I. Introduction
Deux décisions rendues par la Cour suprême du Canada le 25 septembre 2015 ont ouvert la voie aux organismes de règlementation des services publics pour que ces derniers puissent traiter des coûts des services publics sans crainte de formalisme. La Cour a précisé que la norme de contrôle judiciaire concernant les décisions règlementaires portant sur les coûts d’exploitation était la norme raisonnable et que la loi ne prescrivait aucun critère précis que les organismes de réglementation devaient utiliser afin de déterminer si les coûts d’un service public pouvaient être récupérés dans les besoins en revenus.
II. Renseignements généraux
1. ATCO Gas and Pipelines Ltd. (« ATCO Utilities »)
Les régimes de retraite peuvent être divisés en deux catégories : les régimes à prestations déterminées et les régimes à cotisations déterminées. Dans le cadre d’un régime de retraite à cotisations déterminées, de façon générale, l’employé et l’employeur contribuent à un montant égal à un pourcentage préétabli du revenu de l’employé à un administrateur du régime de retraite qui investit ces sommes au fil du temps. Au moment où l’employé prend sa retraite, les investissements, nous l’espérons, peuvent générer un revenu stable pour le reste de sa vie. Le montant exact des revenus sera déterminé au moment de la retraite selon la valeur des investissements au moment de la retraite. En revanche, un régime de retraite à prestations déterminées, de façon générale, garantit un certain montant de revenu pour le retraité (généralement fondé sur une formule qui tisse un lien entre le revenu de retraite de l’employé et son salaire, ainsi que ses années de service). Afin d’avoir assez d’argent pour payer ce revenu garanti, les investissements administrés doivent être égaux à un certain montant au moment de la retraite de l’employé. Cela exige que l’administrateur du régime de retraite doit effectuer un calcul à rebours afin de déterminer le montant des contributions que doit faire l’employeur et l’employé afin que les montants totaux prévus pour sa retraite soient suffisants pour la financer. La valeur des investissements au moment de la retraite dépendra du montant des cotisations et du rendement des différents modes d’investissement. Typiquement, ces cotisations sont investies dans une combinaison d’actions et d’obligations. Lorsque les actions ont un bon rendement, il y aura généralement assez d’argent pour couvrir les obligations de l’employeur liées à la retraite de ses employés. Une baisse de la valeur des actions ou des obligations dans lesquelles les investissements de retraite ont été faits indique qu’il y a maintenant moins d’argent pour payer les obligations liées à la retraite et si la valeur des investissements descend en dessous du montant nécessaire pour couvrir les prochains paiements, le régime de retraite est jugé sous financé. À ce stade, afin d’être conformes aux différentes lois régissant le financement et la solvabilité des régimes de retraite, l’employeur et l’employé doivent augmenter leurs contributions pour que la valeur des investissements revienne à un niveau qui permet de couvrir les obligations liées à la retraite.
Si l’entreprise n’est pas réglementée, l’employeur devra générer les paiements supplémentaires du régime de retraite en augmentant les prix, en réduisant les coûts ou les profits. Un service public réglementé peut demander à l’organisme de réglementation de lui permettre d’augmenter les prix facturés aux clients afin de récupérer la hausse prévue des coûts, notamment l’augmentation des cotisations de retraite. En d’autres termes, la baisse de la valeur du portefeuille des régimes de retraite se traduira par un besoin de revenus à la hausse pour la ou les périodes d’examen à venir.
En plus des engagements de retraite, les employeurs peuvent également garantir ou promettre une certaine indemnité de vie (IV) afin que les retraités ne ressentent pas les effets de l’inflation. Certains employeurs offriront le taux réel de l’inflation, tandis que d’autres n’offriront qu’une certaine partie de l’augmentation. Évidemment, plus l’employeur débourse en fonction de l’IV, plus il a besoin de fonds, soit par l’augmentation des prix, des coûts inférieurs ou une baisse des profits. Dans le cas d’un service public réglementé, le besoin en revenus sera plus élevé pour la ou les prochaines périodes d’examen.
Par conséquent, les besoins en revenus pour un service public réglementé, qui est tenu de payer des pensions en vertu d’un régime de retraite à prestations déterminées, sera la somme des versements requis de la part de l’employeur afin de maintenir la solvabilité du régime de retraite et les versements qui seront ajustés pour l’IV. Dans le cas d’ATCO Gas and Pipelines Ltd. et ATCO Electric Ltd. ( « les services publics ATCO » ), leurs régimes de retraite sont administrés par Canadian Utilities Ltd. (« CUL ») à savoir l’entreprise mère. Quelques employés d’ATCO Utilities faisaient partie du régime de retraite à prestations déterminées et ont généralement reçu une IV égale au taux d’inflation, jusqu’à concurrence de 3 pour cent par année.
