INTRODUCTION
Le 10 juin 2024, le Conseil Consultatif Canadien de l’Électricité a publié son rapport final intitulé L’avenir électrique du Canada : un plan pour réussir la transition (rapport du Conseil Consultatif Canadien de l’Électricité)[1]. Ce rapport précise ce qui suit :
Pour que le Canada atteigne son objectif de carboneutralité, de nombreuses études ont conclu qu’en plus d’éliminer en grande partie les émissions [de gaz à effet serre] provenant de la production actuelle d’électricité, la part de l’énergie globale fournie par l’électricité devra approximativement tripler, passant de 17 % à une proportion comprise entre 40 et 70 %. En d’autres termes, en une seule génération, l’électricité propre doit devenir la principale source d’énergie au Canada[2].
Cependant, le rapport indique également que même ce niveau d’électrification ne contribuera qu’à hauteur de 38 % aux réductions d’émissions requises[3].
Les 62 % restants des émissions totales de gaz à effet serre (eGES) nécessaires pour atteindre les réductions sont constitués d’une combinaison d’énergie fournie par les combustibles fossiles qui ne peut être électrifiée et de processus non utilisés pour la production d’énergie. Si le rapport reconnaît les défis posés par la « réduction potentielle des émissions en 2050 grâce à l’électrification et aux réseaux propres » [traduction][4], il ne dit rien sur la manière dont les eGES restants peuvent être réduites.
Comment le Canada réduira-t-il les 62 % restants des émissions totales? Ces émissions peuvent-elles être éliminées? Si ce n’est pas le cas, prévoit-on atténuer ces émissions en mettant en œuvre une stratégie de carboneutralité?
Cela soulève des questions dont le rapport ne traite pas, telles que : Qu’est-ce que la carboneutralité et quel est son rapport avec l’électrification? Comment le reste des eGES sera-t-il éliminé? Qui décide des politiques de carboneutralité?
Le présent article vise à passer en revue le cadre international de déclaration et de réduction des eGES ainsi qu’à examiner le rôle des crédits compensatoires dans ce cadre. On se penchera ensuite sur la manière dont les crédits compensatoires sont gérés au Canada et dans ses provinces — la politique qui sous-tend les investissements dans les projets de crédits compensatoires et le rôle des crédits compensatoires dans l’atteinte des objectifs de carboneutralité.
QU’EST-CE QUE LES GES?
L’Accord de Paris[5] fixe des limites d’émission pour les eGES, que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) définit comme suit :
Constituants gazeux de l’atmosphère, tant naturels qu’anthropiques, qui absorbent et émettent un rayonnement à des longueurs d’onde données du spectre du rayonnement infrarouge thermique émis par la surface de la Terre, l’atmosphère et les nuages […] La vapeur d’eau (H2O), le dioxyde de carbone (CO2), l’oxyde nitreux (N2O), le méthane (CH4) et l’ozone (O3) sont les principaux gaz à effet de serre présents dans l’atmosphère terrestre. Il existe également des gaz à effet de serre résultant uniquement des activités humaines, tels que les hydrocarbures halogénés et autres substances contenant du chlore et du brome, dont traite le Protocole de Montréal. Outre le CO2, le N2O et le CH4, le Protocole de Kyoto traite, quant à lui, d’autres gaz à effet de serre tels que l’hexafluorure de soufre (SF6), les hydrofluorocarbones (HFC) et les hydrocarbures perfluorés (PFC)[6].
Dans le présent article, ces gaz sont désignés collectivement sous le nom de GES, sauf indication contraire du contexte. En outre, les GES sont souvent comptabilisés et déclarés en t d’éq. CO2, c’est-à-dire en tonnes métriques d’équivalent en CO2.
L’Accord de Paris a été adopté par 196 parties, dont le Canada, lors de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP21) à Paris, en France, en 2015. Il est entré en vigueur en 2016[7], et le Canada l’a ratifié la même année[8].
SOURCES ET PUITS DE GES
L’article 13 de l’Accord de Paris[9] engage tous les signataires à élaborer, à mettre à jour périodiquement, à publier et à mettre à disposition leurs inventaires nationaux des émissions anthropiques par les sources et des absorptions par les puits de GES. En tant que signataire de l’Accord de Paris, le Canada s’est engagé à déclarer ses eGES, ce qu’il a fait dans son plus récent Rapport d’inventaire national 1990–2021 : sources et puits de gaz à effet de serre au Canada en 2023[10].
