Le système d’échange de quotas d’émissions de l’Union européenne (SEQE-UE) est le plus important système de plafonnement et d’échange au monde, englobant tous les pays de l’Union européenne. C’est également l’un des plus problématiques, n’ayant tout simplement pas réussi à combler les attentes en ce qui concerne les réductions d’émissions initialement promises. Le présent article propose une analyse des obstacles auxquels est confronté le SEQE-UE, pour ensuite fournir une analyse prospective de l’applicabilité de ces obstacles au programme proposé de plafonnement et d’échange de l’Ontario.
Problèmes de conception et de mise en œuvre du système de l’Europe
Le SEQE-UE a initialement été mise en oeuvre par phases, soit une phase pilote (phase I) de 2005 à 2007, suivie de la phase de Kyoto (phase II) de 2008 à 2012 et d’un certain nombre de phases subséquentes1. Le système initial s’appliquait à près de la moitié des émissions de CO2 produites par 31 des pays de l’UE. Le système était limité à des secteurs particuliers, puisque certains secteurs, comme le transport, étaient exemptés pour des raisons de concurrence avec des régions non participantes.
Le processus initial visant à établir les plafonds pour les émissions a été décentralisé par les États membres, permettant ainsi aux États individuels de proposer des plafonds élevés qui favorisaient les industries à forte intensité d’émissions sur leur territoire. Cela, combiné à un manque de données sur les émissions, a mené à l’attribution de quotas d’émissions trop généreux à l’ouverture du marché en 2005.
Bien que les prix des quotas aient initialement été élevés, l’offre excédentaire sur le marché a rapidement fait baisser la demande et les prix, entraînant une chute du prix pour un seul quota, qui est passé de 30 euros en 2005 à 0 euro en 2007. Cette chute du prix a été exacerbée par l’incapacité de maintenir les quotas au cours des multiples phases du SEQE-UE, ce qui garantissait, à la fin de toute phase, la réduction à zéro du prix d’un quota acquis au cours de cette phase. Et la situation de ce système déjà surmené s’est aggravée lorsqu’il a été suggéré que les entreprises refilent les « coûts » des quotas au consommateur final, même lorsque le gouvernement leur avait donné ces quotas gratuitement.
L’UE a répondu au cours des phases subséquentes avec un plan de resserrement et de centralisation du plafond, un élargissement de la portée du système et la possibilité de mettre en banque des quotas entre les différentes phases. Bien que cette approche ait initialement fait augmenter les prix des quotas à plus de 20 euros, les prix n’ont dès lors cessé d’atteindre le plancher. Le prix actuel varie entre 0 et 10 euros, ce qui est attribuable en partie à l’économie affaiblie de l’UE après la récession, combinée à une utilisation accrue d’opérations de compensation en vertu du Mécanisme pour un développement propre, lequel accorde des quotas pour les projets de compensation dans les pays en développement.
Leçons pour l’Ontario
Pour créer son programme de plafonnement et d’échange, le gouvernement de l’Ontario peut mettre en application les leçons tirées des succès mitigés du SEQE-UE. Ces principales leçons sont énumérées ci-dessous.
Attributions excédentaires
D’abord, il est très important d’éviter l’attribution excédentaire de quotas à la mise en oeuvre d’un programme de plafonnement et d’échange; ces attributions excédentaires peuvent être mises en banque par les entreprises afin de maintenir les quotas à bas prix pendant des années à venir. Pour éviter de telles attributions excédentaires, le gouvernement de l’Ontario devra disposer de bonnes données sur les émissions en Ontario afin d’établir un plafond initial adéquat. Au cours des dernières années, le gouvernement de l’Ontario a recueilli des données sur les émissions auprès d’entreprises qui rejettent plus de 10 000 tonnes de GES par année ou qui font partie de secteurs industriels particuliers. Ces données ont incité le gouvernement de l’Ontario à établir un plafond initial de 142 mégatonnes de GES, ce qui équivaudrait à ce que le gouvernement estime être les émissions réelles en 2017. En d’autres mots, il ne devrait pas y avoir d’attributions excédentaires de quotas d’émissions, selon les prévisions du gouvernement de l’Ontario. Seul le temps nous dira si ce sera le cas.
