L’arbitrage est une procédure courante de résolution de différends dans le domaine de l’énergie lorsque le secteur visé est en amont ou en aval. La majorité de la documentation sur l’arbitrage traite du secteur en amont, là où l’exploitation et le développement prennent place. Ce secteur est dominé par les gouvernements qui régissent l’accès aux ressources du sol et les pétrolières multinationales qui extraient le pétrole et l’acheminent sur le marché. Ceci est le monde de l’arbitrage investisseur-État.
L’attention que ce segment reçoit n’est pas surprenante. Les recours à l’arbitrage investisseur-État sont le produit de la croissance rapide des traités visant à protéger les investisseurs. Il y a des traités multilatéraux tel que le Traité de la Charte de l’énergie et l’ALENA, mais aussi une multitude de traités bilatéraux entre différents pays.
Les cas d’investisseur-État mettent en jeu des sommes d’argent importantes– et font l’objet d’une grande attention médiatique. Bon nombre de litiges entre investisseur-État sont connus du public contrairement aux cas commerciaux. Un record a été atteint avec la récente décision Yukos1 : une réclamation de 114 milliards de dollars US où un montant de 60 milliards de dollars US a été octroyé, totalisant 70 millions de dollars US, une audience de 10 jours sur la compétence, une audience de 21 jours sur le bien-fondé du cas avec plus de 4 000 pages de plaidoyers écrits, 8 800 preuves matérielles et 2 700 pages de transcription. Bon nombre de ces causes prennent jusqu’à dix ans pour se régler. Ils font couler beaucoup d’encre et suscitent un grand intérêt.
Toutefois, pour chacun de ces cas investisseur-État, il y a dix affaires commerciales importantes d’arbitrage dans le secteur de l’énergie en aval. Ici, le centre de gravité n’est pas Londres, Stockholm ou Paris, c’est Houston ou Calgary. Plus de 90 sociétés énergétiques ont leur siège social à Calgary – Houston en compte trois fois plus. Il s’agit d’arbitrage entre les compagnies.
Dans le monde d’investisseur-État, l’arbitrage assure un traitement équitable et peut assurer l’exécution du jugement dans 140 pays signataires de la Convention de New York.2 Dans les situations d’arbitrage national en matière d’énergie, l’exécution et la neutralité ne posent pas problème. Les parties recherchent plutôt l’efficacité accrue qu’offre l’arbitrage, la confidentialité, le contrôle de l’échéancier et le choix des experts. Les cas nationaux d’arbitrage présentent un défi supplémentaire que ne posent pas les cas internationaux. Souvent, l’une des parties est réglementée, et ce, par un organisme indépendant.
Ces situations concernent la production d’électricité qui est constamment transportée au-delà des frontières étatiques, provinciales et des zones internationales. Il en va de même pour le gaz. Chaque producteur a besoin d’un transporteur pour acheminer cette électricité vers divers marchés, et au sein de ces marchés, d’autres entreprises distribuent l’énergie vers l’utilisateur final. Ces trois acteurs– producteurs, transporteurs et distributeurs – sont tous des services publics. Les services publics sont réglementés par le gouvernement, habituellement par une commission de réglementation indépendante. En Amérique du Nord, il peut s’agir de la commission d’un État ou d’une province ou d’une commission fédérale.
Ces services publics peuvent être des entités privés ou être la propriété de l’État. Peu importe qui en est le propriétaire, ils sont tous réglementés. Cette réglementation comprend les tarifs imposés aux consommateurs, la qualité du service et l’investissement de nouveaux actifs.
Le secteur des services publics compte également des milliers de contrats conclus avec des parties tierces pour la construction, l’exploitation d’installations de production et d’actifs de pipeline, le transport et la vente d’électricité et de gaz. Bon nombre de ces contrats contiennent des clauses d’arbitrage. Il arrive souvent que les litiges mettant en cause des services publics réglementés posent des problèmes particuliers pour les arbitres. Il peut y avoir des conflits en matière de compétence et des instances parallèles.
Compétence partagée
Aux États-Unis et au Canada, les tribunaux font preuve de déférence quant à la compétence des arbitres. Également, dans les deux pays, les tribunaux font également preuve de déférence quant aux organismes de réglementation, plus particulièrement ceux qui doivent réglementer des industries complexes d’une grande importance nationale. Cette déférence implique l’interprétation de la loi constitutive de l’organisme de réglementation en question.
Il peut ainsi en résulter des conflits entre les organismes de réglementation et les arbitres. Bon nombre de services publics réglementés contiennent des clauses d’arbitrage dans leurs contrats. Supposons qu’un service public réglementé qui a conclu un contrat avec un grand client commercial dispose d’une clause d’arbitrage relativement au prix, et supposons qu’il y a un litige concernant ce prix. Ce litige sera-t-il résolu devant un tribunal d’arbitrage ou devant l’organisme de réglementation? S’il est réglé devant le tribunal d’arbitrage, les principes de la loi sur les services publics s’appliqueront-ils?
La compétence de l’organisme de réglementation
Un tribunal ne dispose que des pouvoirs énoncés dans sa loi constitutive ou de ceux qui découlent implicitement « nécessaire » du libellé de la loi, sa structure et son but. La compétence de la Commission de l’énergie de l’Ontario peut établir des tarifs « justes et raisonnables » en vertu de l’article 36(2) de la Loi sur la Commission de l’énergie de l’Ontario de 1998 :
La Commission peut, par ordonnance, approuver ou fixer des tarifs justes et raisonnables pour la vente de gaz par les transporteurs, les distributeurs et les compagnies de stockage de gaz, ainsi que pour le transport, la distribution et le stockage de gaz.
Cette formulation est la norme dans toute réglementation visant les services publics. Il est généralement admis que la compétence d’un organisme de réglementation de l’énergie est très large dans le jugement d’Union Gas Ltd c le canton de Dawn, la Cour divisionnaire de l’Ontario en 1977 a précisé que :
Cette loi indique clairement que toutes les question relatives à la production, à la distribution, au transport ou au stockage de gaz naturel, y compris l’établissement des tarifs, l’emplacement des lignes et des dépendances, l’expropriation des terres et des servitudes nécessaires, relèvent de la compétence exclusive de la Commission de l’énergie de l’Ontario et ne sont pas assujetties à l’autorité législative des cours municipales en vertu de la Loi sur l’aménagement du territoire.
Ces questions doivent toutes être prises en considération à la lumière de l’intérêt du public et non d’intérêts locaux. Les mots « dans l’intérêt public » qui apparaissent par exemple à l’art. 40(8), à l’art. 41(3) et à l’art. 43(3), et que j’ai cités, semblent ne laisser aucun doute à savoir que c’est l’intérêt du public au sens large qui doit être servi3 [Traduction].
La même Cour en 2005 a rendu deux autres décisions importantes. La Cour a mentionné dans le cas de NRG que :
Le mandat de la Commission d’établir des tarifs justes et raisonnables en vertu de l’article 36(3) de la Loi sur la Commission de l’énergie de l’Ontario, 1998 n’est pas assujettie aux conditions de critères et doit être interprété de manière très large; la Commission a le droit express d’adopter toute méthode qu’elle considère appropriée4 [Traduction].
Dans l’affaire Enbridge, la Cour a conclu que la Commission, pour établir des tarifs justes et raisonnables, peut tenir compte des « grandes orientations des politiques publiques » :
[L]’expertise du tribunal en matière de réglementation n’est pas remise en question. Il s’agit d’un domaine d’expertise hautement spécialisé et technique. Il est également reconnu que les dispositions législatives sous-entendent la réglementation économique des ressources d’énergie, ce qui comprend d’établir des prix pour l’énergie qui sont justes pour les distributeurs et les fournisseurs, tout en représentant un coût raisonnable pour le consommateur, ce qui nécessitera bien souvent de soupeser des intérêts concurrentiels, en plus de tenir compte des grandes orientations des politiques publiques5 [Traduction].