Les principaux puits naturels sont les océans et la végétation. L’Accord de Paris exige que les parties prennent des mesures pour conserver et renforcer, le cas échéant, les puits et les réservoirs de gaz à effet de serre, y compris la biomasse, les forêts et les océans ainsi que les autres écosystèmes terrestres, côtiers et marins[11].
Cependant, les GES, en particulier le CO2, peuvent également être retirés de l’atmosphère par des activités humaines délibérées, puis stockés durablement dans des réservoirs géologiques, terrestres ou océaniques, ou dans des produits. Le GIEC ne fait pas de distinction entre les puits naturels et les puits créés par les activités humaines, définissant un puits comme « tout processus, activité ou mécanisme qui élimine de l’atmosphère des gaz à effet de serre, des aérosols ou des précurseurs de gaz à effet de serre »[12].
QU’EST-CE QUE LA CARBONEUTRALITÉ?
On parle de carboneutralité lorsque la quantité de GES ajoutée à l’atmosphère par les sources est égale à la quantité éliminée par les puits, le tout mesuré sur une période convenue, de préférence la plus courte possible[13]. Atteindre le carboneutralité ne nécessite pas intrinsèquement de réduction des émissions — en théorie, le carboneutralité pourrait être atteint sans réduction des émissions s’il y avait suffisamment de puits pour absorber tous les GES émis, bien qu’il y ait des obstacles pratiques importants à cette approche.
L’idée de la carboneutralité est née de recherches menées à la fin des années 2000, qui ont conclu que le réchauffement planétaire ne s’arrêtera que si les émissions nettes de CO2 sont réduites à zéro[14]. La carboneutralité était un élément fondamental des objectifs de l’Accord de Paris, comme le reflète l’article 4.1 de l’accord :
En vue d’atteindre l’objectif de température à long terme énoncé à l’article 2, les Parties cherchent à parvenir au plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs délais, étant entendu que le plafonnement prendra davantage de temps pour les pays en développement Parties, et à opérer des réductions rapidement par la suite conformément aux meilleures données scientifiques disponibles de façon à parvenir à un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre au cours de la deuxième moitié du siècle, sur la base de l’équité, et dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté [soulignement ajouté] [15].
Le terme carboneutralité a gagné en popularité après que le GIEC a publié son rapport spécial sur le réchauffement planétaire de 1,5 °C (SR15) en 2018[16].
CRÉDITS COMPENSATOIRES POUR LES GES
Un « crédit compensatoire pour le carbone » ou « crédit compensatoire », désigne de manière générale une réduction des eGES ou une augmentation des GES qui sont capturés et stockés afin de compenser les eGES qui se produisent ailleurs. Une fois achevé, un projet de crédits compensatoires permet de réaliser ces réductions.
Les crédits compensatoires sont générés dans le cadre de projets de crédits compensatoires et peuvent être achetés par des émetteurs de GES, les aidant ainsi à respecter leurs exigences légales en matière de réduction des émissions. Ils peuvent également être achetés par des organisations qui ne sont pas tenues par la loi de déclarer ou de réduire leurs émissions, mais qui le font volontairement, ou pour répondre aux attentes de leurs actionnaires ou de leurs clients en matière d’environnement, de société et de gouvernance (ESG). Certaines de ces organisations peuvent également financer des projets de crédits compensatoires. De plus, les crédits compensatoires peuvent offrir aux promoteurs de projets de crédits compensatoires la possibilité de monétiser la production de leur projet.
Cependant, un marché pour les crédits compensatoires associés n’est pas nécessaire pour qu’un projet de crédits compensatoires soit viable. Par exemple, on pourrait considérer qu’il est dans l’intérêt public de financer publiquement un projet de crédits compensatoires afin d’aider à réduire les émissions qui sont considérées comme une responsabilité sociétale. Le financement de cette nature pourrait être assuré par des gouvernements, des organisations non gouvernementales (ONG) ou des organisations du secteur privé.
