« La Cour suprême a refusé d’entendre la contestation
L’Office national de l’énergie a le droit de restreindre la preuve, d’exclure des participants aux audiences du pipeline Kinder Morgan ou pour toute autre audience. Il s’agit en fait de la conséquence du refus de la Cour suprême du Canada d’entendre la contestation constitutionnelle des modifications apportées par le gouvernement fédéral à la Loi sur l’Office national de l’énergie. L’organisme de Vancouver ForestEthics Advocacy et d’autres intervenants espéraient que le plus haut tribunal du pays accepte la contestation de l’article 55.2 de la Loi, argumentant que cet article limite le droit des Canadiens à la liberté d’expression. Le porte-parole de ForestEthics, Sven Bigg, a déclaré que la bataille sera maintenant menée devant le Parlement. Il assure que les détracteurs de cette loi multiplieront leurs efforts pour que le prochain gouvernement fédéral crée un processus équitable pour examiner les projets de pipelines. »
-Traduction d’un article tiré du Calgary Herald du 11 septembre 2015
Ce court article de journal fait référence à une décision de la Cour suprême du Canada (CSC)4 qui a rejeté la demande de l’association ForestEthics Advocacy (ForestEthics) et de huit résidents de la grande région de Vancouver5 d’interjeter appel d’une décision de l’Office national de l’énergie6 (l‘ONE ou l’Office) dans la procédure liée au projet d’agrandissement du réseau pipelinier de Trans Mountain (TMX).
Le TMX, un projet d’une valeur de 5,4 milliards de dollars, vise à prolonger le réseau de pipeline de Trans Mountain existant entre Edmonton en Alberta, et Vancouver en Colombie-Britannique7 dans le but d’ouvrir de nouveaux marchés en Asie pour la production de pétrole brut des sables bitumineux de l’Alberta. La décision en cause de l’ONE est liée aux droits procéduraux de participation, dans le contexte de la décision que les questions relatives aux changements climatiques n’étaient pas jugées pertinentes dans le cadre de l’instance. La décision no 34 rendue par l’ONE8 a rejeté la requête présentée par ForestEthics et Quarmby (requête fondée sur la Charte) qui affirmait que les critères énoncés à l’article 55.2 de la Loi sur l’Office national de l’énergie (Loi sur l’ONE) ou les décisions relatives à la participation de l’Office à l’audience sur le TMX portaient atteinte à la liberté d’expression droit garantit par l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte)9.
Le rejet par la CSC de la demande d’autorisation de faire appel de ForestEthics et Quarmby est la plus récente (et peut-être la dernière) d’une série de décisions liées à la mise en œuvre des réformes procédurales de l’ONE amorcée dans la foulée des modifications apportées à la Loi sur l’ONE en 2012. Comme la norme pour l’autorisation d’interjeter appel est une question de droit ou de compétence, la conséquence du refus de la permission d’en appeler peut être perçue comme une approbation des décisions de l’Office et la validation de l’interprétation que fait l’Office de la Charte et de ses pouvoirs procéduraux en vertu de sa législation récemment modifiée.
Contexte
En 2012, le gouvernement fédéral a adopté des modifications à la Loi sur l’ONE10 qui ont permis de modifier en profondeur le rôle de l’ONE dans l’examen des demandes de certificat de commodité et de nécessité publiques (CCNP) des pipelines interprovinciaux et internationaux. Les catalyseurs des modifications législatives comprenaient les retards intervenus dans l’examen réglementaire du projet gazier du Mackenzie et du projet Northern Gateway. Les modifications législatives, de fond et de procédure visaient à assurer la responsabilité politique pour les décisions relatives aux pipelines et à accroître l’efficacité du processus d’examen11.
Le rôle de l’Office dans le processus d’approbation des projets de pipeline a changé pour passer d’un rôle de « décideur» à un rôle de « recommandation » (auprès du Gouverneur en conseil). L’ONE s’est vu imposer des délais pour l’examen des demandes du CCNP. En lien avec le présent dossier, on retrouve les modifications qui ont été apportées afin d’accroître l’efficacité en limitant la participation aux procédures du CCNP. Alors qu’auparavant, une partie n’avait qu’à être une « personne intéressée » — un critère relativement élémentaire — pour participer, l’article 55.2 de la Loi de l’ONE modifiée exige que l’Office étudie les observations des personnes qui sont « directement touchées par la délivrance du certificat ou le rejet de la demande », et lui permet d’étudier les observations des personnes qui « selon lui, possèdent des renseignements pertinents ou une expertise appropriée ».
L’article 55.2 se lit dans sa totalité comme suit :
55.2 Si une demande de certificat est présentée, l’Office étudie les observations de toute personne qu’il estime directement touchée par la délivrance du certificat ou le rejet de la demande et peut étudier les observations de toute personne qui, selon lui, possède des renseignements pertinents ou une expertise appropriée. La décision de l’Office d’étudier ou non une observation est définitive.
L’ONE a publié des lignes directrices concernant l’application de l’article 55.212. L’Office détermine quelles sont les personnes « directement touchées » au cas par cas. Il permet la participation des personnes dont l’intérêt est « particulier et détaillé au-delà de l’intérêt public général ». Pour savoir si la personne possède des renseignements pertinents ou une expertise appropriée, on tient compte notamment de « la valeur ajoutée des renseignements dans le contexte de la décision à rendre ou de la recommandation à présenter à l’Office ».
