Manipulation du marché en Alberta : TransAlta doit verser 56 millions de dollars

Le 27 juillet 2015 dernier, l’Alberta Utilities Commission (ci-après la « Commission »)a rendu la première décision contestée concernant la manipulation de marché qui est d’une grande importance pour le Canada. La décision de 217 pages 1 a été rendue au terme d’une enquête de trois ans et d’une audience de trois semaines. Il ne s’agit pas de la première décision en la matière. TransAlta a convenu au terme d’une affaire de manipulation de marché2 et le « Ontario Market Surveillance Panel » a récemment publié un rapport exhaustif sur la manipulation des règles du marché traitant de paiement contraignant3. Or, à tous égards, la décision albertaine se veut une étape importante pour le domaine de la règlementation de l’énergie.

La Commission a choisi deux procédures. La première procédure se penche sur les questions de fond. Deuxièmement, la sanctions administrative appropriée, .

Les allégations

L’Alberta Market Surveillance Administrator (ci-après la « MSA ») a affirmé qu’en novembre et décembre 2010 ainsi qu’en février 2011, TransAlta a délibérément mis hors de service certaines centrales au charbon durant des périodes de pointe pour effectuer des réparations. La MSA soutient que TransAlta aurait pu effectuer ces réparations durant des périodes où la demande était moins élevée, mais la compagnie a plutôt privilégié d’augmenter le prix de l’électricité en réduisant l’offre pendant les heures de pointe.

La MSA soutient aussi que deux courtiers de TransAlta ont utilisé de l’information protégée qui n’est pas publique pour transiger sur le marché électrique albertain.

En outre, la MSA a fait valoir que TransAlta ne disposait pas d’une politique de conformité efficace permettant d’éviter les comportements anticoncurrentiels. Selon la MSA, l’absence de politique et de formation chez TransAlta concernant l’utilisation d’information protégée non publique contrevenait à l’obligation de favoriser le fonctionnement juste, efficace et manifestement concurrentiel du marché établit en vertu de l’article 6 de l’Electric Utilities Act4.

Allégations concernant l’interruption de service

La conclusion de la Commission albertaine quant à la décision de TransAlta de mettre hors service ses centrales au charbon découlait des conditions du marché et non de l’obligation de la stipulation 5.2 de l’Accord d’achat d’énergie de protéger la vie des individus, les biens ou l’environnement. Les observations de la Commission concernent quatre dates – le 19 novembre 2010 pour la centrale Sundance 5, le 23 novembre 2010 à centrale Sundance 2, du 13 au 16 décembre 2010 à Sundance 2, Keephills 1 et Sundance 6 ainsi que le 16 février 2011 à Keephills 2.

La Commission a statué que TransAlta aurait pu effectuer ses travaux autre qu’à l’heure de pointe, mais qu’elle avait plutôt procédé à ces, voire même à de très grande pointe pour maximiser les prix et tirer profit à ses propres intérêts.

Le résultat le plus considérable de la décision portait sur l’interprétation de l’article 2 « Fair Efficient and Open Competition Regulation »5. Il y avait deux importants problèmes soulevés. Tout d’abord, il fallait démontrer un comportement anticoncurrentiel. Est-il nécessaire que la MSA prouve que le comportement de TransAlta visait à limiter la concurrence? Deuxièmement, la MSA doit-elle prouver que la concurrence avait été effectivement affectée ?

L’Alberta Utilities Commission a invoqué la décision de la Cour fédérale d’appel Canada Pipe 6 et la décision albertaine Royal LePage7 afin de conclure que la preuve directe de l’intention subjective n’était pas nécessaire et que pour établir l’intention anticoncurrentielle la Commission pourrait compter sur le fait que les acteurs ont délibérément voulu les conséquences de leurs actions. La Commission a également constaté que l’article 2 créé une infraction en soi plutôt qu’une raison d’infraction et ainsi ne nécessite pas une évaluation des effets économiques résultant de la conduite. En résumé, la conduite prescrite est anticoncurrentielle en soi sans avoir à évaluer les dommages économiques dudit comportement. Une fois que la Commission a constaté l’infraction en soi, les chances de succès de la MSA ont substantiellement augmentée.

Les allégations concernant les courtiers

Contrairement aux prétentions des courtiers, la Commission a conclu que ces derniers avaient été actifs sur le marché à tous les moments pertinents et que l’un d’entre eux avait usé d’’information tirée de documents non publics aux fins de ses transactions contrairement à l’article 4 du Fair Efficient and Open Competition Regulation. Par ailleurs, la Commission a aussi constaté que le premier courtier avait pris toutes les mesures raisonnables pour éviter d’enfreindre cet article en demandant et en obtenant l’avis de la haute direction chez TransAlta. Elle en a conclu que le courtier pouvait se prévaloir d’une défense de diligence raisonnable.

Quant au deuxième courtier, la Commission a statué que la MSA n’avait pas fait la démonstration qu’il avait utilisé de l’information non publique durant la période pertinente.