CRÉDITS COMPENSATOIRES AU CANADA
Il existe un certain nombre de projets générant des crédits compensatoires au Canada. Le gouvernement fédéral, la Colombie-Britannique (C.-B.) et l’Alberta tiennent tous des registres de projets. Les projets de crédits compensatoires figurant dans les registres comprennent des exemples de toutes les catégories dont il est question ci-dessus. Il n’est pas surprenant que la C.-B. ait un nombre important de projets de séquestration en forêt et que l’Alberta ait un certain nombre de projets qui utilisent des puits de pétrole et de gaz épuisés dans le même but. Les deux provinces ont un nombre important de projets de remplacement de combustible, certains vers les biocarburants et beaucoup pour soutenir l’électrification.
Le Système de tarification fondé sur le rendement (STFR), en place au niveau fédéral et dans la plupart des provinces, fournit un marché pour les crédits compensatoires générés par les projets décrits dans le paragraphe précédent. Bien que chaque province diffère quelque peu dans les détails de mise en œuvre, la description du programme de la C.-B. donne un aperçu de l’approche générale à ce sujet.
Le STFR de la C.-B. impose une obligation de déclaration aux entreprises qui émettent plus de 10 000 tonne d’équivalent CO2 par an. Ces « entreprises déclarantes » peuvent prétendre à une exonération de la taxe sur le carbone pour les combustibles et carburants qu’elles utilisent dans leurs installations, mais elles ont l’obligation de respecter leur limite annuelle d’émissions. Les activités qui émettent moins que leur limite annuelle d’émissions permettent d’obtenir des crédits. Les activités qui dépassent leur limite d’émissions entraînent des obligations de conformité qui peuvent être satisfaites par des crédits gagnés, des unités compensatoires ou des paiements de pénalités directs.
Les ventes de crédits compensatoires sont gérées par le gouvernement de la C.-B. selon un barème de prix. Le STFR de la C.-B. impose également une limite à la quantité de crédits compensatoires pouvant être appliquée aux obligations de conformité d’une entreprise[17]. Les crédits compensatoires sont achetés à la fois par des entreprises déclarantes et non déclarantes.
SYSTÈME DE PLAFONNEMENT ET D’ÉCHANGE DE CRÉDITS COMPENSATOIRES QUÉBEC-CALIFORNIE
La province de Québec participe à un système de plafonnement et d’échange, qui comprend un programme d’échange de crédits compensatoires, avec l’État de la Californie.
Le marché d’échange de droits d’émission partagé entre l’État américain de la Californie et la province canadienne du Québec est administré par Western Climate Initiative Inc. (WCI). WCI administre également les systèmes individuels d’échange de droits d’émissions de la Nouvelle-Écosse et de l’État de Washington. Elle fournit également des services administratifs, techniques et d’infrastructure pour soutenir la mise en œuvre de programmes de plafonnement et d’échange dans d’autres régions nord-américaines[18].
WCI définit un certificat de crédit compensatoire comme suit :
Un type d’instrument de conformité qui est attribué par l’autorité du programme d’une région partenaire participante dans le cadre du programme de plafonnement et d’échange de la région associée au commanditaire d’un projet de crédits compensatoires d’eGES […] Un certificat de crédit compensatoire représente une réduction ou une élimination d’une tonne d’équivalent CO2. La réduction ou l’élimination doit répondre aux critères essentiels recommandés pour que les réductions et les éliminations soient réelles, additionnelles, permanentes et vérifiables. Les réductions et les éliminations doivent également être clairement détenues, respecter les protocoles recommandés et résulter d’un projet situé dans une zone géographique admissible [traduction][19].
Les protocoles de crédits compensatoires de WCI exigent que « les avantages environnementaux, sociaux, économiques et sanitaires pouvant découler d’un projet de crédits compensatoires et du système de crédits compensatoires se concentrent sur les avantages directement liés à l’atténuation des changements climatiques. Un projet de crédits compensatoires de WCI doit uniquement entraîner une réduction ou une élimination des émissions de gaz à serre » [traduction][20].
Au début du programme, les crédits compensatoires étaient régis comme suit[21] :
Comparaison des systèmes de plafonnement et d’échange de la Californie et du Québec au 28 mai 2015 | ||
California | Québec | |
Limite de crédit compensatoire | Peut représenter 8 % de l’obligation de conformité d’une entité règlementée | Peut représenter 8 % de l’obligation de conformité d’une entité règlementée |
Limite d’utilisation des crédits compensatoires pour 2013 (millions de crédits compensatoires) | 13 | 2,1 |
Types de catégories de crédits compensatoires |
|
|
Selon les termes de l’accord de plafonnement et d’échange conclu entre le Québec et la Californie, les crédits compensatoires peuvent être échangés entre les participants aux programmes des deux régions.