De 1996 à 2009, le régime de retrait affichait un excédent, ce qui signifiait que l’ATCO Utilities n’avait pas à faire de contributions ni à exiger des paiements en revenus. Puis, la crise financière est survenue en 2008. La valeur marchande des différents régimes de retraite administrés par CUL, y compris les régimes à prestations déterminées d’ATCO Utilities, a été grandement sous financée. ATCO Utilities devait alors reprendre les paiements de l’employeur à partir de 2010. Ainsi, l’ATCO Utilities a déposé une demande auprès de l’Alberta Utilities Commission (AUC) en 2009 pour répondre aux besoins de revenus de l’ensemble de ses obligations liées à la retraite. Les besoins en revenus visaient les années 2010, 2011 et 2012. Les paiements proposés pour les régimes de retraite couvrent les paiements actuels aux retraités, mais des paiements spéciaux nécessaires pour maintenir la solvabilité des régimes de retraite à prestations déterminées, ainsi que des paiements servant à refléter une IV égale à l’inflation, jusqu’à concurrence de 3 pour cent comme par le passé. La décision de l’AUC 2010-189 a permis à ATCO Utilities d’augmenter ses besoins en revenus au montant nécessaire afin de financer entièrement le régime de retraite et de poursuivre sa politique liée à l’IVC pour une année de plus2.
Un des intervenants, l’Utilities Consumer Advocte (UCA) de l’Alberta a fait valoir qu’une grande partie de l’insuffisance du régime de retraite pourrait être comblée par le simple financement d’une IV annuelle de 50 pour cent du taux d’inflation, jusqu’à concurrence de 3 pour cent. L’AUC était d’avis que les preuves présentées à l’audience de 2010 n’étaient pas suffisantes et a décidé de réexaminer la question de la politique liée à l’IV lors d’une audience qui a eu lieu l’année suivante. Puis, l’année suivante, la décision de l’AUC 2011 391 indiquait que l’AUC avait accepté la recommandation de l’UCA en ordonnant que les besoins en revenus ne comprennent qu’une IV de 50 pour cent du taux d’inflation annuel, jusqu’à concurrence de 3 pour cent3.
ATCO Utilities a interjeté appel devant l’AUC (au moyen d’une demande de révision judiciaire et de modification), mais l’AUC a maintenu sa décision. ATCO Utilities en a ensuite appelé de la décision à la Cour d’appel de l’Alberta, qui a confirmé les décisions de l’AUC en appliquant la norme de la décision raisonnable4. ATCO Utilities a finalement demandé et reçu l’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême.
2. Ontario Power Generation Inc. (« OPG »)
L’OPG est le plus grand producteur d’énergie de l’Ontario comptant près de 10 000 employés, dont environ 90 pour cent d’eux sont syndiqués. La Commission de l’énergie de l’Ontario (CEO) avait, lors d’une audience antérieure portant sur les tarifs, prévenu l’OPG qu’elle devait mieux gérer ses coûts de main-d’œuvre, particulièrement pour les salariés syndiqués. Elle a explicitement indiqué à l’OPG de préparer une étude comparative qui permettrait à la CEO de voir où l’OPG s’inscrit par rapport à d’autres grands employeurs et de leurs structures salariales. Malgré l’avertissement, l’OPG a continué de négocier des conventions collectives avec ses syndicats, que la CEO trouvait trop généreux lorsqu’ils faisaient l’objet de l’étude comparative préparée par l’OPG. La CEO a constaté que les salaires de l’OPG n’étaient pas seulement plus élevés que ce que la CEO jugeait justifiable, mais qu’il y avait aussi de nombreux postes qui pouvaient être éliminés. Par conséquent, la CEO a éliminé 145 millions de dollars en salaires des besoins en revenus de 6,9 milliards de dollars de l’OPG.
L’OPG a interjeté l’appel devant la Cour Supérieure de l’Ontario, Cour divisionnaire, qui a confirmé la décision de la CEO5, laquelle a ensuite été renversée par la Cour d’appel de l’Ontario6. Cette dernière a jugé que la CEO n’avait pas analysé les conventions collectives en employant le critère de l’investissement prudent, qui exige l’analyse des coûts engagés et subis sans recul. Plus précisément, le critère de l’investissement prudent exige que l’analyse des coûts subis soit uniquement fait en fonction des renseignements disponibles au service public au moment où la décision est prise. La Cour d’appel a statué que la CEO avait traité les conventions collectives comme des coûts prévus et non comme des coûts engagés et subis et que la CEO avait utilisé l’étude comparative qui contenait des données recueillies après la signature des conventions. Par conséquent, la Cour d’appel a conclu que la CEO n’avait pas utilisé le critère approprié et qu’elle avait évalué la prudence des coûts sans le recul nécessaire. La CEO a demandé et reçu l’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada.
En effet, l’autorisation d’en appeler a d’abord été accordée à la CEO puis une autorisation a également été accordée à l’AUC quelques jours plus tard afin que les deux soient entendus conjointement.
III. Questions communes portées en appel
Le fondement de l’argument de l’ATCO Utilities et de l’OPG est que l’organisme de réglementation, dans les deux cas, aurait dû ajouter dans les besoins en revenus les coûts des deux services publics du coûts subis de façon prudente ou engagés. En ce qui concerne les coûts de l’IV et des conventions collectives engagés avant l’audience, ATCO Utilities, l’OPG et ses syndicats ont fondé leurs cas sur la distinction entre les coûts accumulés (ou engagés et déjà subis) par rapport aux coûts prospectifs ou prévus (généralement à être engagés pendant la période d’examen) qui n’ont pas encore été subis. La suggestion était que les coûts engagés devraient être analysés en employant le critère de l’investissement prudent, un examen qui, d’après ATCO Utilities et l’OPG, exige une présomption de prudence. Les coûts prospectifs, quant à eux, sont analysés en employant le critère du caractère raisonnable, qui déplace le fardeau de la preuve sur le service public en question.
