INTRODUCTION
Le gouvernement fédéral du Canada joue un rôle dans l’évaluation environnementale des grands projets depuis le début des années 1970, rarement sans controverse. À la suite d’un regain d’intérêt du public pour les questions environnementales à la fin des années 1960 et de l’adoption d’une loi sur la qualité de l’environnement aux États-Unis en 1969, le gouvernement du Canada, sous la direction du premier ministre Pierre Trudeau, a adopté le premier processus fédéral d’évaluation environnementale et d’examen du Canada en 1973[1]. Cependant, ce n’est qu’en 1990, sous le premier ministre Brian Mulroney, que la première loi fédérale sur l’évaluation environnementale — la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale[2] — a été déposée à la Chambre des communes et est devenue loi deux ans plus tard. Le régime a été revu et modifié au cours des décennies suivantes, notamment sous le premier ministre Jean Chrétien en 2003 et sous le premier ministre Stephen J. Harper en 2012[3].
Depuis son élection en 2015, le premier ministre Justin Trudeau a imprimé sa propre marque sur le régime avec une refonte importante de ce qui est maintenant la Loi sur l’évaluation d’impact[4] (la « LEI » ou « la Loi »), qui a été le sujet d’un renvoi de la Cour suprême du Canada selon lequel la LEI est inconstitutionnelle[5] et, plus récemment, a adopté des modifications destinées à répondre à ces préoccupations. Bien que les organisations environnementales et certains représentants de l’industrie et de groupes autochtones aient initialement soutenu la LEI au cours de son élaboration, ce soutien s’est estompé au cours des dernières années et a été submergé par des investisseurs, des promoteurs de projets et d’autres personnes frustrés et découragés, se disant préoccupés par l’incertitude règlementaire et les retards dans le processus, y compris l’entrave aux projets et aux plans de transition énergétique.
Cet article résume les modifications de la LEI qui sont devenues loi le 20 juin 2024 dans un effort pour restaurer la constitutionnalité de la Loi, ainsi que la directive plus large du Cabinet publiée le 5 juillet 2024 visant à améliorer tous les processus fédéraux de règlementation et d’autorisation. Enfin, l’article explore si et, le cas échéant, comment la dernière version de la LEI peut favoriser des examens de projets efficaces et efficients d’une manière qui rétablit la confiance des investisseurs et des promoteurs dans le processus.
MODIFICATIONS APPORTÉES À LA LEI
Le 20 juin 2024, une série de modifications très attendues de la LEI est entrée en vigueur[6]. Bien que l’objectif principal des modifications soit de répondre aux préoccupations constitutionnelles soulevées dans le Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact, elles comprennent des changements supplémentaires visant à améliorer la coordination fédérale-provinciale et fédérale-autochtone ainsi qu’à favoriser la réconciliation avec les Autochtones. Dans l’ensemble, les modifications représentent des ajustements progressifs du régime fédéral d’évaluation d’impact.
Cependant, certaines modifications visent à raccourcir les délais, et le gouvernement fédéral a également annoncé des mesures politiques à ce sujet, qui sont décrites dans la section suivante du présent article. Au total, 32 modifications ont été apportées à la LEI, et les plus importantes peuvent être regroupées en trois catégories que nous décrivons en détail ci-dessous.
A) RÉDUIRE LA PORTÉE DES « EFFETS RELEVANT D’UN DOMAINE DE COMPÉTENCE FÉDÉRALE »
L’une des principales critiques de la Cour suprême du Canada à l’égard de la LEI était la nature excessivement large des « effets relevant d’un domaine de compétence fédérale»[7], qui apparaissent 16 fois dans la LEI et interagissent avec des dispositions corrélatives dans l’ensemble de la Loi. Les modifications limitent cette expression aux « effets relevant d’un domaine de compétence fédérale qui sont négatifs », resserrant ainsi la portée de plusieurs décisions prises au cours d’une étude d’impact, telles que le pouvoir du ministre de désigner un projet, le pouvoir discrétionnaire de l’Agence d’évaluation d’impact du Canada (l’Agence) d’imposer une évaluation fédérale, et la détermination de l’intérêt public par le ministre ou le Cabinet.