Première manche — L’affaire du projet d’inversion de la canalisation 9B d’Enbridge
L’instance portant sur le TMX était la deuxième contestation de l’application de l’article 55.2 devant les tribunaux. La première occasion s’est présentée au cours du projet d’inversion de la canalisation 9B d’Enbridge13. Dans l’affaire ForestEthics Advocacy Association c l’Office national de l’énergie14, la CAF a confirmé la décision de l’ONE de la portée de cette instance et l’établissement des droits de participation. La décision ForestEthics, ayant fait l’objet d’un examen détaillé dans des éditions antérieures de la présente publication15, met en évidence le concept de respect des impératifs de prise de décision de l’Office ainsi que de sa compétence et de son expertise spécialisées. En ce qui a trait aux droits de participation, la Cour a déclaré que :
« Les audiences de l’Office ne sont pas une tribune téléphonique à la radio à laquelle n’importe qui peut participer tout simplement en composant le numéro. Elles ne sont pas non plus un centre de consultation où n’importe qui peut soulever n’importe quoi, peu importe à quel point le sujet est éloigné de la tâche de l’Office consistant à réglementer la construction et l’exploitation de pipelines acheminant du pétrole et du gaz. »16
Elle a également affirmé que l’article 55.2 a été adopté afin de rendre les audiences de l’Office plus efficaces et recentrées. Cette disposition exige que les personnes qui ne sont pas directement touchées doivent faire une « démonstration rigoureuse » qu’elles possèdent « des renseignements pertinents ou une expertise appropriée » au regard de la question soumise à l’examen de l’organisme de réglementation17.
La Cour a expliqué que les décisions de l’Office au sujet de son processus, notamment l’établissement et l’utilisation du formulaire de demande de participation, sont de nature procédurale, et que la norme de contrôle sur les décisions procédurales est celle de « la décision correcte avec un certain degré de retenue à l’égard des choix procéduraux de l’Office »18. La Cour reconnaît que l’Office a droit à une « marge d’appréciation importante »19 dans l’établissement de processus et des principes visant à baliser les droits de participation aux audiences assujetties à l’article 55.220, une conclusion justifiée par plusieurs facteurs :
- L’Office est maître de sa propre procédure.
- L’Office a une expérience et une expertise considérables dans la tenue de ses propres audiences et quant à savoir qui devrait y participer, de quelle manière et dans quelle mesure. Il a également une expérience et une expertise considérables pour ce qui est de veiller à ce que ses audiences traitent des questions prescrites par la Loi en temps opportun et de manière efficace.
- Les choix procéduraux de l’Office appellent la retenue.
- Enfin, L’Office doit se conformer aux critères énoncés à l’article 55.2 de la Loi – s’« il estime » qu’une personne est « directement touchée » par l’accueil ou le rejet de la demande et si une personne « possède des renseignements pertinents ou une expertise appropriée ». Mais, il s’agit là de termes ayant un sens large et qui laissent à l’Office un certain degré de latitude, de sorte que, lorsque l’Office obtient des renseignements de parties intéressées suivant ces critères, un certain degré de latitude devrait là aussi lui être accordé.
- Les décisions de l’Office sont protégées par une clause privative21.
La Cour a également soutenu que la décision de l’Office d’exclure les questions relatives aux changements climatiques — les effets environnementaux et socioéconomiques en amont et en aval associés à la mise en valeur des sables bitumineux de l’Alberta et l’utilisation en aval du pétrole transporté par le pipeline — était raisonnable en ce sens qu’elle se situe à l’intérieur d’une gamme d’issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit — à l’intérieur de la marge de manœuvre22.
Ce que la CAF n’a pas fait dans l’arrêt ForestEthics, toutefois, c’est de se pencher sur l’argument de la Charte. ForestEthics n’a soulevé que la question de l’alinéa 2b) dans le cadre du contrôle judiciaire, une tactique qui lui a valu une réprimande de la Cour et une décision lui interdisant d’invoquer cet argument pour la première fois dans le cadre d’un contrôle judiciaire23. La CAF s’est fondée sur la décision de la CSC dans l’arrêt Okwuobi24 lequel établit que lorsqu’un décideur administratif peut entendre et trancher des questions constitutionnelles, cette compétence ne devrait pas être court-circuitée en abordant des questions constitutionnelles pour la première fois dans le cadre d’un contrôle judiciaire25. Il en a résulté que ForestEthics et Quarmby ont présenté l’argument constitutionnel de la Charte à l’ONE dans l’instance du TMX.
Deuxième manche — la requête fondée sur la Charte
La requête fondée sur la Charte a fait valoir que les critères énoncés à l’article 55.2 ou les décisions de l’Office concernant la participation dans le cadre de l’audience sur le TMX portaient atteinte à la liberté d’expression que garantit l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés.
Se décrivant comme un échantillonnage de Canadiens qui se sont vus privés d’une participation de plein droit aux audiences liées au projet en vertu de l’article 55.2 de la Loi sur l’ONE et des décisions prises par l’Office conformément à l’article 55.226, les requérants ont présenté une contestation constitutionnelle à l’Office. La première (une contestation de la Loi) exige un jugement déclaratoire établissant que l’article 55.2 ne peut s’appliquer, car il porte atteinte à la liberté d’expression garantie par l’alinéa 2b). De plus, les requérants ont fait valoir que l’Office a lui-même interprété l’article 55.2 de la Loi, par ailleurs constitutionnel, d’une manière déraisonnable qui contrevient à l’alinéa 2b) de la Charte. Ils ont allégué que l’Office a mis sur pied un processus de demande de participation inutilement complexe (contestation du processus de demande de participation), qu’il préconise une interprétation « extrêmement limitée » du critère « directement touché » dans sa décision relative à la participation (contestation de la décision relative à la participation), et qu’il a, de manière déraisonnable, exclu de son examen les effets environnementaux et socioéconomiques en amont et en aval (contestation de la liste des questions)27.
Décision relative à la participation
Au début de l’instance sur le TMX, l’Office a établi le processus de demande de participation (PDP). Le formulaire de demande de participation indiquait que les personnes souhaitant participer à l’audience devaient clairement préciser leur intérêt à l’égard de la liste des questions que l’Office a déjà publiée le 29 juillet 2013 et qui est reproduite par le formulaire lui-même28. La liste de questions porte sur des sujets tels que « la nécessité du projet proposé » et « la faisabilité économique du projet proposé », mais exclut expressément « les effets environnementaux et socioéconomiques associés aux activités en amont, l’exploitation des sables bitumineux ou l’utilisation en aval du pétrole transporté par le pipeline ».