La compétence de l’arbitre
Les arbitres tirent leur compétence de l’accord entre les parties contractantes. En l’absence de législation, il n’y a pas de compétence inhérente au tribunal. Selon la portée de la convention d’arbitrage, l’arbitre peut trancher des questions en matière de délit, de contrat ou d’équité, et dispose de tous les recours commerciaux prévus en droit et équité mis à la disposition d’un tribunal y compris le pouvoir de déclarer toute clause d’un contrat inconstitutionnelle.
En vertu de principes généralement reconnus, les arbitres ont le pouvoir de statuer sur leur propre compétence. On y réfère sous le principe de compétence-compétence. Un tribunal a la compétence de déterminer sa propre compétence6. Cette question est reconnue par la législation régissant la plupart des instances d’arbitrage ainsi que par les règles d’arbitrage utilisées par bon nombre d’institutions. Dans la Loi sur l’arbitrage de l’Ontario7, cette disposition se trouve à l’article 17.La disposition de l’Alberta Arbitration Act, se trouve également à l’article 17 8.
Ce ne sont pas tous les litiges qui peuvent être portés en arbitrage, si un élément est d’intérêt public : l’arbitrage peut être exclu. Les meilleurs exemples pourraient concerner les lois pénales et la fraude. Initialement, d’autres domaines comme le droit de la concurrence, la propriété intellectuelle et le droit des valeurs mobilières échappaient à l’arbitrage, mais la plupart de ces restrictions ont été exclues.
La compétence principale
En ce qui concerne l’arbitrage, la Federal Energy Regulatory Commission a élaboré les concepts de compétence principale et de compétence exclusive. À moins qu’elle ne se retrouve dans une situation où elle se doit d’exercer une compétence première ou exclusive, la Commission déférera sa compétence à un arbitre.
La question a été soulevée dans une décision de 2007 de la Commission concernant la California Water Resources9. Dans cette affaire, le California Department of Water Resources (California Water) poursuivait la Sempra Generation pour défaut contractuel. Sempra a omis de s’exécuter en vertu d’un contrat de vente d’énergie à long terme. California Water a réclamé plus de 100 millions de dollars US en fausses facturations.
L’affaire a été portée en arbitrage. Sempra a demandé que la réclamation soit rejetée au motif qu’elle était interdite par les principes de préemption fédérale et la doctrine des prix déposés.
Le conseil d’arbitrage a accueilli la requête de Sempra de rejeter la demande d’arbitrage, concluant que la Commission avait compétence exclusive sur la réclamation de la California Water. Le conseil d’arbitrage a conclu qu’il y avait un conflit entre la réclamation de California et le tarif approuvé par la Commission. Le conseil a renvoyé à la doctrine des prix déposés qui soutient que les contrats privés entre clients de services publics ne peuvent pas modifier les conditions de tarifs approuvés. California Water a répondu qu’il n’y avait pas de conflit entre ses réclamations et le tarif.
Dans sa décision, la Commission a d’abord déclaré, au paragraphe 32, que :
Dans un premier temps, nous soulignons que dans cette ordonnance nous ne rendons pas de décision quant à la validité de l’interprétation de la convention par CDWR, c.-à-d. que Sempra ne peut pas sciemment fixer des livraisons d’énergie à CDWR à des points de congestion. Les deux parties se sont entendues sur un arbitrage exécutoire pour régler leurs différends concernant le contrat et nous croyons que cela est approprié. CDWR souligne qu’il ne souhaite pas, par la pétition immédiate, renverser ou invalider la décision du conseil, et il n’est pas non plus dans l’intention de la Commission de laisser entendre cela dans cette ordonnance [Traduction].
La Commission a également déclaré, aux paragraphes 38 et 40, que :
CDWR soutient que la Commission a compétence exclusive, nonobstant un arbitrage exécutoire, que dans deux situations : (1) pour s’assurer que les tarifs sont justes et raisonnables et (2) pour s’assurer que les tarifs ne sont pas indûment discriminatoires. Il soutient que le différend concerne la conformité de Sempra aux conditions du contrat et qu’il ne cherche pas à modifier la convention ni à changer le tarif convenu dans le contrat et qu’il n’attaque aucune disposition concernant le tarif de CAISO. Par conséquent, il soutient qu’aucune compétence exclusive de la Commission n’empêche l’interprétation du contrat de procéder dans un forum n’incluant pas la Commission, c.-à-d. la procédure d’arbitrage convenue.
Ayant fait la déclaration ci-dessus selon quoi l’interprétation du contrat par CDWR n’est pas en conflit avec le tarif de CAISO ni la modification du contrat, nous nous penchons maintenant sur les questions de la compétence posées par la pétition de CDWR. La compétence exclusive de la Commission touche les questions qui relèvent clairement et uniquement du pouvoir conféré à la Commission par la loi. Le différend contractuel des parties ne concerne pas le tarif approprié pour le service offert à CDWR par Sempra. Il vise plutôt à savoir quel ajustement, s’il devait y en avoir un, est envisagé par les parties aux termes de leur convention concernant l’obligation de CDWR d’offrir le service dans les circonstances alléguées. Un tel recours ne sous-entend pas l’établissement d’un nouveau tarif juste et raisonnable en vertu de la convention ou du tarif de CAISO. Par conséquent, le différend contractuel des parties ne relève pas de la compétence exclusive de la Commission [Traduction].
La Commission a indiqué qu’elle n’exercerait pas sa compétence première entre California Water et Sempra Generation. Sempra a soutenu que même si la Commission concluait qu’elle avait compétence exclusive, elle devrait exercer la compétence première parce que la California Water a soulevé des questions concernant l’expertise de la Commission relativement à la gestion de congestion. La Commission a exprimé son désaccord aux paragraphes 44 et 45 :
Le différend entre CDWR et Sempra présente une question d’interprétation de contrat que nous avons tranchée ci-dessus comme ne relevant pas de la compétence exclusive de la Commission. L’exercice de la compétence concurrente par la Commission est laissé à sa discrétion. Comme la Commission l’a indiqué dans ses ordonnances antérieures, la décision à savoir si de tels cas doivent être considérés, tient habituellement compte des trois facteurs suivants : (a) la Commission possède-t-elle une expertise spéciale qui rendrait le cas particulièrement approprié pour elle de rendre la décision; (b) y a-t-il un besoin d’uniformité dans l’interprétation du type de question soulevée par le litige et (c) si l’affaire est important par rapport aux responsabilités réglementaires de la Commission. Tel qu’il est indiqué ci-dessous, compte tenu de ces trois facteurs, nous n’envisagerons pas d’assumer la compétence première sur un tel différend [Traduction].
Les faits avancés sont uniques aux parties. La résolution de ce différend n’est pas importante eu égard aux responsabilités réglementaires de cette Commission. La Commission ne possède pas d’expertise spéciale pour interpréter la convention ou prédire comment CDWR et Sempra ont eu l’intention de gérer la production décrémentée. L’intention des parties lorsqu’elles signent un contrat doit être déterminée au cas par cas, sans considération d’uniformité ou d’expertise technique qui, dans d’autres circonstances, pourrait nécessiter l’assertion de la compétence de la Commission. Par ailleurs, la politique de la Commission a toujours été d’encourager l’arbitrage lorsque cela est approprié10.
Cette décision est motivée par un raisonnement clair en respect des principes que les organismes de réglementation américains prennent en considération pour déterminer s’ils devaient ou non renvoyer la compétence devant un conseil d’arbitrage.
Il s’avère que les choses ne sont pas si différentes au Canada. Dans Storm Capital11, une décision de la Cour supérieure de l’Ontario, deux entreprises avaient amené un litige d’investissement en arbitrage. La question portait sur le calcul d’une commission d’intermédiaire. Le contrat prévoyait que l’intermédiaire soit enregistré auprès de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO).
