutenu que la limitation des recours fondés sur la Charte ne va pas à l’encontre de la primauté du droit, tant que d’autres voies de recours seront possibles. La révision judiciaire est le remède de longue date pour une action administrative inappropriée, et il n’y a rien dans l’article 43 qui empêcherait Ernst de demander une ordonnance de la nature d’un mandamus ou de certiorari pour obliger la Commission à recevoir ses communications. De plus, elle aurait pu en appeler de toute décision prise par la Commission devant la Cour d’appel, avec autorisation.

La Cour d’appel a conclu que l’article 43 de l’ERCA empêchait la réclamation d’Ernst en vertu de la Charte.

L’autorisation d’en appeler de la décision

Ernst a demandé l’autorisation d’interjeter l’appel pour ces deux questions, les deux étant liées à la réclamation en vertu de la Charte :

  1. Est-ce qu’une clause générale de « protection contre les poursuites » contenue dans la législation peut interdire une réparation en vertu de la Charte pour le recours personnel déposé en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte?
  2. Est-ce que les lois peuvent restreindre ce qui est considéré comme une réparation « juste et convenable » en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte?

La Cour suprême du Canada a accordé l’autorisation.

Implications

Il importe de souligner qu’Ernst n’a pas demandé l’autorisation d’en appeler du rejet de la réclamation de négligence; la décision de la Cour d’appel à cet effet est donc maintenue et continuera d’offrir certitude et protection à l’Alberta Energy Regulator à l’avenir. Il importe également de souligner qu’Ernst n’a toujours pas établi que ses droits protégés par la Charte ont été violés..

La décision Cour suprême du Canada d’entendre cette question illustre son souhait d’approfondir ses connaissance concernant les recours en réparation, octroyant des dommages-intérêts en vertu de l’article 24(1) de la Charte, chose qui se poursuivra et qui sera d’intérêt particulier pour les nombreux tribunaux de réglementation et administratifs. Nous soulignons que plus tôt cette année la Cour suprême du Canada s’est prononcée dans Henry c la Colombie-Britannique 2015 CSC 245 afin de savoir si la mauvaise foi était requise pour établir une réparation en dommages-intérêts en vertu de la Charte contre un procureur de la Couronne pour avoir omis à tort de divulguer des renseignements à un accusé dans un procès criminel. Nous attendons avec impatience les directives de la Cour suprême quant à la marche à suivre pour traiter d’une action réciproque entre les dispositions d’immunité légale et les réclamations en dommages-intérêts en vertu de la Charte contre les représentants de l’État.

 

* Alan L. Ross, associé, chez Borden Ladner Gervais LLP.

** Michael Marion, associé chez Borden Ladner Gervais LLP.

*** Michael Massicotte, associé chez Borden Ladner Gervais LLP.

  1. Charte canadienne des droits et libertés,partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11.
  2. Ernst c EnCana Corporation, 2014 ABQB 672
  3. Energy Resources Conservation Act, RSA 2000, c E-10[ERCA].
  4. Ernst c Alberta (Energy Resources Conservation Board), 2014 ABCA 285
  5. Henry c la Colombie-Britannique 2015 CSC 24.

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