Projet de loi C-69 : Présentation de la Régie canadienne de l’énergie et de l’Agence d’évaluation d’impact*

Le 28 août 2019, le projet de loi C-69 est entré en vigueur, édictant simultanément la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie (LRCE) et la Loi sur l’évaluation d’impact (LEI1) et abrogeant la Loi sur l’ONE (Loi sur l’ONE) et la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, 2012 (LCEE 2012). En raison de ces modifications législatives, l’Office national de l’énergie (Office) a été remplacé par un nouvel organisme de réglementation, la Régie canadienne de l’énergie (Régie) et l’Agence canadienne d’évaluation environnementale (ACEE) a été remplacée par l’Agence d’évaluation d’impact du Canada.

Le projet de loi C-69 apporte un certain nombre de changements importants au régime de réglementation des grands projets et des évaluations environnementales au Canada.

Aperçu des modifications réglementaires adoptées par le projet de loi C-69

Révision de la structure de gouvernance et d’arbitrage

Auparavant, l’Office administrait sa compétence législative en tant qu’organisme de réglementation intégré. Ce n’est plus le cas. La LRCE met en œuvre une réorganisation interne qui sépare les fonctions d’administration et d’arbitrage de la Régie. Les considérations politiques et administratives stratégiques seront gérées par un conseil d’administration et un chef de la direction et les fonctions d’arbitrage relèveront d’un groupe de commissaires indépendants (la Commission).

En plus de ces deux organismes, la LRCE prévoit que la Commission et l’Agence d’évaluation d’impact formeront, à l’occasion, une commission d’examen fédérale chargée de mener conjointement des études d’impact intégrées et des examens de certains projets désignés qui sont assujettis à la fois à la LRCE et à la LEI2.

Ce changement, bien qu’il soit nouveau dans la LRCE, n’est pas peu connu. Avant 2012, certains examens de projets étaient également menés par des commissions fédérales d’examen conjoint en vertu de la Loi sur l’ONE et de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, la loi qui a précédé la LCEE 2012. Après 2012, l’Office a mené des évaluations environnementales et des examens de projets désignés pour les projets relevant de sa compétence, et l’ACEE était responsable d’examiner les projets énergétiques qui dépassaient la compétence de l’Office. Ainsi, bien que le mécanisme décisionnel décrit dans la Loi sur l’évaluation environnementale et l’évaluation d’impact représentent un changement par rapport à l’approche la plus récente du Canada en matière de réglementation de l’environnement et des grands projets, la participation d’une commission d’examen composée de plusieurs organismes ne représente, à certains égards, qu’un retour à un processus semblable à celui qui prévalait avant 2012.

Compétence de la Régie

En vertu de la LCEE, la Régie a conservé compétence sur l’industrie « énergétique » au Canada, à différents degrés, y compris en ce qui concerne une liste de projets et de questions connexes semblables à ceux qui étaient surveillés par l’Office, comme la réglementation des questions environnementale et économique des pipelines et de l’infrastructure de transport. Les projets d’énergie renouvelable en milieu extracôtier sont un nouvel ajout à cette liste et comprennent des projets tels que des installations éoliennes et des centrales marémotrices en milieu extracôtier. Dans le cadre de son rôle d’arbitrage, la LRCE charge la Commission d’examiner les demandes de développement, de construction et d’exploitation de nombre de ces projets, ainsi que leur réglementation continue du début jusqu’à la fin du projet, ce qui aboutit à leur abandon éventuel3. Même si la Régie a compétence sur une vaste gamme de projets et de questions connexes, le reste de cet article porte principalement sur les questions liées à l’industrie pétrolière et gazière et, en particulier, sur les circonstances plus complexes qui font intervenir à la fois la Régie canadienne de l’énergie et la Loi sur l’évaluation d’impact.

