CONTEXTE
La présente décision1 concerne le contrat conclu en 1969 entre Churchill Falls (Labrador) Corporation Limited (« CFL Co. ») et Hydro-Québec qui définit le cadre juridique et financier de la construction et de l’exploitation de la centrale hydroélectrique du cours supérieur du fleuve Churchill au Labrador. Aux termes du contrat, Hydro-Québec s’est engagée à acheter, sur une période de 65 ans, la majeure partie de l’électricité produite par la centrale qui a soutenu le financement par emprunt pour la construction de l’installation. En échange, Hydro-Québec a obtenu le droit d’acheter l’électricité à prix fixe pendant toute la durée du contrat.
Au cours des années suivantes, le marché de l’électricité a connu des changements et le prix d’achat de l’électricité fixé dans le contrat est devenu nettement inférieur aux prix du marché. Hydro-Québec a été en mesure de vendre l’électricité de l’installation à des tiers aux prix du marché, ce qui lui a permis de réaliser des profits substantiels. Compte tenu de ce changement de circonstances, CFL Co. a demandé aux tribunaux d’ordonner que le contrat soit renégocié et que ses avantages soient réattribués. CFL Co. a cherché à faire établir un nouveau tarif afin de s’assurer que le contrat reflétait, à son avis, l’équilibre de l’entente initiale et de faire respecter l’obligation présumée d’Hydro-Québec de collaborer avec CFL Co. sur la base d’une obligation générale de bonne foi.
La Cour supérieure du Québec2 a conclu que l’intervention demandée par CFL Co. n’était pas justifiée et la Cour d’appel du Québec3 a rejeté l’appel de CFL Co. La Cour suprême du Canada (la « Cour ») a rejeté l’appel de CFL Co. par sept juges contre un, le juge dissident étant le juge Rowe, de la province de Terre-Neuve-et-Labrador et le juge en chef McLachlin n’ayant pas pris part au jugement.
DÉCISION
CFL Co. a soutenu qu’étant donné la nature du contrat et les obligations de bonne foi et d’équité des parties, Hydro-Québec avait l’obligation de renégocier le contrat lorsqu’il s’avérait être une source imprévue de profits importants pour Hydro-Québec. La position de CFL Co. était que le contrat devait être renégocié afin de répartir plus équitablement les bénéfices entre les parties4.
CARACTÉRISATION DU CONTRAT
À l’appui de sa position, CFL Co. a commencé par soulever des arguments relatifs à la caractérisation, au contenu et à l’interprétation du contrat. Elle a fait valoir qu’il s’agissait d’un contrat relationnel assimilable à une coentreprise5. Elle estimait que les parties avaient toujours eu l’intention de privilégier la coopération et le partage équitable des risques et des avantages associés au projet et que le contrat ne pouvait être considéré comme ayant traité le risque de fluctuations des prix de l’électricité aussi radicales que celles survenues depuis les années 1980, ces fluctuations étant impossibles à prévoir en 19696.
La Cour a toutefois conclu que le contrat ne pouvait pas être qualifié de coentreprise ou de contrat relationnel. En ce qui concerne le potentiel d’une coentreprise, la Cour a conclu que la preuve n’indiquait pas que les parties avaient l’intention de conclure un partenariat ou d’assumer conjointement la responsabilité financière ou logistique du développement du projet au-delà de la simple coopération requise pour exécuter leurs obligations respectives7. La Cour a donc conclu que les relations entre les parties ne présentaient pas les caractéristiques généralement associées à une coentreprise8.
Quant au caractère relationnel du contrat, la Cour a noté qu’en général, un contrat relationnel énonce les règles d’une étroite collaboration entre les parties qui souhaitent le maintenir à long terme et met l’accent sur la relation des parties et sur leur capacité à s’entendre et à coopérer en ne définissant pas leurs obligations et avantages respectifs de façon très détaillée. La Cour a noté que de telles relations exigent une coopération plus active que celle qui est exigée par les contrats basés sur des transactions9.
En ce qui concerne le contrat en cause, la Cour a conclu que les parties avaient établi une série d’obligations et d’avantages définis et détaillés plutôt que de prévoir une coordination économique souple10. La Cour note que la participation de chacune des parties est clairement quantifiée et définie et que cela démontre qu’elles entendent que le projet se déroule selon les termes du contrat et non en fonction de leur capacité à s’entendre et à collaborer de jour en jour pour combler les lacunes du contrat. La Cour note que l’interdépendance à long terme du contrat n’implique pas en soi que le contrat soit relationnel11. La Cour a spécifiquement noté que la Cour d’appel avait raison de conclure que le juge de première instance n’avait commis aucune erreur manifeste et prépondérante qui pourrait justifier une intervention et que sa conclusion déterminante concernant le paradigme du contrat, principalement que ses prix fixes et à long terme étaient précisément les avantages recherchés par Hydro-Québec en 1969, était fortement appuyée par la preuve qu’il avait examinée12.
