Le présent commentaire porte sur deux décisions. La première est la décision de la Cour d’appel de l’Alberta dans l’affaire Fort McKay First Nation v Prosper Petroleum Ltd[1], publiée le 24 avril 2020, qui a conclu que l’organisme de réglementation, l’Alberta Energy Regulator (AER), avait indûment omis de considérer l’honneur de la Couronne comme distinct de l’obligation de consultation sur le projet des sables bitumineux Prosper’s Rigel.
La seconde est la décision de la Cour suprême de Nouvelle-Écosse dans l’affaire Sipekne’katik v Alton Natural Gas Storage LP[2], rendue le 24 mars 2020, qui a conclu que le ministre de l’Environnement de Nouvelle-Écosse a indûment omis de mener des consultations sur les droits et titres autochtones revendiqués au-delà de la portée des impacts physiques du projet envisagé.
INTRODUCTION
Les tribunaux canadiens ont établi que « l’honneur de la Couronne » est un principe constitutionnel qui cherche à concilier les intérêts autochtones préexistants avec l’affirmation de la souveraineté de la Couronne. L’honneur de la Couronne est toujours en jeu dans les relations de la Couronne avec les peuples autochtones, mais le principe ne donne pas à lui seul une cause d’action. L’honneur de la Couronne concerne plutôt la manière dont certaines obligations de la Couronne doivent être remplies. Plus précisément, les tribunaux ont estimé que l’honneur de la Couronne :
- fait naître une obligation fiduciaire lorsque la Couronne assume des pouvoirs discrétionnaires à l’égard d’un intérêt autochtone particulier;
- fait naître une obligation de consultation lorsque la Couronne envisage des mesure qui auront une incidence sur un intérêt autochtones revendiqué, mais non encore établi;
- régit la conclusion des traités et leur mise en œuvre et commande le respect d’exigences telles que s’en tenir à une négociation honnête et éviter l’apparence de manœuvres malhonnêtes;
- exige de la Couronne qu’elle agisse de manière à ce que les traités conclus avec les Autochtones et les concessions prévues par la loi en leur faveur atteignent leur but[3].
Bien que ces quatre situations soient les seuls domaines dans lesquels les tribunaux ont trouvé que l’honneur de la Couronne se pose à ce jour, il est possible que la liste ci-dessus soit un jour élargie.
Jusqu’à récemment, le principe de l’honneur de la Couronne a été soulevé dans des procédures réglementaires et des litiges comme argument accessoire aux plaintes concernant le manque de consultation de la Couronne et le non-respect par celle-ci des obligations découlant des traités. Toutefois, deux décisions récentes de l’Alberta et de la Nouvelle-Écosse soulignent que ce principe peut lui-même constituer la base de contestations réussies de décisions réglementaires et peut élargir ce qui était auparavant considéré comme une exigence des autorités réglementaires et des gouvernements :
- Fort McKay First Nation v Prosper Petroleum Ltd (Fort McKay) : Dans cette affaire, la Cour d’appel de l’Alberta a jugé que le mandat d’un organisme de réglementation consistait à prendre en compte « l’intérêt public », ce qui inclut l’obligation de prendre en compte les questions pertinentes de droit constitutionnel, y compris l’honneur de la Couronne, séparément de l’obligation de mener des consultations[4].
- Sipekne’katik v Alton Natural Gas Storage LP (Sipekne’katik) : Dans cette affaire, la Cour suprême de Nouvelle-Écosse a jugé que l’honneur de la Couronne exigeait une consultation sur les droits et titres autochtones revendiqués au-delà de la portée des impacts physiques du projet envisagé[5].
FORT MCKAY
Fort McKay concernait le projet de sables bitumineux de Prosper Petroleum Ltd. (projet Rigel) en Alberta et les demandes en suspens de la Première nation de Fort McKay (PNFM) pour un plan de gestion de l’accès à Moose Lake (PGAML). Le projet Rigel a également fait l’objet d’autres litiges récents que nous avons commentés[6].
