INTRODUCTION
Les règlements et les politiques énergétiques entraînent des conséquences importantes pour l’économie canadienne. De plus en plus, les décisions en matière de politique énergétique sont fondées sur des analyses coûts-avantages totalement déficientes. Il en résulte des conséquences importantes pour les consommateurs et l’économie. Les bonnes politiques énergétiques devraient être fondées sur des analyses solides. Au lieu de cela, de nombreuses politiques énergétiques, et pas seulement canadiennes, sont justifiées sans une évaluation adéquate des coûts et des avantages réels, ce qui entraîne des conséquences économiques et sociales considérables.
En mars 2022, le gouvernement du Canada a publié son Plan de réduction des émissions (PRE) pour 2030[1] conformément aux engagements internationaux en matière de climat convenus dans le cadre de l’Accord de Paris. L’objectif est de réduire les émissions nationales de GES de 40 à 45 % par rapport aux niveaux de 2005 d’ici 2030 et d’atteindre des émissions nettes nulles d’ici 2050. Le PRE comprend un plan visant à introduire un objectif réglementé de ventes de véhicules à zéro émission (VZE) qui exigera que 100 % des ventes de voitures particulières et de camions légers soient des VZE d’ici 2035, avec des objectifs intermédiaires d’au moins 20 % d’ici 2026 et d’au moins 60 % d’ici 2030. Le nouveau projet de « Règlement modifiant le Règlement sur les émissions de gaz à effet de serre des automobiles à passagers et des camions légers[2] » a été, avec une témérité remarquable pour une politique aussi importante, annoncé sans tambour ni trompette par un secrétaire parlementaire juste avant Noël 2022.
En vertu de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), les ministères fédéraux de l’Environnement et du Changement climatique et de la Santé ont rédigé un Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (le REIR ou le Résumé) sur la base d’un précédent Résumé coûts-avantages (RCA). Une période de consultation, qui a pris fin le 16 mars 2023, a été établie par le gouvernement pour recevoir des commentaires sur le projet de règlement.
POLITIQUES ÉNERGÉTIQUES ET ANALYSES COÛTS-AVANTAGES
L’auteur affirme que les conclusions tirées pour justifier la mise en œuvre du projet de règlement relatif aux VZE sont substantiellement erronées, car elles ignorent les coûts matériels associés qui ont un impact sur l’économie canadienne. Outre les préoccupations liées à l’augmentation de la demande sur nos systèmes de production et réseaux de transport d’électricité, le projet de règlement relatif aux véhicules électriques (VE) constitue une diminution significative du choix des consommateurs et s’accompagnera d’une augmentation des taxes, d’une réduction des recettes publiques, de perturbations liées à la circulation et d’une augmentation des primes d’assurance pour les automobilistes.
Les limitations qui en résultent pour le choix des consommateurs auront à elles seules des conséquences économiques importantes pour les Canadiens. Par ailleurs, les « avantages » escomptés seront largement limités aux zones urbaines proches des sites hydroélectriques, nucléaires ou de transport d’électricité, tandis que les coûts et les inconvénients qui toucheront de nombreuses communautés rurales, nordiques et autochtones sont minimisés, voire ignorés. Par conséquent, le projet de règlement est loin d’une détermination adéquate de l’intérêt public pour l’intérêt national.