Une grande partie de la couverture médiatique du projet de loi C-69 a porté sur l’examen réglementaire des projets et des installations d’infrastructure pétrolière et gazière. En ce qui concerne les demandes de construction de nouveaux pipelines et d’installations connexes, la Commission évaluera, sauf indication contraire, les demandes qui relèvent de sa compétence, en tenant compte d’un éventail de facteurs environnementaux et, de façon générale, socioéconomiques. Certains des facteurs énumérés dans cette liste, comme les répercussions environnementales, la sécurité et les préoccupations à l’égard des droits et des intérêts des peuples autochtones du Canada, ont déjà été pris en compte implicitement par l’Office. D’autres facteurs sont nouveaux, notamment l’incidence d’un projet sur l’intersection des facteurs liés au sexe et à l’identité de genre et la mesure dans laquelle le projet nuira ou contribuera à la capacité du gouvernement du Canada de respecter ses obligations et ses engagements en matière d’environnement relativement aux changements climatiques.

La réglementation économique des pipelines et des infrastructures connexes est une question qui a toujours reçu beaucoup moins d’attention de la part des médias et du public. N’empêche, il s’agit d’un élément important de la réglementation de l’industrie et elle continuera de faire partie intégrante du mandat de réglementation de la Régie. En effet, étant donné les contraintes de capacité des pipelines qui touchent actuellement l’industrie énergétique canadienne, la réglementation économique devient une question de plus en plus importante. Reprenant peut-être la sagesse de l’adage « on ne change pas une recette gagnante », la LRCE reconduit les dispositions de la Loi sur l’ONE relatives au trafic, aux droits et aux tarifs, les laissant relativement inchangées. Dans cet esprit, nous prévoyons que la Régie adoptera une approche de la réglementation économique semblable à celle de son prédécesseur.

Projets désignés et agence d’évaluation d’impact

La LEI s’applique à une vaste gamme de projets et d’activités concrètes. À cet égard, il y a un certain chevauchement avec la LRCE. Le Règlement désignant les activités concrètes (le Règlement) de la LEI désigne certains projets (projets désignés) qui devront faire l’objet d’une évaluation d’impact dans le cadre de leur examen réglementaire. Plusieurs projets liés aux pipelines et à l’énergie figurent sur cette liste et doivent donc faire l’objet d’évaluations d’impact et d’examens intégrés menés par une commission d’examen, notamment :

  • les pipelines dans les parcs nationaux et les aires protégées;
  • les pipelines interprovinciaux ou internationaux qui nécessitent plus de 75 km de nouvelle emprise;
  • certains projets et certaines activités extracôtiers liés aux pipelines extracôtiers.

En plus des projets qui relèvent à la fois de la compétence de la Régie canadienne de l’énergie et de l’Agence d’évaluation d’impact, les projets énergétiques suivants doivent faire l’objet d’évaluations d’impact administrées par l’Agence d’évaluation d’impact :

  • les nouvelles installations de production d’énergie à partir de combustibles fossiles qui produisent plus de 200 MW;
  • les nouvelles mines de sables bitumineux in situ qui ont une capacité de production de bitume de 2 000 mètres cubes par jour et qui ne sont pas assujetties à la législation provinciale limitant la quantité d’émissions de gaz à effet de serre produites par les sites de sables bitumineux de la province, ainsi que l’expansion de certaines mines existantes;
  • certaines installations de raffinage, de traitement et de stockage, ainsi que l’agrandissement des installations désignées existantes.

Pour les deux catégories de projets désignés, les promoteurs doivent connaître les critères élargis qui s’appliqueront à toute évaluation d’impact menée par une commission d’examen ou l’Agence d’évaluation d’impact, y compris la nouvelle détermination de l’intérêt public. Comme c’est le cas entre la LCEE et la Loi sur l’ONE, la LEI renferme une liste beaucoup plus longue de facteurs que celle de la LCEE 2012, qui portait principalement sur les effets environnementaux. À cet égard, la référence explicite à l’« impact » dans le titre de la LEI indique que celle-ci exige la prise en compte de l’impact sociétal global éventuel d’un projet, qu’il s’agisse du résultat direct ou indirect de sa construction et de son exploitation, y compris les facteurs environnementaux, biophysiques et socioéconomiques.

Nouvelle formulation de la détermination de l’intérêt public

En vertu de la Loi sur l’ONE, l’Office devait tenir compte de divers facteurs économiques et liés au marché dans son examen des demandes de projets de pipeline, ainsi que de l’intérêt public s’il estimait que le projet pouvait avoir une incidence sur celui-ci4. La LCEE 2012 s’est appuyée sur cette méthode d’analyse, mais sa définition de l’évaluation de l’intérêt public n’a fournique peu d’orientation supplémentaire et se limitait surtout aux préoccupations liées aux effets négatifs importants qu’un projet désigné pouvait avoir sur l’environnement.