L’arbitre a jugé que Storm Capital avait droit à une compensation. La partie adverse a présenté une requête pour rejeter la demande d’arbitrage aux motifs que l’arbitre eût commis des erreurs de droit et avait tranché sur des questions qui dépassaient la portée de la clause d’arbitrage. Le contrat prévoyait qu’un représentant de Storm Capital soit enregistré au titre de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario. L’arbitre a tranché cette question. Le demandeur alléguait que l’arbitre n’avait pas la compétence pour trancher cette question parce qu’il s’agissait d’une question de droit portant sur les valeurs mobilières relevant de la compétence exclusive de la CVMO.
La cour a déclaré aux paragraphes 57 et 58 :
Un arbitre nommé n’a pas de compétence qui lui propre. Sa compétence ne lui est conférée que par la convention entre des parties : voir Piazza Family Trust, au para 63. « Les parties à une convention d’arbitrage ont une autonomie presque absolue dans la détermination des différends qui pourraient faire l’objet d’une procédure d’arbitrage » : Desputeaux c Éditions Chouette (1987) inc. [2003] 1 RCS 178, 2003 CSC 17 au para 22. Un arbitre a l’autorité de trancher non seulement des différends que les parties amènent devant lui, mais également sur des questions qui sont étroitement ou intrinsèquement liées aux différends : Desputeaux, au para 35.
La politique publique en Ontario favorise le respect de la décision des parties d’aller en arbitrage. La Loi de 1991 sur l’arbitrage est « conçue… pour encourager les parties à s’en remettre à l’arbitrage pour régler leurs différends sur des questions commerciales et autres, et pour exiger qu’ils poursuivent cette voie une fois qu’ils s’y sont engagés » : Ontario Hydro c Denison Mines Ltd., [1992] JO no 2948 (Div. gén.), cité avec approbation dans Inforica Inc. C CGI Information Systems & Management Consultants Inc., 2009 ONCA 642 (CanLII), 97 RO (3e) 161, au para 14. Par conséquent, la Loi limite le pouvoir d’une cour d’intervenir dans le processus d’arbitrage ou le résultat : voir à titre d’exemple la Loi de 1991 sur l’arbitrage, art.6 (intervention limitée du tribunal judiciaire), art. 50(3) (exécution d’une sentence arbitrale à moins qu’une exception particulière ne soit satisfaite).
La cour a également déclaré au paragraphe 61 que si la législature souhaite exclure l’arbitrage, elle doit explicitement formuler son intention. Il ne suffit pas que le litige porté en arbitrage soit sujet à la réglementation ou qu’il concerne l’ordre public. La Cour a souscrit au raisonnement de la Cour suprême du Canada dans Desputeaux12 selon lequel les tribunaux doivent faire attention à ne pas interpréter certaines questions au sens large les exemptant de l’arbitrage simplement parce qu’elles concernent l’ordre public, minant l’intention du législateur à encourager l’arbitrage. La Cour de l’Ontario a également souligné qu’aucune disposition dans la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario ou autre loi n’interdit explicitement l’arbitrage relativement aux valeurs mobilières.
La Cour dans Storm Capital a également refusé de suivre la décision de la Cour divisionnaire de l’Ontario dans Manning13 selon quoi la CSO aurait une compétence exclusive sur certaines questions. Cette affaire concernait le pouvoir de retirer à une personne son exemption en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières. La Cour dans Storm Capital s’est distinguée de l’affaire Manning puisque Storm Capital n’avait pas invoqué l’exercice du pouvoir d’exécution de la Commission. L’arbitrage Storm Capital concernait un différend privé et ne liait pas de tierce partie, y compris la Commission. Par conséquent, la Cour a refusé d’écarter l’arbitrage.
Cette décision définit précisément les principes que suivront les tribunaux canadiens lorsqu’il y a conflit apparent entre la compétence d’un conseil d’arbitrage et la compétence d’une commission réglementaire. Bien que la terminologie soit différente que les causes américaines, celles-ci se rapprochent du principe. Par exemple, la décision reconnaît qu’il y a certaines questions pour lesquelles l’organisme de réglementation aurait la compétence première, comme dans un cas où une personne a été assujettie à la radiation du tableau de l’ordre par la Commission.
Par contre, en cas de litiges contractuels purement privés, le conseil d’arbitrage n’empiète pas sur la compétence d’une commission. Qui plus est, la décision Storm indique clairement que si la compétence d’un organisme de réglementation doit prévaloir à celle d’un arbitre, il doit y avoir un fondement législatif explicite pour que cette compétence soit exclusive. Ce point est important.
Déférence face aux organismes de réglementation
Le concept de déférence aux organismes de réglementation est très bien compris. Pendant des années, les tribunaux au Canada14 et aux États-Unis15 ont maintenu que les lois en matière d’anti-trust et de concurrence ne devraient pas être appliquées aux industries assujetties à une réglementation dont l’exécution est assurée par une autorité gouvernementale. Le motif est en partie constitutionnel, mais reflète la politique des tribunaux de faire preuve de déférence face aux tribunaux spécialisés.
L’essentiel ici, par conséquent, est que la Commission a le dessus en matière d’interprétation : à l’examen du caractère raisonnable, nous déférons à toute interprétation raisonnable adoptée par un décideur administratif, même si d’autres interprétations raisonnables existent. Parce que le législateur a chargé le décideur administratif plutôt que les tribunaux « d’administrer et d’appliquer » sa loi constitutive (Pezim, à la p 596), c’est donc le décideur, d’abord et avant tout, qui a la discrétion de régler toute incertitude législative en interprétant le libellé raisonnablement. La déférence judiciaire dans de telles instances est en soi un principe moderne d’interprétation législative.
Par conséquent, il incombe à l’appelant non seulement de montrer que son interprétation est raisonnable, mais aussi que l’interprétation de la Commission est déraisonnable, ce qu’elle n’a pas fait en l’espèce. Ici, la Commission, forte de son expertise, a choisi une interprétation. Et, parce qu’il n’a pas été démontré que cette interprétation est déraisonnable, il n’y a aucune raison pour nous d’intervenir au niveau du contrôle judiciaire – même en présence d’une interprétation raisonnable concurrente [Traduction].
En 2013, la Cour suprême du Canada, dans une affaire concernant la British Columbia Securities Commission16, a fait mention de la déférence que les cours devraient faire preuve aux tribunaux spécialisés. Le principe selon lequel les autorités anti-trust en Amérique du Nord déféreront aux organismes de réglementation ne date pas d’hier, mais la plus récente décision Trinko y fait contraste. Là, la Cour suprême des États-Unis mentionne qu’elle doutait que la Cour n’ait jamais reconnu la doctrine des mécanismes essentiels de la loi anti-trust mais, quoi qu’il en soit, elle ne devrait pas s’appliquer lorsqu’un organisme de réglementation peut imposer et contrôler les conditions d’entrée sur le marché.
Cette cause concernait un service public, Verizon Communications. Bien que l’affaire ait porté sur la déférence d’un organisme de réglementation en particulier, un principe similaire pourrait aussi bien s’appliquer à l’arbitre du secteur en question. En Amérique du Nord, tout organisme de réglementation d’électricité délivre un permis à tout producteur, transporteur et distributeur d’électricité. En bref, l’organisme de réglementation impose les conditions et contrôle l’entrée sur le marché.
Le concept de déférence aux organismes réglementaire a vu le jour en 1984 dans Chevron17, une décision de la Cour suprême des États-Unis. L’année suivante, la Cour d’appel de l’Alberta a soulevé une question similaire concernant la Commission des valeurs mobilières de l’Alberta18 dans la décision Mclean.
