1. Introduction
Le dernier trimestre de 2015 a été très lucratif et d’intérêt en matière judiciaire pour les services publics de l’Alberta : une décision a été rendue par sa Cour d’appel (ABCA); deux jugements ont été rendues par la Cour suprême du Canada et deux demandes d’autorisation d’appel ont été faites auprès de la Cour eu égard à la décision de l’ABCA.
Il y a peu de temps, Gordon Kaiser soulignait que l’arrêt Stores Block1 de la Cour Suprême en 2006 marquait le « début de la fin » du débat sur la prise en charge du risque financier des actifs de services publics délaissés, et que l’affirmation unanime de l’ABCA dans FortisAlberta2 de la décision de l’Alberta Utilities Commission (l’AUC ou la Commission) sur l’aliénation d’actifs de services publics (UAD)3 en 2015 marquait la « fin » de la controverse.
Je me dois de débuter par commenter l’appel FortisAlberta. Puis, à la lumière des jugements de la Cour dans OPG4 et ATCO Pension5 (concernant la législation des services publics de l’Alberta) rendues à peine une semaine après FortisAlberta et qui ont renversé la doctrine de prudence, du moins en ce qui a trait aux coûts de fonction des services publics, et du fait que FortisAlberta fait maintenant l’objet de deux demandes d’autorisation d’appel à la Cour, un bref commentaire serait également de mise quant à ces derniers développements. Il se pourrait ainsi bien que nous n’en soyons pas tout à fait à la « fin ».
2. Stores Block
Il est bien connu que dans Stores Block la Cour a conclu, selon une interprétation restrictive, que la totalité des gains et des pertes découlant de l’aliénation d’actif d’un service public de gaz de l’Alberta, autrement que dans le cours normal des activités, sont à la charge du service public et de ses actionnaires, principalement au motif que les contribuables du service public ne jouissent pas d’un droit de propriété sur les actifs utilisés pour leur fournir le service.
Subséquemment aux décisions de l’ABCA (Carbon6, Harvest Hills7, Salt Caverns I et II8) s’appuyant sur Stores Block, on a établit que seuls les actifs de gaz utilisés dans le cours des opérations pour fournir les services peuvent être inclus dans l’échelle tarifaire du service public. S’ils ne sont pas utiles dans le présent et pour l’avenir, ces actifs doivent être retirés de l’assiette tarifaire en temps normal. De son propre aveu, l’ABCA a opté dans ces décisions pour une application large des principes de Stores Block.
3. Décisions UAD
a. AUC
Un actif de service public délaissé en Alberta constitue un actif qui n’est plus utilisé ou qui ne sera plus utilisé par le service public avant la fin de la durée de vie prévue et conséquemment avant le recouvrement par le service public de l’investissement en capital dudit actif. Dans le cas où la mise hors service est ordinaire et qui résulte d’une cause raisonnablement envisageable dans l’établissement de dispositions d’amortissement – les contribuables continueront d’assumer les coûts non amortis par l’actif maintenant délaissé. Cependant dans le cas où la mise hors service est jugée « extraordinaire » et qu’elle résulte d’une cause qui n’a pas été raisonnablement envisagée, tel qu’un incendie ou une inondation – le service public et les actionnaires devront absorber les coûts en capital non amortis.
Quant à savoir qui, sur le plan politique, amortie le risque des actifs délaissés, l’AUC s’en est remise à Stores Block et les décisions subséquentes de l’ABCA9. En vertu de son vaste pouvoir pour établir des tarifs, l’AUC a conclu que les actifs délaissés ne peuvent plus être utilisés pour fournir les services et doivent ainsi être retirés de l’assiette tarifaire, la totalité des gains et des pertes seront absorbées par le service public.
b. ABCA
Les services publics de l’Alberta ont obtenu l’autorisation d’en appeler de la décision UAD, quant à savoir si l’UAC aurait imposé à tort un nouveau « risque lié au recouvrement prudent des coûts » de façon à les priver de la possibilité de recouvrir leurs coûts d’actifs délaissés engagés prudemment. Ils ont contesté ce qu’ils disent être un prolongement injustifié de Stores Block quoique rendu pour des motifs quelque peu différents. Les services publics gaziers ont soutenu que Stores Block devait être limitée à ses faits, et à l’aliénation d’actifs en dehors du cadre normal, et qu’il ne devait pas s’appliquer à d’autres types actifs, et certainement pas aux actifs délaissés. Sinon, ont-ils fait savoir, que leur droit de recouvrir la totalité des coûts engagés prudemment serait miné.
Les services d’électricité, tout en appuyant l’argument, ont également prétendu que depuis la déréglementation de leur industrie en Alberta, ils sont dorénavant assujettis à un tout autre régime législatif et réglementaire, où le principe « servant ou devant servir » ne s’applique tout simplement pas, ayant été remplacé par une garantie de recouvrement des coûts d’investissement en capital engagés prudemment.
Ce régime, ont-ils insisté, exclut le concept de « servant ou devant servir » de l’assiette tarifaire . Les services de transport d’électricité ont soutenu que cela avait du sens étant donné que l’Alberta Electric System Operator (AESO) pouvait les enjoindre à investir dans des installations : comment pouvaient-ils risquer de ne pas recouvrir l’investissement en capital quand ils ne peuvent pas contrôler ces investissements?
L’ABCA a confirmé la décision UAD et n’a trouvé aucun motif pouvant justifier l’appel.
Tout d’abord, étant donné que les appels ont soulevé des questions relativement à l’interprétation et à l’application des régimes législatifs de l’Alberta visant les services publics et au pouvoir d’établir des tarifs de l’AUC, l’ABCA a vite fait de conclure que son examen se ferait avec déférence suivant la norme du caractère raisonnable. Cette détermination a été essentielle : la question devant la Cour n’était pas de savoir si l’interprétation des services publics était raisonnable, mais si l’interprétation de l’AUC était déraisonnable.
Deuxièmement, la Cour a rejeté l’argument des services publics à savoir qu’en participant à l’appel, l’UAC avait transgressé les limites acceptables en ce qui à trait à la participation d’un organisme de réglementation dans l’appel de sa décision, concluant que la participation de l’UAC avait été nécessaire et utile.
La Cour a fourni un contexte détaillé de sa décision, dans un examen approfondi de l’historique du traitement dont les actifs délaissés ont fait l’objet dans le passé, la saga Stores Block et ses propres décisions subséquentes qui en étendaient ses principes à l’établissement de tarifs de l’UAC, plutôt qu’à la simple aliénation des actifs de services publics en dehors du cours normal des activités. De l’avis de la Cour, elle était liée par ces décisions, en l’absence d’un renversement ou d’un nouvel examen de Stores Block, ou d’une modification législative.
