Partout au Canada, les gouvernements provinciaux, que ce soit directement ou par l’entremise d’organisations des achats ou de services publics appartenant aux gouvernements, ont fait l’achat de production d’énergie éolienne de façon très active au cours des cinq dernières années.
Qu’arrive-t-il lorsque le gouvernement change d’idée et qu’il annule un projet? Ce fut récemment le cas de Trillium Wind Power Corporation, un promoteur de Toronto fabriquant des éoliennes marines pour le lac Ontario. La société avait déposé une demande pour prendre à bail une terre provinciale dans le cadre de la politique sur l’énergie éolienne de l’Ontario et le ministère des ressources naturelles lui a accordé le statut de requérant inscrit.
Le statut permettait à Trillium de soumettre l’énergie éolienne à des essais pendant trois ans. Par la suite, la société pouvait procéder à une évaluation environnementale et obtenir l’autorisation d’exploiter le parc éolien.
Trillium a ensuite informé le ministère des ressources naturelles de l’Ontario qu’elle avait l’intention de clôturer un financement de 26 millions de dollars pour le projet. Le même jour, le gouvernement de l’Ontario a décrété un moratoire sur le développement d’éoliennes marines concernant en outre les promoteurs comme Trillium qui bénéficiait d’un statut de requérant inscrit. Le gouvernement a diffusé un communiqué de presse indiquant que les projets étaient annulés dans l’attente de recherches scientifiques plus approfondies.
Trillium a déposé plusieurs demandes contre le gouvernement de l’Ontario réclamant une somme de 2 milliards de dollars en dommages. Les demandes comprenaient une rupture de contrat, un enrichissement injustifié, une assertion négligente et inexacte, une faute dans l’exercice d’une charge publique et une infliction intentionnelle de préjudice économique.
La province a déposé une requête visant à faire radier la demande de Trillium invoquant que celle-ci ne révélait aucune cause d’action valable. La requête a été acceptée. Le juge saisi de la requête a conclu que la décision du gouvernement de fermer les parcs éoliens constituait une décision politique et par conséquent, exempte de toute poursuite en justice.
Le juge saisi de la requête a également tranché sur le fait que le statut de requérant inscrit accordé à Trillium ne constituait pas une relation contractuelle entre Trillium et le gouvernement. Le juge a conclu que la demande devait être radiée, car il était manifeste et évident qu’elle n’aurait pas gain de cause au procès.
Trillium a interjeté appel pour deux motifs. En premier lieu, une faute dans l’exercice d’une charge publique représentait une demande défendable en droit et, en second lieu, la demande avait été convenablement plaidée. La Cour d’appel de l’Ontario s’est dite d’accord1. Il n’était pas certain que la demande concernant la faute dans l’exercice d’une charge publique mènerait nécessairement à un échec. En outre, Trillium avait dûment plaidé que la province avait intenté les actions en justice de mauvaise foi et à des fins illégitimes. La Cour a également estimé que la décision du gouvernement visait à porter préjudice à Trillium en particulier. Alors que la Cour d’appel convenait avec le juge saisi de la requête que la décision du gouvernement basée sur des facteurs politiques était à l’abri de toute poursuite en justice, une exception s’appliquait pour des actes irrationnels de mauvaise foi.
Les faits dans cette affaire étaient uniques. Il était évident que l’annonce de Trillium dévoilant le nouveau financement avait déclenché l’action du gouvernement et que, comme la Cour l’a conclu, le gouvernement visait spécifiquement Trillium.
Il s’agit là d’une affaire importante pour les promoteurs de parcs éoliens. La passation de marchés en matière d’énergie éolienne avec les gouvernements est désormais commune. De plus, il n’est pas inhabituel pour les gouvernements de changer ces programmes comme il n’est pas rare pour les promoteurs d’engager des dépenses substantielles dans le traitement de leurs demandes. Les demandes couronnées de succès contre les gouvernements qui annulent des projets sont rares, mais elles pourraient devenir plus nombreuses.