Bien que les facteurs résiduels relatifs à l’intérêt public s’appliquant à l’examen par la Commission des demandes de construction de pipelines aux termes de la LRCE sont considérés, les dispositions relatives à l’enquête en matière d’intérêt public en vertu de la LEI ont été entièrement reformulées. En ce qui concerne les projets désignés, le décideur devra faire plus que de simplement déterminer si les effets négatifs importants relevés dans l’évaluation environnementale peuvent être justifiés dans les circonstances. En vertu de la LCEE 2012 et de la Loi sur l’ONE, il s’agissait d’une décision discrétionnaire qui reposait principalement sur la pondération des avantages et des inconvénients d’ordre socioéconomique et environnemental associés à un projet désigné. Cela a été expliqué par l’Office dans son rapport final sur les grandes installations et dans sa recommandation :

La détermination de l’intérêt public qu’exige la Loi sur l’ONE n’est pas un exercice rigide ou mécanique. Elle exige un examen complexe, souple et aux facettes multiples qui oblige l’Office à étudier de manière exhaustive et scientifique des éléments de preuve d’ordre économique, environnemental et social; à prendre en compte les incidences du projet sur les droits autochtones; à soupeser les avantages et les inconvénients globaux [d’un projet proposé]; et à tirer des conclusions. Cette analyse des avantages et des inconvénients guide aussi la recommandation qu’il formule aux termes de la LCEE (2012) sur la question de savoir si les effets environnementaux négatifs importants peuvent être justifiés dans les circonstances. Les divers éléments dont l’Office tient compte dans cette analyse ne peuvent, pour être compris, être dissociés les uns des autres ou isolés des circonstances et du contexte particuliers [d’un projet proposé5].

Bien que l’ancien Office semble avoir adopté une compréhension globale de ses fonctions, la Loi sur l’évaluation d’impact a poussé encore plus loin la portée de l’évaluation et de la prise en compte, en abandonnant le qualificatif « important » inclut dans le terme « effets négatifs importants » et exigeant le pouvoir décisionnel approprié pour déterminer si les effets négatifs relevés dans l’évaluation d’impact et l’analyse sont dans l’intérêt public en ce qui concerne les facteurs à considérer suivants :

  • la mesure dans laquelle le projet désigné contribue à la durabilité;
  • la mesure dans laquelle les effets négatifs cernés sont importants;
  • si la mise en œuvre des mesures d’atténuation peut atténuer les préoccupations découlant des effets négatifs du projet désigné;
  • l’incidence que le projet désigné peut avoir sur un groupe autochtone ou ses droits constitutionnels;
  • la mesure dans laquelle les effets du projet désigné nuisent ou contribuent à la capacité du gouvernement du Canada de respecter ses obligations et ses engagements en matière d’environnement relativement aux changements climatiques6.

Cette liste de facteurs semble empêcher le décideur de simplement soupeser les avantages et les inconvénients d’ordre socioéconomique et environnemental associés à un projet désigné. L’intérêt public a maintenant été défini comme un facteur distinct d’un « avantage net » et il semble que le Parlement soit d’avis que les effets négatifs, quelle que soit leur ampleur, ne sont plus justifiables si le projet dans son ensemble ne correspond pas, d’une certaine façon, à ces paramètres, quel que soit l’avantage économique net. Même si ces facteurs sont semblables à ceux de l’évaluation d’impact sous-jacente, le fait que la portée des questions posées à l’étape de l’examen de l’intérêt public ne tient pas compte de tous les facteurs à considérer qui ont éclairé l’évaluation d’impact initiale vient toutefois compliquer cette analyse. Tant que l’Agence d’évaluation d’impact, une commission d’examen, le gouvernement fédéral ou un tribunal n’aura pas fourni une orientation supplémentaire, la façon dont les diverses évaluations menées en vertu de la LRCE et de la LEI interagissent créera une grande incertitude dans le processus d’approbation des projets.