La Cour a jugé que la décision UAD avait été une « décision de principe générique » par l’AUC, un énoncé général de la façon dont l’AUC traiterait la question des actifs délaissés à l’avenir. Elle a conclu que les contribuables de l’Alberta ne devraient pas avoir à payer pour un service qu’ils ne reçoivent pas, et bien que les services publics aient droit à une possibilité raisonnable de recouvrir un investissement d’un capital prudent, la loi n’en fait pas une garantie. Une possibilité raisonnable n’est toujours qu’une possibilité, ce qui, du point de vue de la Cour, se reflétait dans la méthodologie et les procédures d’amortissement applicables à la Commission. En principe, il n’était pas déraisonnable pour l’UAC, dans l’exercice de son large pouvoir, d’imposer le risque des actifs délaissés au service public.
Pour ce qui est des services d’électricité, l’ABCA a reconnu que bien que le recouvrement d’un investissement prudent constituait une interprétation admissible de son régime législatif, mais elle n’en constituait pas la seule interprétation. Ainsi, il n’était pas déraisonnable pour l’UAC d’avoir interprété ce régime comme offrant une possibilité raisonnable similaire de recouvrer un investissement en capital prudent.
Plus important encore, l’ABCA a souligné que la politique de l’AUC n’entrave pas sa discrétion, compte tenu de son pouvoir d’adaptation en fonction des amortissements du service public relativement à des actifs délaissés dans le cas d’une mise hors service extraordinaire, lui permettant ainsi de « continuer d’avoir la flexibilité pour accomplir son mandat au cas par cas10 ».
Les conclusions fondamentales de la Cour ont été prises à la lumière de sa vision des lois de l’Alberta, du droit en vigueur dans Stores Block et ses propres décisions subséquentes, et de l’interprétation qu’en a faite la Commission. La question du risque des actifs délaissés, de l’avis de l’ABCA, repose sur des facteurs d’intérêt public, ce qui convient assez bien au rôle et au mandat de l’AUC. La décision UAD telle qu’elle l’a conclut n’était pas déraisonnable, mais légitime et bien dans les limites de l’autorité législative de la Commission comme choix parmi toute une gamme d’options.
4. Examen de la doctrine de prudence par la Cour suprême
Pendant que l’ABCA rendait sa décision dans l’affaire FortisAlberta, l’honorable juge Rothstein s’empressait à rédiger les motifs du jugement unanime de la Cour dans ATCO Pension et d’autre part la décision de la majorité dans OPG. Dans chacun de ces cas qui ont été entendus ensemble, la Cour s’attaquait à la doctrine de prudence11, dans le contexte du rejet réglementaire de certains coûts d’exploitation que les services publics tentaient de recouvrir dans leurs tarifs.
Essentiellement, la doctrine ou le test soutient que pour déterminer la prudence d’un coût de service public, celui-ci sera présumé l’être sans tirer avantage d’information obtenue a posteriori.
a. ATCO Pension
L’arrêt ATCO Pension implique le même cadre législatif que la décision de l’UAD en Cour d’appel, ainsi que la décision de la Commission de rejeter certains coûts du régime de retraite que les services d’électricité et de gaz d’ATCO déclaraient avoir recouvré dans les tarifs.
La Cour a d’abord affirmé que la norme de contrôle judiciaire relative à l’examen d’une décision de l’AUC pour établir des tarifs en vertu des lois applicables aux services publics de l’Alberta est celle du caractère raisonnable.
La Cour admet que les dispositions législatives reconnaissaient le principe permettant aux services publics de recouvrir leurs frais d’exploitation et d’immobilisations dans les tarifs, pourvu qu’ils aient été engagés de manière prudente ou raisonnable et rejette du même coup l’argument des services publics selon lequel la Commission n’avait pas tenu compte de la prudence des coûts du régime de retrait en question.
Le raisonnement de la Cour se fonde sur l’utilisation du mot « prudent » dans la législation albertaine, où aucune présomption ni exigence d’une approche sans information a posteriori, ni aucune méthodologie particulière est demandée. En effet, compte tenu du fardeau de la preuve exigé par la loi qui leur incombe de démontrer que les tarifs qu’ils proposent sont justes et raisonnables, les services publics doivent également montrer que leurs coûts sont prudents ou raisonnables.
La Cour a pris soin de réserver son opinion quant à savoir si une situation visée par le terme « engagé prudemment » pouvait l’assujettir à utiliser une méthodologie « sans information a posteriori » particulière, comme l’exigerait une situation (qui prévaut à certains égard dans OPG, voir ci-dessous) où les coûts en question ont été « engagés » ou dépensés. De même, la Cour a souligné qu’« il y a sans aucun doute des situations dans lesquelles l’omission d’appliquer une méthodologie « sans information a posteriori » pourrait causer préjudice aux services publics entrainant un manquement à l’obligation légale voulant que les tarifs assurent un équilibre juste et raisonnable entre les intérêts du client et du service public…12 »
Mais dans cette affaire, selon le libellé et les coûts d’exploitation prévisionnels, la Cour a conclu que l’UAC était libre d’envisager différents outils pour déterminer si les coûts sont prudents, pourvu que ces tarifs soient en fin de compte justes et raisonnables. La conclusion de l’AUC à laquelle la Cour est arrivée sans faire appel au test de prudence et en tenant compte des circonstances n’était pas déraisonnable.
Pour terminer, en rejetant l’allégation que l’AUC s’est entêtée à réduire les tarifs, la Cour a conclu que les organismes de réglementation ne pouvaient pas débouter des coûts prudents tout simplement parce que cela pouvait donner lieu à une hausse des tarifs. Elle a souligné dans sa conclusion dans l’arrêt OPG que « l’organisme réglementaire veille à ce que les consommateurs ne paient que ce qui est raisonnablement nécessaire ».
b. OPG
Dans l’affaire OPG, la Commission de l’énergie de l’Ontario (CEO) en a appelé d’une décision de la Cour d’appel de l’Ontario. En effet, elle avait rejeté certains coûts de rémunération du travail de la CEO (la Cour avait classifié ces coûts comme partiellement engagés en vertu de conventions collectives, et partiellement prévisionnels).
Premièrement, la Cour a confirmé que la CEO avait participé adéquatement à l’appel, et n’avait pas cherché à modifier, nuancer ou compléter ses motifs initiaux pour la décision.
En vertu des lois pertinentes de l’Ontario, la Cour a conclu que bien que le critère d’investissement prudent soit un test valide qui peut être utilisé pour établir des tarifs de services publics justes et raisonnables, la CEO n’était pas tenue de l’appliquer en l’espèce. Le service public devait établir que ses tarifs étaient justes et raisonnables puisque la législation ne lui faisait jouir d’aucune présomption de prudence.
Le juge Rothstein a souligné que le critère d’investissement prudent n’était pas obligatoire pour établir des tarifs justes et raisonnables aux États-Unis, ou en Ontario, et a mis en contraste la situation actuelle avec un scénario dans lequel une protection législative expresse pour le recouvrement de coûts d’investissements prudents est prévue, faisant ainsi du critère d’investissement prudent sans information a posteriori un facteur essentiel dans l’établissement de tarifs justes et raisonnables. Lorsque le critère n’est pas prescrit par un régime particulier, et qu’il suffit d’établir que les tarifs sont justes et raisonnables, le fait de ne pas l’utiliser ne rend pas la décision déraisonnable.