BONNE FOI, ÉQUITÉ ET IMPRÉVISIBILITÉ
CFL Co. a également soutenu que, sur le plan juridique, Hydro-Québec ne pourrait recevoir de tels bénéfices sans être tenue d’en distribuer une partie à CFL Co. en s’appuyant sur l’obligation générale de bonne foi13 reconnue en droit civil québécois et sur les obligations implicites prévues au contrat en matière d’équité14. Hydro-Québec a noté et la Cour a accepté, que CFL Co. revendiquait essentiellement le droit d’exiger la renégociation du contrat sur la base de l’imprévisibilité15.
En ce qui concerne la question d’une obligation implicite éventuelle, la Cour a conclu que même si une obligation implicite peut, au sens de l’article 1434 du Code civil du Québec16, être incidente à un contrat si l’obligation est compatible avec l’économie générale de ce contrat et que sa cohérence semble exiger une telle obligation, une telle clause implicite doit non seulement ajouter au contrat des obligations qui pourraient le renforcer mais doit combler un vide. La Cour a alors conclu qu’il n’y avait aucune lacune ou omission dans l’économie du contrat qui exigeait qu’une obligation implicite de coopérer et de renégocier les prix convenus soit lue dans le contrat afin de le rendre cohérent17.
En traitant de cette question de clause implicite de renégociation, la Cour a spécifiquement noté que les interprétations proposées par CFL Co. ne pouvaient l’emporter sur les conclusions du juge quant à la répartition des risques entre les parties tel qu’il est stipulé au contrat et quant aux avantages qui en découlent, notamment pour Hydro-Québec18. La majorité a également noté que l’application de la conception (en dissidence) par le juge Rowe de la nature relationnelle du contrat équivalait à une réévaluation sommaire de ce que les parties considéraient comme le paradigme central du contrat, fondée sur une interprétation de la preuve, tant intrinsèque qu’externe, que le juge du procès n’a pas acceptée19.
En ce qui concerne l’application de la doctrine de l’imprévisibilité, la Cour a conclu qu’un examen sommaire des clauses du contrat et de leur contexte suffisait pour conclure que les parties avaient l’intention de fixer le prix de l’électricité pour toute la durée du contrat20 et surtout que le juge de première instance a conclu, à partir de la preuve, que les parties avaient l’intention d’attribuer le risque de fluctuations des prix et que les volontés sur ce point précis étaient unanimes21. De l’avis de la Cour, le risque de fluctuations des prix, variable connue, a été attribué par le contrat22. La Cour a déclaré que les parties convenaient qu’il s’agissait d’une variable dont la valeur était, par définition, inconnue23, et que les parties, étant pleinement conscientes de cette réalité, ont néanmoins pris un engagement ferme sans inclure de clause d’ajustement des prix, ce qui a confirmé à la majorité de la Cour que le contrat devait s’appliquer quelle que soit l’ampleur des fluctuations des prix24. La majorité n’a pu trouver aucune erreur manifeste et prépondérante dans les conclusions du juge de première instance sur ce point25.
Essentiellement, la Cour a conclu que la nature du contrat était que l’engagement des parties était définitif et ferme, et à long terme26. La Cour était d’avis que toutes les conclusions de fait requises étaient fortement appuyées par la preuve27. Étant donné que la majorité de la Cour a conclu que les parties avaient intentionnellement réparti le risque de fluctuations des prix, les circonstances dans lesquelles la doctrine de l’imprévisibilité pouvait potentiellement être reconnue ne correspondaient pas aux circonstances des parties en l’espèce. La Cour note également que la doctrine n’est pas explicitement reconnue en droit civil québécois à l’heure actuelle28 et que tout développement d’une notion analogue à l’imprévisibilité en droit civil québécois doit tenir compte du choix du législateur de ne pas faire de cette doctrine une règle universelle29.
La Cour a également noté que CFL Co. prétendait qu’elle n’invoquait pas spécifiquement la doctrine de l’imprévisibilité30. Toutefois, de l’avis de la majorité, les observations de CFL Co. ressemblaient beaucoup à cette doctrine et faisaient écho à son thème central – même si le contrat était à l’origine équitable et reflétait l’intention des parties, il ne reflétait plus cette intention initiale et ne l’avait pas fait puisque des changements imprévus importants sont survenus sur le marché de l’électricité31. La Cour a noté que la position générale de CFL Co. tournait essentiellement autour de son argument clé selon lequel la différence entre le marché de l’électricité de la fin des années 1960 et le marché actuel était si importante et si radicale qu’il serait approprié de décrire la transition de l’un à l’autre comme un véritable changement de paradigme32.