La Commission est un tribunal spécialisé, chargé de l’administration de la Loi. La norme de contrôle judiciaire de ses décisions est probablement le caractère raisonnable, plus particulièrement lorsque la question porte sur l’interprétation de sa loi habilitante (ou « constitutive »). Ses constatations de fait, ses constatations mixtes de fait et de droit ainsi que ses conclusions quant à la crédibilité méritent également la déférence, et ne seront pas infirmées sur appel à moins qu’elles ne présentent une erreur manifeste : Alberta (Commission des valeurs mobilières) c Workum, 2010 CAAB 405 (CanLII) aux paras 26-7, 41 RL Alta (5e) 48, 493 AR 1; Ironside c Alberta (Commission des valeurs mobilières), 2009 CAAB 134 (CanLII) aux paras 26-8, 11 RL Alta (5e) 27, 454 AR 285; Smith c Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7 (CanLII) [2011] 1 RCS 160 au para 26, . Toutefois, la déférence dans la constatation de fait n’est pas la même chose que l’immunité en matière de contrôle judiciaire : H.L. c Canada (procureur général), 2005 CSC 25 (CanLII) aux paras 73, 75, [2005] 1 RCS 401; R. c Regan, 2002 CSC 12 (CanLII) au para 118, [2002] 1 RCS 297; Wilde c Archean Energy Ltd., 2007 CAAB 385 (CanLII) au para 102, 82 RL Alta (4e) 203, 422 AR 41; General Motors of Canada Ltd. c Johnson, 2013 ONCA 502 (CanLII) au paras 51,116 RO (3e) 457 [Traduction].
Déférence aux arbitres
Le concept de déférence aux arbitres remonte à la décision Mercury Construction19 de la Cour suprême des États-Unis en 1983, où la Cour a simplement déclaré que « tout doute concernant la portée d’un arbitrage devrait être interprété en faveur de l’arbitrage ». Cet argument a été repris par la plus haute cour du Canada en 2007 dans Dell Computers20. Dans Ontario Hydro21, une affaire canadienne d’arbitrage en matière d’énergie, la Cour supérieure de l’Ontario a déclaré ce qui suit :
La Loi encourage les parties à faire appel à l’arbitrage et exige d’elles de poursuivre la voie empruntée lorsqu’elles ont accepté de le faire et enchâsser la primauté de l’arbitrage dans les poursuites judiciaires en enjoignant de façon générale la cour de ne pas intervenir [Traduction].
Dans une affaire d’arbitrage américain en matière d’énergie, Bangor Gas22, la Cour d’appel des États-Unis pour le Premier circuit a déclaré :
Nous revoyons la décision de la cour de district de novo, mais notre examen de la sentence arbitrale en soi est « extrêmement étroite et d’une référence excessive ». Bull HN Info. Sys., Inc. v. Hutson, 229 F.3d 321, 330 (1er Circ. 2000) (citant Wheelabrator Envirotech Operating Servs. Inc. v Mass. Laborers Dist. Council Local 1144, 88 F.3d 40, 43 (1er Circ. 1996)). La FAA « incarne une politique nationale qui favorise l’arbitrage », Buckeye Check Cashing, Inc. v Cardegna, 546 U.S. 440, 443 (2006), et n’offre à une cour fédérale qu’un ensemble restreint de motifs pour annuler une décision :
(1) lorsque la décision a été obtenue par corruption, fraude ou moyens abusifs;
(2) lorsqu’il y a eu partialité ou corruption évidente des arbitres, ou de l’un ou l’autre;
(3) lorsque les arbitres ont été reconnus coupables de mauvaises conduites en refusant de reporter une audience, même si des motifs suffisants ont été invoqués, ou en refusant d’entendre une preuve matérielle pertinente concernant la controverse; ou de toute autre inconduite ayant causé préjudice aux droits garantis des parties;
(4) lorsque les arbitres outrepassent leurs pouvoirs ou ont exercé ceux-ci d’une manière si imparfaite qu’une décision mutuelle, finale et définie en la matière n’a pu être prise. 9 U.S.C. § 10(a).
De plus, dans le passé cette cour a reconnu un principe de common law pour annuler des sentences arbitrales qui allaient « manifestement à l’encontre de la loi », McCarthy v Citigroup Global Mkts. Inc., 463 F.3d 87, 91 (1er Circ. 2006) (citant Wonderland Greyhound Park, -10- Inc. V Autotote Sys., Inc., 274 F.3d 34, 35 (1er Circ. 2001), tout en limitant cette notion principalement aux causes dans lesquelles la décision ne concorde pas avec le langage clair du contrat ou « l’arbitre a reconnu la loi applicable, mais l’a ignorée ». Gupta v Cisco Sys., Inc., 274 F.3d 1, 3 (1er Circ. 2001). La doctrine de la méconnaissance manifeste a été remise en question dans Hall Street Associates, L.L.C. v Mattel, Inc., 552 U.S. 576 (2008), où la Cour suprême a soutenu que « [9 U.S.C. § 10]… donne à la FAA des motifs exclusifs pour une annulation accélérée ». Id. à 584 (c’est nous qui soulignons), ce qui a entraîné une division au sein du circuit, 3 avec la présente cour soulignant (bien qu’in dicta) que « la méconnaissance manifeste de la loi n’est pas un motif valable pour annuler ou modifier une sentence arbitrale dans les causes déposées en vertu de la Federal Arbitration Act », Ramos-Santiago v United Parcel Serv., 524 F.3d 120, 124 n.3 (1er Circ. 2008).
Même si la doctrine de méconnaissance manifeste devait survivre et était appliquée dans la présente cause, la décision n’est pas en conflit avec Compare Wachovia Secs., LLC v Brand, 671 F.3d 472, 480 (4e 3 Circ. 2012) (reconnaissant la validité continue de la doctrine de méconnaissance manifeste), Johnson v Wells Fargo Home Mortgage, Inc., 635 F.3d 401, 415 n.11 (9e Circ. 2011) (idem), Stolt-Nielsen SA v. AnimalFeeds Int’l Corp., 548 F.3d 85, 94 (2e Circ. 2008), rév. pour d’autres motifs, 130 CS 1758 (2010) (idem), et Coffee Beanery, Ltd. v. WW, L.L.C., 300 app. féd. 415, 418 (6e Circ. 2008) (avis non publié) (idem), avec Frazier v CitiFinancial Corp., 604 F.3d 1313, 1324 (11e Circ. 2010) (rejetant la doctrine de méconnaissance manifeste comme étant invalide), Citigroup Global Mkts., Inc. v. Bacon, 562 F.3d 349, 350 (5e Circ. 2009) (idem), et Crawford Grp., Inc. V Holekamp, 543 F.3d 971, 976 (8e Circ. 2008) (idem). -11- avec le langage clair de la convention et non pas que les arbitres ont reconnu la loi applicable mais l’ont ignorée. Le conseil a réglé ce qui, au mieux, est un désaccord quant à la façon dont un contrat d’importance devrait être interprété et harmonisé avec la doctrine de la FERC sur la capacité de location. En vertu de précédents établis, une décision de la FAA ne peut pas être infirmée en raison d’un simple désaccord entre la cour avec le conseil sur une question discutable sujette à débat, Advest, Inc. v. McCarthy, 914 F.2d 6, 9 (1er Circ. 1990); et dans cette instance la sentence arbitrale du conseil est, de notre avis, entièrement raisonnable [Traduction].
Dans une affaire d’arbitrage de l’Alberta en matière d’énergie, la Cour d’appel de l’Alberta a déclaré ce qui suit :
En matière de droit et de politique, le rôle des tribunaux quand à l’arbitrage est de ne pas intervenir. L’objectif du législateur concernant l’arbitrage et de la jurisprudence qui l’interprète est de favoriser l’adhésion aux conventions d’arbitrage, l’efficacité et l’équité et aussi de donner une crédibilité à un important processus de résolution de différends. Les tribunaux ont la directive d’être attentifs à cet objectif très important dans tout exercice discrétionnaire23.