Il convient de noter que cette observation de la Cour concernant le concept des tarifs justes et raisonnables touche l’équilibre essentiel au cœur de la réglementation : encourager d’un coté l’investissement robuste des infrastructures de service public et protéger d’un autre les intérêts des consommateurs. Le tout exige que les services publics aient la possibilité de recouvrir leurs coûts d’immobilisations sur une période donnée.
Le juge Rothstein a précisé que selon les circonstances, un examen de la prudence des coûts pouvait être important pour s’assurer que les services publics atteignent le niveau requis du capital d’investissement, et qu’ils ne soient pas découragés à parvenir au niveau optimal d’investissement de leurs installations. Étant donné que la Cour tranchait sur les coûts d’exploitation, il n’y a pas eu selon de la majorité un danger d’effet de dissuasion concernant l’engagement de tels coûts à l’avenir.
Dans sa dissidence, la juge Abella a souligné que la CEO avait dit qu’elle évaluerait la portion engagée des coûts au moyen d’un test de la prudence. Elle a somme toute ignorée cette méthode y compris la présomption. Une incertitude réglementaire et des objectifs en mouvement, laisseraient OPG dans l’impossibilité de déterminer ce qu’il devrait dépenser et investir : c’est pourquoi la décision de la CEO était déraisonnable.
5. FortisAlberta – Demandes d’autorisation d’appel13
Après la remise des décisions OPG/ATCO Pension, deux demandes d’autorisation d’appel ont été déposées à la Cour avant la fin de l’année 2015 relativement à l’affaire FortisAlberta. La première par trois services publics d’électricité14, et la deuxième par une combinaison de quatre services publics de gaz et d’électricité15. La Commission ainsi que la « Utilities Consumer Advocate (UCA)» se sont toutes les deux opposés à ces demandes. Comme dans toute demande d’autorisation à la Cour, le test exige que la question relève d’une importance publique, juridique ou nationale suffisante pour justifier l’intervention de la Cour. Il n’est pas surprenant que les parties soient en désaccord sur la question, mais c’est étonnant que toutes les parties s’appuient sur les décisions d’ATCO Pension et d’OPG.
a. La position des demandeurs
Dans la demande d’AltaLink, les services publics d’électricité soutiennent que l’Electric Utilities Act (EUA) de l’Alberta incarne et entérine le critère du recouvrement des coûts prudents, en conformité avec la politique provinciale d’encourager et de protéger les investissements de capitaux dans l’infrastructure. L’AUC et l’ABCA ont commis une erreur de fait ou de droit en appliquant Stores Block et les décisions subséquentes de la Cour d’appel pour déroger de l’intention claire du législateur.
La décision l’UAD de la cour d’appel de l’Alberta rentre en conflit avec ATCO Pension et OPG, de même qu’avec le droit de recouvrir les coûts engagés prudemment compte tenu du régime législatif albertain. En d’autres mots, ce régime comme le décrit le juge Rothstein se veut comme une « protection législative expresse16 » pour recouvrir des coûts d’investissements prudents.
La demande d’AltaGas soulève des incongruités similaires concernant ATCO Pension. Ainsi on y soutient que bien que la loi permet une certaine flexibilité concernant la méthode utilisée par l’AUC pour déterminer si les tarifs de services d’électricité sont justes et raisonnables, s’il est déterminé que les coûts en question sont prudents, il doit y avoir une possibilité raisonnable de recouvrir les dits coûts compte tenu des dispositions législatives claires à cet égard.
Le problème avec la décision de l’UAD puis avec la confirmation de la cour d’appel, c’est qu’elles établissent un « refus catégorique » de toute possibilité de recouvrir tout coût non amorti d’actifs acquis de façon prudente s’il est lié à une mise hors service dans un cas extraordinaire. À tout le moins, elles diluent cette possibilité au point qu’elles pourraient être qualifiées de décisions déraisonnables. En d’autres mots, la décision UAD implante la notion que le service public devra toujours assumer le risque de perte découlant de ces investissements.
Dans chacune des demandes, il est également allégué que les directives de la Cour quant au champ d’application de la norme de contrôle raisonnable sont requises. Reconnaissant qu’un droit de réserve devrait être accordé relativement à l’interprétation de la loi habilitante de l’AUC, il ne devrait pas l’être suivant un courant jurisprudentielle (Stores Block et sa progéniture à l’ABCA) ni un choix politique de déroger à l’intention claire du législateur concernant les protections législatives expresses du recouvrement des coûts.
b. Les positions des intimés
L’AUC et l’UCA soutiennent qu’il ne s’agit pas d’une question d’importance publique ou nationale suffisante afin d’être autorisé et entendu. Il y a des preuves à l’appui où la symétrie du risque établie dans Stores Block. Premièrement, les questions propres sont à l’Alberta comme en témoigne la distinction de Stores Block et d’autre domaine : on pourrait donc réserver le même traitement à la décision de l’UAD conformément à leurs propres régimes législatifs. Le traitement varié des actifs de services publics délaissés à l’échelle du pays ne relève pas d’une question d’importance nationale; et la Cour a refusé d’autoriser Lappel sur des questions clés de l’ABCA s’étendant aux principes de Stores Block.
i. AUC
La Commission soutient que la question pour la Cour est la suivante : en établissant les tarifs des services publics albertains, quel traitement est approprié pour déterminer la portion non recouvert des actifs délaissés qui cessent d’être utilisés avant la fin de leur durée de vie utile, pour des motifs extraordinaires? La Commission répond en affirmant que la décision UAD reflète la manière raisonnable d’y parvenir en fournissant les directives appropriées émanant de Stores Block et des décisions de la cour d’appel, conformément à la fonction première de la Commission d’établir des tarifs.
S’en remettant à ATCO Pension, ainsi qu’à la décision de l’UAD de l’ABCA, l’AUC estime qu’il est clair qu’en vertu de la législation albertaine sur les services publics que le principe prééminent n’est pas la garantie de recouvrir les coûts prudents –c’est seulement une possibilité raisonnable – mais qui établit de tarifs justes et raisonnables. Le régime législatif de l’Alberta ne prescrit aucune méthode particulière pour déterminer les tarifs justes et raisonnables, et si tel est le cas, l’UAC a toute la latitude afin de déterminer si les coûts du service public sont prudents. Elle dispose de divers outils pour y parvenir.