L’AUC et la CEO (ainsi que l’UCA) ont fait valoir qu’il n’existait pas de méthode unique pouvant être utilisée par les organismes de réglementation des services publics, mais ce qui importait était que l’organisme de réglementation fixe un taux juste et raisonnable qui permettrait aux actionnaires de services publics de récupérer un taux de rendement équitable tout en offrant aux consommateurs l’accès à un service à des tarifs raisonnables.
IV. Décision de la Cour suprême quant aux questions communes7
Bien qu’ATCO Utilities ait fait valoir que la norme de contrôle judiciaire de la décision de l’AUC aurait dû être la norme du caractère raisonnable, aucune des parties, y compris l’OPG et ses syndicats, n’a adopté cette position. En fait, l’AUC, l’UCA, la CEO et toutes les autres parties pris au litige ont soutenu ou reconnu que la norme de contrôle judiciaire était le caractère raisonnable. Évidemment, et plus particulièrement compte tenu de Dunsmuir8 de la Cour suprême et ceux qui l’ont suivi, la Cour suprême a conclu que la norme de contrôle judiciaire, dans les deux cas, était bel et bien le caractère raisonnable.
La Cour a ensuite examiné les lois applicables au cas de l’Alberta, soit l’Alberta Electric Utilities Act9 et l’Alberta Gas Utilities Act10, ainsi qu’un règlement connexe, soit le Roles, Relationships and Responsibilities Regulation11. Pour le cas de l’Ontario, la Cour a examiné la Loi sur la Commission de l’énergie de l’Ontario12, ainsi que le règlement Payments Under Section 78.1 of the Act13. En examinant les lois et règlements divers, la Cour a cherché à savoir ce que disait effectivement la loi, telle qu’elle a été formulée, quant à ce que doit faire l’AUC et la CEO au moment de prendre des décisions sur les besoins en revenus pour les services publics réglementés.
Dans les deux provinces, la Cour a déterminé que, bien que le mot prudence apparaisse dans la loi ou la réglementation, son emploi ne dicte pas la méthodologie particulière à suivre l’AUC ou la CEO. Dans les lois et les règlements de l’Alberta, le mot prudence ou le terme « prudemment subis » reviennent assez souvent, mais la Cour a adopté une approche axée sur l’usage courant de ce mot, à savoir qu’il signifie « raisonnable. » Ainsi, la simple utilisation du mot prudent (ou prudence) ne signifie pas et n’assujetti pas nécessairement l’utilisation du critère de l’investissement prudent, d’abord rendu populaire par le juge Brandeis dans le cas de Southwestern Bell Tel. Co. c Public Service Commission of Missouri14. Dans la loi et le règlement de l’Ontario, « prudemment » n’apparait que quelques fois et la loi et le règlement ne prescrivent aucune méthode particulière pour l’évaluation de la prudence. Tout cela a amené la Cour à conclure qu’au mieux, « prudent » était simplement une autre terminologie de « juste et raisonnable. » De plus, aucune méthodologie, comme le critère de l’investissement prudent ou autre, ne pourrait être obligatoire en vertu des lois et règlements divers. Enfin, le fardeau lié à l’établissement de la prudence ou du caractère raisonnable des coûts subis incombe au service public et la présomption de prudence n’était pas un principe juridique auquel pouvaient se fier les services publics.
En examinant ensuite ces cas particuliers devant la Cour, le juge Rothstein a rapidement renoncé à l’argument de l’ATCO Utilities selon quoi l’AUC aurait indument utilisé l’évaluation de recul et n’aurait pas bien pris en compte les consommateurs pour réduire les besoins en revenus en baissant l’IV annuelle qui aurait pu être attribuée. Comme les paiements de l’IVC devaient être versés plus tard et parce qu’il n’y avait pas de contrat contraignant entre ATCO Utilities et ses employés (contrairement à la situation de l’OPG), les coûts de l’IV étaient indéniablement des coûts prospectifs et n’étaient pas du tout engagés, ce qui signifie qu’à l’examen d’autres pratiques de l’entreprise au moment de l’audience, l’analyse de recul n’avait pas été utilisée du tout, car les coûts futurs étaient comparés à la pratique actuelle.
La Cour a également rejeté la déclaration de l’ATCO Utilities selon quoi la diminution des augmentations permises de l’IV signifiait que (étant donnée que les besoins en revenus seraient réduits et les taux seraient inférieurs) les répercussions subies par les clients étaient prises en compte dans l’établissement des taux finaux à payer par les clients. La Cour a clairement indiqué que même si les « organismes de réglementation ne peuvent pas justifier une révocation des coûts prudents uniquement parce qu’ils mèneraient à des taux plus élevés pour les consommateurs », « cela ne signifie pas qu’un organisme de réglementation ne peut pas tenir compte de l’ampleur d’un coût particulier pour déterminer la prudence du montant de ce coût15 » [Traduction].