Le RCA incorpore plusieurs hypothèses erronées. Par exemple, l’analyse coûts-avantages fait état d’un bénéfice net de 28,6 milliards de dollars, dont 19,2 milliards de dollars sont attribués aux « dommages mondiaux évités[3] ». En effet, cela suppose un ensemble infini de dommages liés aux changements climatiques contre lesquels tout « avantage » supposé peut être évalué. Cependant, le REIR ne présente aucune analyse des 19,2 milliards de dollars de bénéfices allégués, tout en affirmant que ce chiffre pourrait être « prudent ». Un « ouvrage universitaire » non référencé est utilisé pour évaluer le coût social du carbone, qui attribue ensuite des bénéfices de 9,4 milliards de dollars aux économies d’énergie réalisées grâce à l’utilisation de VZE. En fait, les « dommages mondiaux évités » utilisés dans la déclaration supposent un puits sans fond de coûts économiques contre lesquels tout projet de politique pourrait être justifié. Le REIR estime également que (de 2026 à 2050) les coûts supplémentaires prévus pour les VZE et les chargeurs domestiques s’élèveront à 24,5 milliards de dollars, ce qui se traduira par des économies de coûts énergétiques nets avoisinant les 33,9 milliards de dollars et par des réductions cumulées des émissions de GES de 430 mégatonnes (Mt). La conclusion est qu’il en résulterait des bénéfices nets de 28,6 milliards de dollars, tout en « aidant le Canada à atteindre ses objectifs de réduction des émissions de GES de 40 % par rapport aux niveaux de 2005 d’ici à 2030 et d’émissions nettes nulles d’ici à 2050[4] ».
Des experts, tels que M. McKitrick, qui ont évalué d’autres politiques telles que la norme sur les carburants à faible teneur en carbone et les obligations en matière de biocarburants, concluent que les comparaisons habituellement utilisées pour justifier les politiques de lutte contre les changements climatiques ne sont pas pertinentes[5]. Son témoignage devant la Commission des ressources naturelles[6] chargée d’étudier le mandat relatif aux biocarburants indique que les comparaisons correctes doivent prendre en compte (d’une part) les coûts des changements climatiques sur l’horizon de prévision sans la politique, et (d’autre part) les coûts des changements climatiques sur l’horizon de prévision avec la politique, plus le coût de la politique. Pour le projet de règlement (même si une telle analyse pouvait être réalisée), il est probable que la différence dans les coûts des changements climatiques entre le cas « ne rien faire » et le cas « faire quelque chose » (avec ou sans mise en œuvre de réductions d’émissions beaucoup plus rigoureuses en imposant l’achat de VZE) soit confrontée à l’inévitable et important problème de la fuite de carbone par les frontières internationales. À lui seul, ce problème invaliderait toute autre conclusion, car les prétendus 19,2 milliards de dollars de « dommages mondiaux évités » ne peuvent être considérés comme significatifs d’un point de vue statistique. La conclusion inéluctable est que l’augmentation mondiale des émissions provenant de sources internationales fera plus que compenser toutes les réductions canadiennes, y compris celles provenant du secteur des transports.
De manière significative pour l’évaluation des VE, alors que le gouvernement soutient que son analyse pourrait en fait sous-estimer les dommages causés par les changements climatiques, il admet que : « Le Ministère met actuellement à jour ses estimations du CSC, mais les résultats ne sont pas encore disponibles[7] ». Il s’agit d’une omission importante car ces données non disponibles, même si elles s’avèrent raisonnables et correctes, sont fondamentales pour la détermination des constatations et des conclusions de la déclaration. En effet, l’évaluation est basée sur des « estimations » discutables qui ne sont pas confirmées.
L’utilisation actualisée[8] du « coût social du carbone » par Environnement et Changement climatique Canada a depuis été critiquée[9] par l’économiste canadien Ross McKitrick, qui y voit « un tout nouveau modèle que personne n’a jamais vu auparavant, et qui produit une estimation du coût social du carbone complètement différente, qui va à l’encontre de toutes les recherches effectuées jusqu’à présent » [traduction].
Il y a ensuite la question de la production électrique requise. La déclaration affirme qu’une légère augmentation de la production électrique canadienne, allant de 2,6 à 4,8 %, serait nécessaire pour parvenir à une conversion nationale à 100 % des flottes de véhicules électriques d’ici à 2035 et que l’augmentation du prix de l’électricité ne serait pas « significative ». Bien que cela puisse être le cas, en choisissant de se concentrer uniquement sur les exigences nécessaires pour soutenir un parc automobile national électrifié, le REIR ignore d’autres facteurs importants impliqués dans la transition proposée vers la carboneutralité et omet apparemment de prendre en compte les questions associées à un système de production et de transport d’électricité élargi qui serait nécessaire pour réaliser la « transition ».