L’obligation de consulter et une importance accrue accordée aux intérêts des peuples autochtones

On retrouve des références aux obligations et aux responsabilités de la Commission et de l’Agence d’évaluation d’impact à l’égard des peuples autochtones du Canada un peu partout dans la LRCE et la LEI. Bien que nous n’ayons pas dressé une liste exhaustive des changements en cette matière, il convient de mentionner ceux qui suivent :

  • il est maintenant explicitement prévu dans le mandat de la Commission et de l’Agence d’évaluation d’impact qu’elles s’acquittent de leurs fonctions de manière « à respecter les engagements du gouvernement du Canada à l’égard des droits des peuples autochtones du Canada7 »;
  • dans l’exercice de ses fonctions, la Commission et l’Agence d’évaluation d’impact doivent tenir compte des effets négatifs qu’un projet, une décision, une ordonnance ou une recommandation peut avoir sur les peuples autochtones du Canada8;
  • la Commission doit établir un comité consultatif pour améliorer la participation des peuples autochtones du Canada aux projets d’infrastructure énergétique9;
  • lors de l’évaluation des demandes de projet, les droits, les intérêts et les connaissances des peuples autochtones sont maintenant un facteur à considérer énuméré pour la Commission et l’Agence d’évaluation d’impact10.

Bon nombre des principes qui sous-tendent ces exigences législatives explicites sont déjà constitutionnalisés en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et, par conséquent, ont déjà éclairé les pratiques administratives de l’Office et de l’ACEE. Toutefois, certaines des exigences particulières sont nouvelles.

Participation du public

Le critère antérieur de qualité pour agir de l’Office, qui limitait les participants à ceux qui étaient directement touchés par un projet ou qui possédaient de l’information ou une expertise pertinente, ne s’applique plus. Les libellés de la LRCE et de la LEI révèlent une approche large et inclusive en ce qui concerne la participation du public11, bien que seule la LRCE traite expressément de la qualité pour agir. En ce qui concerne les demandes visant des pipelines, la Loi prévoit un droit de participation du public ouvert : « Le public peut présenter, de la façon prévue par la Commission, des observations au sujet de la demande de certificat 12».

Ce changement pourrait entraîner des retards importants dans le processus d’examen; toutefois, il se peut que la Commission ou la commission d’examen adopte simplement une procédure semblable à celle qu’utilisait auparavant l’Office, c’est-à-dire qu’elle permette à ceux dont les intérêts sont directement touchés d’intervenir directement, tout en limitant la participation des parties moins directement touchées, dans le processus des lettres de commentaires.

Échéanciers pour l’examen et la « phase de planification »

Au cours du débat entourant l’élaboration du projet de loi C-69, le gouvernement fédéral a souvent affirmé que l’un des objectifs visés par les modifications législatives proposées était d’améliorer la certitude des décisions et les délais d’exécution13. L’un des mécanismes susceptibles de faciliter l’atteinte de cet objectif concerne les projets désignés en vertu de la LEI. Avant le début d’une évaluation d’impact, le promoteur d’un projet désigné doit réaliser une phase de planification au cours de laquelle il mobilise le public et collabore avec l’Agence d’évaluation d’impact et les autorités fédérales compétentes pour déterminer ce que l’évaluation d’impact éventuelle prendra en considération et quels renseignements l’Agence d’évaluation d’impact ou la commission d’examen exigera pour mener son évaluation. Cette phase de planification ne devrait pas prendre plus de 180 jours, mais elle pourrait être prolongée14.

Une fois qu’un examen ou une évaluation est entrepris en vertu de la LRCE ou de la LEI, des limites s’appliquent au temps dont dispose l’organisme de réglementation pertinent pour publier son rapport et sa recommandation au gouverneur en conseil. Des délais semblables s’appliquent aux décisions qui doivent être prises par le gouverneur en conseil.

Conformément à la Loi sur l’ONE, les promoteurs de projets pipeliniers de moins de 40 km peuvent demander une exemption au processus d’examen complet et de certification15.

Le processus d’examen des demandes visant des pipelines dont la longueur est inférieure à 40 km ou qui nécessitent moins de 75 km de nouvelle emprise ressemblera également, du moins sur le plan de la procédure, au processus antérieur mené en vertu de la Loi sur l’ONE. Les demandeurs présenteront une demande à la Commission, la Commission présentera un rapport et une recommandation au gouverneur en conseil dans les 450 jours suivant la réception d’une demande complète16, et le gouverneur en conseil rendra une décision finale dans les 90 jours suivant la réception du rapport17.