Cette nouvelle définition des « effets relevant d’un domaine de compétence fédérale qui sont négatifs » ne s’applique qu’à une liste de changements négatifs « non négligeables » concernant des composantes de l’environnement énumérées de façon précise, telles que les poissons et leur habitat, les oiseaux migrateurs, les terres fédérales, les milieux marins et les environnements importants pour les peuples autochtones. Il est important de noter que cette définition ne s’applique plus à la pollution atmosphérique transfrontalière ou aux émissions de gaz à serre, ce qui signifie qu’un projet ne peut plus être soumis à des conditions ou être rejeté uniquement pour cette raison. Cependant, la définition maintient le respect d’une annexe 3, dans laquelle des composantes de l’environnement ou des questions sanitaires, sociales ou économiques peuvent être ajoutées ou supprimées par voie de règlementation.
Si l’Agence considère ces changements comme une restriction substantielle des « effets relevant d’un domaine de compétence fédérale » dans la pratique — plutôt que comme une clarification de l’intention initiale — il pourrait en résulter moins d’évaluations pour des projets ayant des liens plus éloignés avec la compétence fédérale, ainsi que moins de conditions ou de rejets de projets sur la base de facteurs qui pourraient être considérés comme ne relevant pas de la compétence fédérale.
B) STRATÉGIES VISANT À PROMOUVOIR LA « COOPÉRATION ENTRE LES ADMINISTRATIONS »
Le renvoi de la Cour suprême du Canada faisait référence à l’engagement du gouvernement de réaliser « un projet, une évaluation » [8] et aux préoccupations soulevées par les provinces, les groupes autochtones et l’industrie concernant les doubles emplois inutiles et le manque de coordination fédérale-provinciale engendrés par le régime fédéral d’évaluation d’impact[9]. Plusieurs modifications ont été apportées à ces sujets, en commençant par la modification de la section « mandat » de la Loi pour souligner que le gouvernement du Canada, le ministre, l’Agence et les autorités fédérales, dans l’application de la Loi, « doivent exercer leurs pouvoirs d’une manière qui […] favorise la coopération entre les administrations » [traduction][10].
Ensuite, en vertu de la LEI, l’Agence est tenue de prendre en considération les facteurs énumérés à l’article 16 lorsqu’elle détermine si un projet doit ou non faire l’objet d’une évaluation fédérale. Les modifications ont introduit un nouveau facteur dans l’article 16 qui exige que l’Agence examine « s’il existe un moyen autre qu’une étude d’impact qui permettrait à une instance de traiter les effets négatifs dans le cadre de la compétence fédérale » [traduction][11]. La Loi définit l’« administration » de manière large pour inclure les autres autorités fédérales, les autorités provinciales et certaines instances dirigeantes autochtones.
Ainsi, dans certaines circonstances, l’Agence aurait le pouvoir discrétionnaire de s’en remettre à d’autres modèles d’évaluation ou de gestion des impacts administrés par d’autres entités. Il pourrait s’agir d’autorisations ou de processus règlementaires fédéraux ou provinciaux existants qui tiennent déjà compte de l’évaluation et/ou de l’atténuation des impacts, ou bien de nouveaux processus plus simples qui sont moins axés sur l’évaluation préalable et qui accordent plutôt la priorité à la gestion adaptative. Cette modification pourrait également offrir beaucoup plus de souplesse pour ce qui est de reporter les processus d’examen communautaire dirigés par des Autochtones qui ne relèvent pas du paradigme typique de l’évaluation d’impact et de l’évaluation environnementale.
Bien que cela ne découle pas du renvoi de la Cour suprême du Canada, les modifications visent à aligner la LEI sur la Loi sur la déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones[12], qui a reçu la sanction royale en juin 2021. Cela se fait de plusieurs façons, notamment en avançant l’engagement de mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones[13] dans le préambule raccourci (pour lui donner plus d’importance), ainsi que des changements à la section du mandat de la Loi pour faire référence aux droits autochtones en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle du Canada[14] et à la nécessité de rendre compte du savoir autochtone.