L’utilisation des crédits compensatoires en Californie est actuellement limitée à 4 % de l’obligation de conformité d’une entité pour la période actuelle de 2021 à 2025 (comparativement à 8 % pendant la période allant de 2013 à 2020), mais cette limite d’utilisation passera à 6 % pour la période allant de 2026 à 2030. À la mi-juillet 2022, près de 240 millions de crédits compensatoires de l’Air Resources Board (ARB) ont été octroyés en Californie, et près de 50 millions sont encore en circulation[22].
UTILISATION DES CRÉDITS COMPENSATOIRES AU NIVEAU INTERNATIONAL – LE PARTENARIAT INTERNATIONAL D’ACTION SUR LE CARBONE
Comment le Canada et ses provinces se situent-ils au niveau international? En janvier 2023, le Partenariat international d’action sur le carbone (ICAP) a publié son rapport intitulé Offset Use Across Emissions Trading Systems (utilisation des crédits compensatoires dans le cadre des systèmes d’échange de droits d’émissions). Ce rapport de 2023 indique ce qui suit :
On a assisté, à un moment ou à un autre, à l’intégration de dispositions relatives aux crédits compensatoires dans la conception de nombreux systèmes d’échange de droits d’émissions (SEDE) dans le monde. Les responsables de systèmes en cours d’élaboration, comme ceux de la Colombie et du Viêt Nam, se penchent sur la manière dont ils pourraient intégrer les crédits compensatoires. Au fil du temps, les systèmes ont eu tendance à se fonder davantage sur les crédits compensatoires nationaux que les crédits compensatoires internationaux et à mettre en place des mécanismes d’attribution de crédits auto-établis plutôt qu’administrés de manière indépendante. Les approches en matière de crédits compensatoires diffèrent également en d’autres points, notamment la portée géographique et sectorielle, le niveau de dépendance à l’égard des crédits compensatoires et les méthodologies (ou « protocoles ») pour la production de crédits compensatoires. Plusieurs responsables de systèmes ont choisi, dès le départ ou par la suite, de ne pas inclure de dispositions en matière de crédits compensatoires. Il s’agit notamment de l’Allemagne, de l’Autriche, du SEDE britannique, de la Suisse, du SEDE de l’Union européenne (UE), de la Nouvelle-Écosse et du Massachusetts [traduction][23].
La figure ci-dessous donne un aperçu de l’utilisation des crédits compensatoires dans les SEDE actuels[24].
L’expérience du SEDE de l’UE est résumée dans le rapport. Au cours de la première phase (2005–2007), les entités règlementées étaient autorisées à utiliser sans limite les crédits, à l’exception de ceux provenant de grands projets hydroélectriques et de projets d’utilisation des terres, de changement d’affectation des terres et de sylviculture.
Cependant, dans la pratique, aucun crédit compensatoire n’a été utilisé en raison de l’effondrement du prix des droits à la fin de la première phase. « Au cours de la deuxième phase (2008–2012), après le relèvement du plafond du SEDE de l’UE, les crédits compensatoires sont devenus une solution intéressante, mais des inquiétudes ont circulé quant à l’additionnalité et à l’intégrité environnementale de certains types de projets. L’UE a donc limité les crédits compensatoires de certains types en introduisant des critères qualitatifs et a interdit les crédits provenant de projets de gaz industriels » [traduction][25].
L’expérience de l’UE illustre l’importance d’un marché dont les prix soutiennent le développement de projets de crédits compensatoires et d’un ensemble solide de critères pour l’élaboration de projets afin de garantir un soutien public continu.
LE RÔLE DES CRÉDITS COMPENSATOIRES DANS LE CARBONEUTRALITÉ – ET LES CONTROVERSES QUI LES ENTOURENT
Il y a un consensus croissant au sujet du rôle des crédits compensatoires dans un monde carboneutre. Par exemple, Bloomberg déclare :
« Peu d’organisations peuvent atteindre leurs objectifs de carboneutralité uniquement grâce à des initiatives de réduction des émissions. La plupart d’entre elles se retrouvent avec des émissions résiduelles, qu’elles peuvent neutraliser grâce à des crédits compensatoires pour le carbone » [traduction] [26].