CFL Co. a soutenu que son argument n’était pas fondé sur l’imprévisibilité mais plutôt sur les notions de bonne foi et d’équité qui régissent l’exécution des obligations contractuelles en droit civil québécois33. En ce qui concerne la question de l’obligation générale de bonne foi, la Cour a noté que si cette obligation sert de fondement aux tribunaux pour intervenir et imposer aux parties contractantes des obligations fondées sur la notion d’équité contractuelle34, elle peut aussi tempérer les interprétations formelles des termes de certains contrats et servir à maximiser l’effet utile d’un contrat et des obligations et avantages qui sont pour les parties l’objet du contrat35.
La Cour note que lorsque la notion même d’imprévisibilité a été rejetée par le législateur québécois refusant d’incorporer cette doctrine dans le droit civil de la province, une protection analogue à celle-ci qui ne serait liée qu’à des changements de circonstances sans égard aux conditions fondamentales de la doctrine reconnues dans d’autres juridictions de droit civil ne pourrait devenir la règle en droit civil québécois36. La Cour a spécifiquement conclu que rien dans la relation entre CFL Co. et Hydro-Québec ne justifiait une intervention dans les circonstances de l’espèce, puisqu’il n’y avait ni inégalité ni vulnérabilité dans leur relation37. Les deux parties au contrat avaient de l’expérience et elles ont négocié longuement les clauses38. La Cour a conclu qu’elles s’engageaient à bien savoir ce qu’elles faisaient et que leur comportement montrait qu’elles voulaient que l’un d’eux supporte le risque de fluctuations des prix de l’électricité39.
La Cour a conclu que l’obligation de bonne foi n’annule pas le droit d’une partie de se fonder sur les termes du contrat, à moins que l’insistance sur ce droit ne soit déraisonnable dans les circonstances40. En l’espèce, le refus d’Hydro-Québec de renoncer aux avantages découlant du contrat ne s’écartait pas de la norme de conduite raisonnable qui pourrait réfuter la présomption qu’une partie est de bonne foi41. De plus, la Cour a conclu que l’insistance d’Hydro-Québec à respecter le contrat, malgré le prétendu changement imprévu de circonstances, ne constituait pas non plus une conduite déraisonnable en l’absence d’autres manquements à l’obligation de « fair-play » ou à celle de collaboration ou de coopération42.
De plus, la Cour a conclu qu’Hydro-Québec n’avait rien fait qui menaçait de perturber l’équilibre contractuel et qu’elle n’avait donc pas l’obligation de collaborer avec CFL Co. pour atténuer les effets du contrat43. La Cour a conclu que la preuve ne démontrait pas qu’Hydro-Québec agissait de mauvaise foi ou refusait d’accommoder la situation de CFL Co., mais qu’elle refusait seulement de donner à CFL Co. l’avantage découlant du contrat, ce qui ne constitue pas une violation de l’obligation de se conduire raisonnablement et conformément au franc-jeu44. La Cour note qu’Hydro-Québec bénéficiait effectivement du contrat dans la mesure où elle pouvait réaliser un profit grâce à sa participation au projet de Churchill Falls plutôt que d’entreprendre un projet similaire au Québec dans les années 1960, mais qu’elle avait obtenu cet avantage en échange d’investissements importants et de risques importants45.
De même, la Cour a conclu que CFL Co. a reçu ce qu’elle s’attendait à recevoir en vertu du contrat, soit principalement la capacité d’utiliser le financement par emprunt pour l’usine, et un rendement sur son investissement qu’elle a jugé raisonnable au moment de la signature du contrat46.
Enfin, la Cour a conclu que la situation en l’espèce ne constituait pas une violation d’une obligation permanente ou d’une faute continue qui n’est pas soumise à prescription47 et considérant que l’événement le plus récent ayant perturbé le marché de l’électricité s’est produit au plus tard en 1997, c’est à ce moment que CFL Co. aurait eu droit à une action48. La Cour a donc conclu qu’une action était donc prescrite depuis la fin de l’année 2000 au plus tard. La mesure la plus récente est celle prise par la Federal Energy Regulatory Commission des États-Unis pour exiger que le marché soit effectivement ouvert à tous les producteurs, au plus tard en 199749. La Cour n’a pas retenu l’argument de CFL Co. selon lequel le manquement d’Hydro-Québec à son obligation de bonne foi constituait une faute continue, mais a plutôt conclu que le droit d’action en question avait pris naissance au moment où les événements qui y avaient donné lieu s’étaient produits.