S’appuyant sur de nombreuses études, l’Institut climatique du Canada a récemment indiqué que le système électrique canadien devra doubler, voire tripler, sa capacité de production d’ici à 2050 :
Plus précisément, des études indiquent que sur la voie de la carboneutralité, la demande en électricité sera multipliée par un facteur de 1,6 à 2,1 d’ici 2050. Parallèlement, la capacité des systèmes — la quantité maximale d’électricité qu’un système peut produire en théorie — doit s’accroître encore davantage, c’est-à-dire au moins doubler, sinon plus que tripler, pendant la même période. Des améliorations ambitieuses en matière d’efficacité énergétique sont nécessaires pour que les systèmes canadiens soient en mesure de satisfaire à une demande en électricité « adaptée ». Mais même avec d’importantes améliorations, les systèmes devront s’étendre considérablement pour s’inscrire dans un monde carboneutre. En fait, le Canada doit, en moyenne, ajouter trois à six fois plus de capacité de production chaque année jusqu’en 2050 par rapport à la décennie précédente pour répondre à une demande en électricité croissante associée à la carboneutralité[10].
Après avoir écarté les changements radicaux qui affecteront les systèmes canadiens de production et de transport d’électricité dans le cadre d’une transition vers la carboneutralité, le projet de règlement vise à mettre en œuvre une solution unique pour réduire les émissions générées par l’ensemble de la flotte de transport canadienne. En outre, la déclaration admet que dans les zones rurales ou éloignées, l’adoption des VE peut se heurter à une résistance importante, car ces communautés : « peuvent avoir un faible accès aux infrastructures de recharge publiques » et parce que « des périodes prolongées de températures basses […] peuvent avoir une incidence sur l’autonomie utilisable de véhicules électriques à batterie ». Les communautés rurales ne seront pas les seules à être touchées, les ménages à faibles revenus le seront également, car ces ménages sont plus susceptibles de vivre dans des « unités locatives, ce qui peut être incompatible dans certains cas avec l’équipement de recharge à domicile » et que ces « ménages à faible revenu seraient touchés de manière disproportionnée et négative[11] » [c’est moi qui souligne].
Par conséquent, non seulement les consommateurs, en particulier les familles à faible revenu, seront confrontés à des effets économiques négatifs « disproportionnés », mais les possibilités de compenser ces effets économiques seront presque certainement limitées par la diminution du choix des consommateurs sur le marché. Le règlement suppose également que les futurs VE auront un écart de prix de 3 300 dollars par rapport aux véhicules à combustion interne actuels, en partant de l’hypothèse que les économies d’échelle et les innovations technologiques et de fabrication produiront des solutions rentables pour limiter les prix. Si cette hypothèse est correcte, elle ne tient pas compte d’autres facteurs qui pourraient la remettre en cause, comme l’augmentation de la demande de minerais de terres rares pour les batteries des VE, qui entraînerait une escalade des prix. En outre, la déclaration admet que :
« Les coûts de fabrication des VZE ont tendance à être plus élevés que ceux des véhicules conventionnels, et on s’attend à ce qu’ils soient directement assumés par les consommateurs qui opteront pour l’achat d’un VZE dans le scénario réglementaire, même si la différence de prix devrait diminuer au fil du temps[12] » [c’est moi qui souligne].