Enfin, les modifications portent également sur les articles 31 à 35 de la LEI afin de permettre au ministre responsable de substituer l’évaluation d’une autre autorité, comme une province, un groupe autochtone ou une organisation internationale, à l’évaluation fédérale, en assouplissant les exigences relatives aux facteurs à prendre en compte avant de pouvoir procéder à la substitution. Cette modification devrait, en théorie, permettre au gouvernement fédéral de conclure plus facilement des accords de coopération avec les gouvernements provinciaux à l’échelle d’une région ou d’un projet, comme il l’a déjà fait avec la Colombie-Britannique.
C) REFORMULATION DU CRITÈRE DE L’INTÉRÊT PUBLIC LORS DE LA PRISE DE DÉCISION FINALE
Les modifications reformulent le critère d’intérêt public, qui s’applique lorsque le ministre (dans le cas d’un examen par l’Agence) ou le Cabinet (dans le cas d’un examen par une commission ou d’un renvoi par le ministre) prend une décision finale sur la question de savoir si les effets relevant d’un domaine de compétence fédérale sont dans l’intérêt public. Ces dernières années, le critère d’intérêt public a suscité une vive controverse en raison de sa forte politisation et de la trop grande marge de manœuvre laissée aux élus pour intégrer des jugements politiques dans leurs décisions.
Les modifications divisent le critère d’intérêt public en deux parties. Premièrement, le ministre ou le Cabinet doit déterminer, après avoir tenu compte des mesures d’atténuation, si les effets négatifs dans un domaine de compétence fédérale sont « susceptibles, dans une certaine mesure, d’être importants » [15] et « dans l’affirmative, dans quelle mesure ces effets sont importants » [16]. Deuxièmement, le ministre ou le Cabinet doit déterminer si ces effets importants sont « justifiés dans l’intérêt public » à la lumière des facteurs qui doivent être pris en compte en vertu de l’article 63.
Les facteurs de l’article 63 ont été réduits de cinq à trois, se limitant désormais à : (a) les effets liés aux groupes autochtones et à leurs droits; (b) les obligations environnementales du gouvernement fédéral et ses engagements en matière de changements climatiques; (c) les contributions du projet au développement durable. Les facteurs qui ont été réintégrés dans une partie antérieure du critère d’intérêt public à l’article 60 concernent tout effet négatif direct ou accessoire dans le rapport d’évaluation d’impact et la mise en œuvre de mesures d’atténuation. Par conséquent, bien que les facteurs pertinents n’aient pas changé de façon spectaculaire, ils semblent recentrer le critère d’intérêt public sur les effets fédéraux d’un projet en cours d’examen, plutôt que sur les mérites du projet lui-même.
L’impact pratique des modifications apportées à l’intérêt public dépendra certainement de la manière dont elles seront interprétées et mises en œuvre par le ministre ou le Cabinet, et de la manière dont ces décisions seront communiquées au public.
NOUVELLE DIRECTIVE DU CABINET
Le 5 juillet 2024, le gouvernement du Canada a publié une nouvelle Directive du Cabinet sur l’efficacité de la règlementation et la délivrance des permis pour les projets de croissance propre[17] (« la Directive du Cabinet »), remplaçant la dernière directive du Cabinet conçue pour accélérer la construction de grands projets, qui a été publiée il y a plus de 15 ans. Bien qu’une Directive du Cabinet n’ait pas le même poids juridique qu’une loi ou un règlement, ce document est généralement considéré comme un instrument de politique fédérale plus substantiel qu’une ligne directrice émise par un seul ministère, car la directive est approuvée par l’ensemble du Cabinet. La présente directive du Cabinet vise à répondre aux fréquentes critiques concernant processus de la LEI qui pourraient être mieux résolues par des mesures politiques plutôt que législatives.
