Éditorial

La controverse sur l’étendue du rôle du gouvernement fédéral dans l’évaluation environnementale des grands projets, en particulier les projets de développement des ressources et de l’énergie, a atteint son paroxysme avec la présentation en 2018 du projet de loi C-69 édictant la Loi sur l’évaluation d’impact (LEI), étiqueté par plusieurs de ses opposants comme le « Projet de loi sur la fin des pipelines ». À peine cinq ans plus tard, la Cour suprême du Canada a jugé que des sections majeures de la LEI étaient inconstitutionnelles, ce qui signifiait que le gouvernement devait retourner à la planche à dessin. Les mesures proposées pour faire suite à la décision de la Cour suprême ont été promulguées (et présentées par coïncidence dans un projet de loi portant le même numéro qu’à l’origine de la LEI, soit C-69) et sont entrées en vigueur le 24 juin 2024.

Dans l’article principal de ce numéro de la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie, Claire Seaborn et al. examinent les modifications et, notamment, la « [d]irective du Cabinet sur l’efficacité de la réglementation et la délivrance des permis pour les projets de croissance propre » qui les accompagne et qui a été publiée peu de temps après l’adoption des modifications. Les auteurs observent que le critère d’intérêt public semble avoir été recentré sur les effets fédéraux d’un projet plutôt que sur le projet lui-même. Les effets pratiques des modifications et de la directive du Cabinet restent cependant à voir : « […] les actions du gouvernement fédéral au cours des 12 à 18 prochains mois, y compris la mise en œuvre de la LEI et de la Directive du Cabinet, influenceront sensiblement la confiance du public dans le régime ».

Les  termes  «  électrification  »  et « carboneutralité » dominent le discours politique et public sur le défi que représente la réponse aux changements climatiques. Les auteurs de deux articles de ce numéro de la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie nous invitent à prendre du recul et analysent certains des défis sous-jacents que présentent ces concepts omniprésents. Ces articles proposés par deux anciens présidents respectés d’organismes provinciaux de règlementation de l’énergie, qui apportent à la discussion une expérience de premier plan inestimable.

Tout d’abord, dans le cadre de son article intitulé « Prise de décisions règlementaires dans l’évaluation des initiatives d’électrification », Mark Kolesar, ancien président de l’Alberta Utilities Commission, observe que les organismes de règlementation sont de plus en plus confrontés au dilemme posé par les propositions visant à faire progresser l’électrification ou, au contraire, à investir dans des mesures qui semblent s’opposer à l’électrification – des propositions qui soulèvent des questions quant à l’évaluation des avantages et des coûts et à leur effet, non seulement sur les tarifs des services publics, mais aussi sur le bien-être social. M. Kolesar soutient qu’une transformation de la règlementation économique est nécessaire pour examiner les propositions visant à encourager et à faciliter l’adoption de nouvelles technologies qui favorisent la réduction des émissions. Il soutient que les demandeurs d’approbations de programmes d’électrification devraient procéder à une analyse des avantages et des coûts des projets, que cette analyse soit ou non exigée par l’organisme de règlementation.

Dans « La règlementation de l’électricité de demain doit favoriser la fiabilité du réseau », Joe McKinnon et Channa S. Perera, d’Électricité Canada, soutiennent également que les investissements prudemment engagés dans la carboneutralité nécessitent d’autres évaluations coûts-avantages. Ils notent toutefois qu’il n’y a pas encore de consensus sur la mise en œuvre de telles évaluations. De plus, le fait d’accorder la priorité à l’électrification en tant qu’objectif stratégique ne fait pas partie des mandats de nombreux organismes de règlementation. Selon les auteurs, ces mandats doivent être élargis pour s’aligner sur les objectifs de la politique de décarbonisation et d’électrification.

Le marché de l’électricité de l’Alberta est unique au Canada. Dans « Commentaires au sujet de la restructuration de l’industrie de l’électrique et de l’enquête de l’AUC sur l’utilisation des terres », Rick Cowburn, l’un des concepteurs originaux de ce marché, fait remarquer que le modèle est efficace et durable depuis environ 30 ans, « mais il a fait son temps ». Il met l’accent sur l’intention annoncée par le gouvernement de l’Alberta de promouvoir des changements stratégiques, législatifs et règlementaires qui restreindront l’utilisation des terres et qui entraveront le développement de la prochaine génération, en faisant observer que, selon le modèle axé sur les producteurs, « les propriétaires fonciers n’avaient pas de place à la table ». Les résolutions du gouvernement en matière d’utilisation des terres constituent un pas utile dans ce qui semble être la bonne direction.

David Morton, ancien président de la British Columbia Utilities Commission, a analysé le deuxième des concepts omniprésents mentionnés ci-dessus, soit la « carboneutralité », et a posé la question fondamentale suivante : « Qu’est-ce que la carboneutralité – et comment les crédits compensatoires peuvent-ils nous aider à l’atteindre? » Il fait valoir l’argument évident selon lequel, sans compensation, si les émissions étaient réduites à zéro, tous les processus d’émission de GES d’origine humaine devraient être éliminés ou remplacés par des processus sans émission. Cela revient donc à dire que les « crédits compensatoires permettent d’atteindre la “neutralité” dans le concept de la “carboneutralité” […] Cependant, la viabilité des crédits compensatoires dépend de nombreux éléments, notamment de leur intégrité, de leur économie, de leur acceptation publique et politique et de l’ingéniosité des promoteurs ».

Dans « Que nous révèle la décision La Rose sur les litiges relatifs aux changements climatiques au Canada? » Nigel Bankes et al. commentent une importante décision récente de la Cour d’appel fédérale (CAF), découlant d’une assertion des demandeurs (15 enfants et jeunes résidant dans sept provinces et un territoire) à savoir que l’incapacité du gouvernement fédéral de s’attaquer au problème des changements climatiques constituait une violation des articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. La Cour fédérale avait accueilli la requête en radiation du Canada, principalement au motif que les revendications n’étaient pas justiciables. La CAF a confirmé la décision de la Cour fédérale de radier la demande en vertu de l’article 15, mais a accueilli l’appel en ce qui concerne la demande en vertu de l’article 7 des demandeurs en autorisant la modification de leurs actes de procédure.

 

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