Le cas de l’OPG et de ses conventions collectives a été un peu plus difficile à analyser que le cas de l’ATCO Utilities. Après tout, dans le cas de l’ATCO Utilities, la Cour a jugé que les coûts de l’IV étaient des coûts prospectifs. En revanche, alors que les conventions collectives négociées semblaient être des coûts engagés ou subis (quelque chose que la Cour d’appel de l’Ontario avait remarqué), la Cour a néanmoins décidé qu’il était raisonnable de la part de la CEO d’éliminer 145 millions de dollars des besoins en revenus demandés par l’OPG.
La Cour a conclu que la décision de la CEO était raisonnable pour de nombreuses raisons. D’abord, elle a constaté que ce ne sont pas tous les coûts qui étaient réellement engagés. L’OPG avait une certaine flexibilité dans l’élimination de postes et la gestion des niveaux de dotation en personnel par attrition. Cela étant dit, la Cour a supposé que certains des coûts non admissibles avaient été engagés et non prévus. Elle a ensuite examiné le critère de l’investissement prudent afin de déterminer de quelle façon les coûts subis devaient être analysés. En examinant la jurisprudence antérieure américaine et canadienne à cet égard, la Cour a conclu que le critère de l’investissement prudent n’était qu’un outil mis à la disposition des organismes de réglementation, le cas échéant, mais qui n’était pas imposé par la pratique ou les lois.
Ensuite, la Cour a examiné les coûts de main-d’œuvre. Elle concède que certains de ces coûts pouvaient être engagés. La Cour mentionne que l’élimination des coûts d’exploitation subis ne créait pas les mêmes effets dissuasifs pour les actionnaires que l’interdiction des coûts en capital engagés. L’interdiction des coûts en capital pouvait avoir un effet dissuasif pour les actionnaires du service public, en dissuadant les investissements futurs dans le capital et l’équipement. L’interdiction des coûts d’exploitation, pour sa part, créait une incitation pour le service public de gérer ses coûts de manière plus efficace. Le lecteur doit noter que le premier est préjudiciable pour les clients, tandis que le deuxième est avantageux. En mettant l’accent sur les coûts passés et futurs, au lieu de se soucier de la règle du sans recul, la Cour a laissé entendre que les services publics pouvaient être incités à mieux gérer leurs coûts au moyen d’une interaction répétée avec ses employés et d’autres sources de coûts. En effet, la Cour a insinué que la création de compartiments hermétiques de coûts prévus et engagés selon lequel les coûts subis ne pourraient jamais être remis en question créerait ce que les économistes appellent un « risque moral. » Les services publics souhaiteraient que tous leurs coûts soient caractérisés comme engagés s’ils savaient que ces coûts ne feraient pas l’objet d’un examen réglementaire.
La Cour s’est également arrêtée au fait que, comme la CEO avait indiqué à l’OPG de diminuer ses coûts, la décision d’interdire une partie de ces coûts n’était donc pas déraisonnable. Cette logique a également été évoquée par la Cour (et explicitement par la Cour d’appel de l’Alberta) dans le cas de l’ATCO Utilities. La Cour a déclaré que cette décision créait des incitations appropriées visant à encourager les services publics réglementés à gérer leurs coûts de manière optimale.
V. Le rôle de l’avocat de l’organisme
Une des questions qui a été soulevée par l’OPG concernait le rôle approprié de l’avocat du comité ou de la commission dans le cadre d’un appel. La Cour a assoupli la règle stricte d’abord énoncée dans l’affaire de Northwestern Utilities Ltd. c City of Edmonton16, interdisant effectivement à l’avocat de l’organisme administratif de participer pleinement à l’appel. La Cour a assoupli cette règle désuette afin de permettre aux avocats des organismes de participer pleinement au processus d’appel, tant qu’ils ne franchissent pas la ligne d’une défense « après coup » envers la décision de l’organisme. Le fait que les avocats présentent des opinions contradictoires est jugé correct d’après la Cour, mais le renchérissement de la décision de l’organisme ou l’ajout de suppléments à celle-ci ne l’est pas.
VI. Conclusions
Ces deux décisions libèreront sans doute les organismes de réglementation des critères formels, dont un écart pourrait se révéler fatal pour eux. Il y a près de cent ans, le juge Cardozo de la Cour d’appel de New York (nommée ainsi à l’époque) a déclaré que : « La loi a dépassé son stade primitif de formalisme quand le mot précis était le talisman souverain et que chaque erreur était fatale17 » [Traduction]. Le critère de l’investissement prudent n’a jamais été (selon la Cour) et n’est pas la loi interne quant à l’analyse des coûts subis. En fait, ce qui doit être analysé est de savoir si les taux alloués au service public sont justes et raisonnables. Aucune méthode précise pour cette évaluation n’est prévue par la loi, et les organismes de réglementation sont libres de poursuivre le « pluralisme méthodologique18». Elle confirme également qu’il n’existe aucune loi véritable pour un service public au Canada19.
La caractérisation des coûts passés et subis par rapport aux coûts futurs et prévus n’est pas utile aux efforts des organismes de réglementation. Au contraire, la Cour a souligné que l’objectif global est d’offrir un service adéquat aux consommateurs avec des tarifs justes et raisonnables tout en donnant aux services publics la possibilité de récupérer un juste taux de rendement sur leurs investissements. Les avocats de réglementation ne devraient pas se fier aux critères mécaniques et à la caractérisation des divers coûts, mais devraient plutôt mettre l’accent sur la situation globale, à savoir comment parvenir à des taux justes et raisonnables pour tous.