Instances parallèles
La décision de la FERC dans California Water abordée plus haut précise que les organismes de réglementation vont s’en remettre aux arbitres à moins que la question ne relève de la compétence exclusive de la Commission. Dans la décision Central Alberta Rural Electrification24 ,la décision de la Commission des valeurs mobilières de l’Alberta, qui sera abordée dans la prochaine section, la Commission a exercé sa compétence malgré le fait qu’une sentence arbitrale avait été rendue. Toutefois, la Commission a conclu que l’arbitre n’avait pas tenu compte de l’incidence de la loi sur la sentence, mais seulement des modalités du contrat. Dans la section précédente, nous avons exposé les grandes lignes de la compétence des arbitres et des organismes de réglementation.
Les deux disposent d’une compétence considérable et d’une grande souplesse. Certaines causes sont jugées simultanément devant des arbitres et des organismes de réglementation et concernent sensiblement les mêmes questions. Dans certains cas, une instance entamera le processus et le deuxième conseil devra tenir compte de la res judicata et parfois faire face à des injonctions anti-poursuite ou anti-arbitrage.
Comme il a été indiqué précédemment, les tribunaux ont, au cours des années, élaboré un ensemble de lois qui établit clairement en matière de politique publique qu’ils feront preuve de déférer à l’égard des arbitres lorsque cela sera possible. Et, dans une moindre mesure, les tribunaux au cours des dix dernières années ont élaboré une politique de déférence aux organismes de réglementation spécialisés dans des questions techniques.
Les deux décisions examinées ci-dessous indiquent que les organismes de réglementation ont également élaboré une politique de déférence aux arbitres lorsque cela est possible.
Procédures différentes
La possibilité d’avoir des instances parallèles dépendra des différences dans les procédures choisies par les arbitres et les organismes de réglementation. À bien des égards, les deux tribunaux fonctionnement de manière semblable. Ni l’un ni l’autre n’est limité par des règles de la preuve. La principale différence est que les pouvoirs du tribunal réglementaire lui sont conférés par la loi, alors que celui du tribunal d’arbitrage lui est conféré conventionnellement.
Les recours qu’offrent les deux tribunaux sont similaires; la principale différence est qu’un tribunal d’arbitrage ne peut pas imposer d’amendes. Également, les tierces parties ne peuvent d’intervenir. Dans les cas d’arbitrage, il s’agit principalement de dossiers amicus, que nous avons vus dans bon nombre de tribunaux de l’ALENA25. Ceux-ci se limitent généralement à des arguments écrits. Les arguments oraux et l’accès aux documents ne sont pas permis. La situation est bien différente devant une audience réglementaire. Des tierces parties peuvent intervenir sans problème si elles établissent qu’elles sont directement touchées26. Dans de rares cas, la portée de l’intervention peut être limitée27, mais de façon générale, toutes les parties sont traitées de façon équitable.
Une autre différence réside dans la portée de la divulgation. Elle est très large dans le cas d’audience règlementaire et limitée en arbitrage. De plus, l’arbitrage est par sa nature privé et confidentiel. En revanche, les audiences réglementaires sont publiques et habituellement déclenchées par avis public dans les journaux et en ligne28. Un organisme de réglementation a également la capacité de regrouper différentes instances, ce que les arbitres ne peuvent pas se permettre. La différence dans les procédures met en lumière une différence au niveau de l’objectif. Un processus a pour but de régler des litiges privés et l’autre, des différents publics.
Cela peut inciter les parties en arbitrage à porter leur différend devant l’organisme de réglementation si elles n’obtiennent pas le résultat souhaité en arbitrage, ce qui mène à la question dans la prochaine section : les organismes de réglementation sont-ils liés par l’autorité de la chose jugée ?
Res judicata (autorité de la chose jugée)
Il est maintenant reconnu que les sentences arbitrales ont autorité de la chose jugée. Il en va de même des décisions règlementaires29. Aux États-Unis, les sentences d’arbitrage ont un effet d’autorité de la chose jugée, ce qui comprend l’estoppel accessoire30. L’effet exécutoire d’une sentence arbitrage est assuré par des règles institutionnelles, y compris l’article 28 (6) des règles de la CCI, l’article 26.9 des règles de la CAIL, l’article 32 (2) des règles de la CNUDCI ainsi que l’article III de la Convention de New York.
Un arbitre qui rend une décision en contravention de la res judicata risque de voir la décision infirmée parce qu’il a outrepassé ses pouvoirs étant devenus functus en raison de la première décision ou parce que ses motifs contredisent ceux de la première décision.
Cela a probablement été pris en compte dans la décision de 2012 de la Commission des valeurs mobilières de l’Alberta dans Central Alberta Rural Electrification31, dans laquelle deux parties revendiquaient le droit de desservir en électricité des clients sur le même territoire. Les parties étaient liés par un contrat contenant une clause d’arbitrage, ils s’en sont prévalus. La cause a été entendue et le tribunal a tranché en faveur d’une des parties. La partie perdante a ensuite introduit une requête pour porter la sentence arbitrale en appel.
L’autre partie a présenté une requête devant la Commission des services publics lui demandant de trancher sur la question. Avant que la Commission ne puisse rendre sa décision, la Cour avait entendu la requête d’autorisation d’interjeter appel, mais n’avait pas rendu de décision. Dans ces circonstances, la Commission de l’Alberta s’est demandé si l’autorité de la chose jugée ou par estoppel la Commission ne pouvait pas rendre une décision sur la même question en litige.
La Commission a fait valoir que la Cour suprême du Canada dans Danyluk avait souligné que l’autorité de la chose jugée pouvait s’appliquer aux questions administratives. La Commission a ensuite procédé à l’analyse des conditions préalables à l’exécution de la préclusion pour la même question en litige, notamment : que la même question soit tranchée; que la décision créant l’estoppel était finale et que les parties aux deux instances sont les mêmes. La Commission a souligné que l’application du principe d’estoppel est toujours discrétionnaire, déclarant au paragraphe 33 :
Les règles régissant la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne doivent pas être appliquées machinalement. L’objectif fondamental est d’établir l’équilibre entre l’intérêt public qui consiste à assurer le caractère définitif des litiges et l’autre intérêt public qui est d’assurer que, dans une affaire donnée, justice soit rendue. (Il existe des intérêts privés correspondants.) Il s’agit, au cours de la première étape, de déterminer si le requérant (en l’occurrence l’intimée) a établi l’existence des conditions d’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée énoncées par le juge Dickson dans l’arrêt Angle, précité. Dans l’affirmative, la cour doit ensuite se demander, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, si cette forme de préclusion devrait être appliquée : British Columbia (Minister of Forests) c. Bugbusters Pest Management Inc. (1998), 1998 CanLII 6467 (BC CA), 50 B.C.L.R. (3d) 1 (C.A.), par. 32; Schweneke c. Ontario (2000), 2000 CanLII 5655 (ON CA), 47 O.R. (3d) 97 (C.A.), par. 38-39; Braithwaite c. Nova Scotia Public Service Long Term Disability Plan Trust Fund (1999), 1999 CanLII 4553 (NS CA), 176 N.S.R. (2d) 173 (C.A.), par. 56.
La Commission de l’Alberta a conclu que les deux premières conditions préalables n’avaient pas été remplies. Il est clair que dans la requête d’appel les arbitres, pour déterminer la question, ne se sont pas concentrés sur le cadre législatif. La Commission a plutôt conclu que les arbitres s’étaient concentrés uniquement sur l’interprétation du contrat. Par conséquent, la Commission a jugé que la question portée devant la Commission n’avait pas été déterminée par les arbitres et que l’autorité de la chose jugée ne s’appliquait pas.
La Commission a souligné que l’appel n’était qu’à ses débuts, aucun jugement sur le bien-fondé n’a été rendu, et une partie avait insisté sur l’urgence d’obtenir une décision de la part de la Commission.
Pour terminer, la Commission s’est référé à McKinley32, une décision de la Colombie-Britannique comme faisant autorité pour la prémisse que différentes conclusions ne sont pas fatales.