Le gouvernement fédéral a initialement déclaré son intention d’élaborer la Directive du Cabinet plus tôt cette année lorsque de nouvelles mesures ont été annoncées dans le budget de 2024 pour améliorer les processus fédéraux de règlementation et de délivrance de permis. Le jour même où les modifications de la LEI sont devenues loi, le gouvernement a publié un plan d’action intitulé Pour un avenir propre au Canada[18] (« le Plan d’action »). Le Plan d’action décrit les nouvelles mesures annoncées dans le budget de 2024, y compris de nouveaux délais cibles pour les processus d’évaluation d’impact et de délivrance des permis, un engagement à créer un tableau de bord des permis fédéraux qui rend compte de l’état d’avancement des projets de croissance propre, et la création d’un coordonnateur des permis fédéraux et d’un coordonnateur des consultations de la Couronne.
La Directive du Cabinet comporte notamment trois nouvelles étapes.
A) DÉFINIR LES « SECTEURS CLÉS » CONSIDÉRÉS COMME COMPATIBLES AVEC UN AVENIR DE CARBONEUTRALITÉ
Ces dernières années, le gouvernement du Canada est passé de la construction de « grands projets » à la construction de « projets de croissance propre », un terme qui n’avait jamais été explicitement défini dans la loi ou les politiques. En fait, la majeure partie des politiques industrielles et des nouvelles mesures règlementaires du gouvernement du Canada sont désormais axées sur la lutte contre les changements climatiques et le soutien aux secteurs alignés sur une économie mondiale carboneutre. Cette approche est souvent décrite comme une « croissance propre », un terme qui n’est généralement pas bien défini et qui a évolué avec le développement des technologies et les tendances économiques mondiales.
Cette nouvelle directive du Cabinet donne la priorité aux six « secteurs qui s’inscrivent dans un avenir carboneutre » suivants : 1) le secteur de l’écologisation de la fabrication, le secteur de l’industrie et les secteurs où il est difficile de réduire les émissions; 2) le secteur des minerais critiques; 3) le secteur de l’énergie électrique/ l’électricité; 4) le secteur nucléaire; 5) le secteur des infrastructures habilitantes (comme les ports, les routes, les pipelines et les lignes de transport); et 6) le secteur des combustibles propres. Cette évolution apporte une nouvelle perspective au processus de la LEI, qui a toujours été axé sur l’évaluation des impacts environnementaux des projets, au lieu de mettre davantage l’accent sur l’importance de faire progresser les projets susceptibles de favoriser les résultats en matière d’environnement et de changements climatiques[19].
B) METTRE EN PLACE DE NOUVELLES STRUCTURES DE GOUVERNANCE AU NIVEAU FÉDÉRAL
Entre les nouvelles mesures annoncées dans le budget de 2024, le Plan d’action et la Directive du Cabinet, il ne manquera pas de mécanismes de gouvernance interne pour faciliter la concentration sur les projets de croissance propre. Ces changements répondent aux appels lancés principalement par le monde des affaires en faveur d’une meilleure coordination entre les 14 ministères et organismes fédéraux compétents en matière de règlementation et d’octroi de permis[20]. Plus précisément, la Directive du Cabinet définit et attribue des responsabilités pour les structures de gouvernance interne suivantes :
- Un nouveau Conseil d’action des sous-ministres sur l’efficacité règlementaire (« le Conseil d’action ») qui comprendra les sous-chefs des entités fédérales jouant un rôle dans la délivrance de permis, de licences ou d’autorisations fédérales clés pour que les projets de croissance propre puissent être mis en œuvre[21]. Ce conseil d’action a une structure similaire à celle du Conseil des permis des États-Unis, dont il s’inspire très probablement. Ce Conseil est composé de représentants des départements chargés des permis au sein du gouvernement fédéral des États-Unis, tels que l’Agence de protection de l’environnement, le département de l’Énergie, la Commission fédérale de règlementation de l’énergie et la Commission de règlementation de l’énergie nucléaire.