Dans l’ensemble, la Cour a conclu que le juge de première instance avait bien défini la nature de la relation entre les parties et le paradigme du contrat et que les parties n’avaient jamais eu l’intention de répartir également les risques et les avantages du projet50. Au contraire, elle a constaté que l’intention initiale était qu’Hydro-Québec assume la plupart des risques associés à la construction de la centrale appartenant à CFL Co51. La Cour est d’avis que l’avantage que CFL Co. qualifie de disproportionné, soit de garantir un prix fixe pour l’achat d’électricité, est considéré comme un moyen de faire assumer à Hydro-Québec un risque que CFL Co. ne voulait pas assumer. En contrepartie, Hydro-Québec devait obtenir des prix fixes bas et un contrat à long terme52. La Cour a conclu que le fait que le marché de l’électricité ait changé de manière si significative depuis que les parties ont conclu le contrat ne justifiait pas en soi le non-respect des termes du contrat et de sa nature53. De son avis, CFL Co. cherchait non pas à protéger l’équilibre du contrat mais à le remplacer par une nouvelle entente en défaisant certains aspects du contrat tout en conservant ceux qui convenaient à CFL Co. De l’avis de la majorité, ni la bonne foi ni l’équité ne justifiaient d’accéder à ces demandes.
La Cour a également noté avec intérêt que de son avis, CFL Co. lui demandait de limiter la portée temporelle du contrat afin qu’elle puisse bénéficier plus rapidement des avantages. À la fin du contrat, en 2041, elle recevra un jour ou l’autre une installation d’une valeur estimée à plus de 20 milliards de dollars qu’elle pourra exploiter à son propre avantage à compter de septembre 2041 pendant de nombreuses années encore54.
OPINION DIVERGENTE
D’autre part, le juge Rowe était d’avis que le juge de première instance avait commis une erreur en concluant que le contrat n’était pas relationnel mais plutôt transactionnel, et que le contrat établissait une relation à long terme entre les parties fondée sur la coopération et la promesse d’un avantage mutuel55. Le juge Rowe était d’avis que, puisque le contrat ne contenait pas de mécanisme particulier de répartition des bénéfices allant au-delà de ce qui était prévu au moment de l’entente, les parties avaient une obligation implicite de collaborer à la définition des modalités de leur répartition et qu’Hydro-Québec avait manqué à cette obligation56. Le juge Rowe était d’avis qu’en examinant le cadre général des droits et obligations des parties énoncés dans le contrat, la véritable nature de l’entente était relationnelle plutôt que transactionnelle57. Il a également noté qu’il ne partageait pas l’avis selon lequel les contrats relationnels devraient être limités à ceux qui laissent certaines obligations à définir par les parties à une date ultérieure.
De l’avis du juge Rowe, d’après sa conclusion sur la nature relationnelle du contrat, les parties avaient une obligation implicite de coopérer à l’établissement d’un mécanisme de répartition des bénéfices extraordinaires58. De plus, il a constaté que « lorsqu’un défaut persiste dans le temps et cause des dommages permanents, la prescription recommence à courir chaque jour »59. Par conséquent, en refusant d’entamer des négociations en vue d’établir un mécanisme d’attribution des bénéfices imprévus, Hydro-Québec avait continuellement manqué à son obligation de collaborer et l’action de CFL Co. n’était pas prescrite60.
CONCLUSION
Cette décision est le dernier chapitre d’un différend de longue date sur la répartition des avantages découlant du projet hydroélectrique Upper Churchill et elle fournit d’autres directives aux praticiens de l’énergie et des ressources naturelles qui sont souvent appelés à mettre en place des ententes à long terme pour appuyer le développement de projets. La Cour suprême du Canada a clairement indiqué que lorsque la preuve, y compris le libellé du contrat, permet de conclure que les parties se sont clairement mises d’accord sur la répartition d’un certain risque, même lorsque l’évaluation du risque à ce moment-là n’était pas clairement connue, les engagements contractuels à cet égard devraient généralement être respectés. À long terme, beaucoup de choses peuvent changer radicalement sur les marchés de l’énergie et des ressources naturelles, et les ententes contractuelles à long terme devraient être clairement articulées pour refléter la façon dont les parties ont convenu d’aborder la répartition des prix et d’autres changements potentiels sur ces marchés. La Cour suprême du Canada, tout en reconnaissant l’existence de la bonne foi et d’arguments équitables dans certaines circonstances, a reconfirmé le caractère sacré des contrats lorsque les parties ont réfléchi et réparti les obligations et avantages.