Les décisions sur la participation contestées par les requérants étaient contenues dans la décision de l’Office d’avril 2014 (décision relative à la participation).
La décision relative à la participation énonce l’interprétation donnée par l’Office de l’article 55.2 établissant deux catégories de personnes qui peuvent faire des observations à l’Office en lien avec une demande de CCNP : celles qui sont directement touchées par la délivrance du certificat ou le rejet de la demande (catégorie 1), et celles qui possèdent des renseignements pertinents ou une expertise appropriée (catégorie 2). En ce qui concerne la catégorie 1, la décision relative à la participation indique que l’Office tient compte des activités du demandeur dans la zone où le projet sera situé, des incidences du projet sur l’environnement et des répercussions de ces effets sur les activités du demandeur. Plus ces éléments sont interreliés, plus la personne pourrait être directement touchée. La décision relative à la participation souligne aussi que l’Office examine aussi les intérêts et les conséquences directes de nature commerciale ou financière, ainsi que l’utilisation des terres et des ressources à des fins traditionnelles par les autochtones29.
Les demandeurs, tous de la région de Vancouver et des environs, réclamaient un statut d’intervenant en vertu de la catégorie 1. L’ONE a refusé d’accorder un statut d’intervenant à tous les demandeurs, à l’exception de ForestEthics, à qui on a expliqué qu’il ne pouvait pas faire de commentaires sur les effets en amont et en aval associé à la mise en valeur des sables bitumineux et aux changements climatiques30.
Arguments fondés sur la Charte
L’alinéa 2b) de la Charte précise ce qui suit :
- Chacun a les libertés fondamentales suivantes :
…
(b) liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication.
Les requérants ont plaidé que l’épreuve de droit appropriée à employer en lien avec l’alinéa 2b) a été établie par la CSC dans les arrêts Irwin Toy Ltd c Québec (Procureur général)31 et Montréal (Ville de) c 2952-1366 Québec Inc.32. Comme les requérants l’ont indiqué, « le critère énoncé dans Irwin Toy/Ville de Montréal » exige que le décideur prenne en considération trois facteurs pour déterminer si la loi contestée contrevient aux droits du requérant garantis par l’alinéa 2b) : (1) si l’intervention proposée des requérants a un contenu expressif qui justifie prima facie leur protection par l’alinéa 2b); (2) si la nature de l’instance en question enlève cette protection; et (3) si la disposition contestée prive de cette protection33.
Dans leur requête fondée sur la Charte, les requérants soutiennent que les observations qu’ils souhaitaient présenter devant l’ONE constituaient une forme d’expression politique qui relève prima facie de la protection garantie par l’alinéa 2b)34. Dans la deuxième partie du critère énoncé dans Irwin Toy/Ville de Montréal, la requête fondée sur la Charte attire l’attention de certains commentaires publiés sur le site Web de l’ONE — à savoir que la participation du public dans le processus de l’ONE est au cœur de son mandat — en appui à l’affirmation que l’ONE « a une fonction d’expression ». À la question de savoir si l’article 55.2 de la Loi sur l’ONE prive les requérants de la protection garantie par l’alinéa 2b) de la Charte, la requête fondée sur la Charte allègue que c’est le cas parce que cet article a été adopté pour limiter le nombre de personnes susceptibles de participer aux audiences de l’ONE “ (à celles qui sont « directement touchées » et à celles qui possèdent « des renseignements pertinents ou une expertise appropriée »). La requête fondée sur la Charte considère ensuite l’analyse de justification fondée sur l’arrêt R c Oakes35 et allègue que l’atteinte aux droits protégés par l’alinéa 2b) de la Charte par l’article 55.2 de la Loi sur l’ONE ne peut pas être justifiée, parce que l’article 55.2 est trop vague quant à son objectif de rendre le processus de l’ONE plus efficient et parce que les effets négatifs associés à l’article 55.2 l’emportent sur l’effet positif36.
En plus du critère énoncé dans Irwin Toy/Ville de Montréal, la requête fondée sur la Charte examine également le critère établi par la CSC en lien avec l’alinéa 2b) de la Charte dans les arrêts Dunmore c Ontario37 et Baier c Alberta38. Le critère énoncé dans Baier s’applique dans les cas où des droits positifs sont déjà revendiqués et que le demandeur cherche à obtenir l’accès au tribunal qui pourrait lui offrir une forme unique d’expression. Les « droits positifs » sont en cause quand les requérants prétendent que le gouvernement « devrait légiférer ou prendre d’autres mesures pour appuyer ou permettre une activité expressive »39. Les conditions pour conclure à une violation de la Charte dans les cas où des droits positifs sont revendiqués sont les suivantes :
(1) la demande doit reposer sur des libertés fondamentales garanties par la Charte plutôt que sur l’accès à un régime légal précis;
(2) le demandeur doit démontrer que l’exclusion du régime légal constitue une entrave substantielle à l’exercice de l’activité protégée par l’alinéa 2b) ou que l’objet de l’exclusion était de faire obstacle à une telle activité;
(3) l’État doit pouvoir être tenu responsable de toute incapacité d’exercer une liberté fondamentale40.
Selon la requête fondée sur la Charte, le critère énoncé dans Baier ne s’applique pas parce que les requérants ne revendiquaient pas des droits positifs, ils cherchaient plutôt simplement à s’exprimer devant l’Office sans que le contenu de leur expression soit indûment restreint.