- Le Bureau de la croissance propre annoncé précédemment, au sein du Bureau du Conseil privé, assurera le secrétariat du Conseil d’action. Ce bureau fournira des conseils stratégiques sur la mise en œuvre de la Directive du Cabinet, travaillera en étroite collaboration avec les entités fédérales pour faire le suivi des projets en fonction des décisions fédérales à venir et rendra compte au Conseil d’action.
- Deux nouveaux postes de coordinateur sont décrits en détail dans le Plan d’action : le coordinateur des permis fédéraux et le coordinateur des consultations de la Bien que la description de ces postes soit de haut niveau et sujette à l’engagement des partenaires autochtones, nous nous attendons à ce que ces deux rôles soient finalement hébergés au sein du Bureau de la croissance propre et relèvent du sous-secrétaire de la croissance propre.
Avec les nouveaux mécanismes de gouvernance, la Directive du Cabinet précise que les organismes de règlementation tels que la Régie de l’énergie du Canada et la Commission canadienne de sûreté nucléaire continueront à fonctionner sans lien de dépendance afin de préserver leur indépendance règlementaire et de s’assurer que leur autonomie n’est « pas affectée » par la Directive.
C) DEMANDER À TOUTES LES ENTITÉS FÉDÉRALES DE « CONDUIRE UN CHANGEMENT DE CULTURE » ET DE RESPECTER LES DÉLAIS FIXÉS
Des groupes de réflexion, tels que la Canada West Foundation[22], ont souligné à plusieurs reprises l’importance d’un « changement culturel » au sein des ministères et organismes fédéraux responsables des processus règlementaires. À l’instar de la Directive du Cabinet de 2007 sur l’amélioration du rendement du régime de règlementation pour les grands projets[23], cette Directive du Cabinet vise à accélérer le processus décisionnel du gouvernement du Canada et à définir clairement les rôles et les responsabilités du gouvernement fédéral au sein de la fonction publique. Elle vise également à « donner confiance » aux Canadiens, et vraisemblablement aux investisseurs dans des projets au Canada ainsi que dans l’intégrité et l’efficacité des régimes fédéraux de règlementation et d’autorisation.
Comme annoncé initialement dans le budget de 2024 et maintenant précisé dans la Directive du Cabinet, les entités fédérales doivent :
- achever les évaluations d’impact et les procédures d’autorisation fédérale pour les projets désignés dans le cadre de la LEI dans un délai de cinq ans;
- achever les procédures d’autorisation fédérale pour les projets ne nécessitant pas d’évaluation d’impact dans un délai de deux ans.
De plus, l’Agence et la Commission canadienne de sûreté nucléaire devraient collaborer pour garantir un processus d’examen triennal des projets nucléaires.
Cette nouvelle Directive du Cabinet consacre également une section entière au « changement de culture » au sein des 14 ministères et organismes fédéraux touchés, afin de créer un sentiment d’urgence sans compromettre les objectifs des lois et règlements qu’ils mettent en œuvre. On y énumère dix mesures précises que la fonction publique peut prendre, notamment en s’efforçant de « répondre rapidement » aux demandes des promoteurs, en fournissant des directives qui « tiennent compte des risques » et en renforçant l’engagement précoce avec les peuples autochtones.
Un changement important par rapport au statu quo sera la transparence du nouveau tableau de bord public promis pour les permis. Actuellement, l’Agence met à jour son Registre canadien d’évaluation d’impact (« le Registre ») selon l’état des projets dans son système[24]. Cependant, pour les projets exigeant un permis fédéral, comme en vertu de la Loi sur les pêches[25], de la Loi sur les eaux navigables canadiennes[26], de la Loi sur les espèces en péril[27], ou de la Loi sur les explosifs[28], il n’y a pas de mécanismes de transparence pour déterminer l’état du permis fédéral. La Directive du Cabinet précise que le Conseil d’action sera chargé de déterminer les projets à inclure dans le tableau de bord public et d’autres mécanismes de suivi internes conçus pour assurer la transparence et accroître la responsabilité en ce qui concerne les objectifs temporels.