En ce qui concerne la norme de contrôle de la décision raisonnable, l’UAC soutient que le fait de varier la norme selon l’interprétation du tribunal, des lois habilitantes, de la jurisprudence ou des pratiques serait contraire à Dunsmuir et injustifié.
ii. L’UCA
L’UCA reprend les arguments de l’AUC formulés dans ATCO Pension et ceux de la Cour d’appel. Quant à l’allégation qu’aux termes de la décision UAD les services publics se verront catégoriquement refuser le recouvrement de coûts d’actifs délaissés, l’UCA s’en remet à la méthodologie d’amortissement de l’AUC, soulignant qu’il incombe aux services publics de justifier leurs amortissements, et dans les rares cas où des éléments de ces amortissements seraient refusés, cela concorde entièrement avec l’exigence légale d’une possibilité raisonnable de recouvrer des coûts.
L’UCA rejette l’argument selon lequel la norme de contrôle de la décision raisonnable devrait être revue, étant donné que les principes qui en assurent l’application sont bien établis et non équivoques.
c. Les répliques des demandeurs
Les services publics d’électricité répliquent en suggérant que les décisions de l’UAD et de la cour d’appel sont effectivement en conflit avec OPG et ATCO Pension. Ces dernières font une distinction entre les coûts d’exploitation et les coûts en capital puis mettent l’accent sur l’importance de la possibilité de recouvrir ceux-ci. Toutefois, bien que les investissements de capital aient déjà été jugés prudents, l’effet de la décision UAD est de refuser le recouvrement face à des évènements imprévisibles.
Ils s’attaquent ensuite à Stores Block et son rejeton, soulignant que ces décisions n’avaient rien à voir avec l’établissement de tarifs ou les services d’électricité, bien qu’elles aient été utilisées pour déroger à l’intention claire des dispositions législatives en vertu de l’EUA dans la décision de l’UAD, laquelle n’avait rien à voir avec l’établissement de tarifs et n’a été rédigée que pour satisfaire à une interprétation particulière de Stores Block.
En réponse à l’AUC, AltaGas et autres soutiennent que si les principes de Stores Block sont si fondamentaux, au point d’avoir été utilisés pour éclairer la décision de l’UAD, leur application ne devrait donc pas se limiter à l’Alberta. D’autant plus que le rejet de recouvrements de capitaux engagés dans des actifs de services publics soulève des préoccupations évidentes ailleurs au pays. Pour ce qui est d’OPG et d’ATCO Pension, AltaGas signale que ces cas ne consistaient pas à savoir si le choix de la méthodologie ou du test pour évaluer la prudence avait été adéquat, mais plutôt si le recouvrement de coûts liés à des actifs déjà jugés prudents peut être raisonnablement refusé en vertu de la jurisprudence dérogeant aux dispositions législatives claires.
AltaGas et les autres répondent aux arguments de l’UCA en disant que les cas n’ont pas à voir avec des « garanties absolues » de recouvrement, mais visent plutôt à savoir s’il est raisonnable que les principes de Stores Block soient utilisés pour refuser catégoriquement la possibilité de recouvrir les coûts prudents. Également, si ce résultat concorde avec les conclusions retenues dans OPG et ATCO Pension voulant qu’une possibilité telle soit prévue. Sur la question de l’amortissement, AltaGas et autres soutiennent que cela ne fait que confirmer l’intervention de la Cour : comment un mécanisme utilisé pour assurer le recouvrement de coûts prudents, allant même au-delà d’une mise hors service dans un cas ordinaire, peut-il être utilisé comme fondement pour refuser le recouvrement de coûts similaires en cas de mise hors service dans un cas extraordinaire?
Les mémoires ayant tous été complétés, la Cour devrait rendre sa décision au courant du printemps sur ces importantes demandes.
6. Les prochaines étapes
L’Alberta est confrontée à des questions épineuses ces jours-ci, qu’il s’agisse de l’économie en général, du prix anémique du pétrole, des pertes d’emplois ou de la difficulté à délivrer les ressources de l’Alberta sur un marché donné, que ce soit au sud, à l’ouest ou à l’est. Les incertitudes sont nombreuses et palpables.
La décision UAD de l’ABCA et ATCO Pension semblent avoir éliminé une partie de cette incertitude et nous avoir rapprochés de la fin du débat à savoir qui devrait assumer le risque du coût des actifs de services publics délaissés en Alberta.
Pour ce qui est des coûts prévisionnels d’exploitation des services publics de l’Alberta, il semble y avoir peu de doutes que les dispositions législatives actuelles n’exigent pas qu’une méthodologie particulière soit utilisée – le critère d’investissement prudent – pour déterminer si de tels coûts devaient être inclus dans des tarifs justes et raisonnables. Quant à savoir si tel est le cas pour les coûts d’exploitation engagés, la question se pose encore.
Et comme l’ont révélé les décisions OPG et ATCO Pension, ainsi que les mémoires des demandes d’autorisation d’appel de FortisAlberta, eu égard aux coûts d’immobilisations engagés ayant déjà été jugés prudents, surtout lorsqu’ils ne sont plus disponibles pour les services publics en raison d’événements extraordinaires, les points de vue divergent clairement.
La Cour suprême reconnaîtra-t-elle le besoin de mener le débat sur l’aliénation des actifs jusqu’au bout? Et si tel est le cas, nous aurons encore beaucoup de chemin à faire avant d’en arriver à la « fin ».
Autrement – si l’arrêt Stores Block demeure, tel qu’il a été interprété par la Cour d’appel – sa décision UAD s’ajoutera à la liste d’autres décisions pour lesquelles des autorisations d’appel ont été rejetées par la Cour suprême dans ce domaine, et le débat pourrait très bien en être à sa fin – du moins pour le moment. Si tel est le cas, cela pourrait très bien nous ramener en arrière, à l’époque de FPC c Hope Natural Gas Co. et de la conclusion de la Cour suprême des États-Unis qu’il n’était pas nécessaire que les tarifs établis par la « Federal Power Commission »(FPC) en vertu d’un certain régime législatif soient fondés sur une seule et unique méthode ou formule, parce que la question la plus important à laquelle il faut répondre est : est-ce que l’effet total du décret de tarif, le résultat obtenu, était raisonnable17.
Et dans ce cas, exigera-t-on des changements dans les dispositions législatives de l’Alberta, comme en fait allusion la Cour d’appel dans sa décision UAD? Des changements seront-ils apportés à la méthodologie d’amortissement de l’AUC à la lumière de cette fin, et sur l’ordre de qui? Y aura-t-il une occasion pour les services publics de mettre à l’épreuve l’assertion de l’AUC qu’elle a l’autorité en vertu de son pouvoir d’établissement de tarifs de modifier sa méthodologie d’amortissement en fonction des circonstances d’un cas dans lequel il est allégué que l’équilibre essentiel entre un investissement robuste dans les services publics et les intérêts des consommateurs a été rompu, à moins que le service public ne puisse recouvrer les coûts d’un actif délaissé?