CONTEXTE
La présente décision1 concerne le contrat conclu en 1969 entre Churchill Falls (Labrador) Corporation Limited (« CFL Co. ») et Hydro-Québec qui définit le cadre juridique et financier de la construction et de l’exploitation de la centrale hydroélectrique du cours supérieur du fleuve Churchill au Labrador. Aux termes du contrat, Hydro-Québec s’est engagée à acheter, sur une période de 65 ans, la majeure partie de l’électricité produite par la centrale qui a soutenu le financement par emprunt pour la construction de l’installation. En échange, Hydro-Québec a obtenu le droit d’acheter l’électricité à prix fixe pendant toute la durée du contrat.
Au cours des années suivantes, le marché de l’électricité a connu des changements et le prix d’achat de l’électricité fixé dans le contrat est devenu nettement inférieur aux prix du marché. Hydro-Québec a été en mesure de vendre l’électricité de l’installation à des tiers aux prix du marché, ce qui lui a permis de réaliser des profits substantiels. Compte tenu de ce changement de circonstances, CFL Co. a demandé aux tribunaux d’ordonner que le contrat soit renégocié et que ses avantages soient réattribués. CFL Co. a cherché à faire établir un nouveau tarif afin de s’assurer que le contrat reflétait, à son avis, l’équilibre de l’entente initiale et de faire respecter l’obligation présumée d’Hydro-Québec de collaborer avec CFL Co. sur la base d’une obligation générale de bonne foi.
La Cour supérieure du Québec2 a conclu que l’intervention demandée par CFL Co. n’était pas justifiée et la Cour d’appel du Québec3 a rejeté l’appel de CFL Co. La Cour suprême du Canada (la « Cour ») a rejeté l’appel de CFL Co. par sept juges contre un, le juge dissident étant le juge Rowe, de la province de Terre-Neuve-et-Labrador et le juge en chef McLachlin n’ayant pas pris part au jugement.
DÉCISION
CFL Co. a soutenu qu’étant donné la nature du contrat et les obligations de bonne foi et d’équité des parties, Hydro-Québec avait l’obligation de renégocier le contrat lorsqu’il s’avérait être une source imprévue de profits importants pour Hydro-Québec. La position de CFL Co. était que le contrat devait être renégocié afin de répartir plus équitablement les bénéfices entre les parties4.
CARACTÉRISATION DU CONTRAT
À l’appui de sa position, CFL Co. a commencé par soulever des arguments relatifs à la caractérisation, au contenu et à l’interprétation du contrat. Elle a fait valoir qu’il s’agissait d’un contrat relationnel assimilable à une coentreprise5. Elle estimait que les parties avaient toujours eu l’intention de privilégier la coopération et le partage équitable des risques et des avantages associés au projet et que le contrat ne pouvait être considéré comme ayant traité le risque de fluctuations des prix de l’électricité aussi radicales que celles survenues depuis les années 1980, ces fluctuations étant impossibles à prévoir en 19696.
La Cour a toutefois conclu que le contrat ne pouvait pas être qualifié de coentreprise ou de contrat relationnel. En ce qui concerne le potentiel d’une coentreprise, la Cour a conclu que la preuve n’indiquait pas que les parties avaient l’intention de conclure un partenariat ou d’assumer conjointement la responsabilité financière ou logistique du développement du projet au-delà de la simple coopération requise pour exécuter leurs obligations respectives7. La Cour a donc conclu que les relations entre les parties ne présentaient pas les caractéristiques généralement associées à une coentreprise8.
Quant au caractère relationnel du contrat, la Cour a noté qu’en général, un contrat relationnel énonce les règles d’une étroite collaboration entre les parties qui souhaitent le maintenir à long terme et met l’accent sur la relation des parties et sur leur capacité à s’entendre et à coopérer en ne définissant pas leurs obligations et avantages respectifs de façon très détaillée. La Cour a noté que de telles relations exigent une coopération plus active que celle qui est exigée par les contrats basés sur des transactions9.
En ce qui concerne le contrat en cause, la Cour a conclu que les parties avaient établi une série d’obligations et d’avantages définis et détaillés plutôt que de prévoir une coordination économique souple10. La Cour note que la participation de chacune des parties est clairement quantifiée et définie et que cela démontre qu’elles entendent que le projet se déroule selon les termes du contrat et non en fonction de leur capacité à s’entendre et à collaborer de jour en jour pour combler les lacunes du contrat. La Cour note que l’interdépendance à long terme du contrat n’implique pas en soi que le contrat soit relationnel11. La Cour a spécifiquement noté que la Cour d’appel avait raison de conclure que le juge de première instance n’avait commis aucune erreur manifeste et prépondérante qui pourrait justifier une intervention et que sa conclusion déterminante concernant le paradigme du contrat, principalement que ses prix fixes et à long terme étaient précisément les avantages recherchés par Hydro-Québec en 1969, était fortement appuyée par la preuve qu’il avait examinée12.