Par conséquent, le coût supplémentaire supposé de 15,3 milliards de dollars pour atteindre un taux de passage de 100 % aux véhicules électriques est très probablement très prudent. Si l’on assiste actuellement à des réductions de prix sur certains VE, elles concernent généralement des modèles haut de gamme et onéreux. Un autre facteur est qu’il est généralement plus coûteux d’assurer les VE que les véhicules traditionnels (certaines données indiquent des taux jusqu’à 27 % plus élevés). Le coût de la réparation des véhicules est encore plus préoccupant. Comme les VE ne représentent actuellement qu’une petite fraction des véhicules en circulation, les données relatives à l’ensemble du secteur de l’assurance sont loin d’être définitives. Toutefois, des tendances se dessinent, qui montrent que les véhicules à faibles émissions sont de plus en plus souvent radiés après avoir subi des dommages mineurs. Les batteries peuvent coûter des dizaines de milliers de dollars et représentent jusqu’à 50 % du prix d’un véhicule électrique, ce qui rend souvent leur remplacement non rentable. Étant donné que les batteries ont été incorporées en tant qu’éléments « structurels » de ces véhicules, les assureurs semblent disposer de peu d’options pour évaluer, réparer ou certifier les batteries endommagées à la suite d’accidents, même mineurs. Non seulement cette situation compromet les gains économiques escomptés des VE, mais elle fait également apparaître le spectre de coûts environnementaux importants, les batteries endommagées étant envoyées à la ferraille. Il s’agit là d’une lacune coûteuse dans la présumée « économie circulaire ». Pire encore, les installations de recyclage des batteries de VE, où les batteries endommagées ou mises au rebut peuvent être stockées dans des conteneurs spécialisés, sont soit inexistantes, soit balbutiantes.
EXAMEN DES PRÉTENDUS AVANTAGES EN TERMES DE COÛTS DES POLITIQUES DE CARBONEUTRALITÉ
L’adoption de l’Inflation Reduction Act (loi sur la réduction de l’inflation — IRA) aux États-Unis et ses initiatives économiques en matière de décarbonisation ont provoqué une réaction mondiale de la part de leurs partenaires commerciaux, y compris le Canada[13]. Parallèlement, le gouvernement Trudeau a annoncé 80 milliards de dollars canadiens de crédits d’impôt pour les technologies propres au cours de la prochaine décennie, dont 25 milliards de dollars canadiens pour les investissements dans l’électricité propre. Bien que les États-Unis ne soient pas en mesure d’atteindre l’objectif de réduction de 50 % des émissions de GES d’ici 2030 (sur la base des niveaux de 2005), les gouvernements occidentaux continuent d’accélérer les politiques visant à réaliser la transition vers une économie zéro émission nette.
Néanmoins, les gouvernements occidentaux, y compris le Canada et l’UE, ont adopté les concepts de « mieux reconstruire » associés à une « reprise économique verte », largement basés sur des tentatives de réduction des émissions de GES provenant de toutes les sources. Par exemple, en plus des projets de règlements existants et en attente, le budget canadien de 2023[14] a élargi les mesures annoncées dans l’Énoncé économique de l’automne 2022 pour y inclure de nouvelles incitations :
- Crédit d’impôt à l’investissement dans l’électricité propre;
- Crédit d’impôt à l’investissement dans la fabrication de technologies propres;
- Crédit d’impôt à l’investissement dans l’hydrogène propre;
- Bonification du crédit d’impôt à l’investissement dans le captage, l’utilisation et le stockage du carbone;
- Crédit d’impôt à l’investissement dans les technologies propres.
Ces politiques, dont certains pensent qu’elles reposent sur des concepts douteux de planification centrale, ont récemment été remises en question par le National Bureau of Economic Research (NBER)[15] dans une étude qui conclut que, pour les États-Unis au moins, ces politiques peuvent imposer des coûts significatifs à leur économie. Étant donné l’accélération de la législation sur la réduction des émissions de GES au Canada, mesures qui comprennent non seulement une taxe sur le carbone mais de nombreuses autres initiatives de réduction des émissions de GES telles que des normes réglementaires pour les carburants propres, la production d’électricité et le projet de règlement sur les véhicules électriques, cette étude pourrait également entraîner des conséquences importantes pour le Canada. L’étude conclut que, pour les États-Unis, les coûts annuels récurrents des politiques vertes pourraient atteindre 483 milliards de dollars par an, avec des prévisions de PIB réel et de consommation « inférieures de 2 à 3 % à long terme si les politiques sont mises en œuvre comme prévu, ce qui souligne les coûts d’opportunité liés à la réalisation des objectifs verts alors que les ressources pourraient être déployées plus efficacement » [traduction][16]. Les auteurs mettent également en garde contre les dangers liés à la mise en œuvre de politiques qui embrassent de grands idéaux sans bénéficier d’analyses réfléchies et réalistes :
« Les programmes politiques ne sont pas des projets de politiques détaillés, mais des documents d’orientation destinés à fournir une vision de la direction politique. De nombreux détails sont réglés ultérieurement, si les électeurs investissent leurs votes dans la vision exprimée dans le programme. L’analyse présentée ici souligne l’importance de cette étape de conception et de mise en œuvre des politiques. Si elle est mise en œuvre littéralement, sans ajustement ni nuance, la transformation audacieuse du système énergétique décrite dans le plan Biden, ou des variantes plus proches du Green New Deal, promettent des coûts d’opportunité économique substantiels » [traduction][17].