Cependant, malgré ce consensus croissant, l’utilisation des crédits compensatoires continue d’être critiquée pour un certain nombre de raisons, notamment :
- Les crédits compensatoires peuvent retarder les réductions actives d’émissions — ils ne devraient être envisagés qu’une fois que tous les moyens de réduction et d’élimination des eGES ont été épuisés.
- Les crédits compensatoires peuvent conduire à une quantification inappropriée des réductions d’émissions des projets.
- Les crédits compensatoires peuvent entraîner une double comptabilisation des réductions d’émissions.
- L’utilisation de crédits compensatoires a un effet dissuasif sur l’adoption de mesures d’atténuation.
Les critiques formulées à l’encontre des crédits compensatoires peuvent parfois résulter du rôle différent que jouent les crédits compensatoires dans la déclaration des réductions de GES et dans l’octroi d’incitations et de fonds aux entités qui réduisent leurs eGES. Les exemples suivants illustrent ces différents rôles.
Considérez les catégories suivantes de projets de crédits compensatoires :
- Les projets qui conservent et améliorent les puits et réservoirs naturels de gaz à effet de La reforestation et la restauration des zones humides en sont des exemples.
- Les procédés construits par l’homme pour capturer les GES présents dans l’atmosphère et les transporter vers une installation de stockage où ils peuvent être séquestrés et stockés pour une durée indéterminée. C’est ce que l’on appelle communément le captage direct du carbone (CDP).
- Le captage des eGES directement à partir d’une source d’émission et leur transport vers une installation de stockage où ils peuvent être séquestrées et stockées pour une durée indéterminée. C’est ce que l’on appelle communément le captage et le stockage du carbone (CSC).
- Le remplacement d’un procédé émetteur de GES par un procédé différent qui génère moins ou pas de GES — par exemple, le remplacement d’un compresseur alimenté au gaz naturel par un compresseur alimenté à l’électricité. C’est ce que l’on appelle communément le « remplacement de combustible ».
Les projets de crédits compensatoires des troisième et quatrième catégories éliminent les émissions qui sont simultanément émises par un processus établi ou éliminent les émissions qui se produiraient s’il n’y avait pas de projet de crédits compensatoires. Bien qu’il s’agisse en soi d’une « carboneutralité », la vente du crédit compensatoire qui en résulte permet à l’acheteur de continuer à émettre une quantité équivalente de GES.
En outre, un projet de crédits compensatoires de type « remplacement de combustible » élimine totalement ou partiellement les eGES associés à un processus d’émission. Par conséquent, en ce qui concerne ces eGES éliminés, il n’y a pas de véritable « compensation ».
Cependant, de nombreuses régions autorisent l’échange de crédits compensatoires générés par le remplacement des combustibles et le CSC, pour des raisons stratégiques valables. En substance, tous les crédits compensatoires constituent un incitatif financier pour le promoteur d’un projet de crédits compensatoires afin de réduire ou d’éliminer les émissions de gaz à effet de serre et fournissent une voie pour le subventionnement du propriétaire d’un procédé générateur d’eGES. Globalement, les émissions sont réduites.
Cela dit, il peut toujours y avoir un risque de double comptage si le vendeur et l’acheteur d’un crédit compensatoire revendiquent tous deux la même réduction d’eGES.
À l’exception des crédits compensatoires de la catégorie 4 ci-dessus, qui incitent à l’élimination permanente des eGES, toutes les catégories de crédits compensatoires sont considérées par de nombreux détracteurs comme permettant la poursuite des émissions de GES.
Un article paru dans Nature en 2021 résume ces critiques :
Les engagements de carboneutralité ne sont pas une alternative aux réductions urgentes et globales des émissions. En effet, le carboneutralité exige que l’on se concentre davantage sur l’élimination des sources d’émissions difficiles que cela n’a été le cas jusqu’à présent. La « neutralité » dans carboneutralité est essentielle, mais le besoin d’intégrité sociale et environnementale impose des contraintes strictes sur la portée, le calendrier et la gouvernance de l’élimination du dioxyde de carbone et des crédits compensatoires pour le carbone [traduction][27].