Mise en banque de quotas
Deuxièmement, le gouvernement de l’Ontario devrait voir à ce que les entreprises puissent mettre en banque des quotas sur de multiples périodes au cours du programme. Bien qu’un tel modèle puisse exacerber les effets négatifs de l’attribution excédentaire, il importe d’éviter un effondrement externe des prix des quotas à la fin d’une période donnée. Ce modèle est actuellement en place dans la règlementation du programme de plafonnement et d’échange du gouvernement de l’Ontario, où l’on peut utiliser les quotas d’une année particulièrement active qui est une année dans la période de conformité ou une année antérieure.
Restriction des quotas gratuits ou exemptés
Troisièmement, bien qu’il soit politiquement acceptable d’accorder des quotas gratuits à certains secteurs, il s’agit d’un moyen risqué de gérer les questions de concurrence. Lorsque les quotas ne sont pas liés à la production, ils ne peuvent pas avoir d’incidence sur les coûts marginaux, ce qui décourage la pratique visant à réduire ou à réaffecter les émissions pour des secteurs complets. Il serait préférable pour le gouvernement d’inclure ces secteurs dans le programme de plafonnement et d’échange d’une manière qui permet de maintenir les mesures d’incitation s’appliquant à d’autres entreprises, bien que de façon plus graduelle. Toutefois, nous croyons qu’un bon nombre d’entreprises se verront attribuer des quotas gratuits au tout début du programme de plafonnement et d’échange afin de faciliter la transition vers une économie à faibles émissions de carbone. Ces quotas gratuits auront un effet dissuasif sur la nécessité de contrer les changements climatiques à court terme.
Règles robustes concernant la compensation
Quatrièmement, les politiques de compensation doivent être surveillées et maintenues de façon adéquate. La popularité croissante du Mécanisme pour un développement propre réside dans le fait qu’il permet aux entreprises de demander des compensations lorsqu’elles réduisent les émissions dans des territoires étrangers. Ces territoires, qui sont souvent des pays du tiers monde, ne disposent pas de structures de règlementation et de reddition de comptes pour confirmer adéquatement ces réductions d’émissions. Il n’est pas surprenant que le Mécanisme pour un développement propre ait été ébranlé par des allégations de fraude par les entreprises participantes. Le gouvernement de l’Ontario devrait voir à ce que son programme de compensation soit strictement surveillé et contrôlé, surtout lorsque la réduction de compensation applicable a lieu dans un territoire étranger. Le gouvernement de l’Ontario n’a pas encore fait connaître le régime de compensation pour son programme de plafonnement et d’échange. Toutefois, il suivra probablement l’exemple du Québec et de la Californie. Ces programmes disposent tous deux d’exigences robustes en matière de surveillance afin de veiller à ce que les réductions réelles de compensation aient lieu. Le gouvernement de l’Ontario adoptera probablement des exigences similaires.
Coordination des politiques complémentaires
Pour terminer, certains auteurs ont laissé entendre que les problèmes du SEQE-UE soient causés par les politiques environnementales complémentaires de l’UE relativement au programme de plafonnement et d’échange. Ces politiques, selon leurs critiques, permettent le transfert d’émissions, accroissent les coûts de réduction des émissions et, en l’absence d’un prix-plancher, abaissent les prix des quotas. Il s’agit d’une question complexe qui nécessiterait une analyse plus approfondie. Cela dit, le gouvernement de l’Ontario peut emprunter différentes approches pour s’attaquer à ce problème éventuel. Premièrement, il a établi un prix-plancher pour les enchères de quotas, ce qui devrait éviter la réduction à zéro du prix des quotas. Deuxièmement, il pourrait confirmer que les politiques complémentaires visent uniquement les émissions non comprises dans le programme de plafonnement et d’échange, de façon à ce que les programmes soient strictement complémentaires et qu’ils ne fassent pas obstacle au programme de plafonnement et d’échange, et vice-versa.
* Jason Kroft est un associé en droit des affaires qui pratique chez Stikeman Elliott (Toronto). Sa pratique couvre un large éventail de conseils et de transactions en matière de droit corporatif-commercial. M. Kroft est aussi un professeur adjoint à l’Osgoode Hall Law School dans les domaines de la négociation et d’entreprise commerciale. Sam Dukesz est un stagiaire en droit.
- Manuel du SEQE-UE (Bruxelles : Commission européenne), en ligne : CE <http://ec.europa.eu/clima/publications/docs/ets_handbook_en.pdf>.