L’affaire de l’aéroport d’Heathrow réexaminée

INTRODUCTION DU DIRECTEUR DE RÉDACTION

Le dernier numéro de la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie comprenait un article[1] sur la décision de la cour d’appel d’Angleterre et du pays de Galles dans l’affaire R (Friends of the Earth) v Secretary of State for Transport and others[2]. La décision comprenait un examen détaillé de la manière dont la législation sur le changement climatique peut freiner les grands projets d’infrastructure.

Dans l’affaire de l’aéroport d’Heathrow, la cour d’appel a estimé que, comme le secrétaire d’État n’avait pas tenu compte des engagements pris par le Royaume-Uni dans le cadre de l’Accord de Paris[3] avant d’approuver la politique qui ouvrirait la voie à la construction d’une troisième piste à l’aéroport d’Heathrow, cette approbation était viciée. Plus précisément, la cour d’appel a estimé que la Planning Act[4] obligeait le secrétaire d’État à tenir compte des politiques gouvernementales en matière de changement climatique, et que l’Accord de Paris entrait dans le cadre de ces « politiques gouvernementales ».

Peu après la parution de cet article, la cour suprême du Royaume-Uni a rendu une décision unanime autorisant l’appel de la décision dans l’affaire de l’aéroport d’Heathrow[5]. Les rédacteurs en chef de la Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie ont estimé qu’un commentaire sur cette dernière décision intéresserait les lecteurs.

L’APPEL DEVANT LA COUR SUPRÊME DU ROYAUME-UNI

Il est important de noter que cet appel a été présenté non pas par le secrétaire d’État, mais par la société propriétaire de l’aéroport d’Heathrow, qui avait déjà investi des fonds importants dans le projet lorsque la cour d’appel a rendu sa décision.

La cour suprême du Royaume-Uni a complètement renversé la décision de la cour d’appel sur plusieurs points essentiels. En effet, la cour suprême a jugé que l’Accord de Paris ne bénéficiait pas du statut de « politique gouvernementale » tel que ce terme est utilisé dans la Planning Act. La cour suprême a estimé qu’une interprétation libérale du terme « politique gouvernementale » dans le cadre de la Planning Act créerait un « piège à ours » pour le gouvernement. La cour suprême a préféré adopter une interprétation plus étroite de l’expression « politique gouvernementale », qu’elle a limitée à des déclarations de politiques écrites formulées soigneusement, puis approuvées par les ministères concernés à l’échelle gouvernementale. Plus précisément, la cour suprême a déclaré ce qui suit :

105… Pour que le paragraphe soit appliqué de manière sensée, il faut donner à l’expression un sens relativement étroit afin que les politiques pertinentes puissent être facilement déterminées. Sinon, les fonctionnaires devront fouiller dans le Hansard et les déclarations de presse pour voir si un ministre a dit quelque chose qui pourrait être qualifiée de « politique ». Le Parlement ne peut pas avoir eu l’intention de créer un tel piège à ours pour les ministres en leur demandant de prendre en compte toute déclaration ministérielle qui pourrait, en langage courant, être décrite comme une déclaration de politique relative au domaine concerné[6]. [traduction]

La Cour suprême a également conclu que les traités internationaux qui ont été ratifiés mais non enchâssés dans la législation britannique ne sont pas contraignants au niveau national, et que cette ratification est un acte qui n’a d’impact que sur le plan international :

108… Le fait que le Royaume-Uni ait ratifié l’Accord de Paris n’est pas en soi une déclaration de politique gouvernementale au sens voulu. La ratification est un acte sur le plan international. Elle donne lieu à des obligations du Royaume-Uni en matière de droit international qui perdurent, qu’un gouvernement particulier reste ou non en fonction et qui, en tant qu’obligations conventionnelles, “ne font pas partie de la législation britannique et ne donnent lieu à aucun droit ou à aucune obligation en droit interne…”[7] [traduction]

La Cour suprême a également fait preuve d’une grande déférence à l’égard de l’évaluation des différentes considérations par le Secrétaire d’État, conformément à l’autorité qui lui est conférée par la Planning Act, et l’a jugée raisonnable :

155… Il n’était pas déraisonnable de décider de ne pas s’aventurer dans l’évaluation des émissions post-2050 par référence à des politiques futures qui n’avaient pas encore été formulées. Il était rationnel pour lui de supposer que les futures politiques relatives à la période post-2050, y compris les nouveaux objectifs d’émissions, pourraient être appliquées dans le cadre du processus et des mécanismes d’[ordonnance d’autorisation de développement] tels que la tarification du carbone, les améliorations de la conception des avions, les améliorations de l’efficacité opérationnelle et la limitation de la croissance de la demande[8]. [traduction]

Il est clair que la décision de la cour suprême dans l’affaire de l’aéroport d’Heathrow correspondait à un retour retentissant à une approche beaucoup plus conservatrice et déférente, dont la décision de la cour d’appel dans l’affaire de l’aéroport d’Heathrow semblait s’être éloignée (mais seulement brièvement).

Bien que les remous occasionnés par les frictions qui existent entre les engagements internationaux en matière de changement climatique et la politique nationale aient été momentanément atténués par la décision de la cour suprême, il demeure que ces deux décisions contradictoires prises unanimement par deux tribunaux supérieurs témoignent du tumulte que ce sujet provoque actuellement dans la common law. Ces décisions devraient également faire ressortir le risque que cette incertitude juridique soutenue représente pour les promoteurs de grands projets d’infrastructure en cette ère de législation axée sur la « carboneutralité ».

*James MacDuff est associé chez McInnes Cooper. Il est membre du groupe de l’énergie et des ressources naturelles de ce cabinet et sa pratique est axée sur les questions de droit corporatif et réglementaire.

Melanie Gillis est avocate chez McInnes Cooper. Elle exerce de plus en plus dans le domaine des litiges des secteurs du commerce, de la construction, de l’environnement et de l’énergie.

  1. Melanie Gillis et James MacDuff, « Le climat et la construction croisent le fer : comment la législation sur les émissions nettes nulles pourrait être instrumentalisée pour faire obstacle à des projets d’infrastructure à émissions élevées », (2020) 8:4 Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie 23.
  2. [2020] EWCA Civ 214.
  3. L’accord de Paris, 22 avril 2016, RT Can 2016 no 9 (entré en vigueur : 4 novembre 2016) [Accord de Paris].
  4. Planning Act (R-U), 2008, c 29, art 5(8).
  5. R (on the application of Friends of the Earth Ltd and others) v Heathrow Airport Ltd., [2020] UKSC 52.
  6. Ibid au para 105.
  7. Ibid au para 108.
  8. Ibid au para 155.

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