I. Introduction
Deux décisions rendues par la Cour suprême du Canada le 25 septembre 2015 ont ouvert la voie aux organismes de règlementation des services publics pour que ces derniers puissent traiter des coûts des services publics sans crainte de formalisme. La Cour a précisé que la norme de contrôle judiciaire concernant les décisions règlementaires portant sur les coûts d’exploitation était la norme raisonnable et que la loi ne prescrivait aucun critère précis que les organismes de réglementation devaient utiliser afin de déterminer si les coûts d’un service public pouvaient être récupérés dans les besoins en revenus.
II. Renseignements généraux
1. ATCO Gas and Pipelines Ltd. (« ATCO Utilities »)
Les régimes de retraite peuvent être divisés en deux catégories : les régimes à prestations déterminées et les régimes à cotisations déterminées. Dans le cadre d’un régime de retraite à cotisations déterminées, de façon générale, l’employé et l’employeur contribuent à un montant égal à un pourcentage préétabli du revenu de l’employé à un administrateur du régime de retraite qui investit ces sommes au fil du temps. Au moment où l’employé prend sa retraite, les investissements, nous l’espérons, peuvent générer un revenu stable pour le reste de sa vie. Le montant exact des revenus sera déterminé au moment de la retraite selon la valeur des investissements au moment de la retraite. En revanche, un régime de retraite à prestations déterminées, de façon générale, garantit un certain montant de revenu pour le retraité (généralement fondé sur une formule qui tisse un lien entre le revenu de retraite de l’employé et son salaire, ainsi que ses années de service). Afin d’avoir assez d’argent pour payer ce revenu garanti, les investissements administrés doivent être égaux à un certain montant au moment de la retraite de l’employé. Cela exige que l’administrateur du régime de retraite doit effectuer un calcul à rebours afin de déterminer le montant des contributions que doit faire l’employeur et l’employé afin que les montants totaux prévus pour sa retraite soient suffisants pour la financer. La valeur des investissements au moment de la retraite dépendra du montant des cotisations et du rendement des différents modes d’investissement. Typiquement, ces cotisations sont investies dans une combinaison d’actions et d’obligations. Lorsque les actions ont un bon rendement, il y aura généralement assez d’argent pour couvrir les obligations de l’employeur liées à la retraite de ses employés. Une baisse de la valeur des actions ou des obligations dans lesquelles les investissements de retraite ont été faits indique qu’il y a maintenant moins d’argent pour payer les obligations liées à la retraite et si la valeur des investissements descend en dessous du montant nécessaire pour couvrir les prochains paiements, le régime de retraite est jugé sous financé. À ce stade, afin d’être conformes aux différentes lois régissant le financement et la solvabilité des régimes de retraite, l’employeur et l’employé doivent augmenter leurs contributions pour que la valeur des investissements revienne à un niveau qui permet de couvrir les obligations liées à la retraite.
Si l’entreprise n’est pas réglementée, l’employeur devra générer les paiements supplémentaires du régime de retraite en augmentant les prix, en réduisant les coûts ou les profits. Un service public réglementé peut demander à l’organisme de réglementation de lui permettre d’augmenter les prix facturés aux clients afin de récupérer la hausse prévue des coûts, notamment l’augmentation des cotisations de retraite. En d’autres termes, la baisse de la valeur du portefeuille des régimes de retraite se traduira par un besoin de revenus à la hausse pour la ou les périodes d’examen à venir.
En plus des engagements de retraite, les employeurs peuvent également garantir ou promettre une certaine indemnité de vie (IV) afin que les retraités ne ressentent pas les effets de l’inflation. Certains employeurs offriront le taux réel de l’inflation, tandis que d’autres n’offriront qu’une certaine partie de l’augmentation. Évidemment, plus l’employeur débourse en fonction de l’IV, plus il a besoin de fonds, soit par l’augmentation des prix, des coûts inférieurs ou une baisse des profits. Dans le cas d’un service public réglementé, le besoin en revenus sera plus élevé pour la ou les prochaines périodes d’examen.
Par conséquent, les besoins en revenus pour un service public réglementé, qui est tenu de payer des pensions en vertu d’un régime de retraite à prestations déterminées, sera la somme des versements requis de la part de l’employeur afin de maintenir la solvabilité du régime de retraite et les versements qui seront ajustés pour l’IV. Dans le cas d’ATCO Gas and Pipelines Ltd. et ATCO Electric Ltd. ( « les services publics ATCO » ), leurs régimes de retraite sont administrés par Canadian Utilities Ltd. (« CUL ») à savoir l’entreprise mère. Quelques employés d’ATCO Utilities faisaient partie du régime de retraite à prestations déterminées et ont généralement reçu une IV égale au taux d’inflation, jusqu’à concurrence de 3 pour cent par année.
