La règlementation efficace des services publics : une cause rassembleuse pour une Amérique divisée

Les États-Unis comptent 50 états souverains, cinq territoires habités et 3,8 millions de milles carrés, de même que 320 millions de personnes et une myriade de différences politiques. Pourtant, d’un bout à l’autre de cette terre de diversité et de discorde, du Maine au Nouveau-Mexique, de Washington à la Floride, on a à cœur les principes et les pratiques de la règlementation des services publics. Pourquoi? Voici neuf réponses possibles; chacune de ces réponses pouvant servir de leçon aux dirigeants de la nation.

1. Nous n’érigeons pas de murs. L’une des plus grandes réalisations du XXe siècle en matière d’ingénierie est l’électrification de l’Amérique. La mise en place du réseau électrique a fait de l’Amérique un grand pays. L’interconnexion a permis l’intégration de sources d’énergie de différents marchés. Aujourd’hui, le maintien de cette intégration électrique repose sur l’intégration institutionnelle : des organisations de transmission régionales, composées d’entités ouvertes d’esprit; des services publics propriétés de l’État ou d’investisseurs; des producteurs, transmetteurs et négociants indépendants; des sources traditionnelles ou renouvelables; des sources centralisées ou dispersées; des consommateurs industriels, commerciaux et résidentiels. Voilà qui est rassembleur!

En abattant des murs, les chargés de la règlementation valorisent l’union dans la diversité. Cette diversité favorise l’efficience économique à court terme (en remplaçant l’électricité à coût élevé par celle à faible coût), des économies de coûts à long terme (en rendant disponible la capacité de pointe en hiver aux charges de pointe en été), la qualité de l’air (en remplaçant les sources de pollution élevée par des sources de faible pollution) et un soutien mutuel (puisque les équipes des régions où il fait beau aident à rétablir le service dans des régions dévastées par des tempêtes). La diversité soutient un objectif commun : une infrastructure fiable, peu polluante en faveur d’une économie nationale. Rien de tout cela ne peut avoir lieu sans la règlementation, à savoir des principes et des pratiques qui harmonisent intérêt personnel et intérêt public. Dans le domaine de la règlementation, nous n’érigeons pas de murs. Nous établissons des liens, puisque la réussite ne provient pas de l’isolement artificiel, mais bien de la prestation commune.

2. Nous n’encouragerons pas la discrimination. Depuis l’entrée en vigueur de la Interstate Commerce Act of 18871, toutes les lois de nature règlementaire interdisent la discrimination. Immigrant ou originaire des États-Unis, juif, chrétien, musulman, hindou, athée ou libre penseur; rouge, mauve ou bleu : quels que soient sa race, son ethnicité, son âge ou son orientation sexuelle, chaque client reçoit le même service en fonction des mêmes modalités. Les principes de base de la microéconomie nous expliquent pourquoi on interdit la discrimination: pour les acteurs économiquement puissants, la discrimination est tentante puisqu’elle est profitable, ce qui fait que le profit engrangé par l’auteur de la discrimination provient non pas du mérite, mais de l’exploitation. Voilà donc pourquoi nous bannissons la discrimination. La règlementation tient toutefois compte des différences. Ainsi, les structures tarifaires varient selon la charge, la forme et l’emplacement géographique, puisque différents clients types correspondent à différents coûts et entraînent différents avantages. Donc, la règlementation est comme la constitution américaine : elle interdit la discrimination dans la recherche de profits économiques, tout comme la constitution interdit la discrimination dans la recherche d’un profit politique.

3. Nous rendons nos déclarations de revenus publiques. On entend par tarification fondée sur les coûts l’établissement des tarifs en fonction du coût. Les taxes représentent un coût. Si les services publics visent à récupérer leurs coûts moyennant leurs tarifs, ils doivent déclarer leurs impôts. La divulgation des revenus permet d’exposer les excédents de bénéfices, les activités commerciales conflictuelles et les risques financiers indus. Elle permet par ailleurs de révéler des faits qui aident le public à amener les services publics à répondre de leurs actes.

4. Nous ne diffusons pas de faits alternatifs. Avec des milliards de dollars en jeu et de profits à engranger, les responsables du domaine de la règlementation ont la possibilité de se prêter à l’exagération, aux belles promesses, au leurre et à la tromperie. Cela se produit autant dans le domaine de la règlementation que dans celui de la politique. Cependant, une règlementation efficace responsabilise les personnes qui veulent cacher la vérité et les négateurs. Les témoins doivent prêter serment, les contre-interrogateurs sont formés pour exposer les distorsions, et les décisions règlementaires émergent sous forme d’arrêts signés avec des explications transparentes pouvant donner lieu à des examens en appel. Si chacun fait ce qu’il a à faire, les « faits alternatifs » auront courte vie, et ceux qui les répètent ou les partagent sur Twitter ne feront pas long feu. (Ce « si » est important: les témoins doivent être des témoins experts, non des publicitaires de panneaux d’affichage; les contre-interrogateurs doivent aller droit au but, et non tergiverser; les éditorialistes mandatés doivent citer des faits incontestables plutôt que de reprendre les affirmations chancelantes du demandeur; les cours de révision doivent dénoncer un raisonnement flasque plutôt que de se cacher derrière une « réserve judiciaire »).