Toutefois, les nouveaux projets pipeliniers interprovinciaux ou internationaux qui nécessitent 75 km ou plus de nouvelle emprise deviennent des projets désignés et seront évalués par une commission d’examen. Une commission d’examen mandatée par la LRCE et la LEI doit publier son rapport dans les 300 jours suivant le début de l’évaluation d’impact et de l’examen du projet, bien que ce délai puisse être repoussé jusqu’à 600 jours si l’Agence d’évaluation d’impact estime qu’il faut plus de temps18. Une fois qu’il a reçu un rapport préparé par la commission d’examen, le gouverneur en conseil doit l’examiner et rendre une décision dans les 90 jours19.

Pour tous les autres projets désignés, l’Agence d’évaluation d’impact (ou, au besoin, une commission d’examen) doit achever son évaluation d’impact dans un délai de 300 jours20, après quoi le ministre doit rendre une décision dans un délai de 30 jours ou renvoyer l’affaire au gouverneur en conseil pour qu’il l’étudie plus à fond21. Quoi qu’il en soit, comme il est précisé ci-dessus, la limite initiale de 300 jours peut être repoussée jusqu’à 600 jours si l’évaluation d’impact est menée par une commission d’examen22.

Malgré les garanties du gouvernement fédéral, il n’est pas évident que les changements et les délais mis en place dans le cadre du nouveau régime amélioreront la certitude des décisions et les délais d’exécution. En effet, compte tenu de l’ajout de nouveaux facteurs à prendre en considération, de la possibilité accrue de participation du public et du pouvoir discrétionnaire du ministre de prolonger ou de suspendre les délais précisés, les examens de projet risquent en réalité de prendre plus de temps.

Dans le cas des pipelines, le gouverneur en conseil ne peut plus faire abstraction d’une recommandation négative

En vertu de la LRCE, le gouverneur en conseil ne peut plus exercer son pouvoir discrétionnaire et approuver un projet pipelinier si la Commission (ou la commission d’examen) recommande de ne pas l’approuver23. Si la recommandation du rapport est de ne pas donner le feu vert à un projet, le gouverneur en conseil n’a d’autre choix que de rejeter la demande ou demander que la recommandation soit réexaminée.

Flexion du muscle réglementaire : évaluation préliminaire des deux premières décisions de la Régie

Comme il a été mentionné précédemment, la plupart des commentaires des médias et du public au sujet du projet de loi C-69 portaient sur les changements que le Parlement a apportés au processus de demande visant des installations. Toutefois, la LRCE a également conféré à la RCE compétence en matière de réglementation économique des pipelines. Bien que bon nombre des nouvelles dispositions relatives à la réglementation économique paraissent semblables à celles que l’Office administre en vertu de la Loi sur l’ONE, la Régie canadienne de l’énergie est un nouvel organisme de réglementation et elle peut exercer ses fonctions de réglementation différemment. Bien qu’il soit trop tôt pour déterminer dans quelle mesure la Régie réglementera l’exploitation économique des pipelines de façon différente (ou semblable), les deux premières décisions qu’elle a rendues en la matière trahissent la présence d’un organisme de réglementation qui (i) réagira rapidement au besoin et (ii) cherchera à maintenir ce qui s’apparente à une certaine continuité réglementaire.

Au cours de son premier mois de relève de l’Office, la Régie a été invitée à examiner et à trancher deux demandes importantes concernant la réglementation économique du réseau pipelinier de NOVA Gas Transmission Ltd. (le réseau de NGTL) et du réseau principal d’Enbridge au Canada (le réseau principal). Dans les deux cas, la Régie a agi promptement, convoquant des audiences et rendant des décisions en quelques semaines. En établissant les processus d’audience pour les deux demandes, la Régie semble avoir tenu compte de la nature des demandes et des délais dans lesquels elle devrait rendre ses décisions. L’audience d’Enbridge comprenait des observations écrites et des occasions de réplique écrite; l’audience de NGTL a misé sur une approche hybride dans le cadre de laquelle on a accepté des lettres de commentaires et des observations orales. Dans ce dernier cas, la Commission a démontré qu’elle pouvait, au besoin, agir rapidement; en réponse à la demande de NGTL, la Commission a émis un avis d’audience le vendredi 20 septembre, a tenu l’audience orale le mercredi 25 septembre et a rendu sa décision (avec motifs à venir) le lendemain.