Depuis le début des années 2000, la PNFM a cherché à protéger une grande partie des terres entourant les réserves indiennes de « Moose Lake » dans le nord de l’Alberta par la mise en œuvre d’un PGAML. Les négociations entre le gouvernement de l’Alberta et la PNFM sur un PGAML ont été intermittentes, mais ont inclus une lettre d’intention entre l’ancien Premier ministre de l’Alberta Jim Prentice et le chef Boucher de la PNFM en 2015 pour développer le plan en quelques mois. Le contenu du plan reste soumis à des négociations et n’a toujours pas été finalisé au moment de la présente mise à jour.
Il est proposé que le projet Rigel soit situé à moins de cinq kilomètres des réserves de Moose Lake de la PNFM, dans la zone proposée pour être soumise au PGAML. Le projet a fait l’objet d’une demande en 2013, peu après que la zone du projet ait été désignée comme étant disponible pour le développement des sables bitumineux dans le plan régional du Bas Athabasca (PRBA) de l’Alberta. Le projet Rigel est également immédiatement adjacent au projet commercial Dover, un projet de sables bitumineux beaucoup plus important qui a été approuvé par le gouvernement de l’Alberta en 2014 et qui est soutenu par la PNFM.
En juin 2018, après presque cinq ans d’examen réglementaire, l’AER a estimé que le projet Rigel était dans l’intérêt public de l’Alberta et l’a approuvé sous réserve de l’aval du Cabinet[7]. En prenant sa décision, l’AER a refusé de considérer si l’approbation ferait échouer les négociations entre la PNFM et l’Alberta concernant le développement du PGAML parce que, entre autres choses (1) l’AER n’a pas compétence pour évaluer la consultation menée par la Couronne (en vertu d’une disposition législative expresse); (2) le Cabinet était le mieux placé pour décider si le PGAML devait être finalisé avant que le projet soit autorisé à aller de l’avant[8].
La question en appel était de savoir si l’AER avait indûment omis de tenir compte de l’honneur de la Couronne et, par conséquent, n’avait pas retardé l’approbation du projet Rigel jusqu’à la fin des négociations du PGAML[9].
Décision
La Cour d’appel de l’Alberta (ABCA) a jugé que l’AER avait l’obligation de prendre en compte l’honneur de la Couronne en relation avec le processus lié au PGAML et a ordonné à l’AER de reconsidérer si le projet Rigel est dans l’intérêt public après avoir dûment pris en compte l’honneur de la Couronne[10].
La ABCA a déterminé que le mandat de l’AER de prendre en compte « l’intérêt public » inclut l’obligation de considérer les questions pertinentes de droit constitutionnel telles que l’honneur de la Couronne (ce que la Cour a jugé distinct de la question de l’absence de compétence de l’AER pour considérer l’adéquation de la consultation de la Couronne). Selon la Cour, les questions que la PNFM a cherché à soumettre à l’AER en relation avec les négociations du PGAML n’étaient « pas limitées à la pertinence de la consultation de la Couronne sur ce projet, mais soulevaient des préoccupations plus larges, y compris la relation de la Couronne avec la PNFM et les questions de réconciliation qui engagent l’intérêt public »[11] [traduction]. La Cour a estimé que ces questions plus larges n’avaient pas été retirées de la compétence de l’AER et étaient pertinentes pour déterminer si le projet est dans l’intérêt public. De plus, même si les questions liées au PGAML pouvaient être mieux traitées par le Cabinet, la Cour a estimé que l’AER n’était pas autorisée à refuser de traiter des questions qui relèvent de « l’intérêt public ». [12]
SIPEKNE’KATIK
Sipekne’katik concernait le projet Alton Natural Gas Storage L.P. (projet Alton Gas) en Nouvelle-Écosse et un appel de l’autorisation industrielle (AI) pour l’installation de stockage et de décharge de saumure du projet en vertu de l’Environment Act de la Nouvelle-Écosse. La ministre de l’Environnement de la Nouvelle-Écosse (la ministre) a rejeté l’appel ministériel de Sipekne’katik contre l’AI après avoir conclu que les consultations avec la bande avaient été suffisantes. La question en appel était de savoir si la ministre avait commis une « erreur manifeste et dominante » lorsqu’elle avait conclu que le niveau de consultation était suffisant[13].