Ces critiques sont-elles valables? Malgré celles-ci, l’objectif de carboneutralité est devenu le cadre principal des stratégies de réduction des GES, alors que de nombreux pays et organisations se fixent des objectifs de carboneutralité et s’aventurent dans le domaine des crédits compensatoires comme moyen d’atteindre ces objectifs[28].
CONCEPTION D’UN PROGRAMME DE CRÉDITS COMPENSATOIRES
Compte tenu des critiques formulées à l’encontre des crédits compensatoires, comment celles-ci peuvent-elles faire partie d’une stratégie de carboneutralité acceptée et fructueuse? L’ICAP est un forum international pour les gouvernements et les autorités publiques qui ont mis en œuvre ou prévoient de mettre en œuvre des SEDE. Dans le cadre de ses travaux sur les SEDE, l’ICAP a examiné le rôle des crédits compensatoires dans ces systèmes et gère les marchés d’échange de crédits compensatoires. Selon l’ICAP, les crédits compensatoires devraient :
- être additionnels, c’est-à-dire que la réduction n’aurait pas eu lieu sans l’incitation créée par les revenus de crédits compensatoires;
- être correctement quantifiés, de sorte que les réductions d’émissions ne soient pas surestimées;
- être permanents ou s’accompagner d’un moyen d’atténuer les dommages causés à l’environnement par les renversements;
- être comptabilisés de manière appropriée (de sorte que les réductions d’émissions aient un demandeur exclusif et ne fassent pas l’objet d’une double demande);
- ne pas décourager les mesures d’atténuation prises par la région qui accueille le projet de crédits compensatoires[29].
Peut-être en réponse aux critiques formulées à l’encontre des crédits compensatoires, de nombreuses régions ont imposé des limites au montant et à la nature des crédits compensatoires pouvant être utilisés. Bien qu’il s’agisse d’une approche raisonnable pour atténuer le risque d’un programme de crédits compensatoires impopulaire, la limite elle-même peut-elle constituer un risque pour une stratégie de carboneutralité? Nombreux sont ceux qui considèrent qu’il est difficile et coûteux d’atteindre le carboneutralité. Par conséquent, limiter l’utilisation des crédits compensatoires pourrait potentiellement compromettre les efforts déployés pour y parvenir.
CONCLUSION
Les crédits compensatoires permettent d’atteindre la « neutralité » dans le concept de la « carboneutralité ». Sans eux, tous les processus émettant des GES d’origine humaine doivent être éliminés ou remplacés par des processus non émetteurs. Sans les crédits compensatoires, nous devrons apprendre à vivre sans les procédés émetteurs de GES qui ne peuvent pas être remplacés par des procédés non émetteurs.
Face à ce choix difficile, il est clair que les crédits compensatoires ont un rôle à jouer. Cependant, la viabilité des crédits compensatoires dépend de nombreux éléments, notamment de leur intégrité, de leur économie, de leur acceptation publique et politique et de l’ingéniosité des promoteurs. Comment les politiques publiques peuvent-elles les soutenir?
Le rapport du Conseil consultatif indique que pour atteindre les objectifs du pays de la manière la plus rentable, la part de marché de l’électricité devra être multipliée par trois environ en l’espace d’une seule génération, pour devenir la principale forme d’approvisionnement énergétique du pays. En outre, les prévisions actuelles indiquent que plus de 10 gigawatts (GW) de nouvelle électricité sans émissions devront être ajoutés aux réseaux électriques canadiens chaque année d’ici à 2050. Cela signifie que la capacité de production d’électricité doit augmenter au moins trois fois plus vite qu’au cours des dernières décennies[30].
Tripler, en 25 ans, la quantité d’électricité produite et acheminée est un objectif ambitieux qui, comme le souligne le rapport, nécessitera une réforme règlementaire considérable et un investissement estimé entre 1,1 et 2 000 milliards de dollars. Pour mettre 10 GW en perspective, cela équivaut à 9 nouveaux barrages du Site C chaque année d’ici à 2050!
De plus, alors que certaines modélisations montrent une réduction globale des coûts énergétiques totaux pour 70 % des personnes, 30 % des personnes — les plus vulnérables économiquement parmi nous — devront faire face à des factures d’énergie plus élevées[31].
Même si cet objectif d’électrification est réalisable, il ne représente que moins de la moitié des émissions du Canada en 2050. Les projets de crédits compensatoires comblent cette lacune — de plus, ils peuvent soutenir l’effort d’électrification, si cela s’avère nécessaire.