Tarifs

Le 26 août 2019, soit deux jours avant le changement officiel d’organisme de réglementation, NOVA Gas Transmission Ltd. (NGTL) a déposé une demande auprès de l’Office en vertu de l’alinéa 60(1)b) de la Loi sur l’ONE afin d’obtenir rapidement une modification du tarif de NGTL (le tarif) afin d’intégrer un protocole de service temporaire (le protocole). Ce protocole permettrait à NGTL, pour des périodes limitées d’arrêts prévus pour l’exécution de travaux d’entretien et à d’agrandissement à compter d’octobre 2019 et qui s’appliqueraient principalement pendant les mois d’été, d’accorder la priorité aux services de livraison et d’entreposage, qu’ils soient garantis ou interruptibles, sur les services de réception en amont dans les régions soumises aux contraintes du réseau24.

Les contraintes du réseau que NGTL a cherché à alléger avec le protocole sont complexes. En résumé, en août 2017, NGTL a mis en œuvre un nouveau protocole de service qui accordait la priorité au service de réception et de livraison garanti par rapport à tous les types de services interruptibles, y compris le stockage. Étant donné que la réglementation du réseau de NGTL s’applique à l’ensemble du réseau, cela a limité la capacité des expéditeurs du réseau de NGTL d’acheminer le gaz vers les marchés de stockage (qui fonctionnent toujours de façon interruptible) ou vers d’autres marchés en aval.

L’impossibilité pour les expéditeurs d’accéder aux services de stockage en raison de la réduction des services interruptibles a été cernée comme l’un des principaux facteurs de la volatilité des prix qui a gravement touché les marchés gaziers de l’Ouest canadien. En raison de ses répercussions économiques potentielles, le protocole de service temporaire proposé a reçu un appui généralisé parmi les producteurs qui comptaient sur le réseau de NGTL pour acheminer leur gaz vers ces marchés. Fait intéressant, le gouvernement de l’Alberta a participé activement à l’élaboration et à la promotion du protocole, notamment en consultant NGTL avant de présenter sa demande à l’Office et, en fin de compte, en tant qu’intervenant et en présentant une plaidoirie orale en faveur de la modification.

Comme il a été mentionné, la Commission a publié une lettre de décision, les motifs à l’origine de celle-ci devant suivre le lendemain de l’audience, approuvant la demande en l’état et permettant à NGTL de modifier le Tarif et de mettre en œuvre le Protocole.

Droits

Le 2 août 2019, à la suite de longues discussions avec les producteurs de pétrole de l’Ouest canadien, Pipelines Enbridge Inc. (Enbridge) a annoncé l’élaboration d’un Appel de soumissions pour des services de transport sur le réseau principal (Appel de soumissions). En annonçant l’Appel de soumissions, Enbridge a également annoncé qu’à l’expiration de l’entente de tarification concurrentielle actuelle approuvée par l’Office, elle remplacerait le réseau principal par un transporteur public qui exploitait entièrement ses activités sans volume souscrit, de sorte que 90 % de la capacité du réseau principal serait réservée aux expéditeurs ayant des engagements à long terme et 10 % de la capacité pour le service immédiat.

L’Appel de soumissions devait prendre fin le 2 octobre. Étant donné qu’Enbridge avait la maîtrise de plus de 70 % de la capacité de transport de pétrole à partir du bassin sédimentaire de l’Ouest canadien, si l’Appel de soumissions avait été lancé comme prévu, elle aurait considérablement transformé le marché du pétrole de l’Ouest canadien.