BONNE FOI, ÉQUITÉ ET IMPRÉVISIBILITÉ
CFL Co. a également soutenu que, sur le plan juridique, Hydro-Québec ne pourrait recevoir de tels bénéfices sans être tenue d’en distribuer une partie à CFL Co. en s’appuyant sur l’obligation générale de bonne foi13 reconnue en droit civil québécois et sur les obligations implicites prévues au contrat en matière d’équité14. Hydro-Québec a noté et la Cour a accepté, que CFL Co. revendiquait essentiellement le droit d’exiger la renégociation du contrat sur la base de l’imprévisibilité15.
En ce qui concerne la question d’une obligation implicite éventuelle, la Cour a conclu que même si une obligation implicite peut, au sens de l’article 1434 du Code civil du Québec16, être incidente à un contrat si l’obligation est compatible avec l’économie générale de ce contrat et que sa cohérence semble exiger une telle obligation, une telle clause implicite doit non seulement ajouter au contrat des obligations qui pourraient le renforcer mais doit combler un vide. La Cour a alors conclu qu’il n’y avait aucune lacune ou omission dans l’économie du contrat qui exigeait qu’une obligation implicite de coopérer et de renégocier les prix convenus soit lue dans le contrat afin de le rendre cohérent17.
En traitant de cette question de clause implicite de renégociation, la Cour a spécifiquement noté que les interprétations proposées par CFL Co. ne pouvaient l’emporter sur les conclusions du juge quant à la répartition des risques entre les parties tel qu’il est stipulé au contrat et quant aux avantages qui en découlent, notamment pour Hydro-Québec18. La majorité a également noté que l’application de la conception (en dissidence) par le juge Rowe de la nature relationnelle du contrat équivalait à une réévaluation sommaire de ce que les parties considéraient comme le paradigme central du contrat, fondée sur une interprétation de la preuve, tant intrinsèque qu’externe, que le juge du procès n’a pas acceptée19.
En ce qui concerne l’application de la doctrine de l’imprévisibilité, la Cour a conclu qu’un examen sommaire des clauses du contrat et de leur contexte suffisait pour conclure que les parties avaient l’intention de fixer le prix de l’électricité pour toute la durée du contrat20 et surtout que le juge de première instance a conclu, à partir de la preuve, que les parties avaient l’intention d’attribuer le risque de fluctuations des prix et que les volontés sur ce point précis étaient unanimes21. De l’avis de la Cour, le risque de fluctuations des prix, variable connue, a été attribué par le contrat22. La Cour a déclaré que les parties convenaient qu’il s’agissait d’une variable dont la valeur était, par définition, inconnue23, et que les parties, étant pleinement conscientes de cette réalité, ont néanmoins pris un engagement ferme sans inclure de clause d’ajustement des prix, ce qui a confirmé à la majorité de la Cour que le contrat devait s’appliquer quelle que soit l’ampleur des fluctuations des prix24. La majorité n’a pu trouver aucune erreur manifeste et prépondérante dans les conclusions du juge de première instance sur ce point25.
Essentiellement, la Cour a conclu que la nature du contrat était que l’engagement des parties était définitif et ferme, et à long terme26. La Cour était d’avis que toutes les conclusions de fait requises étaient fortement appuyées par la preuve27. Étant donné que la majorité de la Cour a conclu que les parties avaient intentionnellement réparti le risque de fluctuations des prix, les circonstances dans lesquelles la doctrine de l’imprévisibilité pouvait potentiellement être reconnue ne correspondaient pas aux circonstances des parties en l’espèce. La Cour note également que la doctrine n’est pas explicitement reconnue en droit civil québécois à l’heure actuelle28 et que tout développement d’une notion analogue à l’imprévisibilité en droit civil québécois doit tenir compte du choix du législateur de ne pas faire de cette doctrine une règle universelle29.
La Cour a également noté que CFL Co. prétendait qu’elle n’invoquait pas spécifiquement la doctrine de l’imprévisibilité30. Toutefois, de l’avis de la majorité, les observations de CFL Co. ressemblaient beaucoup à cette doctrine et faisaient écho à son thème central – même si le contrat était à l’origine équitable et reflétait l’intention des parties, il ne reflétait plus cette intention initiale et ne l’avait pas fait puisque des changements imprévus importants sont survenus sur le marché de l’électricité31. La Cour a noté que la position générale de CFL Co. tournait essentiellement autour de son argument clé selon lequel la différence entre le marché de l’électricité de la fin des années 1960 et le marché actuel était si importante et si radicale qu’il serait approprié de décrire la transition de l’un à l’autre comme un véritable changement de paradigme32.