IMPACTS PRATIQUES
Ce printemps, le gouvernement fédéral a répondu aux préoccupations importantes de la Cour suprême du Canada et du public canadien concernant le processus fédéral d’évaluation d’impact. Maintenant que la LEI a été modifiée et que la nouvelle Directive du Cabinet est en place, le gouvernement fédéral peut-il assurer un examen plus efficace et plus efficient des projets? Le gouvernement fédéral peut-il trouver un juste équilibre entre la réalisation de l’objectif déclaré de la LEI, qui est de favoriser le développement durable, et la réalisation de projets de croissance propre?
Les données disponibles pour évaluer le processus de la LEI sont limitées. Depuis l’entrée en vigueur de la LEI en 2019, dix projets ont fait l’objet du processus d’évaluation d’impact, l’Agence ayant déterminé pendant la phase de planification qu’une évaluation fédérale n’était finalement pas nécessaire[29]. Seulement un projet a fait l’objet d’une évaluation d’impact du début à la fin : le projet Cedar LNG, de la planification à l’approbation, qui a duré un peu plus de trois ans, ce qui était habituel pour les projets de ce type dans le passé. La demande officielle de Cedar LNG a été reçue à la fin de 2021, la Colombie-Britannique a approuvé le projet 15 mois plus tard, et le gouvernement du Canada a entériné cette approbation le lendemain[30]. Selon les données disponibles dans le Registre, aucun projet n’a été rejeté dans le cadre de la LEI à ce jour.
Au moment de la rédaction du présent article, 42 projets sont répertoriés comme étant « en cours » dans le Registre canadien d’évaluation d’impact[31]. Sur ces 42 projets, 19 sont soumis au processus de la LCEE, 2012, et les 23 autres sont soumis à la LEI. Sur ces 23 projets relevant de la LEI, quatre sont des évaluations régionales et ne donneront donc pas lieu à une décision de projet, et trois projets suivent le processus de substitution avec le gouvernement de la Colombie-Britannique. Il reste donc 16 décisions de projet à prendre exclusivement par le gouvernement fédéral dans le cadre de la LEI. Sur ces 16 projets, six sont en phase de planification, et tous ces promoteurs ont soumis leur description initiale de projet à l’Agence pas plus tard qu’en octobre 2023, ce qui signifie que les décisions relatives aux projets ne seront pas imminentes. Il ne reste donc que dix projets qui pourraient espérer recevoir une décision en vertu de la LEI à court terme. Cependant, tous ces projets sont répertoriés comme étant « en cours », ce qui signifie qu’aucun n’est actuellement proche des phases finales de prise de décision.
Si l’on part du principe que ce système sera encore en place pendant un certain temps, voici comment les promoteurs de projets peuvent travailler avec les outils dont ils disposent :
- Encourager les gouvernements provinciaux et autochtones à adopter des accords de coopération avec le gouvernement fédéral. Ces accords peuvent prendre diverses formes : par exemple, un accord de coopération peut être négocié à l’échelle d’une province (comme en Colombie-Britannique), d’une région ou d’un projet. Avec les modifications apportées à la LEI, un accord de coopération peut entraîner non seulement une substitution totale, mais aussi une substitution partielle pour certains aspects de l’évaluation.
- Déterminer si une évaluation provinciale ou autochtone peut être appropriée dans les circonstances, en tenant compte de la nouvelle formulation de la LEI relative à la promotion de la coopération entre les différentes administrations.
- Rechercher des partenariats autochtones le cas échéant et envisager des possibilités d’évaluations dirigées par des
- Évaluer soigneusement l’utilité des évaluations régionales. Bien qu’elles puissent produire des informations nouvelles, elles s’avèrent chronophages et ne devraient pas se faire au détriment de l’évaluation individuelle d’un projet bien développé.