Décision 34
L’Office a rejeté la requête fondée sur la Charte. En ce qui a trait à la contestation de la loi, il a établi que la requête fondée sur la Charte représentait une revendication de droits positifs. Cette conclusion s’appuyait sur le fait que l’article 55.2 limite le nombre de personnes pouvant présenter des observations devant l’Office en relation avec la délivrance d’un certificat — à savoir les personnes qui sont « directement touchées » ou qui possèdent « des renseignements pertinents ou une expertise appropriée » — même si les requérants ont allégué que « toutes les personnes intéressées et touchées par » le projet de participer devraient pouvoir participer à l’audience41. Ayant tiré cette conclusion, l’Office a ensuite appliqué le critère énoncé dans l’arrêt Baier, qui n’a pas été jugé satisfaisant, car la requête fondée sur la Charte a consisté à revendiquer un droit de participation au processus de l’Office et non l’exercice d’une liberté fondamentale42. À cet égard, l’Office a signalé que les requérants se sont exprimés avec ferveur à l’extérieur du processus de l’Office sur les questions qu’ils entendaient porter à l’attention de celui-ci, notamment des discussions en groupe, des éditoriaux de journaux, des entrées de blogues sur le Web, des articles et des rapports, des gazouillis, des assemblées publiques, des manifestations publiques et des pétitions43.
Il est également mentionné dans la décision 34 que le critère privilégié par les requérants (à savoir le critère énoncé dans les arrêts Irwin Toy/Ville de Montréal) n’a pas été jugé satisfaisant non plus, car accorder un droit inconditionnel à la « libre expression publique » à l’Office se ferait aux dépens de l’atteinte des objectifs qui lui sont donnés par la loi 44. Comme il est précisé dans la décision 34 :
« [l]’Office ne peut pas entendre, de manière efficiente, efficace et équitable, la preuve et les témoignages dont il a besoin pour juger si un projet est dans l’intérêt public s’il doit faire comparaître devant lui toutes les personnes qui souhaitent exprimer une opinion au sujet du projet en question »45.
Il est aussi indiqué ce qui suit :
« Les tribunaux quasi judiciaires comme l’Office fixent invariablement des règles de procédure et de décorum ainsi que des règles relatives à la pertinence qui limitent la liberté d’expression. Ces lieux n’ont jamais été des tribunes permettant une expression libre et ouverte. À l’instar d’une cour, on ne peut pas entrer librement dans ce lieu et y présenter son message. »46
La décision conclut qu’aucune des trois autres contestations des requérants n’entraîne l’application de l’alinéa 2b) de la Charte. On estime que l’analyse de l’arrêt Baier, qui a servi de fondement au rejet de la contestation de la loi, s’est également appliquée aux contestations des décisions de l’Office47.
La contestation du processus de demande de participation (l’allégation selon laquelle le PDP était « inutilement complexe ») a été rejetée, car elle reposait sur les conditions d’accès à l’audience de l’Office, et non pas sur la liberté d’expression. La « diminution » de la capacité de communiquer un message ne constituait pas l’entrave substantielle nécessaire à l’application de l’alinéa 2b)48. Dans l’arrêt ForestEthics, la CAF avait auparavant rejeté l’argument selon lequel « le formulaire de demande de participation est trop compliqué » pour des motifs qui n’étaient pas liés à l’alinéa 2b), en indiquant que « [l]’Office a le droit d’adopter la position selon laquelle, en accord avec la teneur de l’article 55.2, il veut uniquement entendre des parties qui sont prêtes à faire certains efforts »49.
La contestation de la décision relative à la participation (l’allégation selon laquelle l’Office a préconisé une interprétation indûment restrictive du critère « directement touché » indiqué dans l’article 5 5.2) a également été rejetée sur la base d’une analyse de l’arrêt Baier, l’Office est d’avis que l’application qu’il fait de l’article 55.2 « produit un équilibre raisonnable entre le droit à la libre expression d’éventuels participants à l’audience et les objectifs de la Loi »50. La position catégorique des requérants selon laquelle les résidents de la grande région de Vancouver étaient touchés directement par le TMX a été rejetée, car elle entraverait la capacité de tout le monde de participer de façon significative à l’audience, elle empêcherait aussi « la réalisation des objectifs qui sont communs à l’alinéa 2b) de la Charte et le mandat conféré à l’Office par la loi – en l’occurrence la recherche de la vérité – en rendant impossible à gérer de façon fonctionnelle le déroulement opportun et la logistique entourant l’audience »51.
La contestation de la liste des questions (l’exclusion des effets environnementaux et socioéconomiques en amont et en aval constituait une entrave aux droits de libre expression selon les requérants) a été rejetée en tant que restriction liée au contenu, car cette restriction ne porte pas atteinte aux droits protégés par l’alinéa 2b). Les restrictions liées au contenu sont indispensables à la gestion juste et efficiente d’une audience par un tribunal52. Comme il a été noté précédemment dans l’arrêt ForestEthics, la CAF a conclu que la décision de l’Office selon laquelle les questions des changements climatiques étaient non pertinentes est raisonnable en ce qu’elle parvient à un résultat qui appartient à la gamme des issues acceptables et justifiables au regard des faits et du droit, à l’intérieur de la marge de manœuvre53.
Incidences des décisions de l’ONE et du rejet de la demande d’interjeter appel par les tribunaux
Dans l’arrêt ForestEthics, la CAF a appliqué des principes en droit administratif pour juger que l’interprétation que l’Office a fait de ses modifications à la Loi , de la réalisation et de l’application des réformes procédurales à ses processus était acceptable. Dans la décision 34, l’Office a déterminé que ni l’article 55.2 ni ses décisions d’exercer sa compétence en vertu de la loi modifiée contrevenaient à la Charte. Les refus d’autorisation d’interjeter appel par la CAF et la CSC ont pour incidence de souscrire à l’opinion de l’Office dans la décision 34.