De 1996 à 2009, le régime de retrait affichait un excédent, ce qui signifiait que l’ATCO Utilities n’avait pas à faire de contributions ni à exiger des paiements en revenus. Puis, la crise financière est survenue en 2008. La valeur marchande des différents régimes de retraite administrés par CUL, y compris les régimes à prestations déterminées d’ATCO Utilities, a été grandement sous financée. ATCO Utilities devait alors reprendre les paiements de l’employeur à partir de 2010. Ainsi, l’ATCO Utilities a déposé une demande auprès de l’Alberta Utilities Commission (AUC) en 2009 pour répondre aux besoins de revenus de l’ensemble de ses obligations liées à la retraite. Les besoins en revenus visaient les années 2010, 2011 et 2012. Les paiements proposés pour les régimes de retraite couvrent les paiements actuels aux retraités, mais des paiements spéciaux nécessaires pour maintenir la solvabilité des régimes de retraite à prestations déterminées, ainsi que des paiements servant à refléter une IV égale à l’inflation, jusqu’à concurrence de 3 pour cent comme par le passé. La décision de l’AUC 2010-189 a permis à ATCO Utilities d’augmenter ses besoins en revenus au montant nécessaire afin de financer entièrement le régime de retraite et de poursuivre sa politique liée à l’IVC pour une année de plus2.
Un des intervenants, l’Utilities Consumer Advocte (UCA) de l’Alberta a fait valoir qu’une grande partie de l’insuffisance du régime de retraite pourrait être comblée par le simple financement d’une IV annuelle de 50 pour cent du taux d’inflation, jusqu’à concurrence de 3 pour cent. L’AUC était d’avis que les preuves présentées à l’audience de 2010 n’étaient pas suffisantes et a décidé de réexaminer la question de la politique liée à l’IV lors d’une audience qui a eu lieu l’année suivante. Puis, l’année suivante, la décision de l’AUC 2011 391 indiquait que l’AUC avait accepté la recommandation de l’UCA en ordonnant que les besoins en revenus ne comprennent qu’une IV de 50 pour cent du taux d’inflation annuel, jusqu’à concurrence de 3 pour cent3.
ATCO Utilities a interjeté appel devant l’AUC (au moyen d’une demande de révision judiciaire et de modification), mais l’AUC a maintenu sa décision. ATCO Utilities en a ensuite appelé de la décision à la Cour d’appel de l’Alberta, qui a confirmé les décisions de l’AUC en appliquant la norme de la décision raisonnable4. ATCO Utilities a finalement demandé et reçu l’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême.
2. Ontario Power Generation Inc. (« OPG »)
L’OPG est le plus grand producteur d’énergie de l’Ontario comptant près de 10 000 employés, dont environ 90 pour cent d’eux sont syndiqués. La Commission de l’énergie de l’Ontario (CEO) avait, lors d’une audience antérieure portant sur les tarifs, prévenu l’OPG qu’elle devait mieux gérer ses coûts de main-d’œuvre, particulièrement pour les salariés syndiqués. Elle a explicitement indiqué à l’OPG de préparer une étude comparative qui permettrait à la CEO de voir où l’OPG s’inscrit par rapport à d’autres grands employeurs et de leurs structures salariales. Malgré l’avertissement, l’OPG a continué de négocier des conventions collectives avec ses syndicats, que la CEO trouvait trop généreux lorsqu’ils faisaient l’objet de l’étude comparative préparée par l’OPG. La CEO a constaté que les salaires de l’OPG n’étaient pas seulement plus élevés que ce que la CEO jugeait justifiable, mais qu’il y avait aussi de nombreux postes qui pouvaient être éliminés. Par conséquent, la CEO a éliminé 145 millions de dollars en salaires des besoins en revenus de 6,9 milliards de dollars de l’OPG.
L’OPG a interjeté l’appel devant la Cour Supérieure de l’Ontario, Cour divisionnaire, qui a confirmé la décision de la CEO5, laquelle a ensuite été renversée par la Cour d’appel de l’Ontario6. Cette dernière a jugé que la CEO n’avait pas analysé les conventions collectives en employant le critère de l’investissement prudent, qui exige l’analyse des coûts engagés et subis sans recul. Plus précisément, le critère de l’investissement prudent exige que l’analyse des coûts subis soit uniquement fait en fonction des renseignements disponibles au service public au moment où la décision est prise. La Cour d’appel a statué que la CEO avait traité les conventions collectives comme des coûts prévus et non comme des coûts engagés et subis et que la CEO avait utilisé l’étude comparative qui contenait des données recueillies après la signature des conventions. Par conséquent, la Cour d’appel a conclu que la CEO n’avait pas utilisé le critère approprié et qu’elle avait évalué la prudence des coûts sans le recul nécessaire. La CEO a demandé et reçu l’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada.
En effet, l’autorisation d’en appeler a d’abord été accordée à la CEO puis une autorisation a également été accordée à l’AUC quelques jours plus tard afin que les deux soient entendus conjointement.
III. Questions communes portées en appel
Le fondement de l’argument de l’ATCO Utilities et de l’OPG est que l’organisme de réglementation, dans les deux cas, aurait dû ajouter dans les besoins en revenus les coûts des deux services publics du coûts subis de façon prudente ou engagés. En ce qui concerne les coûts de l’IV et des conventions collectives engagés avant l’audience, ATCO Utilities, l’OPG et ses syndicats ont fondé leurs cas sur la distinction entre les coûts accumulés (ou engagés et déjà subis) par rapport aux coûts prospectifs ou prévus (généralement à être engagés pendant la période d’examen) qui n’ont pas encore été subis. La suggestion était que les coûts engagés devraient être analysés en employant le critère de l’investissement prudent, un examen qui, d’après ATCO Utilities et l’OPG, exige une présomption de prudence. Les coûts prospectifs, quant à eux, sont analysés en employant le critère du caractère raisonnable, qui déplace le fardeau de la preuve sur le service public en question.