C’est la première fois que le délit de faute dans l’exercice d’une charge publique s’applique au secteur de l’énergie. Les origines de cet acte délictuel remontent au procès anglais Ashby v White, tenu en 17032. Cependant, le principe est demeuré mal défini jusqu’à la décision de la Chambre des lords dans l’affaire Three Rivers District Council v Bank of England en 20003. Le délit est apparu au Canada en 1959 dans l’affaire Roncarelli c Duplessis4, mais n’a été utilisé que très rarement jusqu’à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Odhavij Estate v Woodhouse en 20035.
Deux récentes décisions rendues en 2008, l’une par la Cour fédérale6 et l’autre par la Cour d’appel de l’Ontario7, suggèrent que le délit peut obtenir gain de cause là où le délit de négligence essuierait un échec. En outre, la malveillance et l’insouciance téméraire sont des concepts complexes, ce qui rend ces demandes difficiles à radier au moment des plaidoiries.
Dans l’affaire O Dwyer, la Cour d’appel de l’Ontario a tenu le défendeur responsable, car les fonctionnaires de la Commission « ont fait preuve d’insouciance téméraire et d’ignorance volontaire quant à l’illégalité de leurs actions et de leurs possibilités de porter préjudice au demandeur ». Il s’agit là d’un principe général qui fait peser une véritable contrainte sur les actions gouvernementales discutables.
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* Gordon E. Kaiser, FCIArb, est un arbitre agrée pratiquant à Jams Resolution Center à Toronto et Washington DC, ainsi qu’aux Energy Arbitration Chambers de Calgary et de Houston. Il est un ancien vice-président de la Commission de l’énergie de l’Ontario. De plus il est un professeur adjoint à l’Osgoode Hall Law School, co- président du forum canadien sur la loi sur l’énergie et rédacteur en chef pour cette publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie.
1 Trillium Power Wind Corp. v Ontario (Richesses naturelles), 2013 ONCA 683 aux para 54 et 55.
2 Ashby v White (1703) 92 ER 126.
3 Council v Bank of England (2000) 2 WLR 1220 (HL).
4 Roncarelli c Duplessis (1959) SCR 121.
5 Odhavij Estate v Woodhouse (2003) SCJ No 74.
6 McMaster v The Queen 2009 FC 937.
7 O Dwyer v Ontario Racing Commission (2008) 293 DLR (4e) 559 (Ont CA).
Partout au Canada, les gouvernements provinciaux, que ce soit directement ou par l’entremise d’organisations des achats ou de services publics appartenant aux gouvernements, ont fait l’achat de production d’énergie éolienne de façon très active au cours des cinq dernières années.
Qu’arrive-t-il lorsque le gouvernement change d’idée et qu’il annule un projet? Ce fut récemment le cas de Trillium Wind Power Corporation, un promoteur de Toronto fabriquant des éoliennes marines pour le lac Ontario. La société avait déposé une demande pour prendre à bail une terre provinciale dans le cadre de la politique sur l’énergie éolienne de l’Ontario et le ministère des ressources naturelles lui a accordé le statut de requérant inscrit.
Le statut permettait à Trillium de soumettre l’énergie éolienne à des essais pendant trois ans. Par la suite, la société pouvait procéder à une évaluation environnementale et obtenir l’autorisation d’exploiter le parc éolien.
Trillium a ensuite informé le ministère des ressources naturelles de l’Ontario qu’elle avait l’intention de clôturer un financement de 26 millions de dollars pour le projet. Le même jour, le gouvernement de l’Ontario a décrété un moratoire sur le développement d’éoliennes marines concernant en outre les promoteurs comme Trillium qui bénéficiait d’un statut de requérant inscrit. Le gouvernement a diffusé un communiqué de presse indiquant que les projets étaient annulés dans l’attente de recherches scientifiques plus approfondies.
Trillium a déposé plusieurs demandes contre le gouvernement de l’Ontario réclamant une somme de 2 milliards de dollars en dommages. Les demandes comprenaient une rupture de contrat, un enrichissement injustifié, une assertion négligente et inexacte, une faute dans l’exercice d’une charge publique et une infliction intentionnelle de préjudice économique.
La province a déposé une requête visant à faire radier la demande de Trillium invoquant que celle-ci ne révélait aucune cause d’action valable. La requête a été acceptée. Le juge saisi de la requête a conclu que la décision du gouvernement de fermer les parcs éoliens constituait une décision politique et par conséquent, exempte de toute poursuite en justice.