Les première et deuxième manches ont été remportées par l’organisme de réglementation. L’article du Calgary Herald a raison sur l’essentiel : l’incidence des décisions de la CAF et de la CSC est que, en vertu de la Loi sur l’ONE, l’Office peut limiter la preuve ou exclure des participants de ses audiences. Ses décisions sur ces questions sont conformes aux principes de droit administratif et ne contreviennent pas à la Charte. La décision ForestEthics et la décision 34 énoncent clairement le fondement juridique de l’action ultérieure de l’Office à l’égard des propositions d’infrastructure. Si ForestEthics souhaite poursuivre une troisième manche, elle devra être menée devant le Parlement.
« La Cour suprême a refusé d’entendre la contestation
L’Office national de l’énergie a le droit de restreindre la preuve, d’exclure des participants aux audiences du pipeline Kinder Morgan ou pour toute autre audience. Il s’agit en fait de la conséquence du refus de la Cour suprême du Canada d’entendre la contestation constitutionnelle des modifications apportées par le gouvernement fédéral à la Loi sur l’Office national de l’énergie. L’organisme de Vancouver ForestEthics Advocacy et d’autres intervenants espéraient que le plus haut tribunal du pays accepte la contestation de l’article 55.2 de la Loi, argumentant que cet article limite le droit des Canadiens à la liberté d’expression. Le porte-parole de ForestEthics, Sven Bigg, a déclaré que la bataille sera maintenant menée devant le Parlement. Il assure que les détracteurs de cette loi multiplieront leurs efforts pour que le prochain gouvernement fédéral crée un processus équitable pour examiner les projets de pipelines. »
-Traduction d’un article tiré du Calgary Herald du 11 septembre 2015
Ce court article de journal fait référence à une décision de la Cour suprême du Canada (CSC)4 qui a rejeté la demande de l’association ForestEthics Advocacy (ForestEthics) et de huit résidents de la grande région de Vancouver5 d’interjeter appel d’une décision de l’Office national de l’énergie6 (l‘ONE ou l’Office) dans la procédure liée au projet d’agrandissement du réseau pipelinier de Trans Mountain (TMX).
Le TMX, un projet d’une valeur de 5,4 milliards de dollars, vise à prolonger le réseau de pipeline de Trans Mountain existant entre Edmonton en Alberta, et Vancouver en Colombie-Britannique7 dans le but d’ouvrir de nouveaux marchés en Asie pour la production de pétrole brut des sables bitumineux de l’Alberta. La décision en cause de l’ONE est liée aux droits procéduraux de participation, dans le contexte de la décision que les questions relatives aux changements climatiques n’étaient pas jugées pertinentes dans le cadre de l’instance. La décision no 34 rendue par l’ONE8 a rejeté la requête présentée par ForestEthics et Quarmby (requête fondée sur la Charte) qui affirmait que les critères énoncés à l’article 55.2 de la Loi sur l’Office national de l’énergie (Loi sur l’ONE) ou les décisions relatives à la participation de l’Office à l’audience sur le TMX portaient atteinte à la liberté d’expression droit garantit par l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte)9.
Le rejet par la CSC de la demande d’autorisation de faire appel de ForestEthics et Quarmby est la plus récente (et peut-être la dernière) d’une série de décisions liées à la mise en œuvre des réformes procédurales de l’ONE amorcée dans la foulée des modifications apportées à la Loi sur l’ONE en 2012. Comme la norme pour l’autorisation d’interjeter appel est une question de droit ou de compétence, la conséquence du refus de la permission d’en appeler peut être perçue comme une approbation des décisions de l’Office et la validation de l’interprétation que fait l’Office de la Charte et de ses pouvoirs procéduraux en vertu de sa législation récemment modifiée.
Contexte
En 2012, le gouvernement fédéral a adopté des modifications à la Loi sur l’ONE10 qui ont permis de modifier en profondeur le rôle de l’ONE dans l’examen des demandes de certificat de commodité et de nécessité publiques (CCNP) des pipelines interprovinciaux et internationaux. Les catalyseurs des modifications législatives comprenaient les retards intervenus dans l’examen réglementaire du projet gazier du Mackenzie et du projet Northern Gateway. Les modifications législatives, de fond et de procédure visaient à assurer la responsabilité politique pour les décisions relatives aux pipelines et à accroître l’efficacité du processus d’examen11.
Le rôle de l’Office dans le processus d’approbation des projets de pipeline a changé pour passer d’un rôle de « décideur» à un rôle de « recommandation » (auprès du Gouverneur en conseil). L’ONE s’est vu imposer des délais pour l’examen des demandes du CCNP. En lien avec le présent dossier, on retrouve les modifications qui ont été apportées afin d’accroître l’efficacité en limitant la participation aux procédures du CCNP. Alors qu’auparavant, une partie n’avait qu’à être une « personne intéressée » — un critère relativement élémentaire — pour participer, l’article 55.2 de la Loi de l’ONE modifiée exige que l’Office étudie les observations des personnes qui sont « directement touchées par la délivrance du certificat ou le rejet de la demande », et lui permet d’étudier les observations des personnes qui « selon lui, possèdent des renseignements pertinents ou une expertise appropriée ».
L’article 55.2 se lit dans sa totalité comme suit :
55.2 Si une demande de certificat est présentée, l’Office étudie les observations de toute personne qu’il estime directement touchée par la délivrance du certificat ou le rejet de la demande et peut étudier les observations de toute personne qui, selon lui, possède des renseignements pertinents ou une expertise appropriée. La décision de l’Office d’étudier ou non une observation est définitive.
L’ONE a publié des lignes directrices concernant l’application de l’article 55.212. L’Office détermine quelles sont les personnes « directement touchées » au cas par cas. Il permet la participation des personnes dont l’intérêt est « particulier et détaillé au-delà de l’intérêt public général ». Pour savoir si la personne possède des renseignements pertinents ou une expertise appropriée, on tient compte notamment de « la valeur ajoutée des renseignements dans le contexte de la décision à rendre ou de la recommandation à présenter à l’Office ».