1. Introduction
Le dernier trimestre de 2015 a été très lucratif et d’intérêt en matière judiciaire pour les services publics de l’Alberta : une décision a été rendue par sa Cour d’appel (ABCA); deux jugements ont été rendues par la Cour suprême du Canada et deux demandes d’autorisation d’appel ont été faites auprès de la Cour eu égard à la décision de l’ABCA.
Il y a peu de temps, Gordon Kaiser soulignait que l’arrêt Stores Block1 de la Cour Suprême en 2006 marquait le « début de la fin » du débat sur la prise en charge du risque financier des actifs de services publics délaissés, et que l’affirmation unanime de l’ABCA dans FortisAlberta2 de la décision de l’Alberta Utilities Commission (l’AUC ou la Commission) sur l’aliénation d’actifs de services publics (UAD)3 en 2015 marquait la « fin » de la controverse.
Je me dois de débuter par commenter l’appel FortisAlberta. Puis, à la lumière des jugements de la Cour dans OPG4 et ATCO Pension5 (concernant la législation des services publics de l’Alberta) rendues à peine une semaine après FortisAlberta et qui ont renversé la doctrine de prudence, du moins en ce qui a trait aux coûts de fonction des services publics, et du fait que FortisAlberta fait maintenant l’objet de deux demandes d’autorisation d’appel à la Cour, un bref commentaire serait également de mise quant à ces derniers développements. Il se pourrait ainsi bien que nous n’en soyons pas tout à fait à la « fin ».
2. Stores Block
Il est bien connu que dans Stores Block la Cour a conclu, selon une interprétation restrictive, que la totalité des gains et des pertes découlant de l’aliénation d’actif d’un service public de gaz de l’Alberta, autrement que dans le cours normal des activités, sont à la charge du service public et de ses actionnaires, principalement au motif que les contribuables du service public ne jouissent pas d’un droit de propriété sur les actifs utilisés pour leur fournir le service.
Subséquemment aux décisions de l’ABCA (Carbon6, Harvest Hills7, Salt Caverns I et II8) s’appuyant sur Stores Block, on a établit que seuls les actifs de gaz utilisés dans le cours des opérations pour fournir les services peuvent être inclus dans l’échelle tarifaire du service public. S’ils ne sont pas utiles dans le présent et pour l’avenir, ces actifs doivent être retirés de l’assiette tarifaire en temps normal. De son propre aveu, l’ABCA a opté dans ces décisions pour une application large des principes de Stores Block.
3. Décisions UAD
a. AUC
Un actif de service public délaissé en Alberta constitue un actif qui n’est plus utilisé ou qui ne sera plus utilisé par le service public avant la fin de la durée de vie prévue et conséquemment avant le recouvrement par le service public de l’investissement en capital dudit actif. Dans le cas où la mise hors service est ordinaire et qui résulte d’une cause raisonnablement envisageable dans l’établissement de dispositions d’amortissement – les contribuables continueront d’assumer les coûts non amortis par l’actif maintenant délaissé. Cependant dans le cas où la mise hors service est jugée « extraordinaire » et qu’elle résulte d’une cause qui n’a pas été raisonnablement envisagée, tel qu’un incendie ou une inondation – le service public et les actionnaires devront absorber les coûts en capital non amortis.
Quant à savoir qui, sur le plan politique, amortie le risque des actifs délaissés, l’AUC s’en est remise à Stores Block et les décisions subséquentes de l’ABCA9. En vertu de son vaste pouvoir pour établir des tarifs, l’AUC a conclu que les actifs délaissés ne peuvent plus être utilisés pour fournir les services et doivent ainsi être retirés de l’assiette tarifaire, la totalité des gains et des pertes seront absorbées par le service public.
b. ABCA
Les services publics de l’Alberta ont obtenu l’autorisation d’en appeler de la décision UAD, quant à savoir si l’UAC aurait imposé à tort un nouveau « risque lié au recouvrement prudent des coûts » de façon à les priver de la possibilité de recouvrir leurs coûts d’actifs délaissés engagés prudemment. Ils ont contesté ce qu’ils disent être un prolongement injustifié de Stores Block quoique rendu pour des motifs quelque peu différents. Les services publics gaziers ont soutenu que Stores Block devait être limitée à ses faits, et à l’aliénation d’actifs en dehors du cadre normal, et qu’il ne devait pas s’appliquer à d’autres types actifs, et certainement pas aux actifs délaissés. Sinon, ont-ils fait savoir, que leur droit de recouvrir la totalité des coûts engagés prudemment serait miné.
Les services d’électricité, tout en appuyant l’argument, ont également prétendu que depuis la déréglementation de leur industrie en Alberta, ils sont dorénavant assujettis à un tout autre régime législatif et réglementaire, où le principe « servant ou devant servir » ne s’applique tout simplement pas, ayant été remplacé par une garantie de recouvrement des coûts d’investissement en capital engagés prudemment.
Ce régime, ont-ils insisté, exclut le concept de « servant ou devant servir » de l’assiette tarifaire . Les services de transport d’électricité ont soutenu que cela avait du sens étant donné que l’Alberta Electric System Operator (AESO) pouvait les enjoindre à investir dans des installations : comment pouvaient-ils risquer de ne pas recouvrir l’investissement en capital quand ils ne peuvent pas contrôler ces investissements?
L’ABCA a confirmé la décision UAD et n’a trouvé aucun motif pouvant justifier l’appel.
Tout d’abord, étant donné que les appels ont soulevé des questions relativement à l’interprétation et à l’application des régimes législatifs de l’Alberta visant les services publics et au pouvoir d’établir des tarifs de l’AUC, l’ABCA a vite fait de conclure que son examen se ferait avec déférence suivant la norme du caractère raisonnable. Cette détermination a été essentielle : la question devant la Cour n’était pas de savoir si l’interprétation des services publics était raisonnable, mais si l’interprétation de l’AUC était déraisonnable.
Deuxièmement, la Cour a rejeté l’argument des services publics à savoir qu’en participant à l’appel, l’UAC avait transgressé les limites acceptables en ce qui à trait à la participation d’un organisme de réglementation dans l’appel de sa décision, concluant que la participation de l’UAC avait été nécessaire et utile.
La Cour a fourni un contexte détaillé de sa décision, dans un examen approfondi de l’historique du traitement dont les actifs délaissés ont fait l’objet dans le passé, la saga Stores Block et ses propres décisions subséquentes qui en étendaient ses principes à l’établissement de tarifs de l’UAC, plutôt qu’à la simple aliénation des actifs de services publics en dehors du cours normal des activités. De l’avis de la Cour, elle était liée par ces décisions, en l’absence d’un renversement ou d’un nouvel examen de Stores Block, ou d’une modification législative.