Suncor Energy Inc. (Suncor) a répondu à l’Appel de soumissions d’Enbridge en déposant une plainte auprès de l’Office (Plainte), affirmant que les conditions de l’Appel de soumissions d’Enbridge et la transition connexe d’un transporteur public à un transporteur pipelinier contractuel (i) violaient les règles de libre accès que l’Office a toujours appliquées; (ii) représentaient un abus de position dominante sur le marché; et (iii) entraîneraient des conditions de service et une tarification injustes, inéquitables, déraisonnables et injustement discriminatoires. Trois autres parties — Shell Canada Limitée (Shell), Explorers and Producers Association of Canada (EPAC) et Canadian Natural Resources Limited (CNRL) — ont présenté des lettres qui relevaient en grande partie les mêmes problèmes que ceux soulevés par Suncor et défendaient à peu près les mêmes positions que celles adoptées par Suncor dans la Plainte. Toutes les questions soulevées dans la Plainte auraient été fondées en vertu de la nouvelle LRCE; toutefois, en raison des dispositions transitoires du projet de loi C-6925, la Plainte a été entendue par une commission de la Régie au regard des dispositions de l’ancienne Loi sur l’ONE.

En réponse à la Plainte et aux observations de Shell, de l’EPAC et de CNRL, l’Office a entrepris une période de commentaires écrits, dont la gestion a rapidement été prise en charge par la Commission, avec la participation d’une trentaine de parties intéressées. À la suite des réponses d’Enbridge, de Suncor, de Shell, de l’EPAC et de CNRL, la Commission a interrompu l’Appel de soumissions.

Les motifs de la Commission ont été exposés dans une brève lettre de décision rendue deux semaines après la fin du processus d’audience. Bien que la décision elle-même ne traite pas suffisamment en profondeur des questions de tarification pour indiquer si la RCE s’acquittera de sa fonction de réglementation économique des pipelines d’une manière semblable ou différente de celle de l’Office, la Commission a souligné l’importance de la continuité de la réglementation, du moins en ce qui concerne des questions comme les droits et les tarifs, et a exprimé la volonté d’être conforme au précédent de l’ancien Office :

Pour trancher sur cette question, la Commission s’est fondée sur le cadre de réglementation établi et les décisions rendues antérieurement par l’Office, auquel elle a succédé, en matière de réglementation des droits et des tarifs. Dans ses décisions antérieures, l’Office a constamment souligné l’importance de l’équité et de la transparence dans les processus d’Appel de soumissions. Il a également affirmé qu’aucun abus de pouvoir de marché ne saurait être toléré, que ce soit en substance ou en apparence. La crainte d’abus par certains acteurs sur le marché pourrait mener à des résultats inefficients, et les situations de ce genre doivent être réglées26.

Malgré cette intention de se conformer aux décisions antérieures de l’Office, l’intervention de la Régie canadienne de l’électricité dans le cadre d’un Appel de soumissions dicté par l’industrie est une étape très inhabituelle. Toutefois, la décision de la Commission n’est pas tout à fait surprenante. En effet, le plan d’Enbridge visant à faire passer le modèle de service sur le réseau principal d’un transporteur commun à un transporteur contractuel était sans précédent et, comme aucune nouvelle capacité n’était offerte, il réduirait considérablement la capacité de l’industrie d’accéder à une capacité de transport de pétrole non souscrite. À la lumière de ces faits, la Commission a justifié son écart par rapport aux décisions antérieures de l’Office en signalant deux préoccupations dominantes, à savoir (i) l’équité du processus d’Appel de soumissions lancé par Enbridge et (ii) « la perception d’abus » découlant de la position dominante d’Enbridge sur le marché dans une industrie monopolisée et dont la capacité est limitée27. Malgré l’interruption de l’Appel de soumissions, la Commission a demandé à Enbridge d’élaborer et de présenter une demande complète si elle décidait de procéder à un Appel de soumissions et à une modification du service.

Même organisme de réglementation, nom différent?

Que nous disent ces deux décisions? Sur le fond, elles laissent entendre que la Commission se préoccupe du maintien de la continuité de la réglementation. Toutefois, il est important de se rappeler que les dispositions relatives à la réglementation économique des pipelines dans la LRCE sont essentiellement identiques à celles de la Loi sur l’ONE. Il ne faut donc pas s’étonner que la Commission ait maintenu son engagement à l’égard des mêmes principes que ceux élaborés par l’Office, même si elle a élargi la portée de leur application. Sur un plan plus qualitatif, toutefois, la rapidité avec laquelle la Commission a amorcé et achevé ses processus d’audience montre qu’elle est consciente de l’impératif qu’un organisme de réglementation réceptif surveille la dynamique complexe de l’industrie énergétique canadienne.