Première manche — L’affaire du projet d’inversion de la canalisation 9B d’Enbridge
L’instance portant sur le TMX était la deuxième contestation de l’application de l’article 55.2 devant les tribunaux. La première occasion s’est présentée au cours du projet d’inversion de la canalisation 9B d’Enbridge13. Dans l’affaire ForestEthics Advocacy Association c l’Office national de l’énergie14, la CAF a confirmé la décision de l’ONE de la portée de cette instance et l’établissement des droits de participation. La décision ForestEthics, ayant fait l’objet d’un examen détaillé dans des éditions antérieures de la présente publication15, met en évidence le concept de respect des impératifs de prise de décision de l’Office ainsi que de sa compétence et de son expertise spécialisées. En ce qui a trait aux droits de participation, la Cour a déclaré que :
« Les audiences de l’Office ne sont pas une tribune téléphonique à la radio à laquelle n’importe qui peut participer tout simplement en composant le numéro. Elles ne sont pas non plus un centre de consultation où n’importe qui peut soulever n’importe quoi, peu importe à quel point le sujet est éloigné de la tâche de l’Office consistant à réglementer la construction et l’exploitation de pipelines acheminant du pétrole et du gaz. »16
Elle a également affirmé que l’article 55.2 a été adopté afin de rendre les audiences de l’Office plus efficaces et recentrées. Cette disposition exige que les personnes qui ne sont pas directement touchées doivent faire une « démonstration rigoureuse » qu’elles possèdent « des renseignements pertinents ou une expertise appropriée » au regard de la question soumise à l’examen de l’organisme de réglementation17.
La Cour a expliqué que les décisions de l’Office au sujet de son processus, notamment l’établissement et l’utilisation du formulaire de demande de participation, sont de nature procédurale, et que la norme de contrôle sur les décisions procédurales est celle de « la décision correcte avec un certain degré de retenue à l’égard des choix procéduraux de l’Office »18. La Cour reconnaît que l’Office a droit à une « marge d’appréciation importante »19 dans l’établissement de processus et des principes visant à baliser les droits de participation aux audiences assujetties à l’article 55.220, une conclusion justifiée par plusieurs facteurs :
La Cour a également soutenu que la décision de l’Office d’exclure les questions relatives aux changements climatiques — les effets environnementaux et socioéconomiques en amont et en aval associés à la mise en valeur des sables bitumineux de l’Alberta et l’utilisation en aval du pétrole transporté par le pipeline — était raisonnable en ce sens qu’elle se situe à l’intérieur d’une gamme d’issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit — à l’intérieur de la marge de manœuvre22.
Ce que la CAF n’a pas fait dans l’arrêt ForestEthics, toutefois, c’est de se pencher sur l’argument de la Charte. ForestEthics n’a soulevé que la question de l’alinéa 2b) dans le cadre du contrôle judiciaire, une tactique qui lui a valu une réprimande de la Cour et une décision lui interdisant d’invoquer cet argument pour la première fois dans le cadre d’un contrôle judiciaire23. La CAF s’est fondée sur la décision de la CSC dans l’arrêt Okwuobi24 lequel établit que lorsqu’un décideur administratif peut entendre et trancher des questions constitutionnelles, cette compétence ne devrait pas être court-circuitée en abordant des questions constitutionnelles pour la première fois dans le cadre d’un contrôle judiciaire25. Il en a résulté que ForestEthics et Quarmby ont présenté l’argument constitutionnel de la Charte à l’ONE dans l’instance du TMX.
Deuxième manche — la requête fondée sur la Charte
La requête fondée sur la Charte a fait valoir que les critères énoncés à l’article 55.2 ou les décisions de l’Office concernant la participation dans le cadre de l’audience sur le TMX portaient atteinte à la liberté d’expression que garantit l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés.
Se décrivant comme un échantillonnage de Canadiens qui se sont vus privés d’une participation de plein droit aux audiences liées au projet en vertu de l’article 55.2 de la Loi sur l’ONE et des décisions prises par l’Office conformément à l’article 55.226, les requérants ont présenté une contestation constitutionnelle à l’Office. La première (une contestation de la Loi) exige un jugement déclaratoire établissant que l’article 55.2 ne peut s’appliquer, car il porte atteinte à la liberté d’expression garantie par l’alinéa 2b). De plus, les requérants ont fait valoir que l’Office a lui-même interprété l’article 55.2 de la Loi, par ailleurs constitutionnel, d’une manière déraisonnable qui contrevient à l’alinéa 2b) de la Charte. Ils ont allégué que l’Office a mis sur pied un processus de demande de participation inutilement complexe (contestation du processus de demande de participation), qu’il préconise une interprétation « extrêmement limitée » du critère « directement touché » dans sa décision relative à la participation (contestation de la décision relative à la participation), et qu’il a, de manière déraisonnable, exclu de son examen les effets environnementaux et socioéconomiques en amont et en aval (contestation de la liste des questions)27.
Décision relative à la participation
Au début de l’instance sur le TMX, l’Office a établi le processus de demande de participation (PDP). Le formulaire de demande de participation indiquait que les personnes souhaitant participer à l’audience devaient clairement préciser leur intérêt à l’égard de la liste des questions que l’Office a déjà publiée le 29 juillet 2013 et qui est reproduite par le formulaire lui-même28. La liste de questions porte sur des sujets tels que « la nécessité du projet proposé » et « la faisabilité économique du projet proposé », mais exclut expressément « les effets environnementaux et socioéconomiques associés aux activités en amont, l’exploitation des sables bitumineux ou l’utilisation en aval du pétrole transporté par le pipeline ».
Les décisions sur la participation contestées par les requérants étaient contenues dans la décision de l’Office d’avril 2014 (décision relative à la participation).