- Inciter le gouvernement fédéral à respecter les délais fixés dans la Directive du Cabinet et encourager la fonction publique à poursuivre le changement de culture. Bien qu’il s’agisse d’échéances cibles qui ne figurent pas dans la loi ou la règlementation, elles ont été approuvées par le Cabinet et leur respect devrait être une priorité du gouvernement.
Bien entendu, les effets pratiques des modifications de la LEI et de la Directive du Cabinet restent à voir. Dans les mois et les années à venir, nous disposerons de beaucoup plus de preuves et d’études de cas pour évaluer la LEI. Ce qui est certain, c’est que les actions du gouvernement fédéral au cours des 12 à 18 prochains mois, y compris la mise en œuvre de la LEI et de la Directive du Cabinet, influenceront sensiblement la confiance du public dans le régime.
* Claire Seaborn est avocate au sein du groupe du droit de l’environnement et des changements climatiques chez Torys S.E.N.C.R.L. Auparavant, elle a occupé pendant cinq ans des postes de direction au gouvernement du Canada, plus récemment à titre de chef de cabinet du ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles du Canada.
Dennis Mahony dirige le groupe du droit de l’environnement et des changements climatiques chez Torys S.E.N.C.R.L. et est agréé par le Barreau de l’Ontario en tant que spécialiste du droit de l’environnement.
Michael Fortier est associé au sein du groupe du droit de l’environnement et des changements climatiques chez Torys S.E.N.C.R.L. et fournit des conseils pratiques aux clients sur les principaux aspects environnementaux, autochtones et stratégiques du développement, de la délivrance de permis et de la construction de projets énergétiques, miniers, immobiliers et d’infrastructure.
Tyson Dyck est associé au sein du groupe du droit de l’environnement et des changements climatiques chez Torys S.E.N.C.R.L. Il fournit des conseils essentiels aux clients, principalement dans les secteurs de l’énergie, de l’infrastructure et des mines, et possède des décennies d’expérience dans les transactions de compensation de carbone et les fonds de réduction des émissions.
- Gouvernement du Canada, « Événements marquants de l’histoire des évaluations » (dernière modification : 18 décembre 2023), en ligne : <www.canada.ca/fr/agence-evaluation-impact/organisation/mandat/evenements-marquants-histoire-evaluations.html>.
- Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, LC 1992, c 37.
- Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, LC 2012, c 19, art 52 [LCEE, 2012].
- Loi sur l’évaluation d’impact, L.C. 2019, c 28, art 1 [LEI, ou la Loi].
- Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact, 2023 CSC 23 [Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact].
- Les amendements à la LEI ont été présentés à la Chambre des communes le 2 mai 2024 dans un projet de loi portant le numéro C-69. Par une coïncidence apparente, il s’agit du même numéro attribué au projet de loi sur la LEI en 2018, abrogeant et remplaçant la LCEE de 2012, et qui a été largement utilisé dans les campagnes de lobbying et de marketing par ceux qui s’opposaient à la Loi.
- Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact, supra note 5 aux para 179, 183, 193.
- Ibid au para 107.
- Ibid.
- LEI, supra note 4, telle qu’elle a été modifiée, art 6(2).
- Ibid, telle qu’elle a été modifiée, art 16.
- Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur le droit des peuples autochtones, LC 2021, c 14.
- Déclaration des Nations Unies sur les droits des Peuples autochtones, 33e sess, UN Doc A/RES/61/295 (2007).
- Loi constitutionnelle de 1982, art 35, annexe B à la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c 11.
- LEI, supra note 4, telle qu’elle a été modifiée, art 8(b)(i).
- Ibid, telle qu’elle a été modifiée, art 28(3).
- Gouvernement du Canada, Bureau du Conseil privé, « Directive du Cabinet sur l’efficacité de la réglementation et la délivrance des permis pour les projets de croissance propre » (dernière modification : 5 juillet 2024), en ligne : <www.canada.ca/fr/conseil-prive/services/croissance-propre-realiser-grands-projets/directive-cabinet.html >.