5. Nous respectons les sciences. Enquêtes, faits, nouvelles enquêtes, nouveaux faits et ainsi de suite. Tout ce que nous savons au sujet de la production de l’électricité, du pompage d’eau, de la transmission de données, des molécules de gaz, des pipelines, des lignes de transmission, c’est la science qui nous l’a appris. On pense que les services publics, c’est comme de la magie. Mais ce n’est pas le cas. Servez-vous du grille-pain, et 500milles plus loin une centrale électrique évacue de la fumée. Les services publics ne sont pas magiques – c’est de la science. Tout comme les changements climatiques ne sont pas un canular – cela relève de la science. Lorsque 320 millions de vies dépendent des services publics, les chargés de règlementation ne peuvent tout simplement pas rejeter la science.

6. Nous règlons nos comptes et nous investissons dans l’avenir. Des chargés de règlementation responsables ne demandent pas :
« À quel point puis-je abaisser les tarifs pour assurer le renouvellement de mon mandat?»; ils demandent : « Quelle somme avons-nous besoin pour renforcer notre réseau? ». Aux yeux des chargés de règlementation responsables, les législateurs qui réduisent les impôts tout en laissant les enfants sous-scolarisés et en négligeant la réfection des ponts constituent un genre lointain au sein du règne animal de la formulation de politiques. Les chargés de la règlementation lucides parlent de « besoin en revenus», et non pas de « coûts en intérêt » tout comme les législateurs lucides parlent de « responsabilité fiscale » plutôt que de « fardeau fiscal ». (Voir George Lakoff, Don’t Think of an Elephant: Know Your Values and Frame the Debate [2004])

7. Nous ne profitons pas de l’appareil gouvernemental pour accroître les profits familiaux. Grâce à des règles de longue date universellement acceptées, les chargés de la règlementation n’investissent pas dans des entreprises qui sont touchées par leurs décisions officielles. Ni leurs enfants. Aucune exception n’est tolérée.

8. Nous n’en faisons pas une affaire personnelle. J’ai connu, travaillé auprès et témoigné devant des centaines de chargés de la règlementation. De grands égos, de grandes ambitions et sensibilités, comme tout être humain normal. Cependant, je n’ai jamais rencontré un chargé de la règlementation qui confondait son poste avec qui il est. Aucun chargé de règlementation ne déclare à un organe législatif « Ne modifiez pas ma loi » ou à un tribunal « N’annulez pas ma décision », ou bien à un journaliste « Ne sous-estimez pas mon influence». Aucun chargé de règlementation ne déclare à un témoin « Ne me dites pas ce que je ne veux pas entendre». Il n’existe aucune entité de règlementation qui affirme que « L’État, c’est moi ». Cette distinction entre le poste qu’une personne occupe et cette dernière, et entre l’institution et l’ambition, fait ainsi place à la confiance et au respect. Des centaines de décideurs ont une incidence sur des milliards de dollars. Pourtant la communauté des chargés de règlementation est singulièrement exempte de commérages, de dénigrement, de fuites et de récriminations. Nous tenons en grande estime notre professionnalisme. C’est pourquoi nous agissons en professionnels.

9. Nous savons que nos décisions ne sont pas «les meilleures». La règlementation comporte des failles et n’est pas exempte d’erreurs. Demandez aux habitants de la Caroline du Sud au sujet de la centrale nucléaire Summer, à ceux de la Georgie au sujet de la centrale nucléaire Vogtle, à ceux de Long Island au sujet la centrale nucléaire Shoreham. Demandez aux Mississippiens au sujet de la centrale de gazéification Kemper et aux Californiens au sujet des explosions du gazoduc San Bruno. Demandez aux utilisateurs d’Internet qui sont maintenant victimes de discrimination en raison de l’abrogation par la FCC (Commission fédérale des communications aux États-Unis) de la neutralité du Net; aux écoliers dont la vitesse de téléversement est moins rapide que celle de la Corée du Sud. Demandez à l’Association nationale pour la promotion des gens de couleur, dont leurs travaux révolutionnaires liés aux enfants asthmatiques ont forcé le pays à repenser à l’emplacement de nos centrales nucléaires2.

Les grands organes de règlementation ne disent pas qu’ils sont « les meilleurs »; ils évitent d’utiliser des adjectifs et des adverbes et se basent plutôt sur des faits et la logique. Ils assument leurs décisions et admettent leurs erreurs. S’ils veulent que la nation demeure unie, s’ils veulent que les États-Unis demeurent un grand pays, ils n’ont pas le choix.

* Scott Hempling, à titre d’avocat et de témoin expert, conseille des organismes de règlementation et des instances législatives de partout en Amérique du Nord. Par ailleurs, il participe fréquemment en tant que conférencier à des colloques à l›échelle internationale. Hempling est professeur auxiliaire au Centre de droit de l’Université de Georgetown où il enseigne des cours sur le droit des services publics et les litiges en matière de règlementation. Son livre, Regulating Public Utility Performance: The Law of Market Structure, Pricing and Jurisdiction, dont des extraits ont été tirés pour le présent article, a été publié en 2013 par la American Bar Association. Il est également l’auteur d’un ouvrage rassemblant des essais sur l’art de la règlementation, Preside or Lead? The Attributes and Actions of Effective Regulators. Hempling est titulaire d’un baccalauréat (avec distinction) de l’Université Yale en 1) science économique et science politique et 2) musique, et J.D. (avec grande distinction) du Centre de droit de l’Université Georgetown. Pour de plus renseignements : www.scotthemplinglaw.com.

  1. Interstate Commerce Act of 1887, Pub L No 49-104, 24 Stat 379.
  2. National Association for the Advancement of Colored People, communiqué, “Fumes Across the Fence-Line, A New Study by NAACP, Clean Air Task Force, and National Medical Association” (14 novembre 2017), en ligne: <http://www.naacp.org/>.

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