La décision relative à la participation énonce l’interprétation donnée par l’Office de l’article 55.2 établissant deux catégories de personnes qui peuvent faire des observations à l’Office en lien avec une demande de CCNP : celles qui sont directement touchées par la délivrance du certificat ou le rejet de la demande (catégorie 1), et celles qui possèdent des renseignements pertinents ou une expertise appropriée (catégorie 2). En ce qui concerne la catégorie 1, la décision relative à la participation indique que l’Office tient compte des activités du demandeur dans la zone où le projet sera situé, des incidences du projet sur l’environnement et des répercussions de ces effets sur les activités du demandeur. Plus ces éléments sont interreliés, plus la personne pourrait être directement touchée. La décision relative à la participation souligne aussi que l’Office examine aussi les intérêts et les conséquences directes de nature commerciale ou financière, ainsi que l’utilisation des terres et des ressources à des fins traditionnelles par les autochtones29.
Les demandeurs, tous de la région de Vancouver et des environs, réclamaient un statut d’intervenant en vertu de la catégorie 1. L’ONE a refusé d’accorder un statut d’intervenant à tous les demandeurs, à l’exception de ForestEthics, à qui on a expliqué qu’il ne pouvait pas faire de commentaires sur les effets en amont et en aval associé à la mise en valeur des sables bitumineux et aux changements climatiques30.
Arguments fondés sur la Charte
L’alinéa 2b) de la Charte précise ce qui suit :
…
(b) liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication.
Les requérants ont plaidé que l’épreuve de droit appropriée à employer en lien avec l’alinéa 2b) a été établie par la CSC dans les arrêts Irwin Toy Ltd c Québec (Procureur général)31 et Montréal (Ville de) c 2952-1366 Québec Inc.32. Comme les requérants l’ont indiqué, « le critère énoncé dans Irwin Toy/Ville de Montréal » exige que le décideur prenne en considération trois facteurs pour déterminer si la loi contestée contrevient aux droits du requérant garantis par l’alinéa 2b) : (1) si l’intervention proposée des requérants a un contenu expressif qui justifie prima facie leur protection par l’alinéa 2b); (2) si la nature de l’instance en question enlève cette protection; et (3) si la disposition contestée prive de cette protection33.
Dans leur requête fondée sur la Charte, les requérants soutiennent que les observations qu’ils souhaitaient présenter devant l’ONE constituaient une forme d’expression politique qui relève prima facie de la protection garantie par l’alinéa 2b)34. Dans la deuxième partie du critère énoncé dans Irwin Toy/Ville de Montréal, la requête fondée sur la Charte attire l’attention de certains commentaires publiés sur le site Web de l’ONE — à savoir que la participation du public dans le processus de l’ONE est au cœur de son mandat — en appui à l’affirmation que l’ONE « a une fonction d’expression ». À la question de savoir si l’article 55.2 de la Loi sur l’ONE prive les requérants de la protection garantie par l’alinéa 2b) de la Charte, la requête fondée sur la Charte allègue que c’est le cas parce que cet article a été adopté pour limiter le nombre de personnes susceptibles de participer aux audiences de l’ONE “ (à celles qui sont « directement touchées » et à celles qui possèdent « des renseignements pertinents ou une expertise appropriée »). La requête fondée sur la Charte considère ensuite l’analyse de justification fondée sur l’arrêt R c Oakes35 et allègue que l’atteinte aux droits protégés par l’alinéa 2b) de la Charte par l’article 55.2 de la Loi sur l’ONE ne peut pas être justifiée, parce que l’article 55.2 est trop vague quant à son objectif de rendre le processus de l’ONE plus efficient et parce que les effets négatifs associés à l’article 55.2 l’emportent sur l’effet positif36.
En plus du critère énoncé dans Irwin Toy/Ville de Montréal, la requête fondée sur la Charte examine également le critère établi par la CSC en lien avec l’alinéa 2b) de la Charte dans les arrêts Dunmore c Ontario37 et Baier c Alberta38. Le critère énoncé dans Baier s’applique dans les cas où des droits positifs sont déjà revendiqués et que le demandeur cherche à obtenir l’accès au tribunal qui pourrait lui offrir une forme unique d’expression. Les « droits positifs » sont en cause quand les requérants prétendent que le gouvernement « devrait légiférer ou prendre d’autres mesures pour appuyer ou permettre une activité expressive »39. Les conditions pour conclure à une violation de la Charte dans les cas où des droits positifs sont revendiqués sont les suivantes :
(1) la demande doit reposer sur des libertés fondamentales garanties par la Charte plutôt que sur l’accès à un régime légal précis;
(2) le demandeur doit démontrer que l’exclusion du régime légal constitue une entrave substantielle à l’exercice de l’activité protégée par l’alinéa 2b) ou que l’objet de l’exclusion était de faire obstacle à une telle activité;
(3) l’État doit pouvoir être tenu responsable de toute incapacité d’exercer une liberté fondamentale40.
Selon la requête fondée sur la Charte, le critère énoncé dans Baier ne s’applique pas parce que les requérants ne revendiquaient pas des droits positifs, ils cherchaient plutôt simplement à s’exprimer devant l’Office sans que le contenu de leur expression soit indûment restreint.
Décision 34
L’Office a rejeté la requête fondée sur la Charte. En ce qui a trait à la contestation de la loi, il a établi que la requête fondée sur la Charte représentait une revendication de droits positifs. Cette conclusion s’appuyait sur le fait que l’article 55.2 limite le nombre de personnes pouvant présenter des observations devant l’Office en relation avec la délivrance d’un certificat — à savoir les personnes qui sont « directement touchées » ou qui possèdent « des renseignements pertinents ou une expertise appropriée » — même si les requérants ont allégué que « toutes les personnes intéressées et touchées par » le projet de participer devraient pouvoir participer à l’audience41. Ayant tiré cette conclusion, l’Office a ensuite appliqué le critère énoncé dans l’arrêt Baier, qui n’a pas été jugé satisfaisant, car la requête fondée sur la Charte a consisté à revendiquer un droit de participation au processus de l’Office et non l’exercice d’une liberté fondamentale42. À cet égard, l’Office a signalé que les requérants se sont exprimés avec ferveur à l’extérieur du processus de l’Office sur les questions qu’ils entendaient porter à l’attention de celui-ci, notamment des discussions en groupe, des éditoriaux de journaux, des entrées de blogues sur le Web, des articles et des rapports, des gazouillis, des assemblées publiques, des manifestations publiques et des pétitions43.