Conclusion

Comme dans le cas de tout nouveau paradigme législatif et réglementaire, les difficultés se multiplieront. Les changements apportés par le projet de loi C-69 ont élargi la portée des facteurs à considérer que la Commission et l’Agence d’évaluation d’impact doivent maintenant examiner dans le cadre de l’évaluation de nouveaux projets, dont bon nombre sont eux-mêmes amorphes et difficiles à définir. Ce qui est clair, cependant, c’est que le fardeau imposé aux promoteurs de nouveaux projets pipeliniers semble plus lourd maintenant qu’il ne l’était sous l’ancien régime. Cela dit, avec ses deux premières décisions, la Commission s’est montrée à l’écoute des besoins de l’industrie et attentive à la dynamique souvent complexe du marché qui façonne le secteur pétrolier et gazier canadien. Alors que nous attendons toujours de voir comment le LRCE et la LEI façonneront les processus réglementaires à l’avenir, l’Alberta a contesté la constitutionnalité du projet de loi C-69, soutenant qu’il empiète indûment sur sa compétence en matière de gestion de l’exploitation de ses ressources naturelles. En outre, le résultat des élections fédérales de 2019 pourrait entraîner d’autres changements au processus réglementaire.


* Cet article est une version révisée et mise à jour d’un article publié pour la première fois par Burnet, Duckworth & Palmer LLP (19 septembre 2019), en ligne : <https://www.bdplaw.com/publications/bill-c-69-introducing-the-canadian-energy-regulator-and-the-impact-assessment-agency>.

  1. La Loi sur la Régie canadienne de l’énergie et la Loi sur l’évaluation d’impact, forment une partie du projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, 1re session, 42e législature, 2019, disposition 11, article 44 [la LPCE et LEI, respectivement].
  2. LRCE, art. 185, 263, 299.
  3. Ibid, alinéas 11(a) et (b).
  4. Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. 1985, ch. N-7, al. 52(2)(e).
  5. Office national de l’énergie, « Rapport de réexamen du projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain » (MH-052-2018) (22 février 2019), à la p 3.
  6. LEI, par. 63(e).
  7. LRCE, al. 11(h).
  8. Ibid, art 56.
  9. Ibid, art 57.
  10. Ibid, al. 183(2)d) et (e), 262(2)(d) et (e), 298(3)(d) et (e); al. 22(1)(g) et (l) de la LEI.
  11. LRCE, art 183(3); LEI, art. 11, 27, 99.
  12. LRCE, art 183(3).
  13. Canada, Gouvernement du Canada, Manuel sur la nouvelle régie canadienne de l’énergie, (Ottawa : Examens environnementaux et réglementaires, 4 février 2019), en ligne : <https://www.canada.ca/content/dam/themes/environment/conservation/environmental-reviews/neb-handbook-f.pdf>.
  14. LEI, par. 18(1) et (3).
  15. LRCE, par. 214(1)(a).
  16. Ibid, par. 183(4).
  17. Ibid, par. 186(3).
  18. Ibid, par. 185(c), 263(c); LEI, par. 37.1(2).
  19. Ibid, par. 186(3), 262(9).
  20. LEI, par. 28(2).
  21. Ibid, par. 65(3).
  22. Ibid, par. 65(4).
  23. LRCE, al. 186(1)(b).
  24. Régie canadienne de l’énergie, dossier OF-Tolls-Group1-N081-2019-04 01; ordonnance d’audience RH-002-2019.
  25. Supra note 1, art 36.
  26. Régie canadienne de l’énergie, « Lettre – plaintes concernant l’appel de soumissions pour le réseau principal de Pipelines Enbridge Inc. » (C01893-1) (27 septembre 2019) à la p. 2 [citations internes omises] [la Lettre de décision relative au réseau principal], citant RH-001-2012 Motifs de décision; OH-01-2011 Motifs de décision; OH-1-2009 Motifs de décision; GH-001-2018 Lettre; OH-2-97 Motifs de décision; RH-3-2004 Motifs de décision.
  27. Ibid à la p 2.

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