La Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a rendu sa décision dans l’affaire Enbridge Gas New Brunswick Limited Partnership et autres c. la procureure généraledu Nouveau-Brunswick pour la province du Nouveau-Brunswick (2013 NBCA 34) le 3 mai 2013. Il s’agissait d’une décision en appel de la décision de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick (madame la juge Paulette Garnett) rendue le 23 août 2012. Les parties Enbridge (ci-après appelées Enbridge) ont demandé à la Division de première instance de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick que le paragraphe 4(1) du Règlement 2012-49 en vertu de la Loi de 1999 sur la distribution du gaz, chap. G-2.11, soit reconnu invalide, car il outrepassait les pouvoirs du lieutenant-gouverneur en conseil pour la province du Nouveau-Brunswick.
Enbridge Gas New Brunswick Limited Partnership est une entreprise de services publics réglementée qui possède une concession générale de distribution de gaz naturel au Nouveau-Brunswick. En janvier 2012, la législature du Nouveau-Brunswick a modifié la Loi de 1999 sur la distribution du gaz. Selon l’alinéa 52(5)a) de la Loi sur la distribution du gaz modifiée, la Commission de l’énergie et des services publics (CESP) du Nouveau-Brunswick « doit adopter les méthodes ou les techniques prescrites par règlement » lorsqu’elle fixe les taux et les tarifs pour la vente de gaz naturel au Nouveau-Brunswick. Le lieutenant-gouverneur en conseil du Nouveau-Brunswick a établi un règlement, soit le Règlement sur les taux et tarifs (ci-après appelé le « Règlement »), qui est entré en vigueur le 16 avril 2012. Le paragraphe 4(1) du Règlement exige que la CESP applique la méthode ou technique fondée sur le recouvrement des coûts et qu’elle applique également « un coefficient de couverture des coûts qui ne saurait être supérieur à 1,2 :1 » pour chacune des catégories de clients pour lesquelles la méthode ou technique fondée sur le recouvrement des coûts devait être appliquée. Le paragraphe 4(1) prévoit également que les taux et les tarifs déterminés en fonction de la méthode ou technique fondée sur le recouvrement des coûts ne doivent pas être supérieurs aux taux qui auraient été fixés si la CESP adoptait la méthode ou technique axée sur le marché préexistante pour la tarification qui prévalait en général auparavant au Nouveau-Brunswick.
Enbridge a sollicité une déclaration voulant que le paragraphe 4(1) du Règlement outrepassait les pouvoirs du lieutenant-gouverneur en conseil. Madame la juge Garnett a formulé la question adressée au tribunal inférieur de la façon suivante : « Est-ce que le Règlement relève du pouvoir conféré par la loi et est-il cohérent avec les objectifs généraux de la loi applicable? » Madame la juge Garnett a conclu que les articles 52 et 95 de la Loi de 1999 sur la distribution du gaz avaient une portée assez vaste pour autoriser le paragraphe 4(1) du Règlement et par conséquent a établi que le paragraphe 4(1) relevait du pouvoir légal du lieutenant-gouverneur en conseil. La Cour d’appel a affirmé que pour en arriver à sa décision, madame la juge Garnett « a soutenu que l’alinéa 52(5)a) devait être interprété au sens large ». La Cour d’appel a aussi fait remarquer que l’article 95 de la Loi de 1999 sur la distribution du gaz, lequel autorise le lieutenant-gouverneur en conseil à adopter un règlement qui prescrit les méthodes que la CESP doit adopter au moment d’approuver ou de fixer les taux, ne comportait, aux fins de l’appel, aucune différence importante avec l’alinéa 52(5)a) de la Loi de 1999 sur la distribution du gaz.
Dans l’appel, la province du Nouveau-Brunswick s’en est tenue à dire que le segment « les méthodes ou techniques prescrites par le règlement » devait être interprété largement de façon à inclure toutes considérations pertinentes lorsqu’il est question de fixer des taux. Une interprétation aussi large engloberait des questions telles que le coefficient de couverture des coûts. Pour sa part, Enbridge a soutenu que le segment « méthodes ou techniques » avait un sens limité qui comprenait des méthodes de tarification reconnues.