Il est essentiel de maintenir la confiance du public dans toute politique relative aux crédits compensatoires. La politique publique actuelle relative aux crédits compensatoires est-elle transparente et compréhensible? Pour réussir, elle doit l’être. Les considérations politiques incluent les suivantes :
- Faut-il limiter l’utilisation des crédits compensatoires afin de trouver un équilibre entre la nécessité de prendre des mesures d’atténuation et le rapport coût-efficacité offert par les crédits compensatoires?
- Faut-il imposer des restrictions sur la nature des projets de crédits compensatoires?
- Comment doit-on gérer un marché des crédits compensatoires?
- Quelles subventions publiques, le cas échéant, devraient être disponibles pour le développement de projets de crédits compensatoires?
- Les normes et pratiques de vérification et d’audit sont-elles suffisantes pour garantir qu’il existe un demandeur exclusif, que les réductions d’émissions ne sont pas surdéclarées, que les réductions sont permanentes et qu’elles ne font pas l’objet d’une double déclaration?
Le groupe d’experts du rapport du Conseil consultatif a recommandé au gouvernement ce qui suit : « La feuille de route en matière d’énergie doit clairement énoncer l’objectif de carboneutralité d’ici 2050 » [traduction][32]. L’article 4.1 de l’Accord de Paris[33] fournit des directives à cet égard : nous avons besoin d’une voie équitable et économiquement durable pour atteindre nos objectifs de carboneutralité. Une voie qui ne désavantage pas les citoyens les plus démunis.
Une discussion ouverte sur les crédits compensatoires et une approche réfléchie à cet égard sont nécessaires. Gardons l’esprit ouvert sur la façon dont les crédits compensatoires peuvent aider le Canada à atteindre ses objectifs de carboneutralité et à respecter ses obligations internationales.
* David Morton est un ingénieur professionnel possédant plus de 45 ans d’expérience qui se spécialise dans la règlementation des services publics et la politique énergétique. Il a dirigé la British Columbia Utilities Commission (BCUC) et a mené plusieurs enquêtes importantes pour le gouvernement de la Colombie-Britannique. Il œuvre actuellement auprès d’associations internationales de règlementation de l’énergie et participe fréquemment à des conférences ainsi qu’à des séances de formation sur la scène mondiale.
- Conseil Consultatif Canadien de l’Électricité, L’avenir électrique du Canada : un plan pour réussir la transition, Rapport Final, 2024, en ligne : <ressources-naturelles.canada.ca/nos-ressources-naturelles/sources-denergie-reseau-distribution/infrastructures-lelectricite/le-conseil-consultatif-canadien-de-lelectricite/lavenir-electrique-canada-plan-reussir-transition> [CCCE].
- Ibid à la p 37.
- Potentielle réduction des émissions de 268 MT grâce à l’électrification / émissions annuelles totales de 708 Mt = 28 % (ibid à la p 10).
- CCCE, supra note 1 aux pp 10, 49.
- Accord de Paris, à titre d’annexe du Rapport de la Conférence des Parties sur sa vingt et unième session, tenue à Paris du 30 novembre au 13 décembre 2015, Additif – Deuxième partie : Mesures prises par la Conférence des Parties à sa vingt et unième session, 12 décembre 2015, document des Nations Unies FCCC/CP/201510/Add.1, 55 ILM 740 (entré en vigueur le 5 octobre 2016 et ratifié par le Canada le 4 novembre 2016. [Accord de Paris].
- Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, Rapport du groupe de travail I – Les éléments scientifiques – Annexe I : Glossaire » (dernière consultation : le 19 août 2024), en ligne : <archive.ipcc.ch/publications_and_data/ar4/wg1/fr/annexsannexe-1.html>.
- Voir Nations Unies – Changements climatiques, « Processus et réunions : L’accord de Paris » (dernière consultation : 1er août 2024), en ligne : <unfccc.int/fr/a-propos-des-ndcs/l-accord-de-paris>.
- Voir Gouvernement du Canada : Environnement et Ressources naturelles, « Conférence de l’ONU sur les changements climatiques : l’Accord de Paris », (dernière consultation : 1er août 2024), en ligne : <www.canada.ca/fr/environnement-changement-climatique/services/changements-climatiques/accord-paris.html>.