Le juge saisi de la requête a également tranché sur le fait que le statut de requérant inscrit accordé à Trillium ne constituait pas une relation contractuelle entre Trillium et le gouvernement. Le juge a conclu que la demande devait être radiée, car il était manifeste et évident qu’elle n’aurait pas gain de cause au procès.
Trillium a interjeté appel pour deux motifs. En premier lieu, une faute dans l’exercice d’une charge publique représentait une demande défendable en droit et, en second lieu, la demande avait été convenablement plaidée. La Cour d’appel de l’Ontario s’est dite d’accord1. Il n’était pas certain que la demande concernant la faute dans l’exercice d’une charge publique mènerait nécessairement à un échec. En outre, Trillium avait dûment plaidé que la province avait intenté les actions en justice de mauvaise foi et à des fins illégitimes. La Cour a également estimé que la décision du gouvernement visait à porter préjudice à Trillium en particulier. Alors que la Cour d’appel convenait avec le juge saisi de la requête que la décision du gouvernement basée sur des facteurs politiques était à l’abri de toute poursuite en justice, une exception s’appliquait pour des actes irrationnels de mauvaise foi.
Les faits dans cette affaire étaient uniques. Il était évident que l’annonce de Trillium dévoilant le nouveau financement avait déclenché l’action du gouvernement et que, comme la Cour l’a conclu, le gouvernement visait spécifiquement Trillium.
Il s’agit là d’une affaire importante pour les promoteurs de parcs éoliens. La passation de marchés en matière d’énergie éolienne avec les gouvernements est désormais commune. De plus, il n’est pas inhabituel pour les gouvernements de changer ces programmes comme il n’est pas rare pour les promoteurs d’engager des dépenses substantielles dans le traitement de leurs demandes. Les demandes couronnées de succès contre les gouvernements qui annulent des projets sont rares, mais elles pourraient devenir plus nombreuses.
C’est la première fois que le délit de faute dans l’exercice d’une charge publique s’applique au secteur de l’énergie. Les origines de cet acte délictuel remontent au procès anglais Ashby v White, tenu en 17032. Cependant, le principe est demeuré mal défini jusqu’à la décision de la Chambre des lords dans l’affaire Three Rivers District Council v Bank of England en 20003. Le délit est apparu au Canada en 1959 dans l’affaire Roncarelli c Duplessis4, mais n’a été utilisé que très rarement jusqu’à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Odhavij Estate v Woodhouse en 20035.
Deux récentes décisions rendues en 2008, l’une par la Cour fédérale6 et l’autre par la Cour d’appel de l’Ontario7, suggèrent que le délit peut obtenir gain de cause là où le délit de négligence essuierait un échec. En outre, la malveillance et l’insouciance téméraire sont des concepts complexes, ce qui rend ces demandes difficiles à radier au moment des plaidoiries.
Dans l’affaire O Dwyer, la Cour d’appel de l’Ontario a tenu le défendeur responsable, car les fonctionnaires de la Commission « ont fait preuve d’insouciance téméraire et d’ignorance volontaire quant à l’illégalité de leurs actions et de leurs possibilités de porter préjudice au demandeur ». Il s’agit là d’un principe général qui fait peser une véritable contrainte sur les actions gouvernementales discutables.
^haut de la page
* Gordon E. Kaiser, FCIArb, est un arbitre agrée pratiquant à Jams Resolution Center à Toronto et Washington DC, ainsi qu’aux Energy Arbitration Chambers de Calgary et de Houston. Il est un ancien vice-président de la Commission de l’énergie de l’Ontario. De plus il est un professeur adjoint à l’Osgoode Hall Law School, co- président du forum canadien sur la loi sur l’énergie et rédacteur en chef pour cette publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie.
1 Trillium Power Wind Corp. v Ontario (Richesses naturelles), 2013 ONCA 683 aux para 54 et 55.
2 Ashby v White (1703) 92 ER 126.
3 Council v Bank of England (2000) 2 WLR 1220 (HL).
4 Roncarelli c Duplessis (1959) SCR 121.
5 Odhavij Estate v Woodhouse (2003) SCJ No 74.
6 McMaster v The Queen 2009 FC 937.
7 O Dwyer v Ontario Racing Commission (2008) 293 DLR (4e) 559 (Ont CA).