Rejet
L’organisme de réglementation dispose d’autres outils auxquels les arbitres n’ont pas accès. Un organisme de réglementation n’est pas lié par une sentence arbitrale et appliquera souvent un critère différent – un critère d’intérêt public. Par exemple, pour déterminer les coûts, un organisme de réglementation prendra en considération les répercussions sur les contribuables. De son côté, l’arbitre ne tiendra probablement compte que des répercussions sur les parties.
Le meilleur exemple de ce principe repose sur deux décisions récentes – une de l’Ontario33 et une de l’Alberta34 – dans lesquelles l’organisme de réglementation a refusé d’accepter comme coût pour établir un tarif la décision d’un arbitre indépendant.
Dans Power Workers, la Commission de l’énergie de l’Ontario a refusé à l’Ontario Power Generation le recouvrement de 145 millions de dollars canadiens en coûts de main-d’œuvre. Ces coûts découlaient d’une convention collective que le service public avait conclue avec le syndicat deux ans auparavant. Pour conclure cette convention, les parties avaient eu recours à un arbitre indépendant.
Le syndicat et le service public ont fait valoir que la Commission était tenue de présumer que les coûts d’indemnisation étaient prudents. La Commission a rejeté cet argument et a déterminé qu’elle pouvait avoir recours à des études d’étalonnage comparant les coûts de main-d’œuvre d’OPG avec les coûts à d’autres services publics. Les études d’étalonnage avaient été commandées par la Commission dans une affaire antérieure concernant des tarifs. En raison de cette analyse, la Commission a rejeté les coûts de main-d’œuvre de 145 millions de dollars canadiens.
La Commission a reconnu les contraintes imposées à OPG, mais elle a tout de même soutenu que les coûts assumés par les contribuables devaient être raisonnables. Un appel devant la Cour divisionnaire de l’Ontario a maintenu la réduction de 145 $ CA, soulignant que la Commission devait avoir la liberté de réexaminer les dispositions d’indemnisation courantes afin de protéger l’intérêt public. Cette décision a été infirmée par la Cour d’appel de l’Ontario, qui a soutenu que les coûts étaient des coûts de structure fixés par des conventions collectives et que la Commission avait enfreint un principe fondamental du critère de prudence, soit que la détermination à savoir si une décision d’investissement ou de dépense avait été prudente devait être fondée sur les faits disponibles à ce moment. La Commission ne peut pas utiliser d’arguments à posteriori.
L’affaire ATCO en Alberta est similaire à la cause Power Workers. Dans la cause de l’Alberta, le service public avait demandé à la Commission des services publics d’approuver des frais spéciaux aux contribuables qui seraient assumés par une obligation non capitalisée de régime de retraite de 157 millions de dollars canadiens. Ces coûts comprenaient une indemnité de vie qui était établie d’avance chaque année par un administrateur indépendant. L’indemnité était établie à 100 p. de l’indice des prix à la consommation (IPC). Comme dans Power Workers, le service public de l’Alberta a fait valoir qu’il s’agissait d’un coût de structure établi par une autorité indépendante et ainsi être une dépense prudente par le service public. La Commission de l’Alberta en a jugé autrement et a réduit l’indemnité de vie à 50 p. 100 de l’IPC.
En rejetant une partie des dépenses, la Commission a invoqué qu’une indexation égale à 100 p. de l’IPC était élevée selon les normes de l’industrie. Le service public a porté la cause en appel, la Cour d’appel de l’Alberta a confirmé la décision de la Commission.
La décision de l’ATCO et la décision Power Workers ont toutes deux été portées en appel devant la Cour suprême du Canada. Elles ont été entendues conjointement en 2015 et la Cour a confirmé la décision de l’organisme de réglementation. 35
Il y a un important motif de non-application dans ce domaine : il y a tout un ensemble de lois sur les services publics qui régissent une grande partie de ce que les services publics font. Il peut être soutenu que les arbitres devraient appliquer la loi. Si les arbitres omettent d’appliquer cette loi, s’agit-il de « méconnaissance manifeste » de la loi? Ce concept est plus commun aux États-Unis qu’au Canada.
La Cour suprême des États-Unis, a laissé entendre dans Hall Street Associates36, une décision de 2008 que la doctrine de méconnaissance manifeste ne serait plus pertinente, même aux États-Unis. La question à savoir si les tribunaux réviseront une sentence arbitrale où l’arbitre a omis d’analyser la loi appropriée a été soulevée dans des affaires en droit de la concurrence. À une certaine époque, les tribunaux étaient prêts à s’engager dans un tel exercice; toutefois, plus récemment comme Baxter International37 et Union Pacific Resources38 suggère que cela est peu probable à moins qu’il ne s’agisse d’une erreur manifeste ou d’une sentence arbitraire ou capricieuse. Au Canada, la récente décision de la Cour suprême du Canada dans Sattva Capital39 limite considérablement les appels de sentences arbitrales en général.
Toutefois, la question demeure. Il pourrait y avoir une catégorie spéciale de cas d’arbitrage mettant en cause des services publics réglementés qui mériteraient une attention particulière de la part des tribunaux. La règle générale ne s’appliquerait peut-être pas dans ces cas. Cette situation n’est pas sans rappeler celle à laquelle a fait face la Federal Power Commission dans Gulf States40. Cela concernait le financement d’un service public. Les investisseurs soutenaient que le financement aurait un effet anticoncurrentiel et que la Commission devrait appliquer les lois anti-trust. La Commission a refusé, alléguant que ces lois n’étaient pas pertinentes.
La Cour suprême des États-Unis a infirmé la décision de la Commission, indiquant que la Commission ne pouvait pas considérer ces lois comme non pertinentes parce qu’elle avait un large pouvoir pour prendre en considération une conduite anticoncurrentielle qui affectés l’intérêt public. Cela concernait un organisme de réglementation, mais il n’y a aucune raison que ce principe ne s’applique pas à un arbitre faisant face à une situation similaire.
Parallèlement, la Cour européenne de justice dans Eco Swiss41 a statué qu’une cour nationale devait accueillir une demande d’annulation si elle jugeait qu’une décision était contraire à la loi européenne en matière de concurrence. Cette affaire est interprétée comme signifiant qu’un conseil d’arbitrage a l’obligation d’appliquer la loi sur la concurrence et que l’omission pourrait constituer une violation de la politique publique et un motif de non-exécution. Une approche semblable a été adoptée par les tribunaux anglais dans ET Plus SA v Welter42. Les cas d’arbitrage concernant des services publics réglementés entrent probablement dans cette catégorie. Même si les tribunaux n’interviennent pas, les organismes de réglementation le peuvent.
Conclusion
La question fondamentale que soulève cet article consiste à savoir si les litiges concernant un service public réglementé devaient être soumis à l’arbitrage, et si tel est le cas, dans quelle mesure? Y a-t-il une ligne de démarcation?
Au cours des 10 dernières années, les tribunaux nord-américains ont systématiquement fait preuve de déférence en laissant les organismes de réglementation et les arbitres tranchés les différends. La justification étant, dans les deux cas, de permettre une efficacité accrue. Les tribunaux reconnaissent que le législateur a doté les organismes de réglementation d’une expertise spéciale pour trancher un catégorie étroite et définie de questions. Les plus hautes instances au Canada et aux États-Unis ont toujours déclaré que, dans la mesure du possible, la cour devrait déférer à ces organismes de réglementation, non seulement pour les questions de fait, mais aussi pour l’interprétation de leur loi constitutive.
Parallèlement, les tribunaux au Canada et aux États-Unis ont établi que pour l’intérêt public, les tribunaux devraient dans la mesure du possible, déférer aux arbitres.
Le défi auquel nous sommes confrontés en ce qui concerne le choix à faire entre organismes de réglementation et l’arbitrage dans le domaine de l’énergie réside dans le fait que nous disposons de deux tribunaux spécialisés qui ont tous deux un haut niveau d’expertise. Dans le secteur de l’énergie, le fondement en faveur de l’arbitrage est différent de celle du secteur en aval.