Décision
La Cour suprême de la Nouvelle-Écosse (NSSC) a estimé que la décision de la ministre n’était pas étayée par des preuves et que la ministre avait donc commis une erreur manifeste et dominante en concluant que le niveau de consultation de l’affaire Sipekne’katik était suffisant. En conséquence, la Cour a annulé la décision de la ministre et a ordonné aux parties de reprendre les consultations pendant 120 jours[14].
La NSSC a déterminé que la consultation doit se concentrer sur les droits et/ou sur les titres revendiqués et non sur les impacts environnementaux d’un projet en soi[15]. Bien que les revendications de Sipekne’katik (y compris le titre autochtone) n’aient pas été prouvées ni acceptées par le gouvernement, la NSSC a estimé que l’honneur de la Couronne exige une consultation sur ces revendications tant qu’elles sont « factuellement crédibles »[16] [traduction]. La NSSC a conclu que la consultation sur le projet gazier d’Alton était imparfaite parce que la province n’a jamais spécifiquement engagé de discussion sur la revendication du titre autochtone ou sur les droits issus de traités pendant le processus de consultation. Le processus de consultation s’est plutôt concentré exclusivement sur l’évaluation, l’étude et l’atténuation des impacts environnementaux potentiels du projet gazier d’Alton[17]. La Cour a estimé que la province aurait dû procéder à une évaluation préliminaire de la solidité de la demande de la bande et des impacts potentiels du projet gazier d’Alton sur cette demande, puis donner à la bande la possibilité d’examiner et de commenter cette évaluation. L’absence de consultation de la province sur la « question essentielle » [traduction] de la revendication de Sipekne’katik sur le titre de propriété signifiait que la province empêchait la discussion sur l’ensemble des mesures d’accommodement possibles. La NSSC a estimé qu’en raison de ces lacunes, on ne pouvait pas soutenir une conclusion selon laquelle la consultation de la Province avait été significative, profonde ou suffisante[18].
IMPLICATIONS POUR LES PROCESSUS RÉGLEMENTAIRES
Fort McKay et Sipekne’katik donnent tous deux à penser que lorsque les groupes autochtones soulèvent des préoccupations au cours du processus réglementaire qui dépassent la portée du projet en question (comme les plans régionaux d’utilisation des terres et les revendications de titres autochtones), les organismes de réglementation et les gouvernements pourraient être tenus de procéder à des évaluations de la crédibilité de ces préoccupations et en tenir compte dans leurs décisions et leurs consultations sur le projet en question. Cela pourrait élargir considérablement le rôle des organismes de réglementation visant l’intérêt public, qui passeraient d’experts techniques évaluant les mérites d’un projet spécifique à des superviseurs de la conduite de la Couronne et de la mise en œuvre des traités. Les gouvernements pourraient désormais également être tenus de procéder à des évaluations préliminaires de la solidité des revendications lorsque des groupes autochtones revendiquent un titre (comme ils le font de plus en plus fréquemment), et mener des consultations sur cette question spécifique dans le cadre de chaque projet. Si ces changements sont mis en œuvre à grande échelle, ils pourraient fondamentalement étendre les obligations des organismes de réglementation et des gouvernements dans tout le Canada et créer de nouvelles possibilités pour les groupes autochtones de contester juridiquement les approbations de projets.