Il est également mentionné dans la décision 34 que le critère privilégié par les requérants (à savoir le critère énoncé dans les arrêts Irwin Toy/Ville de Montréal) n’a pas été jugé satisfaisant non plus, car accorder un droit inconditionnel à la « libre expression publique » à l’Office se ferait aux dépens de l’atteinte des objectifs qui lui sont donnés par la loi 44. Comme il est précisé dans la décision 34 :
« [l]’Office ne peut pas entendre, de manière efficiente, efficace et équitable, la preuve et les témoignages dont il a besoin pour juger si un projet est dans l’intérêt public s’il doit faire comparaître devant lui toutes les personnes qui souhaitent exprimer une opinion au sujet du projet en question »45.
Il est aussi indiqué ce qui suit :
« Les tribunaux quasi judiciaires comme l’Office fixent invariablement des règles de procédure et de décorum ainsi que des règles relatives à la pertinence qui limitent la liberté d’expression. Ces lieux n’ont jamais été des tribunes permettant une expression libre et ouverte. À l’instar d’une cour, on ne peut pas entrer librement dans ce lieu et y présenter son message. »46
La décision conclut qu’aucune des trois autres contestations des requérants n’entraîne l’application de l’alinéa 2b) de la Charte. On estime que l’analyse de l’arrêt Baier, qui a servi de fondement au rejet de la contestation de la loi, s’est également appliquée aux contestations des décisions de l’Office47.
La contestation du processus de demande de participation (l’allégation selon laquelle le PDP était « inutilement complexe ») a été rejetée, car elle reposait sur les conditions d’accès à l’audience de l’Office, et non pas sur la liberté d’expression. La « diminution » de la capacité de communiquer un message ne constituait pas l’entrave substantielle nécessaire à l’application de l’alinéa 2b)48. Dans l’arrêt ForestEthics, la CAF avait auparavant rejeté l’argument selon lequel « le formulaire de demande de participation est trop compliqué » pour des motifs qui n’étaient pas liés à l’alinéa 2b), en indiquant que « [l]’Office a le droit d’adopter la position selon laquelle, en accord avec la teneur de l’article 55.2, il veut uniquement entendre des parties qui sont prêtes à faire certains efforts »49.
La contestation de la décision relative à la participation (l’allégation selon laquelle l’Office a préconisé une interprétation indûment restrictive du critère « directement touché » indiqué dans l’article 5 5.2) a également été rejetée sur la base d’une analyse de l’arrêt Baier, l’Office est d’avis que l’application qu’il fait de l’article 55.2 « produit un équilibre raisonnable entre le droit à la libre expression d’éventuels participants à l’audience et les objectifs de la Loi »50. La position catégorique des requérants selon laquelle les résidents de la grande région de Vancouver étaient touchés directement par le TMX a été rejetée, car elle entraverait la capacité de tout le monde de participer de façon significative à l’audience, elle empêcherait aussi « la réalisation des objectifs qui sont communs à l’alinéa 2b) de la Charte et le mandat conféré à l’Office par la loi – en l’occurrence la recherche de la vérité – en rendant impossible à gérer de façon fonctionnelle le déroulement opportun et la logistique entourant l’audience »51.
La contestation de la liste des questions (l’exclusion des effets environnementaux et socioéconomiques en amont et en aval constituait une entrave aux droits de libre expression selon les requérants) a été rejetée en tant que restriction liée au contenu, car cette restriction ne porte pas atteinte aux droits protégés par l’alinéa 2b). Les restrictions liées au contenu sont indispensables à la gestion juste et efficiente d’une audience par un tribunal52. Comme il a été noté précédemment dans l’arrêt ForestEthics, la CAF a conclu que la décision de l’Office selon laquelle les questions des changements climatiques étaient non pertinentes est raisonnable en ce qu’elle parvient à un résultat qui appartient à la gamme des issues acceptables et justifiables au regard des faits et du droit, à l’intérieur de la marge de manœuvre53.
Incidences des décisions de l’ONE et du rejet de la demande d’interjeter appel par les tribunaux
Dans l’arrêt ForestEthics, la CAF a appliqué des principes en droit administratif pour juger que l’interprétation que l’Office a fait de ses modifications à la Loi , de la réalisation et de l’application des réformes procédurales à ses processus était acceptable. Dans la décision 34, l’Office a déterminé que ni l’article 55.2 ni ses décisions d’exercer sa compétence en vertu de la loi modifiée contrevenaient à la Charte. Les refus d’autorisation d’interjeter appel par la CAF et la CSC ont pour incidence de souscrire à l’opinion de l’Office dans la décision 34.
Les première et deuxième manches ont été remportées par l’organisme de réglementation. L’article du Calgary Herald a raison sur l’essentiel : l’incidence des décisions de la CAF et de la CSC est que, en vertu de la Loi sur l’ONE, l’Office peut limiter la preuve ou exclure des participants de ses audiences. Ses décisions sur ces questions sont conformes aux principes de droit administratif et ne contreviennent pas à la Charte. La décision ForestEthics et la décision 34 énoncent clairement le fondement juridique de l’action ultérieure de l’Office à l’égard des propositions d’infrastructure. Si ForestEthics souhaite poursuivre une troisième manche, elle devra être menée devant le Parlement.