La Cour a jugé que la décision UAD avait été une « décision de principe générique » par l’AUC, un énoncé général de la façon dont l’AUC traiterait la question des actifs délaissés à l’avenir. Elle a conclu que les contribuables de l’Alberta ne devraient pas avoir à payer pour un service qu’ils ne reçoivent pas, et bien que les services publics aient droit à une possibilité raisonnable de recouvrir un investissement d’un capital prudent, la loi n’en fait pas une garantie. Une possibilité raisonnable n’est toujours qu’une possibilité, ce qui, du point de vue de la Cour, se reflétait dans la méthodologie et les procédures d’amortissement applicables à la Commission. En principe, il n’était pas déraisonnable pour l’UAC, dans l’exercice de son large pouvoir, d’imposer le risque des actifs délaissés au service public.
Pour ce qui est des services d’électricité, l’ABCA a reconnu que bien que le recouvrement d’un investissement prudent constituait une interprétation admissible de son régime législatif, mais elle n’en constituait pas la seule interprétation. Ainsi, il n’était pas déraisonnable pour l’UAC d’avoir interprété ce régime comme offrant une possibilité raisonnable similaire de recouvrer un investissement en capital prudent.
Plus important encore, l’ABCA a souligné que la politique de l’AUC n’entrave pas sa discrétion, compte tenu de son pouvoir d’adaptation en fonction des amortissements du service public relativement à des actifs délaissés dans le cas d’une mise hors service extraordinaire, lui permettant ainsi de « continuer d’avoir la flexibilité pour accomplir son mandat au cas par cas10 ».
Les conclusions fondamentales de la Cour ont été prises à la lumière de sa vision des lois de l’Alberta, du droit en vigueur dans Stores Block et ses propres décisions subséquentes, et de l’interprétation qu’en a faite la Commission. La question du risque des actifs délaissés, de l’avis de l’ABCA, repose sur des facteurs d’intérêt public, ce qui convient assez bien au rôle et au mandat de l’AUC. La décision UAD telle qu’elle l’a conclut n’était pas déraisonnable, mais légitime et bien dans les limites de l’autorité législative de la Commission comme choix parmi toute une gamme d’options.
4. Examen de la doctrine de prudence par la Cour suprême
Pendant que l’ABCA rendait sa décision dans l’affaire FortisAlberta, l’honorable juge Rothstein s’empressait à rédiger les motifs du jugement unanime de la Cour dans ATCO Pension et d’autre part la décision de la majorité dans OPG. Dans chacun de ces cas qui ont été entendus ensemble, la Cour s’attaquait à la doctrine de prudence11, dans le contexte du rejet réglementaire de certains coûts d’exploitation que les services publics tentaient de recouvrir dans leurs tarifs.
Essentiellement, la doctrine ou le test soutient que pour déterminer la prudence d’un coût de service public, celui-ci sera présumé l’être sans tirer avantage d’information obtenue a posteriori.
a. ATCO Pension
L’arrêt ATCO Pension implique le même cadre législatif que la décision de l’UAD en Cour d’appel, ainsi que la décision de la Commission de rejeter certains coûts du régime de retraite que les services d’électricité et de gaz d’ATCO déclaraient avoir recouvré dans les tarifs.
La Cour a d’abord affirmé que la norme de contrôle judiciaire relative à l’examen d’une décision de l’AUC pour établir des tarifs en vertu des lois applicables aux services publics de l’Alberta est celle du caractère raisonnable.
La Cour admet que les dispositions législatives reconnaissaient le principe permettant aux services publics de recouvrir leurs frais d’exploitation et d’immobilisations dans les tarifs, pourvu qu’ils aient été engagés de manière prudente ou raisonnable et rejette du même coup l’argument des services publics selon lequel la Commission n’avait pas tenu compte de la prudence des coûts du régime de retrait en question.
Le raisonnement de la Cour se fonde sur l’utilisation du mot « prudent » dans la législation albertaine, où aucune présomption ni exigence d’une approche sans information a posteriori, ni aucune méthodologie particulière est demandée. En effet, compte tenu du fardeau de la preuve exigé par la loi qui leur incombe de démontrer que les tarifs qu’ils proposent sont justes et raisonnables, les services publics doivent également montrer que leurs coûts sont prudents ou raisonnables.
La Cour a pris soin de réserver son opinion quant à savoir si une situation visée par le terme « engagé prudemment » pouvait l’assujettir à utiliser une méthodologie « sans information a posteriori » particulière, comme l’exigerait une situation (qui prévaut à certains égard dans OPG, voir ci-dessous) où les coûts en question ont été « engagés » ou dépensés. De même, la Cour a souligné qu’« il y a sans aucun doute des situations dans lesquelles l’omission d’appliquer une méthodologie « sans information a posteriori » pourrait causer préjudice aux services publics entrainant un manquement à l’obligation légale voulant que les tarifs assurent un équilibre juste et raisonnable entre les intérêts du client et du service public…12 »
Mais dans cette affaire, selon le libellé et les coûts d’exploitation prévisionnels, la Cour a conclu que l’UAC était libre d’envisager différents outils pour déterminer si les coûts sont prudents, pourvu que ces tarifs soient en fin de compte justes et raisonnables. La conclusion de l’AUC à laquelle la Cour est arrivée sans faire appel au test de prudence et en tenant compte des circonstances n’était pas déraisonnable.
Pour terminer, en rejetant l’allégation que l’AUC s’est entêtée à réduire les tarifs, la Cour a conclu que les organismes de réglementation ne pouvaient pas débouter des coûts prudents tout simplement parce que cela pouvait donner lieu à une hausse des tarifs. Elle a souligné dans sa conclusion dans l’arrêt OPG que « l’organisme réglementaire veille à ce que les consommateurs ne paient que ce qui est raisonnablement nécessaire ».
b. OPG
Dans l’affaire OPG, la Commission de l’énergie de l’Ontario (CEO) en a appelé d’une décision de la Cour d’appel de l’Ontario. En effet, elle avait rejeté certains coûts de rémunération du travail de la CEO (la Cour avait classifié ces coûts comme partiellement engagés en vertu de conventions collectives, et partiellement prévisionnels).
Premièrement, la Cour a confirmé que la CEO avait participé adéquatement à l’appel, et n’avait pas cherché à modifier, nuancer ou compléter ses motifs initiaux pour la décision.
En vertu des lois pertinentes de l’Ontario, la Cour a conclu que bien que le critère d’investissement prudent soit un test valide qui peut être utilisé pour établir des tarifs de services publics justes et raisonnables, la CEO n’était pas tenue de l’appliquer en l’espèce. Le service public devait établir que ses tarifs étaient justes et raisonnables puisque la législation ne lui faisait jouir d’aucune présomption de prudence.
Le juge Rothstein a souligné que le critère d’investissement prudent n’était pas obligatoire pour établir des tarifs justes et raisonnables aux États-Unis, ou en Ontario, et a mis en contraste la situation actuelle avec un scénario dans lequel une protection législative expresse pour le recouvrement de coûts d’investissements prudents est prévue, faisant ainsi du critère d’investissement prudent sans information a posteriori un facteur essentiel dans l’établissement de tarifs justes et raisonnables. Lorsque le critère n’est pas prescrit par un régime particulier, et qu’il suffit d’établir que les tarifs sont justes et raisonnables, le fait de ne pas l’utiliser ne rend pas la décision déraisonnable.