Nous notons que tant Fort McKay que Sipekne’katik impliquaient des faits uniques et que le gouvernement provincial en question avait été informé de la préoccupation d’un groupe autochtone depuis des années et avait pris des mesures limitées, voire inexistantes, pour répondre à cette préoccupation. Les tribunaux se montrent de plus en plus disposés à intervenir dans ce type de circonstances pour veiller à ce que l’honneur de la Couronne soit respecté. Il n’est pas clair si Fort McKay et Sipekne’katik représentent une évolution significative du droit autochtone au Canada, ou si ces affaires sont limitées dans leur application à leurs faits uniques. Nous recommandons que les promoteurs de projets, les organismes de réglementation et les gouvernements suivent de près la manière dont ces affaires sont interprétées et appliquées par les tribunaux dans les mois à venir, afin de s’assurer que les obligations de chaque partie en matière de consultation de la Couronne et de mise en œuvre des traités sont bien comprises et que les risques découlant de ces projets pour les autochtones sont atténués de manière appropriée.
Le présent commentaire porte sur deux décisions. La première est la décision de la Cour d’appel de l’Alberta dans l’affaire Fort McKay First Nation v Prosper Petroleum Ltd[1], publiée le 24 avril 2020, qui a conclu que l’organisme de réglementation, l’Alberta Energy Regulator (AER), avait indûment omis de considérer l’honneur de la Couronne comme distinct de l’obligation de consultation sur le projet des sables bitumineux Prosper’s Rigel.
La seconde est la décision de la Cour suprême de Nouvelle-Écosse dans l’affaire Sipekne’katik v Alton Natural Gas Storage LP[2], rendue le 24 mars 2020, qui a conclu que le ministre de l’Environnement de Nouvelle-Écosse a indûment omis de mener des consultations sur les droits et titres autochtones revendiqués au-delà de la portée des impacts physiques du projet envisagé.
INTRODUCTION
Les tribunaux canadiens ont établi que « l’honneur de la Couronne » est un principe constitutionnel qui cherche à concilier les intérêts autochtones préexistants avec l’affirmation de la souveraineté de la Couronne. L’honneur de la Couronne est toujours en jeu dans les relations de la Couronne avec les peuples autochtones, mais le principe ne donne pas à lui seul une cause d’action. L’honneur de la Couronne concerne plutôt la manière dont certaines obligations de la Couronne doivent être remplies. Plus précisément, les tribunaux ont estimé que l’honneur de la Couronne :
Bien que ces quatre situations soient les seuls domaines dans lesquels les tribunaux ont trouvé que l’honneur de la Couronne se pose à ce jour, il est possible que la liste ci-dessus soit un jour élargie.
Jusqu’à récemment, le principe de l’honneur de la Couronne a été soulevé dans des procédures réglementaires et des litiges comme argument accessoire aux plaintes concernant le manque de consultation de la Couronne et le non-respect par celle-ci des obligations découlant des traités. Toutefois, deux décisions récentes de l’Alberta et de la Nouvelle-Écosse soulignent que ce principe peut lui-même constituer la base de contestations réussies de décisions réglementaires et peut élargir ce qui était auparavant considéré comme une exigence des autorités réglementaires et des gouvernements :
FORT MCKAY
Fort McKay concernait le projet de sables bitumineux de Prosper Petroleum Ltd. (projet Rigel) en Alberta et les demandes en suspens de la Première nation de Fort McKay (PNFM) pour un plan de gestion de l’accès à Moose Lake (PGAML). Le projet Rigel a également fait l’objet d’autres litiges récents que nous avons commentés[6].
Depuis le début des années 2000, la PNFM a cherché à protéger une grande partie des terres entourant les réserves indiennes de « Moose Lake » dans le nord de l’Alberta par la mise en œuvre d’un PGAML. Les négociations entre le gouvernement de l’Alberta et la PNFM sur un PGAML ont été intermittentes, mais ont inclus une lettre d’intention entre l’ancien Premier ministre de l’Alberta Jim Prentice et le chef Boucher de la PNFM en 2015 pour développer le plan en quelques mois. Le contenu du plan reste soumis à des négociations et n’a toujours pas été finalisé au moment de la présente mise à jour.