De plus en plus de signes indiquent que les analyses économiques utilisées pour justifier les dépenses en capital matériel qui sous-tendent ces objectifs politiques peuvent être trompeuses, voire déplacées. Par exemple, alors que l’on continue d’affirmer que la taxe fédérale sur les carburants[18] présente un bénéfice net, le directeur parlementaire du budget du Canada a récemment déclaré que :
« Quand l’incidence économique est conjuguée à l’incidence financière, le coût net augmente pour l’ensemble des ménages, ce qui montre l’incidence économique globale négative de la redevance fédérale sur les combustibles. Compte tenu de l’incidence à la fois financière et économique, nous estimons que la plupart des ménages subiront une perte nette, car le montant plus élevé qu’ils paieront de la redevance fédérale sur les combustibles et en TPS et les revenus réduits qu’ils perçoivent, ne seront pas compensé par les paiements de l’incitatif à agir pour le climat et la réduction de leur impôt sur le revenu des particuliers (due à la baisse de leurs revenus).
Vu la structure de la redevance fédérale sur les combustibles, son incidence budgétaire globale se limitera dans les faits à l’incidence économique de la baisse des recettes de l’impôt sur le revenu. Nous estimons que la redevance fédérale sur les combustibles réduira le solde budgétaire (c’est-à-dire fera augmenter le déficit budgétaire) de 1,8 milliard de dollars en 2023–2024 et, au bout du compte, de 7,1 milliards de dollars en 2030–2031[19] ».
Compte tenu de l’ampleur du déficit actif consacré à ces programmes de « transition », qui ont tous un impact direct sur le secteur de l’énergie, le rapport du Bureau parlementaire du budget devrait susciter des inquiétudes, non seulement quant à la validité des avantages présumés de ces initiatives réglementaires en termes de coûts, mais aussi quant à l’intérêt d’accélérer, et a fortiori de poursuivre, ces dépenses :
« [L]e Canada a respecté ses engagements de Paris au cours des sept dernières années en prenant des mesures, en investissant plus de 120 milliards de dollars pour réduire les émissions, protéger l’environnement, stimuler les technologies propres et l’innovation, et aider les Canadiens et les collectivités à s’adapter aux effets des changements climatiques[20] ».
À cet égard, l’Institut Fraser met en garde :
« Selon le plan de réduction des émissions de 271 pages du gouvernement, ‘la tarification de la pollution est largement reconnue comme le moyen le plus efficace de réduire les émissions de gaz à effet de serre’. Corollaire évident : d’autres politiques, telles que les dépenses de 120 milliards de dollars, sont largement reconnues comme des moyens relativement inefficaces et donc inutilement coûteux de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) » [traduction][21].
L’intention du gouvernement canadien de parvenir à des émissions nettes de GES nulles d’ici 2050 en recourant à de multiples options politiques, y compris des normes sur les carburants propres et l’interdiction des plastiques à usage unique, s’est révélée non seulement coûteuse, mais aussi peut-être irréalisable. D’autres[22] ont mis en garde contre le fait que, même si les politiques canadiennes de « carboneutralité » étaient efficaces, la douleur économique serait compensée par l’accélération des émissions de la Chine et de l’Inde. À elle seule, la Chine a approuvé des plans visant à ajouter un total de 8,63 gigawatts (GW) de nouvelles centrales électriques au charbon au cours du premier trimestre de 2022, avec des émissions qui, selon les prévisions, submergeront tous les efforts déployés par le Canada pour atteindre la « carboneutralité ».