Il convient de noter que cette observation de la Cour concernant le concept des tarifs justes et raisonnables touche l’équilibre essentiel au cœur de la réglementation : encourager d’un coté l’investissement robuste des infrastructures de service public et protéger d’un autre les intérêts des consommateurs. Le tout exige que les services publics aient la possibilité de recouvrir leurs coûts d’immobilisations sur une période donnée.
Le juge Rothstein a précisé que selon les circonstances, un examen de la prudence des coûts pouvait être important pour s’assurer que les services publics atteignent le niveau requis du capital d’investissement, et qu’ils ne soient pas découragés à parvenir au niveau optimal d’investissement de leurs installations. Étant donné que la Cour tranchait sur les coûts d’exploitation, il n’y a pas eu selon de la majorité un danger d’effet de dissuasion concernant l’engagement de tels coûts à l’avenir.
Dans sa dissidence, la juge Abella a souligné que la CEO avait dit qu’elle évaluerait la portion engagée des coûts au moyen d’un test de la prudence. Elle a somme toute ignorée cette méthode y compris la présomption. Une incertitude réglementaire et des objectifs en mouvement, laisseraient OPG dans l’impossibilité de déterminer ce qu’il devrait dépenser et investir : c’est pourquoi la décision de la CEO était déraisonnable.
5. FortisAlberta – Demandes d’autorisation d’appel13
Après la remise des décisions OPG/ATCO Pension, deux demandes d’autorisation d’appel ont été déposées à la Cour avant la fin de l’année 2015 relativement à l’affaire FortisAlberta. La première par trois services publics d’électricité14, et la deuxième par une combinaison de quatre services publics de gaz et d’électricité15. La Commission ainsi que la « Utilities Consumer Advocate (UCA)» se sont toutes les deux opposés à ces demandes. Comme dans toute demande d’autorisation à la Cour, le test exige que la question relève d’une importance publique, juridique ou nationale suffisante pour justifier l’intervention de la Cour. Il n’est pas surprenant que les parties soient en désaccord sur la question, mais c’est étonnant que toutes les parties s’appuient sur les décisions d’ATCO Pension et d’OPG.
a. La position des demandeurs
Dans la demande d’AltaLink, les services publics d’électricité soutiennent que l’Electric Utilities Act (EUA) de l’Alberta incarne et entérine le critère du recouvrement des coûts prudents, en conformité avec la politique provinciale d’encourager et de protéger les investissements de capitaux dans l’infrastructure. L’AUC et l’ABCA ont commis une erreur de fait ou de droit en appliquant Stores Block et les décisions subséquentes de la Cour d’appel pour déroger de l’intention claire du législateur.
La décision l’UAD de la cour d’appel de l’Alberta rentre en conflit avec ATCO Pension et OPG, de même qu’avec le droit de recouvrir les coûts engagés prudemment compte tenu du régime législatif albertain. En d’autres mots, ce régime comme le décrit le juge Rothstein se veut comme une « protection législative expresse16 » pour recouvrir des coûts d’investissements prudents.
La demande d’AltaGas soulève des incongruités similaires concernant ATCO Pension. Ainsi on y soutient que bien que la loi permet une certaine flexibilité concernant la méthode utilisée par l’AUC pour déterminer si les tarifs de services d’électricité sont justes et raisonnables, s’il est déterminé que les coûts en question sont prudents, il doit y avoir une possibilité raisonnable de recouvrir les dits coûts compte tenu des dispositions législatives claires à cet égard.
Le problème avec la décision de l’UAD puis avec la confirmation de la cour d’appel, c’est qu’elles établissent un « refus catégorique » de toute possibilité de recouvrir tout coût non amorti d’actifs acquis de façon prudente s’il est lié à une mise hors service dans un cas extraordinaire. À tout le moins, elles diluent cette possibilité au point qu’elles pourraient être qualifiées de décisions déraisonnables. En d’autres mots, la décision UAD implante la notion que le service public devra toujours assumer le risque de perte découlant de ces investissements.
Dans chacune des demandes, il est également allégué que les directives de la Cour quant au champ d’application de la norme de contrôle raisonnable sont requises. Reconnaissant qu’un droit de réserve devrait être accordé relativement à l’interprétation de la loi habilitante de l’AUC, il ne devrait pas l’être suivant un courant jurisprudentielle (Stores Block et sa progéniture à l’ABCA) ni un choix politique de déroger à l’intention claire du législateur concernant les protections législatives expresses du recouvrement des coûts.
b. Les positions des intimés
L’AUC et l’UCA soutiennent qu’il ne s’agit pas d’une question d’importance publique ou nationale suffisante afin d’être autorisé et entendu. Il y a des preuves à l’appui où la symétrie du risque établie dans Stores Block. Premièrement, les questions propres sont à l’Alberta comme en témoigne la distinction de Stores Block et d’autre domaine : on pourrait donc réserver le même traitement à la décision de l’UAD conformément à leurs propres régimes législatifs. Le traitement varié des actifs de services publics délaissés à l’échelle du pays ne relève pas d’une question d’importance nationale; et la Cour a refusé d’autoriser Lappel sur des questions clés de l’ABCA s’étendant aux principes de Stores Block.
i. AUC
La Commission soutient que la question pour la Cour est la suivante : en établissant les tarifs des services publics albertains, quel traitement est approprié pour déterminer la portion non recouvert des actifs délaissés qui cessent d’être utilisés avant la fin de leur durée de vie utile, pour des motifs extraordinaires? La Commission répond en affirmant que la décision UAD reflète la manière raisonnable d’y parvenir en fournissant les directives appropriées émanant de Stores Block et des décisions de la cour d’appel, conformément à la fonction première de la Commission d’établir des tarifs.
S’en remettant à ATCO Pension, ainsi qu’à la décision de l’UAD de l’ABCA, l’AUC estime qu’il est clair qu’en vertu de la législation albertaine sur les services publics que le principe prééminent n’est pas la garantie de recouvrir les coûts prudents –c’est seulement une possibilité raisonnable – mais qui établit de tarifs justes et raisonnables. Le régime législatif de l’Alberta ne prescrit aucune méthode particulière pour déterminer les tarifs justes et raisonnables, et si tel est le cas, l’UAC a toute la latitude afin de déterminer si les coûts du service public sont prudents. Elle dispose de divers outils pour y parvenir.