Il est proposé que le projet Rigel soit situé à moins de cinq kilomètres des réserves de Moose Lake de la PNFM, dans la zone proposée pour être soumise au PGAML. Le projet a fait l’objet d’une demande en 2013, peu après que la zone du projet ait été désignée comme étant disponible pour le développement des sables bitumineux dans le plan régional du Bas Athabasca (PRBA) de l’Alberta. Le projet Rigel est également immédiatement adjacent au projet commercial Dover, un projet de sables bitumineux beaucoup plus important qui a été approuvé par le gouvernement de l’Alberta en 2014 et qui est soutenu par la PNFM.
En juin 2018, après presque cinq ans d’examen réglementaire, l’AER a estimé que le projet Rigel était dans l’intérêt public de l’Alberta et l’a approuvé sous réserve de l’aval du Cabinet[7]. En prenant sa décision, l’AER a refusé de considérer si l’approbation ferait échouer les négociations entre la PNFM et l’Alberta concernant le développement du PGAML parce que, entre autres choses (1) l’AER n’a pas compétence pour évaluer la consultation menée par la Couronne (en vertu d’une disposition législative expresse); (2) le Cabinet était le mieux placé pour décider si le PGAML devait être finalisé avant que le projet soit autorisé à aller de l’avant[8].
La question en appel était de savoir si l’AER avait indûment omis de tenir compte de l’honneur de la Couronne et, par conséquent, n’avait pas retardé l’approbation du projet Rigel jusqu’à la fin des négociations du PGAML[9].
Décision
La Cour d’appel de l’Alberta (ABCA) a jugé que l’AER avait l’obligation de prendre en compte l’honneur de la Couronne en relation avec le processus lié au PGAML et a ordonné à l’AER de reconsidérer si le projet Rigel est dans l’intérêt public après avoir dûment pris en compte l’honneur de la Couronne[10].
La ABCA a déterminé que le mandat de l’AER de prendre en compte « l’intérêt public » inclut l’obligation de considérer les questions pertinentes de droit constitutionnel telles que l’honneur de la Couronne (ce que la Cour a jugé distinct de la question de l’absence de compétence de l’AER pour considérer l’adéquation de la consultation de la Couronne). Selon la Cour, les questions que la PNFM a cherché à soumettre à l’AER en relation avec les négociations du PGAML n’étaient « pas limitées à la pertinence de la consultation de la Couronne sur ce projet, mais soulevaient des préoccupations plus larges, y compris la relation de la Couronne avec la PNFM et les questions de réconciliation qui engagent l’intérêt public »[11] [traduction]. La Cour a estimé que ces questions plus larges n’avaient pas été retirées de la compétence de l’AER et étaient pertinentes pour déterminer si le projet est dans l’intérêt public. De plus, même si les questions liées au PGAML pouvaient être mieux traitées par le Cabinet, la Cour a estimé que l’AER n’était pas autorisée à refuser de traiter des questions qui relèvent de « l’intérêt public ». [12]
SIPEKNE’KATIK
Sipekne’katik concernait le projet Alton Natural Gas Storage L.P. (projet Alton Gas) en Nouvelle-Écosse et un appel de l’autorisation industrielle (AI) pour l’installation de stockage et de décharge de saumure du projet en vertu de l’Environment Act de la Nouvelle-Écosse. La ministre de l’Environnement de la Nouvelle-Écosse (la ministre) a rejeté l’appel ministériel de Sipekne’katik contre l’AI après avoir conclu que les consultations avec la bande avaient été suffisantes. La question en appel était de savoir si la ministre avait commis une « erreur manifeste et dominante » lorsqu’elle avait conclu que le niveau de consultation était suffisant[13].
Décision
La Cour suprême de la Nouvelle-Écosse (NSSC) a estimé que la décision de la ministre n’était pas étayée par des preuves et que la ministre avait donc commis une erreur manifeste et dominante en concluant que le niveau de consultation de l’affaire Sipekne’katik était suffisant. En conséquence, la Cour a annulé la décision de la ministre et a ordonné aux parties de reprendre les consultations pendant 120 jours[14].