Les allégations liées à la conformité

Avec tout le respect des allégations liées à la conformité, la Commission a statué que la MSA n’avait pas réussi à établir, selon la prépondérance des probabilités, que TransAlta avait contrevenu à l’article 6 du Electric Utilities Act, en faisant valoir le caractère inefficient, inapproprié ou déficient des politiques de conformité et de la fonction de surveillance de TransAlta.

Alors que la Commission statuait que les éléments de preuve présentés ne suffisaient pas pour établir qu’il y avait eu manquement à l’article 6 du Electric Utilities Act, elle a indiqué que l’existence de régimes de conformité robustes était importante et a fortement suggéré à TransAlta de retenir les services d’un expert externe en conformité et de le charger de revoir ses pratiques et de lui faire des recommandations en vue de les améliorer.

L’ordonnance sur consentement

Le 30 septembre 2015, l’avocat de la MSA a déposé une requête auprès de la Commission visant à faire approuver une ordonnance sur le consentement en vertu de l’article 54 du Alberta Act8. Il a fait valoir que l’ordonnance sur consentement mettrait un terme définitif et exécutoire à la procédure 3110. Si l’ordonnance était autorisée, cela fournirait une vision éclairée à tous les acteurs du marché.

L’avocat a aussi indiqué qu’il fournirait une interprétation en profondeur du cadre législatif intégré régissant le marché concurrentiel de l’électricité de l’Alberta. La décision servirait de fondement aux prochaines décisions à prendre et jouerait un rôle important en vue de faire en sorte que les Albertains continuent à bénéficier d’un marché juste, efficace et manifestement concurrentiel.

Il a également fait valoir que l’ordonnance sur le consentement mettrait fin à la procédure, sans autres appels, et que cette décision non contestée aura une valeur procédurale immédiate et durable au terme des décisions administratives.

En vertu de l’ordonnance sur consentement, TransAlta a accepté de payer un peu plus de 56 millions de dollars. Près de 51,9 millions de dollars en indemnité administrative et 4,3 millions de dollars pour rembourser les frais à la MSA9. La sanction administrative de 51,9 millions de dollars compte deux volets. Le premier concerne le reversement d’un montant de 26,9 millions de dollars en vertu de l’article 63(2) du Alberta Utilities Commission Act et de l’article 7 de la Règle 13 de la Commission10. Le second concerne une sanction administrative de 25 millions de dollars.

Le reversement, en vertu de la Règle 7 de l’Alberta vise à annuler la valeur des gains issus du comportement répréhensible. La Commission a accepté l’affirmation de l’expert de la MSA que le montant de 26,9 millions de dollars était, à la lumière de la jurisprudence, un montant raisonnable et dans l’intérêt public.

Les facteurs de détermination de la sanction

La sanction administrative pécuniaire imposée par la Commission atteint un sommet sur l’échelle des règles de la Commission. Eu égard aux divers facteurs énoncés dans la Règle 13, la Commission était d’avis que les infractions étaient très graves.

Les infractions ont engendré d’importants préjudices aux clients, au marché en ayant un effet négatif sur les prix du réseau commun d’énergie, sur le marché à terme et sur la confiance des clients

  • Les infractions concernaient des sommes d’argent importantes et ont engendré des gains appréciables pour TransAlta.
  • Les infractions résultant de la mise hors de service découlaient de manipulations et s’inscrivaient dans un vaste plan général systématique et permanent.
  • Cette stratégie avait été approuvée par les hauts dirigeants de TransAlta.
  • Il ne s’agissait pas de la première infraction commise par TransAlta – la compagnie avait contrevenu au Fair and Openly Competitive Regulation en novembre 2010 en faisant obstacle à des transactions d’importation11.

Les questions de procédure

À certains égards, les principales questions de responsabilité (a) est-ce que TransAlta a orchestré ses mises hors service de façon à maximiser les prix, et (b) combien cela lui a-t-il rapporté, sont les questions qui ont été les plus simples à résoudre.

Du début à la fin, la Commission a dû relever divers défis pratiquement à tous les points de droit soulevés. Chacun a fait l’objet d’un examen détaillé, entre autres, l’étendue de la communication de la preuve, l’utilisation de preuves circonstancielles, l’admissibilité des preuves d’expert12, le fardeau de preuve, la diligence raisonnable, l’erreur imputable à l’autorité compétente et l’abus de procédure.

Conclusion

Cette décision est un exemple classique des principes de réglementation applicable lors de la manipulation de marché. Bien qu’il existe une jurisprudence considérable au terme d’enquêtes américaines relevant du FERC, il s’agit de la première décision canadienne en la matière. Elle touche à un vaste éventail de questions juridique, elle saura être une décision qui éclairer l’ensemble d’organismes de réglementation au pays.

Le premier intérêt de l’ordonnance sur le consentement, la reconnaissance de TransAlta que la MSA s’est acquitté de son mandat de façon juste et raisonnable. Les dossiers antérieurs regorgent d’allégations d’abus de procédure. Un autre point intéressant à propos de l’ordonnance sur le consentement : les groupes de défense des consommateurs n’ont pas obtenu le droit de participation, la Commission ayant statué qu’elle ne disposait pas pouvoir d’en ordonner la restitution13.