En ce qui concerne la norme de contrôle de la décision raisonnable, l’UAC soutient que le fait de varier la norme selon l’interprétation du tribunal, des lois habilitantes, de la jurisprudence ou des pratiques serait contraire à Dunsmuir et injustifié.
ii. L’UCA
L’UCA reprend les arguments de l’AUC formulés dans ATCO Pension et ceux de la Cour d’appel. Quant à l’allégation qu’aux termes de la décision UAD les services publics se verront catégoriquement refuser le recouvrement de coûts d’actifs délaissés, l’UCA s’en remet à la méthodologie d’amortissement de l’AUC, soulignant qu’il incombe aux services publics de justifier leurs amortissements, et dans les rares cas où des éléments de ces amortissements seraient refusés, cela concorde entièrement avec l’exigence légale d’une possibilité raisonnable de recouvrer des coûts.
L’UCA rejette l’argument selon lequel la norme de contrôle de la décision raisonnable devrait être revue, étant donné que les principes qui en assurent l’application sont bien établis et non équivoques.
c. Les répliques des demandeurs
Les services publics d’électricité répliquent en suggérant que les décisions de l’UAD et de la cour d’appel sont effectivement en conflit avec OPG et ATCO Pension. Ces dernières font une distinction entre les coûts d’exploitation et les coûts en capital puis mettent l’accent sur l’importance de la possibilité de recouvrir ceux-ci. Toutefois, bien que les investissements de capital aient déjà été jugés prudents, l’effet de la décision UAD est de refuser le recouvrement face à des évènements imprévisibles.
Ils s’attaquent ensuite à Stores Block et son rejeton, soulignant que ces décisions n’avaient rien à voir avec l’établissement de tarifs ou les services d’électricité, bien qu’elles aient été utilisées pour déroger à l’intention claire des dispositions législatives en vertu de l’EUA dans la décision de l’UAD, laquelle n’avait rien à voir avec l’établissement de tarifs et n’a été rédigée que pour satisfaire à une interprétation particulière de Stores Block.
En réponse à l’AUC, AltaGas et autres soutiennent que si les principes de Stores Block sont si fondamentaux, au point d’avoir été utilisés pour éclairer la décision de l’UAD, leur application ne devrait donc pas se limiter à l’Alberta. D’autant plus que le rejet de recouvrements de capitaux engagés dans des actifs de services publics soulève des préoccupations évidentes ailleurs au pays. Pour ce qui est d’OPG et d’ATCO Pension, AltaGas signale que ces cas ne consistaient pas à savoir si le choix de la méthodologie ou du test pour évaluer la prudence avait été adéquat, mais plutôt si le recouvrement de coûts liés à des actifs déjà jugés prudents peut être raisonnablement refusé en vertu de la jurisprudence dérogeant aux dispositions législatives claires.
AltaGas et les autres répondent aux arguments de l’UCA en disant que les cas n’ont pas à voir avec des « garanties absolues » de recouvrement, mais visent plutôt à savoir s’il est raisonnable que les principes de Stores Block soient utilisés pour refuser catégoriquement la possibilité de recouvrir les coûts prudents. Également, si ce résultat concorde avec les conclusions retenues dans OPG et ATCO Pension voulant qu’une possibilité telle soit prévue. Sur la question de l’amortissement, AltaGas et autres soutiennent que cela ne fait que confirmer l’intervention de la Cour : comment un mécanisme utilisé pour assurer le recouvrement de coûts prudents, allant même au-delà d’une mise hors service dans un cas ordinaire, peut-il être utilisé comme fondement pour refuser le recouvrement de coûts similaires en cas de mise hors service dans un cas extraordinaire?
Les mémoires ayant tous été complétés, la Cour devrait rendre sa décision au courant du printemps sur ces importantes demandes.
6. Les prochaines étapes
L’Alberta est confrontée à des questions épineuses ces jours-ci, qu’il s’agisse de l’économie en général, du prix anémique du pétrole, des pertes d’emplois ou de la difficulté à délivrer les ressources de l’Alberta sur un marché donné, que ce soit au sud, à l’ouest ou à l’est. Les incertitudes sont nombreuses et palpables.
La décision UAD de l’ABCA et ATCO Pension semblent avoir éliminé une partie de cette incertitude et nous avoir rapprochés de la fin du débat à savoir qui devrait assumer le risque du coût des actifs de services publics délaissés en Alberta.
Pour ce qui est des coûts prévisionnels d’exploitation des services publics de l’Alberta, il semble y avoir peu de doutes que les dispositions législatives actuelles n’exigent pas qu’une méthodologie particulière soit utilisée – le critère d’investissement prudent – pour déterminer si de tels coûts devaient être inclus dans des tarifs justes et raisonnables. Quant à savoir si tel est le cas pour les coûts d’exploitation engagés, la question se pose encore.
Et comme l’ont révélé les décisions OPG et ATCO Pension, ainsi que les mémoires des demandes d’autorisation d’appel de FortisAlberta, eu égard aux coûts d’immobilisations engagés ayant déjà été jugés prudents, surtout lorsqu’ils ne sont plus disponibles pour les services publics en raison d’événements extraordinaires, les points de vue divergent clairement.
La Cour suprême reconnaîtra-t-elle le besoin de mener le débat sur l’aliénation des actifs jusqu’au bout? Et si tel est le cas, nous aurons encore beaucoup de chemin à faire avant d’en arriver à la « fin ».
Autrement – si l’arrêt Stores Block demeure, tel qu’il a été interprété par la Cour d’appel – sa décision UAD s’ajoutera à la liste d’autres décisions pour lesquelles des autorisations d’appel ont été rejetées par la Cour suprême dans ce domaine, et le débat pourrait très bien en être à sa fin – du moins pour le moment. Si tel est le cas, cela pourrait très bien nous ramener en arrière, à l’époque de FPC c Hope Natural Gas Co. et de la conclusion de la Cour suprême des États-Unis qu’il n’était pas nécessaire que les tarifs établis par la « Federal Power Commission »(FPC) en vertu d’un certain régime législatif soient fondés sur une seule et unique méthode ou formule, parce que la question la plus important à laquelle il faut répondre est : est-ce que l’effet total du décret de tarif, le résultat obtenu, était raisonnable17.
Et dans ce cas, exigera-t-on des changements dans les dispositions législatives de l’Alberta, comme en fait allusion la Cour d’appel dans sa décision UAD? Des changements seront-ils apportés à la méthodologie d’amortissement de l’AUC à la lumière de cette fin, et sur l’ordre de qui? Y aura-t-il une occasion pour les services publics de mettre à l’épreuve l’assertion de l’AUC qu’elle a l’autorité en vertu de son pouvoir d’établissement de tarifs de modifier sa méthodologie d’amortissement en fonction des circonstances d’un cas dans lequel il est allégué que l’équilibre essentiel entre un investissement robuste dans les services publics et les intérêts des consommateurs a été rompu, à moins que le service public ne puisse recouvrer les coûts d’un actif délaissé?
*James H. Smellie est associé principal chez Gowling Lafleur Henderson LLP au bureau de Calgary, où il travaille principalement dans le domaine de la réglementation énergétique. Toute opinion exprimée dans le présent article est la sienne et ne représente en aucun cas l’opinion du cabinet ni de tout client de celui-ci.