Pendant ce temps, le gouvernement canadien, se faisant l’écho de la plupart des économistes qui soutiennent que les mécanismes de tarification tels que la taxe carbone sont le moyen le plus efficace de réduire les émissions de GES, poursuit néanmoins des politiques supplémentaires. Un exemple récent (1er avril 2023) est celui des nouvelles directives exigeant que le béton de plus de 10 millions de dollars utilisé dans les projets fédéraux soit « 10 % moins intensif en GES » que la moyenne régionale[23]. Une fois de plus, le gouvernement n’a fourni aucune analyse coûts-avantages pour justifier ces mesures.
Même lorsque des analyses économiques de projets d’énergies de rechange sont fournies, il semble que la modélisation utilisée pour les projections soit discutable. Des études récentes[24] menées au Royaume-Uni, comparant les modèles de prix gouvernementaux aux résultats réels des producteurs d’énergie éolienne, ont révélé des « irrégularités surprenantes ». Bien que le ministère britannique de l’Énergie ait prédit que les dépenses d’investissement par mégawatt (MW) d’éoliennes extracôtières diminueraient de plus de 50 % entre 2018 et 2025 et que les coûts d’exploitation et de maintenance seraient divisés par quatre (avec une production moyenne de 51 % de la capacité installée au cours de la durée de vie d’une éolienne), il a été démontré que les coûts d’installation et d’exploitation des parcs éoliens ont en fait augmenté tout au long des années 2010. En fait, les coûts d’exploitation par MW pour les nouvelles turbines extracôtières ont quadruplé entre 2008 et 2018, tandis que les dépenses d’investissement ont doublé.
De manière plus générale, le Manhattan Institute a remis en question les hypothèses les plus fondamentales qui sous-tendent les affirmations selon lesquelles l’énergie éolienne, l’énergie solaire et les VE ont atteint la parité de coût avec les sources d’énergie traditionnelles ou les autres modes de transport :
« Même avant la dernière période de hausse des prix de l’énergie, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, qui sont toutes deux plus avancées que les États-Unis sur la voie de la transition vers un réseau électrique, ont vu les tarifs moyens de l’électricité augmenter de 60 à 110 % au cours des deux dernières décennies. La même tendance est observée en Australie et au Canada. Cela se voit également dans les États et les régions des États-Unis où les mandats ont donné lieu à des réseaux comportant une part plus importante d’énergie éolienne/solaire. D’une manière générale, les coûts de l’électricité résidentielle aux États-Unis ont augmenté au cours des 20 dernières années. Mais ces tarifs auraient dû baisser en raison de l’effondrement du coût du gaz naturel et du charbon, les deux sources d’énergie qui, ensemble, ont fourni près de 70 % de l’électricité au cours de cette période. Au lieu de cela, les tarifs ont augmenté en raison des dépenses élevées consacrées à l’infrastructure, par ailleurs inutile, nécessaire au transport de l’électricité produite par le vent et le soleil, ainsi qu’à l’augmentation des coûts liés au maintien de l’éclairage pendant les périodes de ‘sécheresse’ de vent et de soleil, qui s’explique par le fait que les centrales électriques conventionnelles restent disponibles (comme une voiture supplémentaire avec le plein de carburant, garée et prête à partir) en raison des dépenses consacrées à deux réseaux. Rien de tout cela ne tient compte des coûts cachés sous forme de subventions financées par les contribuables et destinées à rendre les énergies de rechange moins chères. Au cours des deux dernières décennies, les subventions cumulées dans le monde pour les biocarburants, l’énergie éolienne et l’énergie solaire avoisinent les 5 000 milliards de dollars, tout cela pour fournir environ 5 % de l’énergie mondiale » [traduction][25].