- Groupe de travail ministériel chargé de l’efficacité règlementaire des projets de croissance propre, Pour un avenir propre au Canada : un plan visant à moderniser les processus fédéraux d’évaluation et d’autorisation afin d’accélérer la réalisation des projets de croissance propre (Ottawa : Bureau du Conseil privé, 2024), en ligne (pdf) : <www.canada.ca/content/dam/pco-bcp/images/pco2/clean-growth/plan-fra.pdf >.
- Voir, par exemple, Anna Johnston et al, La Loi sur l’évaluation d’impact fonctionne-t-elle? (West Coast Environmental Law et al, 2021), en ligne (pdf) : <www.wcel.org/sites/default/files/publications/2021-impact-assessment-act-report-fr-web.pdf >; Calvin Trottier-Chi, « L’Institut climatique du Canada : Simplifier l’approbation des projets de croissance propre grâce aux évaluations stratégiques » (30 novembre 2023), en ligne : <institutclimatique.ca/publications/simplifier-lapprobation-des-projets-de-croissance-propre>.
- Voir généralement Dylan Kelso et al, Future Unbuilt: Transforming Canada’s Regulatory Systems to Achieve Environmental, Economic, and Indigenous Partnership Goals, (Business Council of Alberta, 2023), en ligne (pdf) : <futureunbuilt.com/wp-content/uploads/2023/06/Future-Unbuilt-Task-Force-Paper-FINAL.pdf>; Heather Exner-Pirot et Micheal Gullo, Reforming Canada’s regulatory approval and permitting process (Institut C.D. Howe, 2023), en ligne (pdf) : <www.cdhowe.org/sites/default/files/2023-07/IM-Pirot%20and%20Gullo_2023_0720.pdf>.
- Les entités fédérales qui seront membres réguliers du Conseil sont indiquées à l’annexe A et comprennent la Régie de l’énergie du Canada, l’Agence canadienne de développement économique du Nord, la Commission canadienne de sûreté nucléaire, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, Pêches et Océans Canada, Environnement et Changement climatique Canada, Finances Canada, Santé Canada, l’Agence d’évaluation d’impact du Canada, Services aux Autochtones Canada, Ressources naturelles Canada, le Bureau du Conseil privé, Transports Canada et le Secrétariat du Conseil du Trésor.
- Marta Orenstein, « Competitive Canada: Recommendations to Improve Federal Assessment for Major Projects » (Canada West Foundation, 2023), en ligne (pdf ) : <www.cwf.ca/wp-content/uploads/2023/08/2023-08-31-CWF_Competitive-Canada-IAA-Report-WEB.pdf>.
- Gouvernement du Canada, Bureau du Conseil privé, « Directive du Cabinet sur l’amélioration de la performance du régime de réglementation pour les grands projets de ressources » (2011), en ligne (pdf) : <www.ceaa-acee.gc.ca/050/documents_staticpost/cearref_21799/83452/Vol1_-_Part03.pdf> (version anglaise).
- Gouvernement du Canada, « Registre canadien d’évaluation d’impact » (dernière modification : 21 mars 2024), en ligne : <www.iaac-aeic.gc.ca/050/evaluations/Index?culture=fr-CA > [Registre canadien d’évaluation d’impact].
- Loi sur les pêches, LRC 1985, c F-14 [Loi sur les pêches].
- Loi sur les eaux navigables canadiennes, LRC 1985, c N-22 [Loi sur les eaux navigables canadiennes].
- Loi sur les espèces en péril, LC 2002, c 29 [Loi sur les espèces en péril].
- Loi sur les explosifs, LRC 1985, c E-17 [Loi sur les explosifs].
- Voir Registre canadien d’évaluation d’impact, supra note 24.
- Gouvernement du Canada, « Projet de GNL Cedar » (dernière modification : 26 juin 2024), en ligne : <www.iaac-aeic.gc.ca/050/evaluations/proj/80208>.
- Gouvernement du Canada, « Registre canadien d’évaluation d’impact » (dernière modification : 12 août 2024), en ligne : <iaac-aeic.gc.ca/050/evaluations/exploration>.