La Cour d’appel s’en est remise à la démarche moderne en matière d’interprétation des lois quand elle a fait remarquer que l’alinéa 52(5)a) de la Loi de 1999 sur la distribution du gaz ne pouvait être lu isolément. Elle a déclaré que la disposition devait être interprétée dans le contexte du régime législatif dans lequel s’inscrit l’obligation de la CESP de fixer des taux « justes et raisonnables ». À la lumière de la présomption de la « cohérence interne » et de celle voulant que l’on doive éviter les « résultats absurdes », la Cour, conduite par son analyse contextuelle, a conclu qu’il n’était pas dans l’idée de la législature du Nouveau-Brunswick que l’alinéa 52(5)a) soit interprété de façon aussi large que ce que la province a soutenu1. Au contraire, la Cour d’appel a estimé que le segment « méthodes ou techniques » possédait un sens technique : un sens qui est limité de par sa nature et qui est compatible avec l’article 52 dans son ensemble. Cela a mené à la conclusion définitive de la Cour d’appel selon laquelle la directive formulée au paragraphe 4(1) du Règlement, qui enjoint la CESP à adopter un coefficient de couverture des coûts maximum, allait au-delà du pouvoir de réglementation du lieutenant-gouverneur en conseil.
La Cour d’appel a conclu qu’après avoir examiné la Loi de 1999 sur la distribution du gaz et le Règlement, il était évident que le législateur envisageait deux « méthodes ou techniques.» connues pour la fixation des taux : (1) celle fondée sur le recouvrement des coûts; et (2) celle axée sur le marché. Par conséquent, la Cour a jugé que le segment « méthodes ou techniques.» ne saurait raisonnablement recevoir une interprétation selon laquelle il comprendrait le droit du lieutenant-gouverneur en conseil d’ordonner à la CESP d’appliquer, par exemple, un coefficient de recouvrement des coûts précis.
La Cour d’appel a accueilli l’appel en partie et a déclaré qu’une partie du paragraphe 4(1) du Règlement concernant le « coefficient de couverture des coûts » allait au-delà du pouvoir de réglementation du lieutenant-gouverneur en conseil.
La décision de la Cour d’appel s’ajoute à une longue tradition de la jurisprudence canadienne qui soutient que les actions entreprises par le lieutenant-gouverneur en conseil doivent être conformes à l’esprit de la loi dérogatoire en vertu de laquelle elles sont prises. Notamment, dans la réglementation d’industries techniques comme l’électricité et le gaz naturel, la terminologie de l’industrie et les termes techniques sont, comme l’a souligné la Cour d’appel, mieux compris par ceux qui doivent interpréter et appliquer la loi à l’intérieur d’une industrie réglementée. Fait intéressant, à cet égard, quoiqu’il ne s’agisse pas d’un facteur déterminant en fin de compte, deux juges de la Cour d’appel ont souligné qu’il était pour le moins discutable que la question de l’interprétation examinée n’ait pas été directement présentée à la CESP. Les deux juges ont déduit qu’il était préférable de traiter cette question à une autre occasion, mais ont affirmé qu’à leurs yeux, la Cour s’est retrouvée avec la tâche d’interpréter des termes « techniques » qui selon toute probabilité ne pouvaient être bien connus des tribunaux de la province.
En somme, la Cour d’appel a conclu que la Loi sur la distribution du gaz telle qu’elle était libellée après les réformes de 2012 continue de laisser à la CESP la décision sur ce que devrait être la valeur du coefficient de couverture des coûts et, par conséquent, que la directive à cet effet dans le Règlement allait au-delà du pouvoir de réglementation du lieutenant-gouverneur en conseil.
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* David MacDougall, Bsc, LLB, MBA, LLM est un associé avec le cabinet d’avocats canadien de l’Atlantique, McInnes Cooper. McInnes Cooper était conseiller juridique de Enbridge à la fois auprès de la cour du banc de la reine et dans les procédures devant la Cour d’appel.
1 Au sujet des questions de la « cohérence interne » et de l’ « absurdité », la Cour d’appel a fait remarquer en particulier certaines autres directives statutaires qui se trouvent dans les alinéas 52(5)b), c) et d) de la Loi sur la distribution du gaz, et a déclaré que si les interprétations larges de la Province devaient être adoptées, le lieutenant-gouverneur en conseil aurait pu simplement s’en remettre à l’alinéa 52(5)a) pour adopter un règlement qui aurait également compris les points contenus dans les alinéas b), c) et d). La Cour d’appel a conclu à cet égard qu’il ne faisait aucun sens de prendre la première des quatre limitations et de l’interpréter de façon à éliminer le besoin d’imposer les trois autres.
La Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a rendu sa décision dans l’affaire Enbridge Gas New Brunswick Limited Partnership et autres c. la procureure généraledu Nouveau-Brunswick pour la province du Nouveau-Brunswick (2013 NBCA 34) le 3 mai 2013. Il s’agissait d’une décision en appel de la décision de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick (madame la juge Paulette Garnett) rendue le 23 août 2012. Les parties Enbridge (ci-après appelées Enbridge) ont demandé à la Division de première instance de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick que le paragraphe 4(1) du Règlement 2012-49 en vertu de la Loi de 1999 sur la distribution du gaz, chap. G-2.11, soit reconnu invalide, car il outrepassait les pouvoirs du lieutenant-gouverneur en conseil pour la province du Nouveau-Brunswick.
Enbridge Gas New Brunswick Limited Partnership est une entreprise de services publics réglementée qui possède une concession générale de distribution de gaz naturel au Nouveau-Brunswick. En janvier 2012, la législature du Nouveau-Brunswick a modifié la Loi de 1999 sur la distribution du gaz. Selon l’alinéa 52(5)a) de la Loi sur la distribution du gaz modifiée, la Commission de l’énergie et des services publics (CESP) du Nouveau-Brunswick « doit adopter les méthodes ou les techniques prescrites par règlement » lorsqu’elle fixe les taux et les tarifs pour la vente de gaz naturel au Nouveau-Brunswick. Le lieutenant-gouverneur en conseil du Nouveau-Brunswick a établi un règlement, soit le Règlement sur les taux et tarifs (ci-après appelé le « Règlement »), qui est entré en vigueur le 16 avril 2012. Le paragraphe 4(1) du Règlement exige que la CESP applique la méthode ou technique fondée sur le recouvrement des coûts et qu’elle applique également « un coefficient de couverture des coûts qui ne saurait être supérieur à 1,2 :1 » pour chacune des catégories de clients pour lesquelles la méthode ou technique fondée sur le recouvrement des coûts devait être appliquée. Le paragraphe 4(1) prévoit également que les taux et les tarifs déterminés en fonction de la méthode ou technique fondée sur le recouvrement des coûts ne doivent pas être supérieurs aux taux qui auraient été fixés si la CESP adoptait la méthode ou technique axée sur le marché préexistante pour la tarification qui prévalait en général auparavant au Nouveau-Brunswick.
Enbridge a sollicité une déclaration voulant que le paragraphe 4(1) du Règlement outrepassait les pouvoirs du lieutenant-gouverneur en conseil. Madame la juge Garnett a formulé la question adressée au tribunal inférieur de la façon suivante : « Est-ce que le Règlement relève du pouvoir conféré par la loi et est-il cohérent avec les objectifs généraux de la loi applicable? » Madame la juge Garnett a conclu que les articles 52 et 95 de la Loi de 1999 sur la distribution du gaz avaient une portée assez vaste pour autoriser le paragraphe 4(1) du Règlement et par conséquent a établi que le paragraphe 4(1) relevait du pouvoir légal du lieutenant-gouverneur en conseil. La Cour d’appel a affirmé que pour en arriver à sa décision, madame la juge Garnett « a soutenu que l’alinéa 52(5)a) devait être interprété au sens large ». La Cour d’appel a aussi fait remarquer que l’article 95 de la Loi de 1999 sur la distribution du gaz, lequel autorise le lieutenant-gouverneur en conseil à adopter un règlement qui prescrit les méthodes que la CESP doit adopter au moment d’approuver ou de fixer les taux, ne comportait, aux fins de l’appel, aucune différence importante avec l’alinéa 52(5)a) de la Loi de 1999 sur la distribution du gaz.
Dans l’appel, la province du Nouveau-Brunswick s’en est tenue à dire que le segment « les méthodes ou techniques prescrites par le règlement » devait être interprété largement de façon à inclure toutes considérations pertinentes lorsqu’il est question de fixer des taux. Une interprétation aussi large engloberait des questions telles que le coefficient de couverture des coûts. Pour sa part, Enbridge a soutenu que le segment « méthodes ou techniques » avait un sens limité qui comprenait des méthodes de tarification reconnues.