Au Canada, du moins, il semble que certaines agences aient tendance à ne pas examiner activement, ou à ne pas expliquer, les différences émergentes entre les projections et l’expérience réelle en matière de production d’énergie. Est-il possible que cela soit une conséquence de leur incapacité à répondre aux exigences légales imposées en matière d’énergie nette zéro ? Pendant ce temps, les consommateurs supportent le coût de factures d’électricité et de chauffage de plus en plus élevées. Dans l’UE, les prix de l’énergie ont atteint des niveaux record en 2022, les prix à la production et à la consommation ayant plus que doublé[26]. Cette situation a contraint les gouvernements de l’ensemble de l’UE à plafonner les prix, des interventions qui devraient coûter plus de 500 milliards de dollars[27]. Le groupe de réflexion Bruegel a noté que l’Union européenne et le Royaume-Uni ont engagé 280 milliards d’euros pour compenser les augmentations des prix de l’énergie pour les consommateurs, tandis que le gouvernement allemand a annoncé un programme d’aide de 65 milliards d’euros pour les coûts de l’énergie. En somme, les récentes subventions énergétiques dans l’UE et au Royaume-Uni ont atteint plus de 500 milliards d’euros.
La conclusion inéluctable est que les augmentations actuelles des émissions de sources internationales seront plus que compensées, même avec les réductions canadiennes les plus strictes des émissions du secteur des transports. En effet, la contribution globale du Canada aux GES est relativement minime (moins de 2 %). Par conséquent, la valeur imputée de 19,2 milliards de dollars utilisée pour les « dommages mondiaux évités » dans la déclaration sera entièrement dépassée par l’augmentation des émissions internationales, dont la Chine et l’Inde ne seront pas les moindres. En effet, toute aspiration du Canada à un « leadership climatique » en réduisant les émissions nationales sera balayée par la croissance certaine des émissions internationales, tandis que les coûts économiques et sociaux matériels se répercuteront sur les Canadiens — sans aucune réduction des émissions mondiales de GES.
CONCLUSION
Les politiques relatives à la production et au transport d’énergie au Canada, qui se concentrent uniquement sur les émissions, sont adoptées sans que l’on accorde la moindre attention aux effets directs et imprévisibles sur l’économie. Le projet de règlement sur les VE ne prend pas suffisamment en compte de nombreux facteurs, dont le moindre n’est pas l’hypothèse d’une large acceptation par le public d’un parc de véhicules considérablement modifié. Nombreux sont ceux qui considèrent l’évaluation réglementaire comme une tentative voilée de justifier des politiques dont les objectifs sont inatteignables et les conséquences imprévisibles. En bref, s’agit-il d’une politique de l’énergie et des transports conçue pour réduire les émissions canadiennes ou pour éliminer de manière sélective toute une catégorie de technologies de transport ?
Les politiques énergétiques canadiennes sont conçues et introduites en l’absence d’évaluations valables de leurs coûts et de leurs avantages, alors que les dépenses et les déficits fédéraux explosent. Le Bureau parlementaire du budget s’est ainsi vu confier la tâche peu enviable de produire des évaluations indépendantes et rétroactives des lois adoptées. Même des observateurs impartiaux concluraient probablement que les consommateurs et les contribuables canadiens voient leur situation se dégrader du fait de ces politiques, en grande partie inconsidérées. McKitrick a fourni une évaluation claire, mais sévère, des conséquences de politiques énergétiques irréfléchies :
« En Ontario, nous subissons les conséquences d’une série de mauvaises décisions politiques prises entre 2004 et 2014 concernant le secteur de l’électricité. L’enthousiasme pour l’abandon progressif de l’énergie au charbon et l’ajout de grandes capacités éoliennes et solaires, combiné à l’acceptation sans critique des affirmations selon lesquelles cela créerait des emplois sans augmenter les coûts, nous a mis sur la voie d’une augmentation rapide des prix des produits de base de l’électricité par rapport à ceux de territoires concurrents. La province de l’Ontario a commencé à subventionner l’électricité afin d’endiguer l’exode de l’industrie manufacturière et d’alléger les difficultés des ménages. Un nouveau rapport de l’Institut CD Howe estime que ces mesures coûtent désormais 6,5 milliards de dollars par an à la province. C’est 700 millions de dollars de plus que ce que l’Ontario dépense chaque année pour les établissements de soins de longue durée » [traduction][28].