Nous faisons face à un dilemme intéressant. Nous avons deux décideurs : les deux ayant un haut niveau d’expertise, mais nous ne pouvons pas dire à qui déférer en premier pour des raisons d’expertise, ni que l’un est plus efficace que l’autre. L’arbitrage et les organismes de réglementation sous-entendent des procédures différentes. La procédure de réglementation est plus longue, mais répond mieux aux exigences domaine énergétique afin d’avoir une perspective qui prend compte de l’intérêt public de la part des différentes parties. Cela n’est pas le cas de l’arbitrage. L’arbitrage est essentiellement un mode de résolution de différends privés réglés au moyen d’un processus plus rationalisé qui laisse peu de place à l’intervention de tierces parties.
Chacun reconnait que les instances parallèles ne sont pas dans l’intérêt public – elles ne font que prolonger le processus et produisent des décisions contradictoires. Dans une certaine mesure, nous avons déjà fait face à cette question dans le passé. Au cours de la dernière décennie, les tribunaux se sont butés à cette question à savoir si l’arbitrage devait être permis dans les domaines du droit de la concurrence, des lois sur les valeurs mobilières et de la propriété intellectuelle. La question entourant le droit de la concurrence a été réglée par la Cour suprême des États-Unis dans l’affaire Mitsubishi43. Par la suite, les tribunaux ont appliqué le principe dégagé aux valeurs mobilières et à la propriété intellectuelle.
Ceux-ci sont tous des domaines spécialisés avec une importante composante d’intérêt public. Initialement, ce fut cette composante qui mena les tribunaux à adopter le point de vue que les questions ne devraient pas être toutes soumises à l’arbitrage. Cette position a depuis été abandonnée partout en Amérique du Nord.
Il serait plus facile d’avance la possibilité que si l’arbitrage est une option en droit de la concurrence, pourquoi ne le serait-il pas aussi en réglementation énergétique. Toutefois, il y a une différence significative entre les deux régimes législatifs. Le droit de la concurrence est constitué de lois d’application générale. Elles s’appliquent à toutes les entreprises sur le marché. Les lois en matière de concurrence ont été conçues pour éliminer les monopoles, qu’il résulte de fusions, de la fixation de prix ou d’autres pratiques.
Les institutions règlementées sont différentes : elles sont des monopoles. Elles ne sont pas assujetties à la loi sur la concurrence. Il y a un prix à payer toutefois : elles deviennent assujetties à des lois et organismes de règlementation spécifiques. De tous les secteurs règlementés dans l’économie d’aujourd’hui, le secteur énergétique est le plus complexe. Non seulement les services publics sont- règlementés, mais ils doivent aussi être autorisés par l’organisme de règlementation à mener leurs activités.
Il y a très peu de domaines interdits aux arbitres – toutefois le droit criminel en serait un. Il y a aussi des domaines devant lesquels les arbitres devraient s’aventurer avec prudence. Aux États-Unis, l’organisme de règlementation fédéral en l’énergie a la compétence exclusive dans certains domaines et la compétence première dans d’autres, ce qui soulève une autre question : lorsqu’il n’y a pas compétence exclusive, l’arbitre a-t-il une obligation spéciale de considérer un ensemble de lois particulier? Dans ce cas, il s’agirait de la loi sur les services publics.
Toutefois, la récente décision de la Cour suprême du Canada dans Power Workers suggère que la loi ne lierait pas les organismes de réglementation, encore moins les arbitres. Cette question est plus compliquée en matière d’énergie qu’en matière de concurrence. Il est clair que dans le domaine de la réglementation de l’énergie certaines questions ne devraient pas être soumises à l’arbitrage.
Les tribunaux et organismes de réglementation américains parlent alors de compétence exclusive ou première des organismes de réglementation de l’énergie. La situation américaine énergétique, renvoie au concept de la doctrine des prix déposés, que nous avons examinée plus haut dans l’affaire de la California Water. La doctrine signifie tout simplement que si une commission approuve un prix, le service public ne peut pas instaurer un autre prix par entente privée, c’estàdire qu’un service public ne peut pas renoncer conventionnellement aux dispositions de la réglementation. Dans California Water, la Commission a déféré à l’arbitre parce qu’elle avait conclu que la question devant elle constituait un différend contractuel privé qui ne concernait pas un tarif approuvé. Toutefois, s’il y avait eu un tarif, le résultat aurait été différent. La question aurait relevé de la compétence exclusive de l’organisme de réglementation.
Tous les organismes de réglementation en Amérique du Nord ont, comme mandat conféré par la loi, la responsabilité d’établir des tarifs justes et raisonnables. Ceux-ci sont des organismes gouvernementaux chargés d’y exécuter le mandat spécifique. Une fois les tarifs établis, les parties privées liées à une clause d’arbitrage ne peuvent y faire obstacle. Ce principe s’applique même si un service public réglementé n’est pas l’une des parties en cause.
Sur cette question, la jurisprudence canadienne suit une logique légèrement différente. Dans Storm Capital, une décision de l’Ontario examinée plus haut, la cour a déclaré que l’organisme de réglementation n’aurait la compétence exclusive que si les lois le prévoyaient expressément. La Cour suprême du Canada a adopté cette position dans Desputeaux, où le défendeur a fait valoir que la Loi sur le droit d’auteur donnait à la cour le pouvoir exclusif de trancher les questions relatives au droit d’auteur. La Cour a rejeté cet argument au motif qu’il n’y avait pas de disposition au libellé explicite prévu à cet effet.
La Commission de l’Alberta a soutenu dans Rural Electrification que l’organisme de réglementation pouvait trancher la question malgré l’existence d’une sentence arbitrale. Sa justification était que la question devant l’organisme de réglementation était l’interprétation de la loi réglementaire. L’arbitre n’avait pas été saisi de cette question.
`Il ne s’agit ici que d’une reformulation de principe américain de la compétence première ou exclusive. Les lois de nature réglementaires sont différences des lois ordinaires parce qu’un organisme de réglementation a été explicitement autorisé par le législateur d’exécuter cette loi particulière. Cette situation prévaut également en droit de la concurrence. Mais il y a une différence : les organismes de réglementation de l’énergie ont une compétence particulière sur des entités précises. Dans la majorité des cas, les organismes de réglementation délivrent une licence aux entreprises pour qu’elles puissent mener leurs activités, puis ces activités sont surveillés par des organismes de réglementation. Dans la plupart des cas, les organismes de réglementation établissent contractuellement un territoire exclusif où le service public exercera son monopole, ce qui n’est pas le cas en droit de la concurrence.
Quels sont donc les pôles d’expertises qui relèvent de la compétence exclusive d’un organisme de réglementation du secteur de l’énergie? La réponse la plus simple pourrait être que les questions dont l’organisme de réglementation a rendu une ordonnance particulière et qui concerneraient, entre autres, les taux et les prix que peut exiger le service public serait assujettis.
La ligne de démarcation n’est jamais bien claire, c’est pourquoi cette question requiert une analyse au cas par cas.
L’accès aux installations essentielles en est un exemple. Il s’agit d’un principe fondamental de la loi sur les services publics et d’une obligation claire pour un service public réglementé. Mais il s’agit également d’un principe général du droit de la concurrence. Cette question a souvent été soulevée dans des cas de fusion en droit de la concurrence.
En fait, lorsqu’elles ont réglé ces cas par ordonnance sur consentement, les autorités en matière de concurrence ont souvent prévu l’arbitrage dans les ententes de règlement concernant un différend à savoir si l’accès avait été accordé adéquatement. C’est ce qu’ont fait les autorités anti-trust américaines dans les affaires de fusion El Paso Energy44 et DTE Energy45. Les autorités canadiennes l’ont fait pour les fusions Air Canada46 et United Grain Growers47. Il n’y a aucune raison pour laquelle ces différends ne pourraient pas relever de la compétence d’un arbitre.