CFL Co. a soutenu que son argument n’était pas fondé sur l’imprévisibilité mais plutôt sur les notions de bonne foi et d’équité qui régissent l’exécution des obligations contractuelles en droit civil québécois33. En ce qui concerne la question de l’obligation générale de bonne foi, la Cour a noté que si cette obligation sert de fondement aux tribunaux pour intervenir et imposer aux parties contractantes des obligations fondées sur la notion d’équité contractuelle34, elle peut aussi tempérer les interprétations formelles des termes de certains contrats et servir à maximiser l’effet utile d’un contrat et des obligations et avantages qui sont pour les parties l’objet du contrat35.
La Cour note que lorsque la notion même d’imprévisibilité a été rejetée par le législateur québécois refusant d’incorporer cette doctrine dans le droit civil de la province, une protection analogue à celle-ci qui ne serait liée qu’à des changements de circonstances sans égard aux conditions fondamentales de la doctrine reconnues dans d’autres juridictions de droit civil ne pourrait devenir la règle en droit civil québécois36. La Cour a spécifiquement conclu que rien dans la relation entre CFL Co. et Hydro-Québec ne justifiait une intervention dans les circonstances de l’espèce, puisqu’il n’y avait ni inégalité ni vulnérabilité dans leur relation37. Les deux parties au contrat avaient de l’expérience et elles ont négocié longuement les clauses38. La Cour a conclu qu’elles s’engageaient à bien savoir ce qu’elles faisaient et que leur comportement montrait qu’elles voulaient que l’un d’eux supporte le risque de fluctuations des prix de l’électricité39.
La Cour a conclu que l’obligation de bonne foi n’annule pas le droit d’une partie de se fonder sur les termes du contrat, à moins que l’insistance sur ce droit ne soit déraisonnable dans les circonstances40. En l’espèce, le refus d’Hydro-Québec de renoncer aux avantages découlant du contrat ne s’écartait pas de la norme de conduite raisonnable qui pourrait réfuter la présomption qu’une partie est de bonne foi41. De plus, la Cour a conclu que l’insistance d’Hydro-Québec à respecter le contrat, malgré le prétendu changement imprévu de circonstances, ne constituait pas non plus une conduite déraisonnable en l’absence d’autres manquements à l’obligation de « fair-play » ou à celle de collaboration ou de coopération42.
De plus, la Cour a conclu qu’Hydro-Québec n’avait rien fait qui menaçait de perturber l’équilibre contractuel et qu’elle n’avait donc pas l’obligation de collaborer avec CFL Co. pour atténuer les effets du contrat43. La Cour a conclu que la preuve ne démontrait pas qu’Hydro-Québec agissait de mauvaise foi ou refusait d’accommoder la situation de CFL Co., mais qu’elle refusait seulement de donner à CFL Co. l’avantage découlant du contrat, ce qui ne constitue pas une violation de l’obligation de se conduire raisonnablement et conformément au franc-jeu44. La Cour note qu’Hydro-Québec bénéficiait effectivement du contrat dans la mesure où elle pouvait réaliser un profit grâce à sa participation au projet de Churchill Falls plutôt que d’entreprendre un projet similaire au Québec dans les années 1960, mais qu’elle avait obtenu cet avantage en échange d’investissements importants et de risques importants45.
De même, la Cour a conclu que CFL Co. a reçu ce qu’elle s’attendait à recevoir en vertu du contrat, soit principalement la capacité d’utiliser le financement par emprunt pour l’usine, et un rendement sur son investissement qu’elle a jugé raisonnable au moment de la signature du contrat46.
Enfin, la Cour a conclu que la situation en l’espèce ne constituait pas une violation d’une obligation permanente ou d’une faute continue qui n’est pas soumise à prescription47 et considérant que l’événement le plus récent ayant perturbé le marché de l’électricité s’est produit au plus tard en 1997, c’est à ce moment que CFL Co. aurait eu droit à une action48. La Cour a donc conclu qu’une action était donc prescrite depuis la fin de l’année 2000 au plus tard. La mesure la plus récente est celle prise par la Federal Energy Regulatory Commission des États-Unis pour exiger que le marché soit effectivement ouvert à tous les producteurs, au plus tard en 199749. La Cour n’a pas retenu l’argument de CFL Co. selon lequel le manquement d’Hydro-Québec à son obligation de bonne foi constituait une faute continue, mais a plutôt conclu que le droit d’action en question avait pris naissance au moment où les événements qui y avaient donné lieu s’étaient produits.