La NSSC a déterminé que la consultation doit se concentrer sur les droits et/ou sur les titres revendiqués et non sur les impacts environnementaux d’un projet en soi[15]. Bien que les revendications de Sipekne’katik (y compris le titre autochtone) n’aient pas été prouvées ni acceptées par le gouvernement, la NSSC a estimé que l’honneur de la Couronne exige une consultation sur ces revendications tant qu’elles sont « factuellement crédibles »[16] [traduction]. La NSSC a conclu que la consultation sur le projet gazier d’Alton était imparfaite parce que la province n’a jamais spécifiquement engagé de discussion sur la revendication du titre autochtone ou sur les droits issus de traités pendant le processus de consultation. Le processus de consultation s’est plutôt concentré exclusivement sur l’évaluation, l’étude et l’atténuation des impacts environnementaux potentiels du projet gazier d’Alton[17]. La Cour a estimé que la province aurait dû procéder à une évaluation préliminaire de la solidité de la demande de la bande et des impacts potentiels du projet gazier d’Alton sur cette demande, puis donner à la bande la possibilité d’examiner et de commenter cette évaluation. L’absence de consultation de la province sur la « question essentielle » [traduction] de la revendication de Sipekne’katik sur le titre de propriété signifiait que la province empêchait la discussion sur l’ensemble des mesures d’accommodement possibles. La NSSC a estimé qu’en raison de ces lacunes, on ne pouvait pas soutenir une conclusion selon laquelle la consultation de la Province avait été significative, profonde ou suffisante[18].
IMPLICATIONS POUR LES PROCESSUS RÉGLEMENTAIRES
Fort McKay et Sipekne’katik donnent tous deux à penser que lorsque les groupes autochtones soulèvent des préoccupations au cours du processus réglementaire qui dépassent la portée du projet en question (comme les plans régionaux d’utilisation des terres et les revendications de titres autochtones), les organismes de réglementation et les gouvernements pourraient être tenus de procéder à des évaluations de la crédibilité de ces préoccupations et en tenir compte dans leurs décisions et leurs consultations sur le projet en question. Cela pourrait élargir considérablement le rôle des organismes de réglementation visant l’intérêt public, qui passeraient d’experts techniques évaluant les mérites d’un projet spécifique à des superviseurs de la conduite de la Couronne et de la mise en œuvre des traités. Les gouvernements pourraient désormais également être tenus de procéder à des évaluations préliminaires de la solidité des revendications lorsque des groupes autochtones revendiquent un titre (comme ils le font de plus en plus fréquemment), et mener des consultations sur cette question spécifique dans le cadre de chaque projet. Si ces changements sont mis en œuvre à grande échelle, ils pourraient fondamentalement étendre les obligations des organismes de réglementation et des gouvernements dans tout le Canada et créer de nouvelles possibilités pour les groupes autochtones de contester juridiquement les approbations de projets.
Nous notons que tant Fort McKay que Sipekne’katik impliquaient des faits uniques et que le gouvernement provincial en question avait été informé de la préoccupation d’un groupe autochtone depuis des années et avait pris des mesures limitées, voire inexistantes, pour répondre à cette préoccupation. Les tribunaux se montrent de plus en plus disposés à intervenir dans ce type de circonstances pour veiller à ce que l’honneur de la Couronne soit respecté. Il n’est pas clair si Fort McKay et Sipekne’katik représentent une évolution significative du droit autochtone au Canada, ou si ces affaires sont limitées dans leur application à leurs faits uniques. Nous recommandons que les promoteurs de projets, les organismes de réglementation et les gouvernements suivent de près la manière dont ces affaires sont interprétées et appliquées par les tribunaux dans les mois à venir, afin de s’assurer que les obligations de chaque partie en matière de consultation de la Couronne et de mise en œuvre des traités sont bien comprises et que les risques découlant de ces projets pour les autochtones sont atténués de manière appropriée.
*Martin Ignasiak et Sander Duncanson sont des associés chez Osler Calgary, Jesse Baker est avocat au sein de ce cabinet.