- Accord de Paris, supra note 5, art 13.
- Environnement et Changement climatique Canada, Rapport d’inventaire national 1990–2021 : Sources et puits de gaz à effet de serre au Canada – La déclaration du Canada à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, (édition 2023, partie 3), en ligne : <publications.gc.ca/collections/collection_2023/eccc/En81-4-2021-3-fra.pdf>.
- Voir Accord de Paris, supra note 5, art 5.1; voir aussi Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, 9 mai 1992, 1771 R.T.N.U. 107, art 4.1-d.
- Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, Climate Change 2021: The Physical Science Basis: Annex VII: Glossary, Contribution du Groupe de travail 1, J.B. Robin Matthews et al, Cambridge University Press, 2022 à la p 2249.
- Le fait d’avoir la moitié de la concentration souhaitée de CO2 pendant 50 ans, suivie du double pour les 50 prochaines années, entraînerait la carboneutralité sur une période de 100 ans, mais ce n’est pas ce que prévoit l’Accord de Paris.
- Myles R. Allen et al, « Net Zero: Science, Origins, and Implications » (2022) 47, Annual Review of Environment and Resources 849, en ligne : <annualreviews.org/docserver/fulltext/energy/47/1/annurev-environ-112320-105050.pdf?expires=1723048008&id=id&accname=guest&checksum=FD05D4E10A6512A68A1E9E1EF6B93E72>.
- Accord de Paris, supra note 5 art 4.1.
- Hans-Otto Pörtner et al, Réchauffement planétaire de 1,5 °C (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat : 2019), en ligne (pdf) : <www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2019/09/SR15_Summary_Volume_french.pdf>.
- Gouvernement de la Colombie-Britannique, « Getting started with the B.C. output-based pricing system » (février 2024), en ligne (pdf ) : <www2.gov.bc.ca/assets/gov/environment/climate-change/action/carbon-tax/obps-technical-backgrounder.pdf> [Gouvernement de la Colombie-Britannique].
- Western Climate Initiative, Inc., « Greenhouse gas emissions trading: a cost-effective solution to climate change », en ligne : <wci-inc.org>.
- Western Climate Initiative, « Offset System Essential Elements Final Recommendations Paper » (juillet 2010), en ligne (pdf) : <www.environnement.gouv.qc.ca/changements/carbone/documents-WCI/recommandations-finales-elements-essentiels-WCI-en.pdf>.
- Ibid à la p 7.
- Voir Jonathan Drance, « Examining California and Quebec’s cap-and-trade systems » (28 mai 2015), en ligne : <www.stikeman.com/en-ca/kh/canadian-energy-law/examining-california-and-quebec-cap-and-trade-systems>.
- Legislative Analyst’s Office, « California’s Cap-and-Trade Program: Frequently Asked Questions: How Do Offsets Work? » (24 octobre 2023), en ligne : <lao.ca.gov/Publications/Report/4811>.
- Stephanie La Hoz Theuer et al, Offset Use Across Emissions Trading Systems (Berlin: Secretariat of the International Carbon Action Partnership, 2023), à la p 11, en ligne (pdf ) : <icapcarbonaction.com/system/files/document/ICAP%20offsets%20paper_vfin.pdf>.
- Ibid.
- Ibid à la p 13.
- Bloomberg Professional Services, « Why net-zero targets require carbon offsets to succeed » (25 avril 2022), en ligne : <www.bloomberg.com/professional/insights/commodities/why-net-zero-targets-require-carbon-offsets-to-succeed>.
- Sam Fankhauser et al, « The meaning of net zero and how to get it right » (2022) 12 Nature Climate Change 15 à la p 19, en ligne (pdf) : <www.nature.com/articles/s41558-021-01245-w.pdf>.
- John Lang, « Energy & Climate Intelligence Unit: Net Zero: A short history » (8 janvier 2021), en ligne : <eciu. net/analysis/infographics/net-zero-history>. Voir aussi Jorei Rogelj et al, « Net-zero emissions targets are vague: three ways to fix » (16 mars 2021), en ligne : <www.nature.com/articles/d41586-021-00662-3>.
- Supra note 23 à la p 10.
- Cela présente un double défi.
- CCCE, supra note 1 à la p 34.
- Ibid à la p 158.
- Gouvernement de la Colombie-Britannique, supra note 17.