DYSFUNCTION: Canada after Keystone XL, Dennis McConaghy, Dundurn Toronto, 2017

La saga du projet Keystone XL à travers les dédales du processus d’examen public américain est désormais bien connue. Malgré les conclusions répétées auxquelles en est venu le Département d’État des États-Unis dans ses évaluations, à savoir que le projet n’entraînerait « aucun changement considérable dans la quantité d’émissions de gaz à effet de serre [et] ne risquerait pas d’avoir une incidence importante sur le taux de développement dans les sables bitumineux [canadiens] »1, en novembre 2015, le président Barack Obama a refusé d’octroyer un permis pour le projet, déclarant qu’une telle approbation aurait miné le rôle de l’Amérique en tant que « leader mondial dans la prise de mesures sérieuses pour lutter contre les changements climatiques »2. Bien que le projet Keystone XL ait depuis été autorisé par le président Donald Trump, il ne faut pas négliger les leçons qu’il faut tirer de ce refus précédent pour le Canada, là où d’autres projets d’oléoducs sont tout aussi controversés, d’autant plus que le gouvernement fédéral procède à l’examen du rapport du Comité d’experts sur la Modernisation de l’Office national de l’énergie3. Il y a fort à parier que ce débat animé se poursuivra.

L’ouvrage de Dennis McConaghy, DYSFUNCTION: Canada after Keystone XL devrait être accueilli par toutes les parties intéressées en tant que contribution indispensable à ce débat4. Il s’agit d’une chronique unique offrant une « perspective de l’intérieur ». Avant de prendre sa retraite, M. McConaghy était cadre supérieur chez TransCanada et il a participé directement à la conception et à l’exécution du projet Keystone XL dès le tout début de la création du projet au milieu des années 2000.

Cette contribution incitera sans doute les opposants au projet Keystone XL à écarter ses conclusions au motif qu’elles sont intéressées, mais il s’agirait là d’une erreur monumentale. Une grande partie de la controverse entourant le projet (et, de fait, son rejet par le président Obama) concerne la mesure dans laquelle il contribuerait aux émissions de gaz à effet de serre et aurait une incidence sur les changements climatiques. Les changements climatiques sont également au cœur des principales contestations à l’égard d’autres projets d’oléoducs. Toutefois, M. McConaghy ne nie aucunement l’existence des changements climatiques :

« Soyons clairs; je crois que les émissions de gaz à effet de serre découlant de l’activité humaine augmentent le risque de changements climatiques. C’est un risque que nous devons gérer5. »

En effet, il soutient précisément la taxe sur le carbone et fait valoir que le destin du projet Keystone XL aux mains d’Obama pourrait très bien avoir été différent si le gouvernement du premier ministre Stephen Harper ne s’était pas si ardemment opposé à une telle taxe.

Donc, il est justifié d’accorder à la conclusion de M. McConaghy toute la considération qui lui est due. L’annulation du projet Keystone XL « n’était qu’un acte symbolique, sans véritable conséquence sur la gestion sérieuse des risques de changements climatiques ».

La frustration de M. McConaghy est palpable dans son observation du fait que le refus ultime du projet par le président Obama (lorsqu’il a finalement pris une décision) signifiait « la fin d’un simulacre fourbe et insoutenable ». Il ne s’agit pas là que d’une simple hyperbole – tout au long du processus, M. McConaghy note des cas où TransCanada a été amenée à croire que son acceptation de conditions supplémentaires et d’évaluations environnementales mènerait ultimement à une approbation. En rétrospective, il est devenu évident que l’administration américaine avait l’intention de retarder la prise d’une décision finale plutôt que de préserver l’intégrité du processus règlementaire. Au moment du refus définitif du projet en novembre 2015, le secrétaire d’État John Kerry a déclaré que la décision « ne pouvait pas être prise simplement en fonction des chiffres »6. Selon M. McConaghy, il s’agissait sans doute d’un « reflet fidèle » de l’état d’esprit du président et du secrétaire d’État, l’amenant à conclure que « l’application régulière de la loi et les évaluations technocratiques n’y étaient pour rien ».

Il existe des différences évidentes entre les processus d’examen règlementaire aux États-Unis et au Canada. Le constat que fait M. McConaghy au sujet de l’expérience Keystone XL demeure néanmoins pertinent ici, alors que la politisation des projets d’énergie continue de croître. En 2012, le rôle de l’Office national de l’énergie a connu un changement fondamental alors qu’il est passé de décideur à conseiller, la prise de décisions directes ayant été transférée au cabinet fédéral. La possibilité que la politique l’emporte sur l’analyse indépendante s’est donc considérablement accrue. L’expérience vécue dans le cadre du projet Keystone XL illustre très bien les conséquences d’emprunter cette voie.

L’évaluation de M. McConaghy n’est pas encourageante :

« L’idée la plus désolante qui me fascine au lendemain de la longue déroute du projet Keystone XL, c’est que le Canada n’a pas beaucoup appris… Les promoteurs de grandes infrastructures d’hydrocarbures dans ce pays doivent suivre un long processus de décision potentiellement malhonnête, dont les résultats ne sont pas nécessairement liés au véritable examen règlementaire des avantages et des risques environnementaux atténués7. »

Espérons que le débat et les mesures suivant le rapport du Comité d’experts sur la Modernisation de l’Office national de l’énergie apporteront des améliorations.

Mais, peut-être que l’importance plus générale de l’ouvrage Dysfunction repose dans son sous-titre : Canada after Keystone XL ou « le Canada après Keystone XL ». Dans la deuxième partie, M. McConaghy examine « les autres pipelines du Canada : Northern Gateway, TransMountain et Énergie Est » en regard du contexte de l’expérience Keystone XL. Son examen l’a mené à poser la question suivante :

« Le Canada a-t-il réellement la conviction fondamentale qu’il est dans l’intérêt public de développer ses ressources en hydrocarbures? Depuis l’échec du projet KXL, le Canada s’est montré profondément équivoque à l’égard de cette position8. »

En effet, il s’agit de la question qui est indispensable au débat controversé entourant ces projets d’infrastructure énergétiques et ceux à venir au Canada.

Dysfunction s’avère une contribution importante au débat. Il doit être lu par l’ensemble des politiciens, des décideurs, des organismes de règlementation, des membres de l’industrie et des citoyens touchés.

* Rowland J. Harrison, c.r. est un consultant en règlementation de l’énergie dans la région de Calgary et le co-rédacteur en chef de la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie.

  1. US, Department of State, Draft Supplemental Environmental Impact Statement, Washington DC, Department of State, mars 2013.
  2. Barack Obama, “Statement by the President on the Keystone XL Pipeline”, The White House, Washington DC (6 novembre 2015).
  3. Le rapport du Comité devait être soumis au gouvernement fédéral, le 15 mai 2017, en ligne : <http://www.modernisation-one.ca/one-bienvenue>. Le rapport sera examiné dans une prochaine édition de la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie.
  4. Dennis McConaghy, Dysfunction: Canada after Keystone XL, Toronto, Dundurn Press, 2017.
  5. Ibid à la p 11.
  6. John Kerry, Communiqué, “Keystone XL Pipeline Permit Determination” (6 novembre 2015).
  7. Supra note 4 à la p 194.
  8. Ibid à la p 137.

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