La Cour d’appel s’en est remise à la démarche moderne en matière d’interprétation des lois quand elle a fait remarquer que l’alinéa 52(5)a) de la Loi de 1999 sur la distribution du gaz ne pouvait être lu isolément. Elle a déclaré que la disposition devait être interprétée dans le contexte du régime législatif dans lequel s’inscrit l’obligation de la CESP de fixer des taux « justes et raisonnables ». À la lumière de la présomption de la « cohérence interne » et de celle voulant que l’on doive éviter les « résultats absurdes », la Cour, conduite par son analyse contextuelle, a conclu qu’il n’était pas dans l’idée de la législature du Nouveau-Brunswick que l’alinéa 52(5)a) soit interprété de façon aussi large que ce que la province a soutenu1. Au contraire, la Cour d’appel a estimé que le segment « méthodes ou techniques » possédait un sens technique : un sens qui est limité de par sa nature et qui est compatible avec l’article 52 dans son ensemble. Cela a mené à la conclusion définitive de la Cour d’appel selon laquelle la directive formulée au paragraphe 4(1) du Règlement, qui enjoint la CESP à adopter un coefficient de couverture des coûts maximum, allait au-delà du pouvoir de réglementation du lieutenant-gouverneur en conseil.
La Cour d’appel a conclu qu’après avoir examiné la Loi de 1999 sur la distribution du gaz et le Règlement, il était évident que le législateur envisageait deux « méthodes ou techniques.» connues pour la fixation des taux : (1) celle fondée sur le recouvrement des coûts; et (2) celle axée sur le marché. Par conséquent, la Cour a jugé que le segment « méthodes ou techniques.» ne saurait raisonnablement recevoir une interprétation selon laquelle il comprendrait le droit du lieutenant-gouverneur en conseil d’ordonner à la CESP d’appliquer, par exemple, un coefficient de recouvrement des coûts précis.
La Cour d’appel a accueilli l’appel en partie et a déclaré qu’une partie du paragraphe 4(1) du Règlement concernant le « coefficient de couverture des coûts » allait au-delà du pouvoir de réglementation du lieutenant-gouverneur en conseil.
La décision de la Cour d’appel s’ajoute à une longue tradition de la jurisprudence canadienne qui soutient que les actions entreprises par le lieutenant-gouverneur en conseil doivent être conformes à l’esprit de la loi dérogatoire en vertu de laquelle elles sont prises. Notamment, dans la réglementation d’industries techniques comme l’électricité et le gaz naturel, la terminologie de l’industrie et les termes techniques sont, comme l’a souligné la Cour d’appel, mieux compris par ceux qui doivent interpréter et appliquer la loi à l’intérieur d’une industrie réglementée. Fait intéressant, à cet égard, quoiqu’il ne s’agisse pas d’un facteur déterminant en fin de compte, deux juges de la Cour d’appel ont souligné qu’il était pour le moins discutable que la question de l’interprétation examinée n’ait pas été directement présentée à la CESP. Les deux juges ont déduit qu’il était préférable de traiter cette question à une autre occasion, mais ont affirmé qu’à leurs yeux, la Cour s’est retrouvée avec la tâche d’interpréter des termes « techniques » qui selon toute probabilité ne pouvaient être bien connus des tribunaux de la province.
En somme, la Cour d’appel a conclu que la Loi sur la distribution du gaz telle qu’elle était libellée après les réformes de 2012 continue de laisser à la CESP la décision sur ce que devrait être la valeur du coefficient de couverture des coûts et, par conséquent, que la directive à cet effet dans le Règlement allait au-delà du pouvoir de réglementation du lieutenant-gouverneur en conseil.
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* David MacDougall, Bsc, LLB, MBA, LLM est un associé avec le cabinet d’avocats canadien de l’Atlantique, McInnes Cooper. McInnes Cooper était conseiller juridique de Enbridge à la fois auprès de la cour du banc de la reine et dans les procédures devant la Cour d’appel.
1 Au sujet des questions de la « cohérence interne » et de l’ « absurdité », la Cour d’appel a fait remarquer en particulier certaines autres directives statutaires qui se trouvent dans les alinéas 52(5)b), c) et d) de la Loi sur la distribution du gaz, et a déclaré que si les interprétations larges de la Province devaient être adoptées, le lieutenant-gouverneur en conseil aurait pu simplement s’en remettre à l’alinéa 52(5)a) pour adopter un règlement qui aurait également compris les points contenus dans les alinéas b), c) et d). La Cour d’appel a conclu à cet égard qu’il ne faisait aucun sens de prendre la première des quatre limitations et de l’interpréter de façon à éliminer le besoin d’imposer les trois autres.