Un domaine en dehors du champ de compétence les arbitres concernerait probablement les différends relatifs aux contrats de franchise. Ceux-ci sont souvent octroyés par les municipalités et approuvés par l’organisme de réglementation et ont habituellement une durée de 20 ans, mais les organismes de réglementation peuvent réduire ou ont déjà réduit cette durée lorsqu’ils estimaient que le service public n’offrait plus le niveau de qualité de service escompté. Un arbitre n’aurait pas la compétence de modifier des contrats de franchise étant donné qu’ils sont assujettis à une ordonnance particulière de l’organisme de réglementation, à moins que l’organisme de réglementation n’ait autorisé le recours à l’arbitrage dans le contrat approuvé.
La seconde question est la suivante : si les arbitres ont la compétence, sont-ils dans l’obligation d’appliquer les principes de la loi sur les services publics ou toute autre loi de nature réglementaire? Et que doit-il se passer s’ils n’appliquent pas ces principes?
La réponse la plus simple est que si les arbitres doivent trancher sur des litiges concernant des services publics, ils doivent appliquer la loi applicable aux services publics en question. Ces services publics ont des obligations établies par la loi et des décisions interprétant cette loi. Ils sont tenus de répondre à ces normes.
Ces normes auront une incidence sur la manière dont les arbitres traiteront les parties. Par exemple, en vertu de la loi sur les services publics, les services publics réglementés ont l’obligation d’offrir leurs services et de ne pas créer de discrimination entre les clients et les concurrents. Les services publics ont également des droits spéciaux. Dans la majorité du temps, les services publics réglementés ne sont pas assujettis aux lois relatives à la négligence sauf dans les cas de négligence grave.
Le régime de négligence grave est particulièrement intéressant. Bien que cela soit initialement un principe de common law, aujourd’hui la majorité des services publics l’ont intégré dans leur loi constitutive ou leur réglementation. Dans Kristian v Comcast48, la Cour d’appel des États-Unis a fait valoir que les dispositions dans une sentence arbitrale qui font obstacle à l’exercice de droits prévus par la loi fédérale ou d’État sont invalides.
Plus tôt dans cet article, nous avons souligné que même lorsque les tribunaux décident de ne pas revoir des sentences arbitrales concernant des services publics, les organismes de réglementation peuvent le faire. Si un service public n’est pas satisfait d’une sentence arbitrale, la première autorité vers laquelle il se tournera ne sera pas un tribunal, mais bien l’organisme de réglementation du secteur de l’énergie qui régit la majorité de ses activités. Il en va de soi plus particulièrement dans deux types de circonstances. D’abord, lorsque le différend comprend l’interprétation d’une loi ou d’un principe réglementaire et, deuxièmement, lorsque les arbitres n’ont pas pris ces lois ni la jurisprudence en compte.
C’est ce qui s’est produit dans Central Alberta Rural Electrification. Dans cette affaire, la sentence arbitrale avait été rendue. Une des parties a décidé de s’en remettre à l’organisme de réglementation. L’organisme de réglementation a tranché la question, déclarant qu’il n’était pas lié par l’autorité de la chose jugée parce que l’arbitre n’avait pas pris en considération la loi de nature réglementaire qui était en cause en l’espèce. Par la suite, une requête a été présentée à la cour pour l’autorisation d’en appeler de la sentence arbitrale. La cour a refusé d’accorder l’autorisation parce qu’elle reconnaissait que l’organisme de réglementation était intervenu et qu’il devait faire preuve de déférence. De toute évidence, la cour canadienne avait déféré à l’organisme de réglementation et essentiellement adopté une règle américaine de compétence première.
Il n’y a aucune raison pour laquelle l’arbitre n’aurait pu traiter la loi de nature réglementaire. L’arbitre ne l’a pas fait et l’organisme de réglementation s’en est chargé. Reste à savoir si les organismes de réglementation insisteront sur le fait qu’ils ont une compétence exclusive.
Il est fort probable que les organismes de réglementation défèrent aux arbitres pour des motifs de politique publique. Toutefois, il s’agira d’une déférence plus prudente que ce que les cours accordent, plus particulièrement si leur loi constitutive est en cause. Et si tel est le cas, les arbitres n’ont-ils pas pris en considération la loi ou l’ont mal interprétée, l’organisme de réglementation exercera probablement sa compétence première.
Au bout du compte, cela signifie tout simplement que lorsque des arbitres s’engagent dans des domaines relevant du droit public, notamment d’une loi de nature réglementaire, et que l’une des parties devant eux est un service public réglementé, ils devraient être conscients des lois spécifiques qui s’appliquent à l’industrie et aux services publics réglementés. Cela signifie également que ce type d’arbitrage est davantage sujet à révision. Et si cette révision n’est pas réalisée par une cour, un organisme de réglementation peut certainement s’en charger. Et si la cour doit choisir entre un arbitre et un organisme de réglementation dans ces cas, l’organisme de réglementation sera privilégié.
Il n’y a pas de lignes de directions évidentes dans ce monde. Mais, si la question concerne un domaine dans lequel l’organisme de réglementation est réputé exercer une compétence et a notamment rendu des ordonnances visant le service public en question, un signal d’alarme devrait retentir.
* Gordon E. Kaiser, FCIArb, est un arbitre agréé pratiquant à Jams Resolution Center à Toronto et Washington DC, ainsi qu’aux Energy Arbitration Chambers de Calgary et de Houston. Il est un ancien vice-président de la Commission de l’énergie de l’Ontario. De plus il est un professeur adjoint à l’Osgoode Hall Law School, co- président du forum canadien sur la loi sur l’énergie et rédacteur en chef pour cette publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie.
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- Re Toronto Hydro Electric System, EB-2009-0308 (27 janvier 2010) (Commission de l’Énergie de l’Ontario).
- Re Hydro One Networks, EB 2009 – 0096 (19 janvier 2010) (Commission de l’énergie de l’Ontario).
- Danyluk c Ainsworth Technologies Inc, 2001 CSC 44, [2001], 2 RCS 460.
- Chiron Corporation c. Ortho Diagnostic Systems Inc, 207F. 3d 1126 (9e Circ. 2000); John Hancock Mutual Life Insurance v Belco Petroleum Corp, 88F.3D 129 (2e Circ. 1996).
- Central Alberta Rural Electrification, supra note 24.
- McKinley c British Columbia Tel, 2001 CSC 161, [2001] 2 RCS 161.
- Power Workers, supra note 26.
- ATCO Gas Ltd v Alberta (Commission des services publics), 2013 CAAB 310.
- ATCO Gas and Pipelines Ltd v Alberta (Utilities Commission), 2015 CSC 45.
- Hall Street Associates LLC v Mattel Inc, 552 US 576 (2008).
- Baxter International v Abbot Laboratories, 315 F. 3d 829 (7e Circ. 2002).
- American Central Eastern Texas Gas v Union Pacific Resources Group, 93 Fed Appx 1 (5e Circ. 2004).
- Sattva Capital Corp c Creston Moly Corp, 2014 CSC 53, [2014] 2 RCS 633.
- Gulf States Utilities Co v FPC, 411 US 774 (1973).
- Eco Swiss China Time Limited v Benetton International NV, ECR 1 3055.
- ET Plus SA v Welter, [2005] EWHC 2115 (Comm), [2006] Loyd’s Rep 251 9E.
- Mitsubishi Motors Corp v Soler Chrysler-Plymouth, Inc, 473 US 614 (1985).
- Re El Paso Energy Corp, No C-39-15, 2000 FTC Lexis 7 (FTC, 6 janv. 2000) (décision et ordonnance).
- Re DTE Energy Co, [2001] 131 FTC 962 (décision et ordonnance).
- Canada (Director of Investigations and Research) v Air Canada, [1989] 27 CPR (d) 476 (Tribunal de la concurrence).
- Canada (Commissaire de la concurrence) v United Grain Growers Limited, Tribunal de la concurrence, TC-2002/01, ordonnance sur consentement (17 octobre 2002).
- Kristian v Comcast Corp, 446 F.3d 25 (1er Circ. 2006).