L’AUC et la CEO (ainsi que l’UCA) ont fait valoir qu’il n’existait pas de méthode unique pouvant être utilisée par les organismes de réglementation des services publics, mais ce qui importait était que l’organisme de réglementation fixe un taux juste et raisonnable qui permettrait aux actionnaires de services publics de récupérer un taux de rendement équitable tout en offrant aux consommateurs l’accès à un service à des tarifs raisonnables.
IV. Décision de la Cour suprême quant aux questions communes7
Bien qu’ATCO Utilities ait fait valoir que la norme de contrôle judiciaire de la décision de l’AUC aurait dû être la norme du caractère raisonnable, aucune des parties, y compris l’OPG et ses syndicats, n’a adopté cette position. En fait, l’AUC, l’UCA, la CEO et toutes les autres parties pris au litige ont soutenu ou reconnu que la norme de contrôle judiciaire était le caractère raisonnable. Évidemment, et plus particulièrement compte tenu de Dunsmuir8 de la Cour suprême et ceux qui l’ont suivi, la Cour suprême a conclu que la norme de contrôle judiciaire, dans les deux cas, était bel et bien le caractère raisonnable.
La Cour a ensuite examiné les lois applicables au cas de l’Alberta, soit l’Alberta Electric Utilities Act9 et l’Alberta Gas Utilities Act10, ainsi qu’un règlement connexe, soit le Roles, Relationships and Responsibilities Regulation11. Pour le cas de l’Ontario, la Cour a examiné la Loi sur la Commission de l’énergie de l’Ontario12, ainsi que le règlement Payments Under Section 78.1 of the Act13. En examinant les lois et règlements divers, la Cour a cherché à savoir ce que disait effectivement la loi, telle qu’elle a été formulée, quant à ce que doit faire l’AUC et la CEO au moment de prendre des décisions sur les besoins en revenus pour les services publics réglementés.
Dans les deux provinces, la Cour a déterminé que, bien que le mot prudence apparaisse dans la loi ou la réglementation, son emploi ne dicte pas la méthodologie particulière à suivre l’AUC ou la CEO. Dans les lois et les règlements de l’Alberta, le mot prudence ou le terme « prudemment subis » reviennent assez souvent, mais la Cour a adopté une approche axée sur l’usage courant de ce mot, à savoir qu’il signifie « raisonnable. » Ainsi, la simple utilisation du mot prudent (ou prudence) ne signifie pas et n’assujetti pas nécessairement l’utilisation du critère de l’investissement prudent, d’abord rendu populaire par le juge Brandeis dans le cas de Southwestern Bell Tel. Co. c Public Service Commission of Missouri14. Dans la loi et le règlement de l’Ontario, « prudemment » n’apparait que quelques fois et la loi et le règlement ne prescrivent aucune méthode particulière pour l’évaluation de la prudence. Tout cela a amené la Cour à conclure qu’au mieux, « prudent » était simplement une autre terminologie de « juste et raisonnable. » De plus, aucune méthodologie, comme le critère de l’investissement prudent ou autre, ne pourrait être obligatoire en vertu des lois et règlements divers. Enfin, le fardeau lié à l’établissement de la prudence ou du caractère raisonnable des coûts subis incombe au service public et la présomption de prudence n’était pas un principe juridique auquel pouvaient se fier les services publics.
En examinant ensuite ces cas particuliers devant la Cour, le juge Rothstein a rapidement renoncé à l’argument de l’ATCO Utilities selon quoi l’AUC aurait indument utilisé l’évaluation de recul et n’aurait pas bien pris en compte les consommateurs pour réduire les besoins en revenus en baissant l’IV annuelle qui aurait pu être attribuée. Comme les paiements de l’IVC devaient être versés plus tard et parce qu’il n’y avait pas de contrat contraignant entre ATCO Utilities et ses employés (contrairement à la situation de l’OPG), les coûts de l’IV étaient indéniablement des coûts prospectifs et n’étaient pas du tout engagés, ce qui signifie qu’à l’examen d’autres pratiques de l’entreprise au moment de l’audience, l’analyse de recul n’avait pas été utilisée du tout, car les coûts futurs étaient comparés à la pratique actuelle.
La Cour a également rejeté la déclaration de l’ATCO Utilities selon quoi la diminution des augmentations permises de l’IV signifiait que (étant donnée que les besoins en revenus seraient réduits et les taux seraient inférieurs) les répercussions subies par les clients étaient prises en compte dans l’établissement des taux finaux à payer par les clients. La Cour a clairement indiqué que même si les « organismes de réglementation ne peuvent pas justifier une révocation des coûts prudents uniquement parce qu’ils mèneraient à des taux plus élevés pour les consommateurs », « cela ne signifie pas qu’un organisme de réglementation ne peut pas tenir compte de l’ampleur d’un coût particulier pour déterminer la prudence du montant de ce coût15 » [Traduction].