Les Canadiens, et pas seulement le directeur parlementaire du budget, devraient prêter attention à la politique énergétique.
* M. Wallace a pris sa retraite comme membre permanent de l’Office national de l’énergie en 2016. Il est membre du conseil d’administration de la Canada West Foundation et membre de l’Institut canadien des affaires mondiales.
L’auteur tient à remercier plusieurs personnes pour les conseils éclairés qu’elles lui ont prodigués dans le cadre de la préparation de ce document : M. Steve Kelly, ingénieur, Dr Murray Lytle, Dr Jack Mintz, Dr Colleen Collins, M. Neil McCrank, ingénieur, et M. G. Dale Friesen, ingénieur. Toute erreur ou omission relève de la seule responsabilité de l’auteur.
- « Le Plan de réduction des émissions du Canada pour 2030 » (12 juillet 2022), en ligne : Gouvernement du Canada <www.canada.ca/fr/services/environnement/meteo/changementsclimatiques/plan-climatique/survol-plan-climatique/reduction-emissions-2030/plan.html>.
- Gouvernement du Canada, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada. « La Gazette du Canada, Partie I, volume 156, numéro 53 : Règlement modifiant le Règlement sur les émissions de gaz à effet de serre des automobiles à passagers et des camions légers» (31 décembre 2022), en ligne : La Gazette du Canada <gazette.gc.ca/rp-pr/p1/2022/2022-12-31/html/reg1-fra.html>.
- Ibid.
- Ibid.
- Ross McKitrick, « Economic Analysis of the 2022 Federal Clean Fuels Standard » (6 septembre 2022), en ligne (pdf) : LFX Associates <www.lfxassociates.ca/uploads/4/8/0/8/4808045/cfs_report_2022.pdf>.
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- Spencer Van Dyk « Guilbeault defends carbon price, says on average, households will pay more but rich will shoulder burden », (2 avril 2023), en ligne : CTV News <www.ctvnews.ca/politics/guilbeault-defends-carbon-price-admits-average-household-will-pay-more-even-after-rebates-1.6338974>.
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- Kenneth P. Green, « Federal government continues nonsensical ‘net-zero’ policy », (27 juillet 2022), en ligne : Fraser Institute <www.fraserinstitute.org/article/federal-government-continues-nonsensical-net-zero-policy>.
- Matthew Lau, « Ottawa’s new rules for suppliers will concretize greenflation » (30 mars 2023), en ligne : Financial Post <financialpost.com/opinion/ottawa-new-rules-suppliers-concretize-greenflation>.
- Gordon Hughes, Wind Power Economics: Rhetoric & Reality, vol 1 (Salisbury, R.-U. : Renewable Energy Foundation, 2020), en ligne (pdf) : <www.ref.org.uk/Files/performance-wind-power-uk.pdf>.
- Mark P. Mills, « The ‘Energy Transition’ Delusion A Reality Reset », (30 août 2022), en ligne : Manhattan Institute <www.manhattan.institute/article/the-energy-transition-delusion>.
- Conseil de l’Union européenne, « Infographie – Hausse des prix de l’énergie depuis 2021 » (dernière modification le 28 mars 2023), en ligne : Conseil européen <www.consilium.europa.eu/fr/infographics/energy-prices-2021>.
- Anna Cooban et Lauren Kent, « Price of war: UK and EU throw $500 billion at energy subsidies », (8 septembre 2022), en ligne : CNN Business <www.cnn.com/2022/09/08/business/liz-truss-energy-price-cap-europe/index.html>.
- Supra note 6.