Dans l’ensemble, la Cour a conclu que le juge de première instance avait bien défini la nature de la relation entre les parties et le paradigme du contrat et que les parties n’avaient jamais eu l’intention de répartir également les risques et les avantages du projet50. Au contraire, elle a constaté que l’intention initiale était qu’Hydro-Québec assume la plupart des risques associés à la construction de la centrale appartenant à CFL Co51. La Cour est d’avis que l’avantage que CFL Co. qualifie de disproportionné, soit de garantir un prix fixe pour l’achat d’électricité, est considéré comme un moyen de faire assumer à Hydro-Québec un risque que CFL Co. ne voulait pas assumer. En contrepartie, Hydro-Québec devait obtenir des prix fixes bas et un contrat à long terme52. La Cour a conclu que le fait que le marché de l’électricité ait changé de manière si significative depuis que les parties ont conclu le contrat ne justifiait pas en soi le non-respect des termes du contrat et de sa nature53. De son avis, CFL Co. cherchait non pas à protéger l’équilibre du contrat mais à le remplacer par une nouvelle entente en défaisant certains aspects du contrat tout en conservant ceux qui convenaient à CFL Co. De l’avis de la majorité, ni la bonne foi ni l’équité ne justifiaient d’accéder à ces demandes.
La Cour a également noté avec intérêt que de son avis, CFL Co. lui demandait de limiter la portée temporelle du contrat afin qu’elle puisse bénéficier plus rapidement des avantages. À la fin du contrat, en 2041, elle recevra un jour ou l’autre une installation d’une valeur estimée à plus de 20 milliards de dollars qu’elle pourra exploiter à son propre avantage à compter de septembre 2041 pendant de nombreuses années encore54.
OPINION DIVERGENTE
D’autre part, le juge Rowe était d’avis que le juge de première instance avait commis une erreur en concluant que le contrat n’était pas relationnel mais plutôt transactionnel, et que le contrat établissait une relation à long terme entre les parties fondée sur la coopération et la promesse d’un avantage mutuel55. Le juge Rowe était d’avis que, puisque le contrat ne contenait pas de mécanisme particulier de répartition des bénéfices allant au-delà de ce qui était prévu au moment de l’entente, les parties avaient une obligation implicite de collaborer à la définition des modalités de leur répartition et qu’Hydro-Québec avait manqué à cette obligation56. Le juge Rowe était d’avis qu’en examinant le cadre général des droits et obligations des parties énoncés dans le contrat, la véritable nature de l’entente était relationnelle plutôt que transactionnelle57. Il a également noté qu’il ne partageait pas l’avis selon lequel les contrats relationnels devraient être limités à ceux qui laissent certaines obligations à définir par les parties à une date ultérieure.
De l’avis du juge Rowe, d’après sa conclusion sur la nature relationnelle du contrat, les parties avaient une obligation implicite de coopérer à l’établissement d’un mécanisme de répartition des bénéfices extraordinaires58. De plus, il a constaté que « lorsqu’un défaut persiste dans le temps et cause des dommages permanents, la prescription recommence à courir chaque jour »59. Par conséquent, en refusant d’entamer des négociations en vue d’établir un mécanisme d’attribution des bénéfices imprévus, Hydro-Québec avait continuellement manqué à son obligation de collaborer et l’action de CFL Co. n’était pas prescrite60.
CONCLUSION
Cette décision est le dernier chapitre d’un différend de longue date sur la répartition des avantages découlant du projet hydroélectrique Upper Churchill et elle fournit d’autres directives aux praticiens de l’énergie et des ressources naturelles qui sont souvent appelés à mettre en place des ententes à long terme pour appuyer le développement de projets. La Cour suprême du Canada a clairement indiqué que lorsque la preuve, y compris le libellé du contrat, permet de conclure que les parties se sont clairement mises d’accord sur la répartition d’un certain risque, même lorsque l’évaluation du risque à ce moment-là n’était pas clairement connue, les engagements contractuels à cet égard devraient généralement être respectés. À long terme, beaucoup de choses peuvent changer radicalement sur les marchés de l’énergie et des ressources naturelles, et les ententes contractuelles à long terme devraient être clairement articulées pour refléter la façon dont les parties ont convenu d’aborder la répartition des prix et d’autres changements potentiels sur ces marchés. La Cour suprême du Canada, tout en reconnaissant l’existence de la bonne foi et d’arguments équitables dans certaines circonstances, a reconfirmé le caractère sacré des contrats lorsque les parties ont réfléchi et réparti les obligations et avantages.
* David MacDougall est avocat-conseil chez McInnes Cooper à Halifax, en Nouvelle-Écosse. Il conseille des clients dans les domaines de l’énergie et des ressources naturelles, et plus particulièrement sur les questions de réglementation énergétique et le développement de projets d’énergie renouvelable.