Le cas de l’OPG et de ses conventions collectives a été un peu plus difficile à analyser que le cas de l’ATCO Utilities. Après tout, dans le cas de l’ATCO Utilities, la Cour a jugé que les coûts de l’IV étaient des coûts prospectifs. En revanche, alors que les conventions collectives négociées semblaient être des coûts engagés ou subis (quelque chose que la Cour d’appel de l’Ontario avait remarqué), la Cour a néanmoins décidé qu’il était raisonnable de la part de la CEO d’éliminer 145 millions de dollars des besoins en revenus demandés par l’OPG.
La Cour a conclu que la décision de la CEO était raisonnable pour de nombreuses raisons. D’abord, elle a constaté que ce ne sont pas tous les coûts qui étaient réellement engagés. L’OPG avait une certaine flexibilité dans l’élimination de postes et la gestion des niveaux de dotation en personnel par attrition. Cela étant dit, la Cour a supposé que certains des coûts non admissibles avaient été engagés et non prévus. Elle a ensuite examiné le critère de l’investissement prudent afin de déterminer de quelle façon les coûts subis devaient être analysés. En examinant la jurisprudence antérieure américaine et canadienne à cet égard, la Cour a conclu que le critère de l’investissement prudent n’était qu’un outil mis à la disposition des organismes de réglementation, le cas échéant, mais qui n’était pas imposé par la pratique ou les lois.
Ensuite, la Cour a examiné les coûts de main-d’œuvre. Elle concède que certains de ces coûts pouvaient être engagés. La Cour mentionne que l’élimination des coûts d’exploitation subis ne créait pas les mêmes effets dissuasifs pour les actionnaires que l’interdiction des coûts en capital engagés. L’interdiction des coûts en capital pouvait avoir un effet dissuasif pour les actionnaires du service public, en dissuadant les investissements futurs dans le capital et l’équipement. L’interdiction des coûts d’exploitation, pour sa part, créait une incitation pour le service public de gérer ses coûts de manière plus efficace. Le lecteur doit noter que le premier est préjudiciable pour les clients, tandis que le deuxième est avantageux. En mettant l’accent sur les coûts passés et futurs, au lieu de se soucier de la règle du sans recul, la Cour a laissé entendre que les services publics pouvaient être incités à mieux gérer leurs coûts au moyen d’une interaction répétée avec ses employés et d’autres sources de coûts. En effet, la Cour a insinué que la création de compartiments hermétiques de coûts prévus et engagés selon lequel les coûts subis ne pourraient jamais être remis en question créerait ce que les économistes appellent un « risque moral. » Les services publics souhaiteraient que tous leurs coûts soient caractérisés comme engagés s’ils savaient que ces coûts ne feraient pas l’objet d’un examen réglementaire.
La Cour s’est également arrêtée au fait que, comme la CEO avait indiqué à l’OPG de diminuer ses coûts, la décision d’interdire une partie de ces coûts n’était donc pas déraisonnable. Cette logique a également été évoquée par la Cour (et explicitement par la Cour d’appel de l’Alberta) dans le cas de l’ATCO Utilities. La Cour a déclaré que cette décision créait des incitations appropriées visant à encourager les services publics réglementés à gérer leurs coûts de manière optimale.
V. Le rôle de l’avocat de l’organisme
Une des questions qui a été soulevée par l’OPG concernait le rôle approprié de l’avocat du comité ou de la commission dans le cadre d’un appel. La Cour a assoupli la règle stricte d’abord énoncée dans l’affaire de Northwestern Utilities Ltd. c City of Edmonton16, interdisant effectivement à l’avocat de l’organisme administratif de participer pleinement à l’appel. La Cour a assoupli cette règle désuette afin de permettre aux avocats des organismes de participer pleinement au processus d’appel, tant qu’ils ne franchissent pas la ligne d’une défense « après coup » envers la décision de l’organisme. Le fait que les avocats présentent des opinions contradictoires est jugé correct d’après la Cour, mais le renchérissement de la décision de l’organisme ou l’ajout de suppléments à celle-ci ne l’est pas.
VI. Conclusions
Ces deux décisions libèreront sans doute les organismes de réglementation des critères formels, dont un écart pourrait se révéler fatal pour eux. Il y a près de cent ans, le juge Cardozo de la Cour d’appel de New York (nommée ainsi à l’époque) a déclaré que : « La loi a dépassé son stade primitif de formalisme quand le mot précis était le talisman souverain et que chaque erreur était fatale17 » [Traduction]. Le critère de l’investissement prudent n’a jamais été (selon la Cour) et n’est pas la loi interne quant à l’analyse des coûts subis. En fait, ce qui doit être analysé est de savoir si les taux alloués au service public sont justes et raisonnables. Aucune méthode précise pour cette évaluation n’est prévue par la loi, et les organismes de réglementation sont libres de poursuivre le « pluralisme méthodologique18». Elle confirme également qu’il n’existe aucune loi véritable pour un service public au Canada19.
La caractérisation des coûts passés et subis par rapport aux coûts futurs et prévus n’est pas utile aux efforts des organismes de réglementation. Au contraire, la Cour a souligné que l’objectif global est d’offrir un service adéquat aux consommateurs avec des tarifs justes et raisonnables tout en donnant aux services publics la possibilité de récupérer un juste taux de rendement sur leurs investissements. Les avocats de réglementation ne devraient pas se fier aux critères mécaniques et à la caractérisation des divers coûts, mais devraient plutôt mettre l’accent sur la situation globale, à savoir comment parvenir à des taux justes et raisonnables pour tous.