Tout comme dans la décision concernant la responsabilité, de la décision à propos de l’ordonnance de consentement aborde en détail la compétence de la Commission d’accepter une telle ordonnance. Cela se reportant aux principes établis par des tribunaux partout au Canada14, la Commission a statué que l’obligation qui est faite à la Commission quand elle se prononce sur le caractère raisonnable du règlement proposé est que sa décision doit s’inscrire dans un éventail d’issues possibles au vu des faits et des lois pertinentes, et non qu’elle doit correspondre au résultat que la Commission aurait pu privilégier.

La décision a été hautement contestée, chaque partie faisant appel quand aux compétences d’un éventail d’avocats spécialisés et de témoins experts. Pour les observateurs réguliers de ce genre d’affaires, l’élément qui ressort est la minutie de la Commission lors de son examen attentif de chacun des aspects de la preuve et des arguments juridiques. Voilà un rare exemple récent de la présentation des raisons détaillées qui motivent une décision de réglementation: un exemple classique à consulter par les organismes de réglementation et les avocats pratiquant dans ce domaine.

Il s’agit d’un volet de plus en plus notable de la réglementation du secteur de l’énergie. Aux États-Unis, les avocats du domaine de la réglementation aiment bien dire que, dans le passé, on se préoccupait de la réglementation des tarifs alors que, dorénavant, on se préoccupe plutôt de la réglementation de la concurrence. Entre 2007 et 2014, la FERC a imposé des sanctions administratives totalisant 602 millions de dollars et ordonné le reversement de 300 millions de dollars dans le cadre d’affaires de manipulation de marché. Et ces niveaux ont continué à augmenter en 2015.

Ces dernières années, l’Ontario aussi a pris des mesures musclées pour contrer les infractions aux règles du marché. Il y a eu un certain nombre de règlements mais peu ont été rendus publics. Comme l’évolution des marchés dynamiques de l’énergie a tendance à privilégier des solutions davantage concurrentielles, le nombre de cas similaires à celui-ci augmentera. La décision de l’Alberta est un bon exemple d’une décision juridique de qualité, rendue en temps opportun, que tout observateur doit savoir apprécier, sans égard à sa perspective.

* Gordon E. Kaiser, JAMS, est un arbitre agrée pratiquant au JAMS Resolution Center à Toronto et Washington DC, ainsi qu’aux Energy Arbitration Chambers de Calgary et de Houston. Il est un ancien vice-président de la Commission de l’énergie de l’Ontario. De plus, il est un professeur adjoint à l’Osgoode Hall Law School, co- président du forum canadien sur la loi sur l’énergie et Rédacteur en chef pour cette publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie.

  1. Market Surveillance Administrator v TransAlta Corporation (Decision) (Juillet 2015), 3110-D0I-2015 (Alberta Utilities Commission).
  2. Re Market Surveillance Administrator, Application for Approval of a Settlement Agreement between the Market Surveillance Administrator andTransAlta Energy Marketing Corporation, (Decision) (3 Juillet 2012), 2012-182 (Alberta Utilities Commission).
  3. Commission de l’Énergie de l’Ontario, Comité de surveillance du marché, Report on the Investigation into Possible Gaming related to Congestion Management Credit Payments by Abitibi Consolidated and Bowater Canada Forest Products, Investigation No 2010-2 (Février 2015) [en anglais seulement].
  4. Electric Utilities Act, SA 2003 c E-5.1, art 6.
  5. Fair, Efficient and Open Competition Regulation, Alta Reg 159/2009.
  6. Canada (Commissaire de la concurrence) c Tuyauteries Canada Ltée (CAF), 2006 CAF 233, [2007] 2 R.C.F. 3.
  7. R v Royal LePage Real Estate Services Ltd, [1993] ABQB 7148.
  8. Alberta Utilities Commission Act, RSA 2007, CA – 37.2, art 54.
  9. Market Surveillance Administrator Allegations contre TransAlta Corporation et al (Ordonnance sur le consentement) (29 octobre 2015), Décision 3110 – DO3- 2015, (Alberta Utilities Commission).
  10. Alberta Utilities Commission Rule 013, Criteria Relating to the Imposition of Administrative Penalties.
  11. Re Market Surveillance Administrator, Application for Approval of a Settlement Agreement between the Market Surveillance Administrator and TransAlta Energy Marketing Corporation, Décision 2012-182 (Alberta Utilities Commission).
  12. Suivi de l’audience à la Commission demandant les soumissions à la Cour Suprême du Canada dans l’affaire White Burgess Langille Inman v Abbott and Haliburton, 2015 CSC 23 [White Burgess].
  13. Intérêt pour agir limité à la première décision de TransAlta supra note 2.
  14. R v Bullock, 2013 ABCA 44 au para 18; Rault v Law Society of Saskatchewan, 2009 SKCA 8; R c DeSousa, 2012 ONCA 154, 109 OR (3d) 792.

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